1. N comme... Ne t'arrête pas !
« Nous pourrions commencer par ceci. »
Les deux rousses se regardèrent, l'étonnement arquant leurs sourcils, puis se tournèrent vers l'étudiant, qui revêtait un faciès confiant.
« Qu'en dites-vous ? insista Raphaël, pointant la châtaigne vers Nina du bout de ses doigts gelés. »
La jeune femme le fixa droit dans les yeux. Hésitante, elle s'approcha lentement, la main tremblante, tendue vers l'avant, sur le point de saisir le fruit. Brusquement, le jeune homme lui saisit le poignet. Tout du moins, telle était son intention. Mais quelle fut sa surprise lorsque ses doigts se refermèrent sur... du vide ? Pas tout à fait, mais c'était tout comme. Cette étrange sensation de ne saisir que des grains de pollen, aussi volatiles que ceux d'un pissenlit, s'éparpillant au gré du vent en une nuée d'étincelles qui pouvaient se confondre avec les astres du ciel nocturne. Ainsi, l'image d'une Nina, à l'expression mêlant joie timide et surprise mélancolique, s'effaça peu à peu sous les regards éberlués d'une petite rouquine et d'un grand brun. Encore une manifestation surnaturelle que ses études ne pouvaient expliquer.
« NANA ! NON ! hurla Nolwenn, réalisant alors la réalité de la scène. »
Elle chercha à la retenir, mais elle ne faisait que brasser l'air, déformant davantage le portrait de sa sœur qui s'évaporait sous ses topazes glacées.
« Pourquoi tu t'en vas ? lâcha-t-elle, la voix nouée de sanglots imminents. Je croyais que not'e cadeau te plaisait ! »
Elle tentait d'attraper les poussières qui constituaient son ainée, de toute la détente que ses jambes de sept ans lui permettaient, mais rien n'y faisait.
« Mais reviens ! S'te plaît, Nana ! »
Malgré tout consciente de l'inutilité de ses gestes, elle persistait à agiter les bras, bondissant sur les pointes de ses pieds, chacun de ses efforts marqué d'un gémissement censé lui donner la force d'y parvenir.
« C'est pas du jeu, ça ! »
Raphaël sortit alors de sa torpeur en un frisson, réveillé de l'acharnement de la fillette. Il se précipita vers elle avec l'intention de la protéger d'elle-même. Ses bras se resserrèrent sur cette petite sœur de cœur, qui venait de troquer sa détermination contre des larmes désespérées.
« Calme-toi, Princesse, tenta-t-il de la convaincre d'une voix douce et posée.
- J'veux pas, suffoqua-t-elle. Non, je veux pas...
- S'il te plaît, Nolwenn !
- Je veux pas qu'elle soit un fantôme ! leva-t-elle alors la tête, révélant son visage, d'habitude si radieux, dévasté par deux cascades nommées douleur et chagrin. »
A ces mots, le temps s'arrêta pour le cœur de l'étudiant. Un fantôme... Non, il se refusait d'y croire. Cette jeune femme, qui venait seulement de retrouver l'espoir, ne pouvait pas être une illusion. Malgré le désespoir qui l'avait ensorcelée et poussée de ce maudit pont, son âme semblait vouloir s'accrocher au peu qui compose sa vie. Pourquoi l'aurait-elle guidé vers sa benjamine, si elle ne tenait pas un tant soit peu à veiller sur elle ? Pourquoi cette comptine ? Pourquoi... Un instant de silence dans l'esprit de Raphaël... Et ce fut la révélation.
« Arrête Raph ! Tu vas trop vite ! râla Nolwenn, entraînée malgré elle par la course que lui imposait le jeune homme, en la tirant par le bras. J'ai des p'tites jambes, moi, j'te signale ! »
L'interpellé jeta un vague regard par-dessus son épaule, sans arrêter son frénétique trot qui se retenait d'accélérer.
« Et d'abord, on va où, comme ça ? »
Il ne prit le temps de répondre. A cet instant, le temps était trop précieux pour le perdre. Alors hors de question de prendre le risque de ralentir pour quelques mots échangés.
« Mais arrête de m'tirer comme ça ! Tu vas m'faire mal ! s'énerva davantage la rouquine, non sans susceptibilité face à son silence. »
Son bras échappant enfin à l'étreinte de Raphaël, elle en profita pour marquer une pause dans leur course, tout en se demandant si ce grand dadais allait remarquer son absence, lancé dans son marathon comme il l'était. La réponse ne tarda pas à s'imposer d'elle-même, par l'intermédiaire d'un jeune homme freinant sa foulée du mieux qu'il pouvait, à la seconde où il réalisa que le poignet de l'enfant s'était dérobé de ses doigts. Il se tourna et fit face à Nolwenn : lui, les mains dans les poches de son vieux manteau, la tête baissée pour appuyer son regard contrarié et sa grimace impatiente ; elle, les bras croisés aux poings serrés, le port de tête bien haut pour affronter son concurrent de ses iris provocateurs et d'une moue froissée dans sa fierté. Un soupir las s'échappa des narines de l'étudiant.
« Tu préfères monter sur mon dos, peut-être ? »
Le regard espiègle s'évadant sur le côté, la petite rousse se mordit les lèvres pour retenir un sourire vainqueur.
« Aller, plus vite ! »
Le duo apparut au coin d'un carrefour, une Nolwenn au sourire amusé, agrippée aux épaules d'un Raphaël peinant à aller aussi vite qu'il le souhaiterait. Cela faisait à peine cinq minutes que leur course avait repris. Et l'enfant, emportée par le jeu, en avait presque oublié ses larmes et sa susceptibilité, à en juger les éclats de ses rires ricochant sur les murs. Quant à l'étudiant, il ne s'attendait pas à ce que la vingtaine de kilos, qui gigotait dans son dos, soit aussi pénible à porter.
« Hue, Rara !
- Rara !?!?! s'étonna la monture humaine essoufflée, en lançant un furtif regard à son jockey.
- Ben quoi ? Tu préfères que j'dise" Hue Dada" ?
- Si j'ai le choix, je préfère ni l'un, ni l'autre. »
La rouquine fit alors mine de se plonger dans une intense réflexion, tandis que le jeune homme attendait à un passage piéton.
« Bon ben dans c'cas... Plus vite, Pinkie Pie ! décréta la fillette d'une bonne tape dans le dos.
- Hé ! Doucement ! se plaignit-il, manquant de trébucher du trottoir.
- Ben faudrait savoir ! Je croyais que t'étais pressé tout à l'heure ! »
Raphaël laissa la fillette répliquer, préférant s'assurer qu'aucun véhicule ne viendrait les gêner durant leur traversée. Un regard à droite, un regard à gauche et...
« Même que t'as failli m'arracher l'bras !
- Eh bien, si ta monture actuelle ne te plaît pas, que dirais-tu de celle-ci ? »
Nolwenn se redressa de sa position, regardant dans la direction qu'avait indiquée le jeune homme d'un mouvement de tête. Deux phares perçant la nuit s'avançaient vers eux, ralentissant à l'approche du feu qui venait de passer à l'orange. D'un clin d'œil commun, l'accord silencieux fut conclut entre les deux amis.
« TAAAAAAXXXIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII ! ! ! ! crièrent-ils en chœur, la gamine faisant des grands signes de la main. »
Raphaël fit quelques pas vers le véhicule et déposa la petite rouquine à terre.
« J'espère que t'as de l'argent ! »
A cette remarque, elle se figea surplace, les yeux effarés sortant presque de leurs orbites.
« Je plaisante ! rassura alors le jeune adulte d'un sourire taquin, le portefeuille qu'il avait dérobé en début de soirée en main. »
Nolwenn grimaça légèrement à cette note d'humour, à laquelle elle n'adhérait pas. En réponse, l'étudiant ouvrit la porte arrière de la C4 qui allait les conduire à bon port.
« Le carrosse de Mademoiselle la Princesse est avancé ! l'invita-il à prendre place à l'intérieur d'une révérence distinguée »
Se prenant au jeu, la fillette leva fièrement la tête, se tenant comme une reine le temps de passer devant son majordome et prit place dans la voiture.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. Raphaël se glissa entre elles, suivi de près par son acolyte, avant de courir dans le corridor d'un blanc immaculé, comme si sa propre vie en dépendait.
« Raph ! l'interpela la petite rouquine, bien décidée à ne pas suivre son rythme. C'est pas bien d'courir dans un hôpital ! »
Mais le jeune homme ne semblait pas du tout attentif à son avertissement et s'enfonça petit à petit dans le couloir.
« Papa m'a toujours dit qu'on pouvait réveiller les malades ET les morts, si on courrait dans un hôpital ! »
Une fois encore, il l'ignora, captif de ses pensées, et tourna au premier embranchement à sa droite, disparaissant ainsi du champ de vision de Nolwenn, qui se figea le temps d'expirer tout son mécontentement par les narines.
« Qu'il vienne pas m'dire que j'l'ai pas prév'nu ! commenta-t-elle avant de suivre le chemin emprunté par ce grand dadais, sur la pointe des pieds par respect pour les résidents. »
à suivre...
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