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𝐇𝐚𝐧𝐚 ³ ⁶⁶⁴
Les auditions ont lieu à 15 h, pourtant j'ai le sentiment que je n'arriverai jamais à être prête à temps. Les danseurs sont convoqués à 14 h pour qu'ils aient le temps de recevoir leur ordre de passage, de s'échauffer et de s'installer dans leur loge respective.
Ça fait si longtemps que je n'ai plus vu mon reflet dans un miroir éclairé par de grosses ampoules lumineuses que je suis excitée à l'idée de m'y retrouver en face. Mais avant de pouvoir contempler mon reflet, il faut que je fasse disparaître les traits tirés de mon visage. Si le chanteur pour qui je veux danser voit que ma santé est une véritable catastrophe, jamais il ne me choisira. Pistonnée ou pas. M'étant réveillée un quart d'heure avant mon réveil, je me suis autorisée à me faire couler un bain en lançant ma playlist préférée, un masque hydratant sur le visage. Je crois même m'être endormie, car à mon réveil l'eau était tiède.
Je me suis séché les cheveux, mais n'ai pas voulu me maquiller tout de suite puisqu'on a sonné à ma porte. Je ne suis pas une grande fan de maquillage, mais quand il s'agit de me faire belle pour des représentations, des galas ou des auditions, je suis la première à avoir un pinceau à la main ! On ne peut pas briller en étant pâle sous les projecteurs. Mettant alors mes paillettes de côté, je me suis dirigée vers l'entrée pour rencontrer mon visiteur.
— Su-ah ? Me suis-je écriée. Qu'est-ce que tu fais là ?
Elle me sourit et rétorque sous les aboiements d'Ellie :
— Moi aussi, je suis contente de te voir !
Me rendant compte de ma maladresse, je m'excuse et la fait entrer.
— Tu as déjeuné ?
Voyant que je ne répondais pas, ma professeure de danse me tend une petite glacière.
— Je savais que tu n'avais pas mangé... C'est fait-maison, tu m'en diras des nouvelles !
— Oh, merci ! Tu déjeunes avec moi ?
J'espère qu'elle n'a pas entendu la réponse que j'espérais dans ma voix.
— Briser ta solitude que tu chéris tant et te mettre encore plus en retard que tu ne l'es déjà ? Non, voyons ! Je passais juste pour te donner de quoi manger !
Je m'apprêtais à la remercier de respecter mon intimité lorsqu'elle se dirigea vers sa voiture.
— Euh, tu ne me souhaites pas bonne chance ?
Par-dessus son épaule, elle me lance :
— Tu n'en as pas besoin !
Je la regarde partir en me répétant cette phrase dans ma tête. D'un côté, elle n'a pas tort. Je me suis tellement entraînée que la chance ne me servirait à rien. Mais le fait qu'elle ait tant confiance en moi renforce ma crainte de décevoir.
Je déjeune dans le calme. J'ai eu droit à des nouilles avec des légumes sautés et du bœuf mariné, mais je n'ai pas réussi à tout terminer. Le reste a fini dans le frigo et je n'ai pas résisté aux yeux doux d'Ellie, elle a fini par recevoir un morceau de viande.
Je me suis habillée pour l'audition, je suis allée promener Ellie, puis je me suis maquillée. Contrairement aux galas que j'ai passés étant plus jeune, je n'ai pas mis de paillettes. J'ai plutôt opté pour un maquillage qui fait naturel. Je me suis dessiné un trait d'eye-liner discret, question de mettre mon regard en valeur, en ajoutant une couleur un peu grisée sur mes paupières. En dehors de ça, fond de teint, blush, mascara et compagnie. La dernière étape était d'appliquer mon rose à lèvres, mais je me laisse l'honneur de l'appliquer une fois dans ma loge. Je ne mets jamais de rouge, que ce soit sur mes lèvres ou en vêtement, je trouve que cette couleur ne me va pas (en vérité, je pense que je dois sortir de ma zone de confort pour assumer cette couleur sur mes lèvres).
Lorsque j'arrive au théâtre où se déroulent les auditions, il est 14h passée. Je suis essoufflée alors que je n'ai même pas couru. Je crois que je suis au bord d'une crise d'angoisse, mais j'ignore mon mal-être en prétextant que tout va bien. Oui, tout va très bien.
À l'accueil, je montre ma pièce d'identité. Le regard en travers que je reçois de la part de l'agent quand il comprend que je suis coréenne ne me laisse pas indifférente. J'aimerais me justifier, lui dire que mon père est coréen, mais que j'ai tout pris de ma mère qui est américaine, sauf qu'il m'a intimé d'avancer d'un geste sec et pressé. J'ai signé un papier que je n'ai pas lu tellement ma tête tournait, puis on m'a donné mon numéro que je suis censée accrocher sur ma tenue. Quand je demande mon ordre de passage et mon numéro de loge, une femme me tend ma feuille et répond dans un anglais maladroit :
— Vous êtes la dernière. Vous avez besoin que je le note dans votre langue ou vous comprenez le coréen ?
J'ai les larmes aux yeux quand je lui arrache la feuille des mains et quitte l'accueil le plus rapidement possible en entendant des murmures dans mon dos comme « c'est quoi son problème ».
Une fois dans ma loge, je remarque que mon liner a coulé, laissant une longue trace noire sur mon visage. Alors, je pleure de plus belle, m'insultant de ne pas être à la hauteur. Maintenant que je suis dans tous mes états, je n'arriverais jamais à me concentrer. Je ne peux pas appeler Suwon, parce que je pleurerais de plus belle en entendant la gentillesse dans sa voix, et Su-ah est occupée, étant donné qu'elle se trouve dans le public, avec le jury. Je m'installe face au miroir, parce que c'est le seul endroit où il y a une chaise, et prends mon visage dans mes mains afin de calmer mon angoisse.
Je renifle bruyamment lorsque la porte s'ouvre brusquement. Une jeune fille aux cheveux blonds se tient face à moi et nous nous regardons en silence pendant ce qu'il me semble une éternité. Elle doit être surprise de me voir là, à pleurer, et je suis également surprise en comprenant que je suis censée partager ma loge.
— Pourquoi pleures-tu ?
Elle paraît inquiète, alors je rétorque que c'est le stress en essuyant une larme.
— Ah, je vois ! Ne t'inquiète pas, je suis pire. Parfois, quand je stresse, je mange tellement de cochonnerie que je prends des kilos...
Ne voyant qu'elle ne me juge pas, je poursuis la conversation :
— Et bah moi, je ne peux rien avaler !
— Ouais, c'est pour ça que tu es aussi bien foutu ! S'exclame-t-elle en me désignant de la tête au pied.
Je me racle la gorge et mon interlocutrice parait remarquer mon air boudeur quand je vois dans la glace que j'ai ruiné tout mon maquillage. Elle ferme la porte derrière elle et s'installe à mes côtés.
— Tu as de la chance, j'ai ramené ma trousse de maquillage !
Elle la pose devant moi, l'ouvre délicatement et j'accepte lorsqu'elle propose d'arranger ce massacre uniquement parce que mes mains tremblent trop pour que je puisse tenir un pinceau.
— Tu as un super beau visage, murmure-t-elle en réappliquant de la poudre. Tu es d'origine italienne ?
Je manque de m'étouffer avant de répondre :
— Non, américaine.
Mon cœur se calme lorsqu'elle hoche la tête, comme si tout était normal et pas choquant que je puisse être d'une autre origine.
— Et... Et toi ?
— Mon grand-père était japonais, mais en dehors de ce détail, je suis une pure coréenne... Parfois, j'ai l'impression d'être un cliché !
Mon étonnement se fait remarquer, je m'apprête à la rassurer, à lui dire que j'aurais aimé être ce cliché, mais elle balaie ses paroles d'une main en prétextant qu'elle s'aime ainsi.
Pendant qu'elle me maquille, je contemple ses traits fins. Contrairement à moi, elle a les yeux foncés, le teint d'une poupée en porcelaine et son nez est si fin qu'on le remarque à peine. En plus d'être danseuse, je pense qu'elle doit aussi être mannequin. Elle applique du blush sur mes pommettes si délicatement que je me détends.
— Quel est ton ordre de passage ? Demande-t-elle après un moment de silence.
— Je suis la dernière.
— Oh...
Elle sait ce que je ressens. Je vais devoir rester là, à attendre dans mon angoisse. Voyant que je suis mal à l'aise, elle reprend joyeusement :
— Au moins, tu as le temps de bien t'échauffer ! Et puis, comme on dit : le meilleur pour la fin !
Je hausse les épaules, pas du même avis qu'elle.
— Je ne sais pas... Je pense surtout qu'ils en auront marre de regarder les danseurs et qu'ils me compareront aux précédents.
Elle sort trois différents rouges à lèvres et les déposes sur la table.
— Mais non ! N'oublie pas que ce sont des professionnels et puis on parle tout de même de Min Seojun, la star internationale beaucoup trop sympa et sexy pour ce monde ! Tiens, choisis ton rouge à lèvre.
Je ne poursuis pas le sujet qu'elle a lancé. Je crains qu'elle remarque que je ne connais pas ce chanteur, étant donné qu'elle doit être une fan en plus de vouloir travailler à ses côtés.
— Non, merci. J'ai déjà mon rouge à lèvre. J'ai voulu le mettre ici parce que c'est ce que je fais en premier lorsque je rejoins ma loge.
— Moi aussi ! Je fais exactement la même chose ! C'est une sorte de tradition, pas vrai ?
— Ouais, on peut dire ça comme ça...
— Bon, alors aide-moi à choisir ma teinte, s'excite-t-elle en montrant les trois tubes d'une couleur différente.
Je ne réfléchis pas avant de désigner le rose pêche.
— Celui-ci ! C'est une couleur qui se marie très bien avec ton teint.
Elle accepte et je sors le mien pour que nous nous l'appliquions en même temps. En croisant mon reflet, je remarque qu'elle a caché toute trace d'inquiétude. J'ai même l'air heureuse.
— Qu'est-ce que tu fais ? Demande-t-elle en pointant du doigt mon tube rosé.
— Je m'applique mon rouge à lèvre, pourquoi ?
Elle fait un aller-retour avec ses yeux de mon tube à mes lèvres avant de remuer négativement la tête.
— Non, non, tu vas danser devant Min Seojun ! Écoute, si tu as décidé pour moi, alors je décide pour toi...
Pour appuyer sur ses paroles, elle brandit son rouge à lèvres rouge.
— Oh, non, désolé... Je n'aime pas cette couleur...
— Pourquoi ? Tu as les cheveux bruns et les yeux avec des éclats de vert, elle ne peut que t'aller !
Mon air hésitant lui saute aux yeux, c'est pourquoi elle poursuit :
— Laisse-moi te l'appliquer et si tu n'aimes pas, je te laisse mettre le rose.
— D'accord, dis-je sans vraiment le vouloir.
Elle sourit et je me rends compte qu'elle est vraiment belle. Peut-être que ses conseils me seront précieux. Elle se penche vers moi, me l'applique avec une concentration certaine, puis s'éloigne en tapant dans ses mains.
— J'en étais certaine, s'exclame-t-elle. C'est ta couleur !
Hésitante, je regarde dans le miroir et le choc est si grand que j'ai le sentiment d'avoir été baffé. J'ai toujours cru que mettre du rouge serait brutal sur mon visage, me vieillirait ou me ferait me sentir trop sûre de moi. Mais c'est tout l'inverse. Le rouge, sur mes lèvres, attendrit mes traits et contraste parfaitement avec mon côté doux et timide.
— J'en suis presque jalouse, se plaint mon interlocutrice, mais son sourire me prouve qu'elle est juste fière. Tu sais quoi ? Je te l'offre !
— Quoi ? Non, non, je...
— Si, si, accepte-le ! Je ne le mets jamais, je trouve qu'il ne va pas avec mes cheveux blonds. Promis, je crois l'avoir acheté pour rien !
Elle attrape ma main et pose le tube dans ma paume d'un geste certain.
— Et puis, les cadeaux ne se refusent pas !
Je n'ai pas remarqué à quel point je suis heureuse. Heureuse de l'avoir rencontrée et qu'elle ait pu m'aider.
— Merci, heu... comment tu t'appelles, au fait ?
— Kang Jin-Huy. Mais mes amies m'appellent Jiny ! Et toi ?
— Enchantée, Jin-Huy. Moi c'est Hana Choi.
Jin-Huy étouffe un rire, je crois d'abord qu'elle se moque de moi, mais je comprends par la suite qu'il s'agit d'autre chose.
— Non, pour toi, c'est Jiny, répète-t-elle. Mais ravis aussi de t'avoir rencontré, Hana.
Je suis choquée et heureuse. Choquée de m'être fait une amie aussi rapidement et heureuse d'en avoir enfin une.
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