XIX Visite touristique
https://youtu.be/4eaO63O0vD4
Petite B.O. à écouter en lisant, pour ceux qui ne sont pas à l'aise avec ce genre de références.
« Armande, suis-les ! ordonna Molière à sa moto, sans que j'en comprisse un mot. »
Aussitôt, le dramaturge sauta sur ses pieds, en équilibre sur le siège de la Harley, comme un surfeur en pleine vague, tandis que nous nous rapprochions dangereusement du maître-tailleur robotiquement costumé. L'homme de fer leva une main, d'où sortit une fulgurante boule de lumière, chutant à dix mètres de nous.
« Madeleine. Surtout... reste en vie.
- Attends, m'écriai-je. Que compte-tu faire ? »
Molière tourna légèrement la tête, une lueur mystérieuse au cœur des yeux, puis trancha :
« Il faut bien quelqu'un dans cette pièce pour tailler le tailleur en pièces. »
L'allure ne faisait que croître, et la silhouette du personnage en armure se rapprochait inexorablement, en position de combat. Au devant, les trois motos restantes filaient à toute allure, dépassant sans vergogne piétons et lampadaires par pelletées de douze. Non... l'homme de fer volait maintenant dans notre direction, et à une allure tout aussi faramineuse. Le choc n'allait pas tarder.
L'asphalte de la grande avenue retint son souffle, le son se coupa. Molière s'empara du bouclier du rhéteur, donna une violente poussée sur ses jambes, bondit sur le gusse enarmuré et se fracassa contre sa peau de métal. Sous la force de ce coup, le tailleur perdit le contrôle de sa trajectoire et effleura le sol. Des étincelles fusèrent mais cette chute fut de courte durée. En effet, les propulseurs crachaient des flammes si puissantes que l'armure s'envolait sans peine, même avec un dramaturge aux muscles surdéveloppés accroché à l'épaule.
Je ris de surprise : Armande se conduisait seule, comme dotée d'une conscience propre ! Telle une mouche schizophrène en déroute, les combattants valdinguèrent au travers de la route, devançant les motos qui peinèrent à les suivre à la trace. Molière envoya un puissant coup de poing dans le heaume de l'homme de fer, qui riposta aussitôt d'une salve de frappes, sans jamais réussir à déloger le parasite moliérique de sa carapace. Le tailleur, aveuglé par son combat, suivait une trajectoire approximative qui mena les deux héros à racler des murs et à défoncer d'innocents lampadaires. La panique régnait dans les rues : piétons hurlaient, voitures pilaient, flics sifflaient, mais motos toujours filaient.
J'entendis Jordan proférer quelqu'autre ordre. Aussitôt, Harpagon se retourna, laissant Dorante conduire seul au devant, et une mitrailleuse se déplia depuis l'arrière de la moto. Ma gorge se serra tandis que les canons commençaient leur rotation. L'Avare s'empara de la tourelle, un rictus malsain aux lèvres. Des éclairs sortirent de tous les trous de l'arme qui envoyait des boulets de partout, fissurant et la route et les vitrines alentours. Lorsque les projectiles furent susceptibles de m'atteindre, la moto se pencha vers le sol, de sorte que nous ne puissions être atteintes, et continua d'esquiver les balles avec une souplesse légendaire, ou tout du moins que l'on n'attendrait pas d'une motocyclette sans conducteur.
Tous ensemble, nous formions ainsi un cortège de hors-la-loi pyro-propulsés, en plein milieu des Champs Élysées pris dans la nuit. Je fixai Capitaine France et l'Homme de Fer en plein vol, attendant de voir celui qui s'effondrerait le premier. Les coups de feu m'assourdissaient et les lumières filantes m'aveuglaient. Entre deux images perceptibles, entrecoupées de flashs blancs, Molière para un coup de blasteur du tailleur grâce à son bouclier tricolore qui renvoya la boule d'énergie droit dans le bras de l'habilleur qui explosa. Leur vol s'en trouva plutôt déséquilibré, et, tandis que nous contournions l'Obélisque de la Place de la Concorde, les deux surhommes s'envolèrent droit vers le ciel, heurtant un pigeon au passage.
Je frappai sur le dos d'Armande pour la faire virer de bord, mais rien n'y fit, fidèle à l'ordre donné, elle continua de poursuivre Harpagon et de me protéger de son minigueune inutile, sans que mes yeux pussent quitter les silhouettes enflammées des deux combattants perdus dans le ciel.
Nous continuions d'accélérer, nous éloignant de plus en plus de la boule de feu humaine que formait mon sauveur et sa création, et allâmes jusqu'à traverser le Louvre, utilisant la pyramide comme tremplin vers les toits. Jordan maugréait, certainement à court d'idée pour tenter de stopper notre poursuite, et ordonna à Cléante que l'on me mît hors d'état de nuire. Ce dernier se retourna, une aptitude ardente brûlant dans les yeux, lorsqu'on entendit un sifflement.
Je souris : Molière sifflait, depuis les nuages où il s'accrochait désespérément : Molière appelait Armande à l'aide.
La moto dérapa sur le toit du Louvre, face au Pont des Arts et à la magnifique Seine grise. Se produit alors quelque chose que jamais je n'aurais prévu, malgré la saugrenuité du monde dans lequel on m'avait plongée : au dos d'Armande se déplièrent quatre réacteurs qui chauffèrent plusieurs secondes durant, avant une accélération titanesque. Mes cheveux manquèrent de se détacher de mon crâne, tandis que nous foncions droit dans le vide. Un océan de flammes nous talonnait, et, confiante, je vis des ailes de cuir se déplier des deux côtés de la bécane magique.
Nous décollâmes, tel un oiseau de feu dans le ciel nocturne, qui rejoignait une autre étoile au lointain. Là-bas, le maître-tailleur avait enfin réussi à reprendre le contrôle de son vol, et tenait fermement Molière par le cou, le dominant de tout son habit. Il s'écria :
« Que le fer enfin te transperce, tyran ! »
Et seulement je m'en rendis compte : ils étaient placés juste au dessus de la tour Eiffel, qui brillait de mille feux, comme à sa radiante habitude. De sa force surhumaine, le tailleur donna un coup d'une violence extrême dans le bassin du dramaturge, qui fut ainsi propulsé à une vitesse incroyable droit dans la pointe de la tour.
De nouveau, je sentis un ralenti hollywoodien m'assaillir, lorsqu'Armande faisait tout son possible pour sauver le biker en posture létale. Molière se retourna, face au sol pointu, yeux clos, et ses murmures me traversèrent comme un poignard d'espoir :
« Désolé, Gustave, je te rembourserai... »
Pris d'un élan d'adrénaline, le dramaturge plaça le bouclier du rhéteur contre son ventre et attendit l'impact. La pointe de la tour se plia et la force de la chute se répercuta jusqu'au sol où les quatre pieds de la tour s'enfoncèrent dans le sol du Champ de Mars. Un nuage de poussière et de cris de panique se souleva, cachant Molière pour un temps. Lorsqu'il réapparut, il était debout, en équilibre sur son bouclier, en haut de la tour rabougrie.
« Non ! C'est impossible ! maugréa le méchant Homme de Fer. Tu devrais être mort !
- Et toi donc ! j'hurlai, un sourire cruel aux lèvres. »
Mon pistolet à billes fut sorti, sa gâchette actionnée. Je ne manquerais pas ma cible cette fois-ci. La bille fendit les airs, trancha les bas-nuages, déchiqueta tous les espoirs du biker ennemi et l'atteignit au torse. La décharge fut telle que l'armure robotique explosa en mille morceaux, un feu d'artifice parisien, ponctué de giclées de sang noir. Et un de moins.
Molière sauta à l'avant d'Armande, la complimenta, et nous redescendîmes au sol. Je demandai :
« Et le bouclier ?
- Il s'est brisé. Même la rhétorique a ses limites. Elle se brise contre les symboles. »
Les ailes et les réacteurs se plièrent. Nous repartîmes à la chasse de Jordan.
« Où irons-nous les trouver ? M'inquiétais-je.
- Au Scud. Tu vas voir, ce n'est pas un mauvais endroit. »
Le Ride nous prit à la gorge, doublé de l'excitation du combat. Or, Molière osa briser le silence :
« Madeleine...
- Oui ?
- Merci. »
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