Gouttes

Warning : Présence de violences morales, allusion au suicide et à l'auto-mutilation, dépression. 

***

Sarah aimait la pluie. La pluie était libre. La pluie était froide. Alors que Sarah, elle était enfermée. Sarah, elle était chaleureuse. Mais Sarah, elle aurait aimé être libre et froide, comme la pluie.

Libre pour échapper à son enfer, froide pour lui répondre. Parce que Sarah, elle vivait seule dans une chambre. Sarah, elle recevait une visite par semaine. Sarah, elle n'avait pas ressenti le froid de la pluie sur son visage depuis des années.

Alors Sarah, elle regardait la pluie à travers la vitre, et Sarah, elle frappait sur le carreau. Mais le carreau ne se brisait pas, et Sarah, elle restait dans la minuscule pièce.

Sarah, elle n'aimait pas le soleil. Parce que le soleil, il lui rappelait pourquoi elle était là. Le soleil, il voulait lui donner de la joie. Mais Sarah, elle ne voulait plus être heureuse. Parce qu'à cause du bonheur, Sarah elle était enfermée ici.

Sarah, elle n'aimait pas la neige. Parce que la neige, elle était aussi blanche que les murs de cette pièce. Parce que quand il y avait de la neige, Sarah, elle voyait les enfants être heureux dehors. Mais Sarah, elle n'avait plus le droit d'être heureuse. Alors Sarah, elle n'aimait pas la neige.

Sarah, elle n'aimait pas l'orage. Parce que l'orage, ça faisait peur. Alors Sarah, elle devait se cacher sous sa couverture. Mais quand il y avait l'orage, il y avait aussi la pluie. Alors Sarah, elle ne pouvait pas regarder la pluie qu'elle aimait.

Sarah, elle n'aimait pas le vent. Parce que le vent, il séchait et repoussait les gouttes de pluie de sa fenêtre. Alors Sarah, elle ne pouvait plus observer ce spectacle qu'elle aimait tant.

Mais avait-elle encore le droit d'aimer ? La dame avait dit qu'elle ne devait plus ressentir. Mais Sarah, elle pouvait pas ne rien ressentir, parce que Sarah, elle était humaine. La dame avait dit qu'elle ne devait plus rien connaître d'autre que son prénom. Alors Sarah, elle se répétait tout le temps son prénom. La dame avait dit qu'elle devait oublier son nom. Mais Sarah, son nom, elle l'aimait. Parce que son nom, il lui rappelait son papa. Il lui manquait, son papa, mais Sarah, elle ne l'avait plus vu depuis bien longtemps. Et Sarah, elle avait oublié son nom.

Sarah se sentait seule. Affreusement seule. Désespérément seule. Mais Sarah, elle n'avait plus le droit de voir personne. Parce que la dernière fois, Sarah avait voulu sortir. Alors Sarah, elle s'était pris une gifle. Mais Sarah, elle ne voulait pas se laisser faire. Mais Sarah, elle n'avait pas le choix. Alors la dame l'avait enfermée dans sa pièce, et la dame, elle avait caché la fenêtre. Alors Sarah, elle ne pouvait plus regarder la pluie. Et les gouttes ne tombaient plus sur sa fenêtre, mais sur ses joues.

Sarah était triste, mais bien vite, Sarah, elle ne ressentit plus rien. Parce que Sarah, elle était seule. Sarah, elle s'ennuyait. Sarah, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

Elle ne savait même plus qui elle était. Elle avait oublié son prénom qu'elle s'était pourtant tant répété. Alors elle restait juste assise sur sa couche, dans l'attente de la prochaine visite. Elle entendait encore la pluie, le vent, la neige, mais tout cela ne lui évoquait plus rien. Parce qu'elle-même n'était plus rien.

***

Sarah avait été enlevée par l'Etat, plusieurs années auparavant. Son sourire communicatif et sa joie de vivre représentaient un danger pour leur patrie mise en péril par la guerre. On n'avait plus le droit de sourire, on n'avait plus le droit aux émotions. Alors les enfants, qui n'avaient pas conscience du risque, vivaient à l'écart de la société, dans un internat spécialisé. Et dans cet internat, vivaient aussi ceux qui ne pouvaient s'empêcher d'être des personnes heureuses, comme Sarah. Soit elles arrivaient à devenir comme les autres, à force d'ennui profond et de persuasion, soit elles étaient enfermées dans la solitude la plus totale, sans contact avec tout ce qui pouvait leur apporter des émotions. A l'issue de ce deuxième processus, les rares rescapés qui réussissaient à rester sains d'esprit étaient progressivement réintégrés à la civilisation. Mais la plupart d'entre eux, comme Sarah, finissaient par devenir fous. Ils perdaient la vie après une profonde dépression, le crâne fracassé contre un mur, étranglés par leurs draps, les veines taillées par un morceau de ferraille. Sarah faisait partie de ceux-là. Alors que ses yeux se fermaient doucement sur les gouttes de sang, venait glisser un rideau de pluie sur ses joues. Alors, elle se souvint qui elle était, ce qu'elle aimait. Mais il était déjà trop tard. Et comme en écho, les gouttes de pluie vinrent s'abattre sur la vitre.

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