Dans un silence pesant, ils s'assirent tous. Dark et Corvus présidèrent chacun un bout de la table et se dévisageant dans le calme. L'hôte agita une main et des plats dissimulés sous des cloches volèrent dans la pièce avant de se poser devant chaque convive. Ils levèrent tous leurs cloches, excepté Dark, et une délicieuse odeur parvint aux narines de tous. Un plat magnifiquement présenté flatta le regard de tous.

– Nous passons directement au plat de résistance ?

– En effet, car j'ai cru comprendre que certains d'entre nous vont avoir une journée chargée demain, alors j'ai désiré faire court pour qu'ils puissent rentrer tôt pour se reposer.

Étant habitués à ses manières parfois un peu déplacées, les généraux de Kraïn ignorèrent ceci et mangèrent. L'équipage s'apprêta à en faire de même, mais une ombre s'enroula autour de leurs bras avant qu'ils n'eurent le temps de prendre la moindre bouchée.

– Dites-moi, que nous avez vous préparé, exactement ? demanda Dark.

– C'est juste une recette qu'aurait pu suivre une figure de la mythologie grecque.

Blasé, Dark souleva légèrement sa cloche et observa ce qui s'y cachait avant de laisser s'échapper un soupir.

– Tentale, n'est ce pas ?

Les personnes qui comprirent ce que Dark voulait dire reculèrent en recrachant ce qu'ils avaient en bouche. Dark leva son couteau, son plat en faisant alors de même, puis ce dernier vola vers Corvus qui l'immobilisa en levant sa fourchette à quelques centimètres de celui ci.

– Vous n'avez pas faim ? ricana-t-il.

Il se leva en s'essuyant la bouche et retira la cloche, révélant aux rares personnes qui n'avaient pas encore réalisé ce qui se passait le plat qu'il avait tout spécialement préparé pour Dark.

– Ouiplo... bafouilla Kraïn en reconnaissant un de ses anciens généraux.

Ce ne fut pas facile, car Corvus lui avait arraché les yeux, enlevé le sommet de son crâne, et placé une pomme dans sa bouche. Il était farci avec son propre haché de cervelle aux épices fines.

– Non de...

– Mais vous êtes malade ?

– N'est-ce pas ce que vous répétez tous les jours ? se moqua Corvus.

Dark fixa Alice et réalisa qu'elle ignorait ce qui se passait et continuait de manger normalement.

Il se tourna alors vers les musiciens et réalisa enfin ce qui le dérangeait à leur sujet. Il enveloppa sa main de ténèbres et trancha le mur au dessus d'eux, coupant par la même occasion les fils qui les faisaient bouger. Ils s'écroulèrent et un masque tomba, révélant un visage qui acheva de répugner ceux qui n'avaient pas encore vidé leurs estomacs.

– Ils sont encore envie, si vous voulez savoir, expliqua Corvus. Ils souffrent le martyre mais ils ne peuvent pas émettre le moindre son d'eux même, ne ruinant pas leur performance avec de délicieux râles qui, certes, sont un vrai plaisir pour les oreilles, mais ne vont pas avec ce genre de musique.

Mélodie se leva et ordonna le repli, furieuse. Les mercenaires quittèrent la pièce qui était remplie par les protestations des autres invités.

Gillio, quand à lui, regardait sa fourchette avec intérêt.

– Je me disais bien que je ne connaissais pas cette viande...

***

Les mercenaires patientèrent dans l'ascenseur, comptant les secondes. Mélodie décida que c'était le meilleur moment pour interroger le Roi des Ténèbres.

– Dark, bordel...

– Je ne sais pas...

– Comment ça, tu ne sais pas ?

– Je ne sais pas pourquoi il est là ! hurla Dark en frappant un mur qui ne lui offrit aucune résistance. Son existence est impossible, et pourtant, on sait tout les trois qu'il est là haut !

– Vous avez compris de qui il s'agit ?

Les trois gardiens de ce secret dévisagèrent Snipe et Zac.

– Désolé, mais il ne veut pas que l'on parle, et il pourrait faire disparaître Lucie en un claquement de doigt. Maintenant que je sais à qui on a affaire, je sais que ce n'est qu'à bord de l'Aube que nous pourrons parler librement, et je vais devoir demander à Théo de mettre au point un sort pour l'empêcher de nous espionner dehors.

– Pourquoi est-ce que tu ne le fais pas toi même ? demanda Snipe.

– Parce que ça ne marcherait pas, sinon, répondit Mélodie.

– Pourquoi ?

– Parce que !

Comprenant au haussement de la voix de son capitaine que personne ne répondrait, il capitula pour le moment.

– Dark, dis-moi... commença Jaws.

Il fut interrompu par l'ouverture de la porte de l'ascenseur. Un homme entra, la tête baissée, et attendit que la porte se referme. Cinq paires d'yeux se posèrent sur lui, consternés.

– Que fais tu ici ?

– Tiens, tu ne me vouvoie plus ?

– Je n'ai plus besoin de faire semblant de ne pas te reconnaître, Corvus...

– Oh que si, car révéler qui je suis maintenant ne m'aidera pas, et j'ai encore quelques cartes en main pour te tenir en laisse.

– Qu'est-ce qui nous retiens de te tuer ici et maintenant ?

– Absolument rien, mon cher Snipe. Je suis seul face à deux Rois et une guerrière de premier ordre, alors je ne pense pas pouvoir me défendre. Bien sûr, j'aurais largement le temps de condamner la pauvre petite Lucie, et si je venais à disparaître, Alice éliminerait tout le monde là haut, y comprit Binair. Les indices qu'elle laissera vous inculperaient, et l'AVH vous pourchassera sans relâche jusqu'à ce que vous soyez tous morts. Je crois que vous n'êtes pas encore prêts pour cela, alors soyez gentils et tenez vous à carreau.

La porte s'ouvrit alors et ils sortirent en silence.

– Au plaisir de vous revoir, monsieur Raven !

Dark serra la main de Corvus en se retenant de vomir de dégoût.

– Au revoir, Corvus.

– Et vous aussi, mademoiselle Hawk !

– Capitaine.

– Bien sûr. Monsieur Mépnour...

Surpris, Zac accepta la poignée de main de Corvus. Une douleur intense lui parcourut alors le bras et il tomba à genoux en gémissant.

– Que lui as tu fait ? s'égosilla Dark.

– Ce n'est pas tant ce que je lui ai fait qui devrai t'inquiéter, mais ce que je vais faire de lui.

Tout en ricanant, Corvus retourna dans l'ascenseur alors que la porte se refermait. Dark déchira la manche de Zac et fixa avec horreur le symbole qui était apparu sur son bras. C'était le dessin d'une urne autour de laquelle dépassaient des ailes de papillons.

– C'est pas vrai... Tout mais pas ça...

– Quoi, qu'est-ce qu'il m'a fait ?

Dark leva la tête et fixa Zac d'un regard désolé.

– Zac... Si on ne trouve pas une solution...

– Quoi ? éructa Zac devant le soudain silence de Dark. Qu'est-ce qu'il m'a fait ?

– C'est une malédiction... Il vient d'offrir ton âme à Thanatos...

***

De retour dans la suite, Corvus tomba nez à nez avec Kraïn qui bouillonnait de rage.

– Pouvez vous m'expliquer ? explosa-t-il. Depuis quand nous donniez vous à manger des restes humains ? Ne me dites pas que...

Corvus leva de manière las une main et Kraïn s'immobilisa. Le masqué se dirigea alors derrière lui et dévissa l'arrière de son crâne. Une forme noire et brumeuse en émana.

– Encore besoin d'un réglage ? demanda Alice en apparaissant.

– Malheureusement... Et les autres ?

– Je leur ai dit d'attendre à un autre étage. Ils pensent que vous allez discuter, tous les deux.

– Je n'en reviens pas, il est mort depuis maintenant trois semaines, et personne ne voit la différence !

– -Si vous n'aviez pas piégé sa conscience dans son corps pour réécrire ses souvenirs, ils s'en seraient rendus compte.

– C'est vrai. Le plus dur, c'est de contrôler son esprit tout en le gardant suspicieux à mon égard. Si je fais un changement trop drastique, les autres découvriraient la supercherie.

– Il suffirait alors de leur faire la même chose.

– Sauf que c'est plus amusant comme ça !

Satisfait, Corvus revissa l'arrière du crâne de Kraïn et le regarda reprendre vie. Il éclata de rire et se tourna vers celui qui tirait ses ficelles.

– Excellente, votre plaisanterie, j'avoue m'être fait avoir ! De la chair humaine... Quelle idée !

– Ravi de voir que vous avez apprécié. En revanche, les autres...

– Ne vous en faites pas, je vais leur parler ! Ils n'aiment peut-être pas tous votre sens de l'humour, mais ils vous respectent !

– Heureux de l'entendre... murmura Corvus en souriant alors que son pantin lui obéissait sans le savoir. Sinon, pour ce qu'il s'agit de la flûte...

– Ne vous inquiétez pas, elle arrive ! Vous l'aurez rapidement !

– Parfait ! Grâce à elle, nous pourrons atteindre notre objectif !