28 - ÉVACUATION - Partie 2/2
Le Vulpian plissa les yeux pendant un court instant comme pour l'évaluer, puis ils s'arrondirent.
— Maintenant que vous le dites, votre tête me dit bien quelque chose. Vous étiez avec cet homme-dragon à la moto si je me souviens bien.
Sköll le fixa d'un air soupçonneux.
— En effet, mais que faites-vous ici ? Ce n'est pas votre secteur, normalement.
Jax soupira d'ennui avant de croiser le regard de son équipier resté figé derrière lui.
— À la base, le Caporal Denox Boldo et moi avions été missionnés pour renforcer la sécurité de cette ville suite aux déboires qu'un de vos exterminateurs a subi à cause d'un déviant de haut grade. Mais... une situation d'urgence nous oblige à nous joindre aux troupes présentes sur place pour nous occuper de l'évacuation des habitants. Alors, je compte sur la coopération de chacun dans cet établissement pour nous suivre afin de vous conduire en lieu sûr.
— Et où comptez-vous nous emmener, exactement ? intervint soudain Borys en sortant de sa cuisine, occupé à s'essuyer les mains dans un torchon.
Suivi de son épouse, l'homme à la barbe rousse fixa le militaire d'un regard empreint d'exigence et le Vulpian s'en pinça les lèvres.
— Je suis désolé de ne pouvoir vous apporter plus d'explications, mais je n'ai pas eu plus de précisions quant au lieu définitif où l'on doit se rendre. Je sais juste que l'on doit d'abord vous réunir sur la place centrale.
— Hum... marmonna le cuisinier, et quel genre de menace nécessite une telle évacuation ?
— Je n'ai malheureusement aucune information à ce sujet, mais c'est imminent.
L'angoisse noua aussitôt l'estomac d'Angélina et un mauvais pressentiment la saisit de plein fouet. La situation devenait dangereuse, cela signifiait donc que Kyeran et Lyria avaient échoué dans leur plan. Se pouvait-il que la menace évoquée par Jax soit celle à laquelle elle pensait en cet instant ? Le Grand Dévoreur aurait-il été réveillé ?
Elle n'eut pas le loisir de se poser plus de questions. Une douleur atroce traversa soudain son poignet gauche, l'obligeant à lâcher le verre qu'elle était en train d'essuyer. L'objet se brisa net sur le plan de travail dans un bruit cristallin tandis qu'elle laissait échapper un petit cri étouffé sous les regards interloqués des deux soldats et de quelques clients.
Sköll bondit aussitôt à son secours, immédiatement suivi d'Éléna.
— Mon Dieu, ma chérie ! Qu'est-ce qui t'arrive ? s'écria la femme en tentant de l'obliger à lui faire face.
Trop tourmentée par la sensation de brûlure torturant son avant-bras, Angélina entendit à peine la voix de sa mère l'appeler. Ses yeux restaient rivés sur la marque du dragon qui scintillait de manière intermittente. Quelque chose de grave était arrivé à Kyeran, elle le sentait au plus profond de son être.
Une main chaleureuse se posa sur son épaule et elle tressaillit. Les paroles de Sköll se frayèrent enfin un chemin jusqu'à ses oreilles.
— Hey ! Tu es blessée ?
En un battement de cils distrait, elle réussit à retrouver sa lucidité à son contact, puis vérifia l'état de ses doigts tremblants. Aucune coupure ne lui avait entaillé la peau, mais le sceau gravé sur son poignet continuait de luire dangereusement.
— Non, je n'ai rien, balbutia-t-elle, mais... Kyeran, sa magie, elle est en train de faiblir...
Sköll blêmit et échangea un regard chargé d'inquiétude avec ses futurs beaux-parents. Tous les quatre savaient pertinemment ce qui arriverait si le Dragyan venait à mourir. Le sortilège qui la protégeait disparaîtrait avec lui, ce qui signifierait le retour de son invalidante maladie. En pensant au petit être qui grandissait en son sein, un sentiment de panique la saisit, mais une once de courage lui dicta de ne pas baisser les bras ni de se laisser envahir par des idées aussi sombres. Kyeran était une créature puissante, il ne pouvait pas perdre la vie si facilement.
En es-tu bien certaine ? Souviens-toi du combat contre Zéro ! se moqua sa conscience.
La jeune femme refoula ce souvenir. Elle prierait pour que son frère adoptif revienne sain et sauf à ses côtés. Elle croyait en lui plus que quiconque et comptait bien tout faire pour qu'il fasse un jour connaissance avec son enfant à naître.
Retrouvant son sang-froid, elle se chargea aussitôt de nettoyer les morceaux de verre éparpillés au sol devant l'expression soucieuse de sa mère. De son côté, Borys s'adressa aux quelques clients attablés :
— S'il vous plaît, suivez les consignes du Lieutenant Jax. Ce n'est peut-être qu'une fausse alerte, mais dans le doute, rendez-vous au lieu qu'il nous a indiqué.
Cette fois, personne ne chercha à contester les ordres du maître des lieux et, quelque peu impressionné par cette forme d'autorité, Jax le remercia d'un hochement de tête admiratif.
Chacun se leva de sa chaise pour se regrouper devant la porte et attendit les directives dans un silence religieux. Le Vulpian les rejoignit aussitôt pour les escorter.
— Prenez de quoi vous protéger du froid, suggéra Jax en dévisageant la famille Estieral, on risque de rester dehors pendant un moment.
Une étrange atmosphère régnait dans le restaurant, à présent. Angélina avait l'impression de se retrouver en période de guerre. Il ne manquait que le hurlement des sirènes et les vrombissements des aéronefs de combat accompagnés de l'explosion des bombardements pour compléter l'ambiance pesante de cette situation.
Talonnée de près par ses parents et Sköll, elle suivit le petit groupe mené par Jax pendant que Denox fermait la marche, mais au moment où le Vulpian ouvrit la porte, un violent tremblement ébranla le sol. Si certains eurent la chance de s'agripper à un quelconque support leur permettant de ne pas tomber, d'autres basculèrent, déséquilibrés par les secousses.
Des cris affolés retentirent et Angélina se retrouva bousculée avant de vaciller. Dans sa chute, l'instinct lui dicta de protéger son ventre de ses mains et alors qu'elle pensait rencontrer la dureté des pavés, un bras puissant la rattrapa de justesse. Surprise, elle releva les yeux et croisa le regard ambré de Denox.
— Est-ce que ça va, Mademoiselle ?
Depuis son arrivée dans le restaurant, c'était la première fois qu'elle entendait le son de sa voix. Elle était incroyablement grave, mais son ton était empreint de douceur et de prévenance. La jeune femme en fut déconcertée. Les Minotaures avaient toujours eu la réputation de se conduire comme des brutes épaisses, mais Denox sortait du lot et force fut de constater que son apparence était trompeuse.
D'une infinie délicatesse, il la remit sur pieds comme si la bête en lui avait deviné sa fragilité. Aussitôt, Sköll prit le relais après avoir aidé Borys à relever Éléna.
— Merci, fit-il au soldat avant de s'adresser à sa dulcinée. Tu n'as rien ?
Angélina le scruta d'un air ahuri, encore troublée par la prestance de son sauveur qui hocha la tête en signe de reconnaissance.
— N-non, tout va bien, le Caporal Denox m'a rattrapé juste à temps, bredouilla-t-elle avant de se tourner vivement vers ses parents en reprenant une expression plus inquiète. Et ma mère ?
— Elle s'est foulé le poignet en se cognant contre une table, mais rien de grave.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Je pense qu'on ne va pas tarder à le savoir, marmonna Sköll en fronçant les sourcils face à l'agitation qui se déroulait face à eux.
Tout le monde se précipita au-dehors. Dans la rue, une cohue générale régnait. Les habitants couraient en tous sens, ne sachant où se réfugier. Des militaires complètement désorganisés criaient des ordres, tentant au mieux de se faire comprendre pour reformer les troupes.
Le Lieutenant Jax se retrouva pris au dépourvu devant une telle confusion. Il se figea et évalua la situation avant de s'exclamer d'une voix devenue trop aiguë pour appartenir à celle d'un homme :
— Bon sang, c'est quoi ça ?
Angélina et le petit groupe suivirent son regard. À seulement cent mètres, de la fumée grise montait dans le ciel pendant qu'en contrebas, un brasier d'un orange vif brûlait ce qui restait du rempart Nord de Zapornia. Au milieu des flammes vacillantes, une ombre géante déambulait, entourée de plusieurs autres silhouettes minuscules qui couraient autour de lui et esquivaient ses coups. Il n'y avait plus aucun doute, un monstre d'une taille colossale venait de débarquer en ville et un bataillon de l'armée tentait désespérément de le contrer pour l'empêcher de progresser.
La jeune femme sentit Sköll l'enserrer contre elle dans un réflexe protecteur. Elle pouvait presque entendre les battements de son cœur affolé à travers ses vêtements pourtant épais, mais sa seule présence réussit à lui redonner du courage pour affronter la réalité. Ils avaient tous les deux compris ce qu'il se passait. Les Red Skulls avaient réveillé le Grand Dévoreur et à présent, le monstre était là à ravager la ville.
— Il faut se replier vers la porte Sud, suggéra Jax en retrouvant son sang-froid. Denox, emmène-les là-bas, je vais aller prêter main-forte au régiment.
Son acolyte sursauta et ses yeux ambrés s'écarquillèrent.
— Lieutenant ? Vous n'êtes pas sérieux ?
Le Vulpian fronça les sourcils, l'expression sévère et porta la main à la garde de son épée photonique.
— Tu es tireur d'élite, il te sera plus aisé d'attaquer à distance pour protéger ces gens. Je suis exterminateur et ma spécialité c'est le combat rapproché, donc je dois y aller.
Denox resserra sa prise sur son fusil de précision et ses traits auparavant sereins se crispèrent. En temps normal, peu de choses impressionnaient un Minotaure, mais au vu de son expression, la situation l'effrayait. Toutefois, il obtempéra sans discuter.
Alors que Riyo Jax courait en direction du tumulte, le Caporal survola tout le petit groupe du regard.
— Suivez-moi et surtout ne vous éloignez pas.
Angélina n'arrivait pas à quitter le combat des yeux. Un démon millénaire tiré de son sommeil. C'était absolument irréel, comme tout droit sorti d'une légende. Son cœur se serra à l'idée que Kyeran et Lyria aient échoué. Les deux Dragyans étaient leur seul espoir.
Par pitié, pourvu qu'ils soient encore en vie, pria-t-elle de toutes ses forces.
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