Chapitre 34-1
*En ligne jusqu'au mercredi 21 Avril*
Le débat continua, véhément mais à voix suffisamment basses pour ne pas être entendu des humains. Nous n'étions tous tombés d'accord que sur un seul point, ce séisme ne pouvait pas être d'origine naturelle. Une fois que l'on avait admis cela, les avis divergeaient sur le pourquoi du comment. J'avais cessé de participer à l'échange depuis longtemps, tout comme Nicolas, lassés de toutes ces tergiversations inutiles. La tête couchée sur son épaule, je l'écoutais respirer. Apaisée et rassérénée par ce son réconfortant, j'essayais de me détendre et de me reposer, consciente que ce répit ne durerait pas longtemps. Craignant malgré tout de m'endormir, je luttais contre le sommeil, aidée en cela par mon estomac qui commençait à crier famine.
— Penser à notre sécurité et à partir d'ici, c'est bien, mais nous n'irons pas bien loin l'estomac vide, dit Nicolas, sûrement alerté par mes gargouillis de plus en plus audible.
— C'est un fait, mais tu vois une cuisine par ici ? rétorqua Grant, en lançant un coup d'œil agacé à notre maigre feu de camp.
— Nicolas à raison, je vais voir ce qu'on peut faire avec les provisions que Thomas a apporté, dit aussitôt Lyn en se levant, bien moins énergiquement que d'ordinaire, remarquai-je en me redressant.
— Je vais t'aider, lui dis-je en me détachant, à regret, du corps chaud de Nicolas.
Il me sourit tendrement alors que j'embrassais doucement sa tempe avant de rejoindre Lyn qui m'attendait près des voitures. Une étrange sensation me parcouru soudain. Comme une appréhension sourde, le sentiment diffus d'un danger. L'impression se dissipa tel un songe et je la mis sur le compte de mon éloignement d'avec Nicolas. Dans ce contexte incertain et anxiogène, je n'aimais pas l'idée que nous soyons de nouveau séparés. Lyn me lança un regard interrogateur et je la rassurai aussitôt d'un geste de la main. Après cinq minutes de recherches nous trouvâmes deux cartons dont l'un contenait des pommes de terre, du riz et des pâtes et l'autre des conserves de toutes sortes.
— Le problème, c'est que sans ustensile de cuisine, on ne va pas pouvoir faire grand-chose de tout ça, résuma Lyn en laissant retomber le paquet qu'elle tenait avec un soupir. Un chili réchauffé à même la boite, ça te tente ?
— Franchement, j'ai tellement faim que je serrais presque tenter de te dire oui, répondis-je à sa grimace en y ajoutant un sourire. Mais des pommes de terre cuites sous la cendre, suivi de compote de pommes avec quelques madeleine, ça me parait mieux, non ?
— Je valide sans problème, pour les humains, ce sera parfait mais nous avons un paquet de métamorphes blessés et épuisés et pour reprendre des forces rapidement, il va leur falloir des protéines.
— Tu veux dire qu'il n'y a pas de métamorphes végétariens ? m'étonnais-je en commençant à rassembler ce dont nous avions besoin.
— Si, si bien sûr, ceux qui ont des animaux herbivores pour totem aiment rarement la viande, comme tu peux l'imaginer. Dans ces cas-là, ils remplacent par du poisson ou des œufs, mais nous n'avons ni l'un ni l'autre sous la main ici. Heureusement, nous sommes tous des carnivores, donc, pas de soucis ! termina-t-elle en brandissant fièrement devant elle deux boites de chili industriel à l'air peu ragoutant.
— Les patates m'iront très bien, maugréai-je alors que nous retournions vers le feu de camp avec nos trouvailles.
Une surprise nous y attendait, tellement inattendue que Lyn faillit en lâcher ses boites de conserves. Thomas, en grande conversation avec Grant et Nicolas, était debout près du feu et semblait en pleine forme. Tellement en forme, même, que cela en était troublant. Surtout si l'on faisait la comparaison avec Nicolas, debout à côté de lui. Lyn referma la bouche et au lieu d'aller vers lui, comme on aurait pu s'y attendre, se contenta de s'agenouiller près du feu où elle entreprit d'ouvrir les boîtes de chili avec un couteau qu'elle tira de sa ceinture. Je la rejoignis et nous nous affairâmes quelques minutes en silence jusqu'à ce que Thomas et Nicolas contournent le feu pour nous rejoindre.
— Laissez-nous vous donner un coup de main, dit gentiment Thomas en s'accroupissant auprès de Lyn.
Elle lui laissa lui prendre la boite des mains, étrangement silencieuse et gênée. Nicolas et moi échangeâmes un regard entendu. Je m'empressai de glisser les patates sous la cendre avec un bâton pour ne pas me brûler et nous nous éclipsâmes, suivi de Grant qui n'avait apparemment pas plus envie que nous de tenir la chandelle.
— Il y a vraiment un truc qui cloche avec Thomas, attaqua Grant, aussitôt que nous fûmes hors de portée d'ouïe. Vous avez remarqué qu'il n'a plus aucune égratignure ?
— C'est aussi mon cas et celui d'Uriel, dis-je en me frottant machinalement les bras.
— Oui mais vous êtes des loups-garous. Les métamorphes ne guérissent pas si vite, surtout s'ils ont des blessures internes graves, ce qui était le cas de Thomas. Regarde, même celles de Nicolas ne sont pas totalement résorbés. Il se passe vraiment un truc bizarre.
— Tu crois que c'est encore un coup des sorciers ? demanda Nicolas d'un ton ouvertement sceptique.
— Non... je ne sais pas, mais...
— Grant !
Le cri sec et pressant venant des arbres nous fit sursauter et nous mit instantanément en état d'alerte. Nous rejoignîmes le plus silencieusement possible l'arbre duquel était venu l'appel et dans les branches duquel se dissimulait une silhouette presque invisible. Cette dernière descendit de l'arbre avec l'agilité d'un chat et je ne reconnu Cat que lorsqu'elle repoussa en arrière la capuche de son sweat.
— Il y a du mouvement à la lisière de la propriété. De si loin je ne peux pas être plus précise mais on devrait peut-être envoyer un éclaireur ? suggéra-t-elle d'une voix préoccupée.
— Nous n'avons pas assez d'hommes pour risquer d'en sacrifier un. Le mieux serait de renforcer nos défenses et de nous tirer d'ici le plus vite possible.
— Pourquoi ne pas demander aux humains ? suggéra Luc, sortant de derrière l'un des troncs tel un fantôme. Si ce sont d'autres rescapés humains, ils les géreront sans problèmes et si c'est... autre chose, ces derniers se laisseront peut-être berner et passeront leur chemin ?
— Ce n'est pas idiot, finit par répondre Grant après quelques secondes de réflexions.
— Seulement s'ils ont conscience de tous les risques et que l'un d'entre nous les accompagnes, tempéra Nicolas avec son équité habituelle.
Grant acquiesça et partit aussitôt à la recherche de Lucinda.
— Tu crois que l'on a le temps d'attendre ? demanda Luc à Cat, en fixant le bois insondable d'un regard inquiet.
— Franchement, je n'en sais rien. Je ne suis même pas certaine de ce que j'ai vu. Et puis, aucune des autres sentinelles n'a paru remarquer quoi que ce soit, alors... c'est peut-être juste la fatigue...
— Fais confiance à ton instinct, lui dit Luc. Si tu penses avoir vu quelque chose, c'est que tu l'as vu.
Cat, surprise, remercia le jeune loup d'un signe de tête et se redressa légèrement, un peu moins incertaine.
— Je suis d'accord avec lui, dit Nicolas d'un ton soucieux qui ne rassura pas mon amie, déjà nerveuse.
La sensation de danger ressentit plus tôt revint soudain à la charge. Mon corps fut parcouru d'une décharge d'adrénaline aussi brutale que soudaine qui me laissa pantelante et confuse. Mon corps essayait de me dire quelque chose, à moins que ce ne soit mon pouvoir. Aussitôt que l'idée fleurit dans mon esprit, la nouvelle force tapie en moi se réveilla, en même temps que Whisper. Les deux énergies se télescopèrent paraissant m'écarteler avant de se combiner, décuplant mes sens comme jamais. Je sentis Whisper jaillir de moi dans une explosion de pouvoir. Nicolas, Cat et Luc furent repoussés de plusieurs mètres, leurs regards flamboyants rivés sur moi, tandis que mon aura explosait.
Pourtant, je ne me transformai pas. Whisper était libre mais prisonnière de mon corps d'humaine et cela ne lui plaisait pas du tout. Un gémissement sortit de ma bouche alors que je me pliai en deux sous le coup de la douleur. Whisper, frustrée, essayait de modeler mon corps à son image à tout prix, mais quelque chose empêchait la transformation. Mon pouvoir, toujours en expansion, sondait les alentours à la recherche de quelque chose qui m'échappait.
— Rose, qu'est-ce que vous faites ?! retentit soudain la voix affolée d'Azaldée non loin de moi. Arrêtez, vous ne maîtriser pas encore votre pouvoir, vous allez...
Sa voix se tue lorsque mon énergie se fracassa sur une puissance sombre, épaisse et pervertie. Une onde de choc traversa toute la forêt, faisant bruisser les feuilles sous le passage d'un vent invisible. Elle se répercuta en moi, m'envoya valser contre un tronc d'arbre. Le choc me rendit mes esprits tandis que le pouvoir disparaissait soudain me laissant seule et éreintée sur le sol de la forêt.
— Ils arrivent, murmurai-je d'une voix sans force, alors que le bouclier des sorciers volait en éclat, révélant leur présence au moment où ils fondaient sur nous.
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