Un autre sans toi
Rien ne me faisait plus de bien que de me réveiller entre ces murs rose pastel toujours imprégnés de l'odeur de mon enfance, sur le lit qui portait encore le souvenir ému de nos jeux de poupées et nos soirées pyjamas ainsi que les instants où j'ai été choyée comme plus jamais je ne le serai.
Dans diverses conversations, quand quelqu'un me demandait à quelle époque de ma vie je souhaiterais m'éterniser si cela était possible, je répondais sans hésiter l'enfance. C'était merveilleux, l'enfance !
La voix fracassante de Chantal sur le générique de Miraculous Ladybug m'a brutalement extirpée de ma nostalgie. Je me suis habillée, ai fait un tour rapide dans la salle d'eau et l'ai retrouvée dans le salon où ses yeux pétillaient devant la télévision.
— Tu sais que tu n'as plus l'âge pour ça ?
— Dit la fille de 19 ans amoureuse de Jaden Smith et Jungkook, m'a-t-elle rappelé avec sarcasme.
J'ai décidé de faire fi de l'ignominie de sa phrase et ai poursuivi ma route jusqu'à la cuisine.
— Y a rien à bouffer si c'est ça que tu vas chercher.
Je suis vite revenue sur mes pas, attendant évidemment une explication.
— Vu que tu n'avais par l'air de vouloir te lever, j'ai mangé tout ce qu'il restait de tes corn-flakes et vidé le lait par la même occasion. T'auras qu'à aller refaire les courses, ça tombe bien.
J'ai attrapé un coussin et le lui ai balancé en pleine face avant de l'entendre beugler :
— Bonne année, andouille !
*
— C'est qui celle-là encore ?
— Maître Bella Suzanne.
J'ai interrogé ma sœur du regard pour demander des précisions.
— Elle est huissière.
— Ils ont l'air très proches, non ? ai-je demandé, mitigée.
Chantal a haussé les épaules, visiblement aussi perturbée que moi par la scène que nous offraient notre père et son "amie". La dame était radieuse dans son ensemble pagne aux mille couleurs. Belle et fraîche comme une aurore sous les lumières de la grande salle bondée de gens festoyant. À quelques mètres d'eux, nous les observions bavarder et rire ensemble depuis un bon bout de temps. J'ai mis quelques minutes à réfléchir avant de décider d'aller me joindre à eux.
— Eh, où tu vas ? s'est préoccupée Chantal.
— Faire connaissance.
En me voyant arriver, mon père a étendu un bras pour que je vienne m'y réfugier. Il m'a prise par l'épaule, tout ravi. J'ai discrètement observé la différence réduite de taille entre nous et j'ai repensé, furtivement, à l'époque où je n'étais même pas aussi haute que ses épaules. Qu'il est sournois, le temps !
— Bonsoir.
— Bonsoir, ça va ? m'a reçue la dame.
— Très bien, merci.
— Nicaise, la deuxième, m'a présentée mon père.
Elle a acquiescé et m'a gratifiée d'un sourire ravageur que je lui ai aussitôt rendu.
— C'est bien la tête de papa, ça, a-t-elle relevé en déclenchant l'hilarité générale.
— Maître Bella...
— Suzanne, oui, ai-je interrompu mon père.
— Ah ! Tu t'en souviens !
Je n'ai pas jugé utile de lui dire qu'en réalité c'était ma sœur aînée qui s'en était chargée.
— Vous étiez pourtant encore très jeunes quand je suis partie, ta sœur et toi.
— Partie où ?
— Suzanne a habité en Chine pendant douze ans. Elle vient juste de faire son retour parmi nous.
J'ai sorti de grands yeux admiratifs.
— Ben ça alors ! me suis-je exclamée. Et pourquoi êtes-vous revenue ?
— Mais c'est chez moi ! Ici j'ai ma famille et mes amis (elle a insisté sur le dernier mot en souriant à mon père).
La discussion s'est agréablement poursuivie. Chantal nous a retrouvés et nous avons dépensé la soirée à parler de nos études, nos projets pour l'avenir et toutes ces choses qui enchantent les parents quand ils nous en croient passionnés.
C'était presque une tradition que papa nous amène à de grands dîners ou des fêtes auxquelles il était invité les soirs du réveillon, un bon moyen pour lui de ne pas avoir à choisir entre y aller ou rester avec nous, je suppose. Et même si la plupart du temps on s'ennuyait à se retrouver les seules jeunes dans ces milieux, cela avait du positif. Déjà, ça valait mieux que de rester à la maison à attendre le moment déprimant où l'espace s'imprègnerait encore de l'absence de maman et se ferait un plaisir de nous narguer.
Dans notre groupe de discussion WhatsApp, Erica a partagé un montage de plusieurs photos et vidéos d'elle, Rahi et moi ensemble ; c'était chou. Je l'ai montré à Chantal, l'air attendrie.
« Une autre année avec vous les filles, je souhaite qu'on en partage encore plusieurs, je vous aime, bonne année ! » était le message qui accompagnait la vidéo.
— Hé, c'est California Girl ! a remarqué Chantal sur la musique utilisée par Erica pour son montage.
— Oui, tu te souviens ! C'était trop notre chanson quand on était petites.
J'ai réagi par des dizaines d'emojis cœur puis j'ai pris un selfie avec ma sœur et mon père qui s'était à nouveau plongé dans ses débats avec Suzanne à côté. J'ai également pris une photo du buffet qui était impressionnant et ai envoyé les images dans le groupe.
Rahinatou: Gardes-en un peu pour nous !
Erica: Surtout poisson et fruits de mer hein !
Moi: Cuits ils n'auront plus aucun goût après deux jours de conservation.
Erica: 🙄
Rahinatou: Au fait Nini, on n'a jamais su la suite avec le bg de Yafe. 🤭
Ah... j'ai failli l'oublier, celui-là !
Moi: 😬 Tu viens juste de me rappeler que j'ai son numéro.
Erica: 🤦🏿♀️
Rahinatou: Oh c'est pas vrai ! Mais quelle cruche !
Erica: Dépêche toi d'aller lui faire un message. 🏌🏿♀️
Rahinatou: Ça tombe bien, comme c'est le nouvel an, tu profiteras pour lui en faire un plein de tendresse, bien mignon, bien déclencheur de sentiments. 🤭
Moi: Mais attendez... ce serait pas un peu déloyal envers Mathias ?
Erica: J'hallucine. 🙄
Erica: 🤮💀
Moi: 😒
Moi: Sérieusement, les filles...
Rahinatou: J'aimerais vraiment comprendre... vous êtes en couple, finalement ?!
Moi: Euh... 😶
Rahinatou: Alors tu n'as rien à te reprocher, tu ne peux pas être infidèle envers un gars qui n'est pas le tien. 💁🏾♀️
Erica: C'est ce que j'arrête pas de lui répéter ! 🤦🏿♀️
Erica: En plus tu as vu la caisse de Jean-David ??
Moi: Elle est sûrement à ses parents. 🙄
Erica: Peu importe !
Erica: Et son allure... ! 🤤
Moi: Je peux te le laisser, si tu en raffoles tant hein ! 🚼
Erica: Non merci 😌 il est à toi. Je suis une bonne personne qui fait toujours passer ses amies en premier.
Moi: C'est ça.
Rahinatou: 🤥
Moi: 😂😂
Erica: Dégage d'ici et va conquérir ton prince charmant madame !
Rahinatou: 🏌🏾♀️
Nous sommes rentrés chez nous à deux heures passées. Dès que la voiture s'est arrêtée, j'ai enlevé mes talons et marché pieds nus jusqu'à ma chambre. Juste après, mon père a toqué à ma porte (c'était forcément lui puisque Chantal ne toque jamais).
— Entrez, ai-je accordé en rajustant rapidement l'élastique de mon pyjama.
Il s'est faufilé à l'intérieur et est resté planté devant le battant comme s'il s'interdisait désormais de s'asseoir sur mon lit.
— Ça va ? a-t-il entonné.
— Oui. Et toi ?
Il s'est approché de quelques pas, donnant la vive impression qu'il s'apprêtait à partager une confidence...
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