Chapitre 43

Le lendemain, ce fut de manière quelque peu brutale que Lina s'éveilla. Sa mère débarqua dans sa chambre en la réprimandant comme quoi elle devait absolument se lever, que Lindsey n'arrêtait pas de hurler et qu'elle ne l'entendait même pas, que c'était scandaleux, qu'elle était en retard et d'autres reproches encore dont Lina fit abstraction. Bonjour à toi aussi.

Une fois Véronique sortie de la chambre comme une tornade, Lina s'étira et se leva péniblement ; effectivement elle entendait les pleurs provenant de la pièce d'à côté. Comment cela se faisait-il qu'ils ne l'aient pas réveillée ?

Une fois les bébés calmés, Lina s'habilla rapidement et descendit prendre son petit-déjeuner, Lindsey et Louis sur son ventre dans leur porte-bébé.

Pour une fois, la jeune fille découvrit Grégoire attablé dans la salle à manger, chose plutôt rare, une tranche de pain dans la main et le journal dans l'autre qu'il fixait d'un œil concentré.

- Bonjour, le salua-t-elle en l'embrassant.

-Salut ma chérie, bonjour bébés, ajouta-t-il vers ses petits-enfants en les embrassant, plein de délicatesse. Tu es prête pour le lycée aujourd'hui ?

Lina hocha distraitement la tête tout en mettant les biberons à chauffer. Comment pourrait-elle l'être...

En attendant que cela soit prêt, elle entendit son père ajouter d'une voix faible, le regard toujours porté sur les nouvelles du jour :

-Ne t'inquiète pas, c'est normal que parfois tu ne les entendes pas toujours. Tu as grandement besoin de sommeil en ce moment. Et ne fais pas attention à ta mère : elle est à cran ce matin.

Lina ne releva pas, choisissant le silence comme meilleure réponse ; de toute façon, Greg n'en attendait pas.

Elle donna le biberon à Louis, puis le prit dans ses bras pour lui faire faire son rot. Elle lui tapotait doucement le dos lorsque le petit garçon renvoya d'un coup tout son lait sur le pull de la jeune maman.

-Oh non, Louis ! C'étaient mes habits pour aujourd'hui ! En plus, je suis déjà en retard, gronda-t-elle gentiment le bébé qui la fixait avec de grands yeux bleus étonnés, l'air de ne pas comprendre ce qu'il avait fait.

La jeune fille ne put s'empêcher de sourire, attendrie : ses deux enfants avaient exactement les mêmes yeux. Les mêmes yeux qu'elle.

Lina colla Lindsey dans les bras de son père, lui intimant de lui donner le biberon et de surveiller Louis puis monta à toute vitesse se changer.

La matinée commençait bien !



Une fois prête, Lina claqua précipitamment la porte d'entrée avant de se dépêcher de rejoindre l'arrêt de bus, espérant par un miracle réussir à attraper le bus qui passait dans quelques minutes.

Malheureusement, une fois arrivée à l'arrêt, la jeune maman vit le bus s'éloigner lentement sur la route, réduisant ainsi à néant ses dernières chances d'arriver à l'heure pour son premier cours. La journée n'avait même pas encore commencé qu'elle promettait déjà d'être pourrie !

Lina soupira et s'assit sur le banc, la poussette à côté d'elle. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire : attendre.

Elle vit alors au loin une petite silhouette pourvue de longs cheveux roux flamboyants se diriger à toute vitesse vers elle. Lisa arrivait en courant vers elle, un peu essoufflée par sa course jusqu'ici :

-Lina, ça me fait tellement plaisir de te voir ! La salua-t-elle en lui faisant la bise. Comment vas-tu ? Oh comme ils sont mignons ! S'exclama-t-elle alors d'une voix suraigüe en se penchant sur la poussette. Hello bébés, comment ils s'appellent ces petits bouts de chou ?

-Louis et Lindsey, répondit l'adolescente en souriant, tout de même un peu méfiante.

-Ils sont adorables! S'extasia-t-elle en lui lançant un petit regard pétillant, comme seul Lisa le fait.

Lina sourit franchement cette fois : elle savait que ce n'était qu'une question de temps avant que la nouvelle se répande dans tout le bahut, mais elle ne s'attendait pas à une aussi bonne réaction de la part de son amie. A vrai dire, elle l'appréhendait beaucoup.

Une autre fille de la classe de Lisa arriva alors, suivie de son amie qui vinrent toutes les deux se pencher également sur la poussette, s'extasiant devant leurs petites mains, leurs petits cheveux bruns tout fins et leurs minuscules pieds.

Lina était complètement abasourdie : ces filles à qui elle n'avait presque jamais adressé la parole qui venaient lui parler, lui dire des paroles encourageantes, lui poser des questions, qui ne la regardaient pas comme si elle était complètement folle ; c'était si gentil. Et Lisa qu'elle connaissait depuis si longtemps, toujours aussi adorable.

-Comment fais-tu pour te lever la nuit ? Ce n'est pas trop dur ? Lui demanda une grande adolescente aux allures de sportive du nom d'Alexia.

-Des fois c'est mon père qui se lève, mais souvent je le fais. C'est vrai que ce n'est pas facile, mais je n'ai jamais vraiment été une lève-tard de toute façon, répondit la jeune maman.

-Et pendant que tu es en cours, où est-ce que tu les laisses ces petits bouts de chou ? La questionna l'autre aux cheveux d'un noir de jais, dont Lina ne se rappelait pas du prénom -peut-être Lena ?-

-C'est ma grand-mère qui les garde.

-Ils te ressemblent, c'est fou ! Renchérit Lisa. Vous avez les mêmes yeux et les mêmes traits du visage. Mais pas les cheveux...

-Oui, ce sont les mêmes que leur père, qu'Aaron, la coupa-t-elle en pensant que de toute façon, il faudrait bien que les gens l'apprennent un jour.

Les filles se turent aussitôt, se jetant des coups d'œil très peu discrets mais clairement significatifs ; elles étaient vraiment surprises.

Elles se demandent sûrement comment un mec comme lui a pu sortir avec une fille comme moi, et surtout a pu devenir père à 17 ans, raisonna Lina en les observant. Elles aussi ont certainement dû tomber sous son charme un jour où l'autre.

-En tout cas, ils ont l'air en forme, essaya de se rattraper la jeune fille en glissant une de ses mèches rousses derrière son oreille, un peu gênée.

Les autres repartirent aussitôt sur le sujet, laissant ainsi un peu de répit à la jeune maman.

Lorsque le prochain bus arriva enfin, Lina monta dans celui-ci avec Lisa, s'étonnant encore de la scène qui venait de produire sous ses yeux. Elle qui pensait que plus personne ne voudrait plus jamais lui parler, ces filles venaient de lui prouver le contraire.


                                                                                    *


Eleanor attendait sa meilleure amie devant le portail, déverrouillant son téléphone toutes les trente secondes pour vérifier qu'elle n'avait pas appelé. Evidemment : c'était sans résultat.

Lorsque la sonnerie retentit un peu plus tard, l'adolescente rentra à contrecoeur dans l'établissement, espérant juste que sa meilleure amie aille bien. Eleanor marchait dans les couloirs du lycée, le nez baissé sur son téléphone quand elle se heurta soudain à quelque chose de dur qu'elle n'avait évidemment pas aperçu.

Elle releva la tête et se retrouva face à face avec ses ennuis :

-Alors comme cela on utilise son téléphone portable dans l'établissement durant les heures de cours ? Lui demanda-t-il de sa voix grave en penchant légèrement la tête en la regardant, comme il le faisait toujours.

Rien que cette façon de me regarder pourrait me faire tomber dans tes bras, murmurait Eleanor dans sa tête.

-J'étais sûre que c'était un appel urgent, réussit à se ressaisir son élève en levant la tête pour l'observer elle aussi.

-Cependant, le règlement stipule bien que l'utilisation de ses appareils électroniques dans l'ensemble de l'établissement durant les plages horaires scolaires est strictement interdite, continua-t-il lentement comme s'il ne faisait qu'effleurer l'air de sa voix. Vous le saviez Mlle Hunt, n'est-ce pas ?

-Je crois que vous comme moi savons ce que le règlement dit et ce que les gens font vraiment, répliqua Eleanor en gardant extérieurement un calme irréprochable. Certaines personnes ne l'appliquent pas et pourtant, personne ne leur dit rien.

Edward pencha encore plus la tête, donnant ainsi l'impression à son élève d'être examinée sous toutes les coutures par ses yeux vert émeraude.

-Et bien si ces personnes se faisaient prendre, elles seraient certainement punies elles aussi, répondit-il toujours sur le même ton, sans la lâcher du regard. Mais il faut croire qu'elles font attention et qu'elles sont plutôt malignes.

Ah, il voulait jouer à ce jeu-là ? Et bien pas de souci.

-Mais il est malhonnête de leur part de transgresser une règle essentielle du règlement de cet établissement n'est-ce pas ? Si elles se faisaient prendre, les conséquences pourraient être quelque peu néfastes pour elles, rétorqua Eleanor d'un air innocent.

-Comme vous l'avez très bien dit : seulement si elles se font prendre Mlle Hunt, dit-il en se penchant alors vers son oreille. Peut-être n'est-ce qu'un jeu pour elles ? Retenez bien cela Eleanor : si cette personne sait ce qu'elle veut, elle l'obtiendra. Peut importe les obstacles et les conséquences que pourraient avoir ses actes.

-Je partage complètement votre point de vue. Lorsqu'une personne s'est décidée à tenir quelque chose, elle le fera.

Elle se tourna alors à son tour vers son oreille et lui murmura :

- Il faut être deux pour jouer Monsieur Lewis.

Et Eleanor s'éloigna rapidement dans le long couloir du lycée, consciente de son regard perçant qui lui transperçait le dos. L'adolescente était au moins fière d'une chose : pour une fois, c'était elle qui l'avait pris de court.


                                                                                       *


Après avoir dû déposer les petits chez sa grand-mère, Lina arriva évidemment en retard pour son premier cours de la journée : mathématique.

En passant devant le secrétariat, la dame de l'accueil l'interpella :

-Jeune fille, vous avez vu l'heure ? Pourquoi n'arrivez-vous que maintenant ?

Ça te regarde ? Avait-elle envie de lui balancer à la figure.

-J'ai dû déposer mon fils et ma fille chez ma grand-mère, répondit-elle à la place, de la manière la plus désagréable dont elle était capable.

-Mais bien sûr... Rétorqua l'exécrable bonne femme en regardant Lina d'un air exaspéré par-dessus ses verres en demi-lunes. Quelle classe ?

-Première L

-C'est bon allez-y, marmonna-t-elle en se replongeant dans les dossiers qu'elle feuilletait avant son arrivée. 

Non mais pour qui se prenait-elle ? Lina avait horreur des gens qui regardent les autres de haut et surtout, qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas.

Lina repartit dans la direction de sa salle de classe où elle toqua à la porte avant de l'ouvrir.

-Excusez-moi du retard, murmura-t-elle rapidement en direction de la prof avant d'aller s'asseoir près d'Eleanor.

-Qu'est-ce que tu faisais ? Je me suis inquiétée, j'ai cru que tu allais me laisser toute seule ! La réprimanda son amie à voix basse pour éviter de se faire gronder.

-Désolée, mais je ne me suis pas réveillée ce matin. En plus, Louis m'a vomi dessus après le petit-déjeuner, donc j'ai dû me changer et j'ai finalement loupé le bus.

-Wow, la matinée commence bien ! Ironisa sa meilleure amie.

Elle voulait lui parler d'Edward. Il le fallait. Mais la jeune fille ne trouvait pas les bons mots.

-Euh... en fait Lina, j'aimerais te parler d'un truc, commença-t-elle.

-Lina et Eleanor, je suis sûre que vous avez certainement des choses passionnantes à vous raconter, mais je pense que cela pourra attendre la fin de mon cours, les réprimanda la prof de maths d'un œil sévère avant de retourner à ses formules. 

Les deux adolescentes se turent donc, peu désireuse de s'attirer les foudres du professeur ayant le pire caractère de tout le lycée.

C'est alors qu'elle le vit, assis au premier rang à côté de James, complètement avachi sur sa chaise.

-Aaron est venu aujourd'hui, précisa inutilement Eleanor en se penchant vers son amie. Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vu à un cours.

-Je vois ça.

Lina le fixa intensément pendant de longues minutes, jusqu'à ce qu'il finisse par tourner la tête vers elle, le visage inexpressif. Au moins, il était venu.


La porte de la classe s'ouvrit soudainement, laissant entrer le directeur ainsi qu'une surveillante qui le suivait comme un petit chien. Tous les élèves se levèrent immédiatement, alors que Lina sentait son rythme cardiaque s'emballer : c'était le moment.

-Asseyez-vous, je vous en prie, les pria le directeur en s'installant devant le tableau à côté du professeur. Bien, si je suis ici aujourd'hui c'est pour éclaircir quelques petites choses à propos de ce qu'il s'est passé dans ce lycée il y a quelques temps.

Lina sentit aussitôt tous les regards se tourner vers elle. Super...

-Je veux que dans mon établissement, et le vôtre aussi par conséquent, tout le monde se sente bien. Je ne tolérerai donc aucune remarque désagréable ou blessante envers certaines personnes. Vous n'êtes pas ici pour vous juger, mais pour vous instruire. Et je ne pense pas que se moquer et juger les autres fassent partie des valeurs que l'on vous enseigne dans ce lycée, expliqua-t-il d'une voix profonde.

Il s'interrompit un instant, promenant son regard quelque peu effrayant sur tous les élèves présents dans la classe. On aurait pu entendre une mouche voler tant l'assemblée était silencieuse.

Il reprit :

-Désormais, vous êtes presque des adultes. Vous avez 16 ans, voire 17. Vous êtes en première ; dans un peu moins de deux ans, vous aurez fini le lycée. Vous êtes donc censés être un minimum responsable et mature.

Lina échangea un regard amusé avec Eleanor qui signifiait clairement : on sait bien que ce n'est pas le cas de tout le monde.

-Je pense donc que si vous l'êtes ne serait-ce qu'un minimum, si vous réfléchissez à tout cela, si vous n'êtes pas totalement irrécupérables, vous vous rendrez compte qu'il faut soutenir votre camarade et l'encourager dans ce qu'elle fait, ajouta-t-il en désignant la place de Lina du bras. Non la couler avec vos remarques désobligeantes.

Cette fois, les gens se retournèrent carrément pour la fixer de manière inquisitrice. La jeune fille sut alors que c'était à elle à présent. Elle se leva et alla se poster devant sa classe, à côté de son professeur et du directeur.

L'adolescente se tourna timidement vers eux, attendant une quelconque invitation à prendre la parole, mais aucun ne réagit. Ils ne faisaient qu'attendre.

Ah oui, c'est vrai que maintenant je dois commencer à prendre des initiatives par moi-même, se surprit à penser Lina.

Elle prit alors une grande inspiration :

-Bon, je pense que la plupart d'entre vous doivent certainement déjà être au courant, mais je vais le répéter quand même. Effectivement, j'étais enceinte et j'ai maintenant des jumeaux : Louis et Lindsey. Je sais que cette situation est peu courante, que certains pensent sûrement que je suis carrément stupide ou inconsciente. C'est peut-être vrai à près tout : peut-être suis-je complètement stupide pour encore m'accrocher à l'espoir d'un avenir comme j'en rêvais, peut-être suis-je complètement inconsciente de continuer à venir au lycée et supporter vos remarques chaque jour.

Lina regarda autour d'elle ; tous les élèves avaient les yeux rivés sur elle, l'écoutant avec attention. La jeune fille sentait le regard d'Aaron, juste devant, posé sur elle de manière encore plus insistante que les autres, mais elle ne pouvait se résoudre à lui rendre la pareille. Elle continua donc d'une voix plus assurée :

-Mais même si je suis tout cela, ce n'est pas la faute de mes enfants. Ils n'ont pas demandé à avoir une mère si jeune, si inexpérimentée et avec une connaissance quasi-nulle de l'éducation d'un enfant. Ils n'ont pas choisi d'être ici donc je ne vois pas en quoi je devrais leur faire payer mes erreurs.

Avant qu'elle n'ait pu s'en empêcher, Lina sentit son regard dériver vers le père de ses jumeaux. Il était assis face à elle, ses longues jambes étendues sous le bureau et ses iris noisette reflétaient une palette d'émotions : de la peur, de la surprise, de la fierté, de la tristesse, du soutien et il lui sembla même entrevoir une lueur d'admiration.

Cela lui suffit à conclure.

-C'est donc pour cela que je suis fière d'être leur mère. Et si cela ne convient pas à quelqu'un, qu'il me le fasse savoir maintenant ou le garde pour lui.

Personne n'esquissa ne serait-ce qu'un hochement de tête ; toute la classe de Première L restait silencieuse, laissant les paroles de leur camarade s'infiltrer et prendre place petit à petit dans leur cerveau, alors que Lina retournait s'asseoir à sa place où Eleanor lui entoura les épaules dans un geste de réconfort.

-J'espère que vous avez tous bien écouté les paroles de votre camarade, reprit le directeur, les mains dans le dos. Surtout, que je n'ai pas à entendre que certains d'entre vous tiennent des propos peu sympathiques envers les autres. Je suis ici pour veiller à votre bien-être au sein de cet établissement, donc je n'hésiterais pas à sévir si cela est nécessaire.

Il se tourna finalement vers la surveillante qui l'accompagnait, puis vers la professeur de maths avant de s'éloigner vers la porte.

-Voilà, maintenant que nous en avons parlé, je ne vous dérangerai pas plus longtemps. Bonne journée à tous, lança-t-il avant de claquer la porte derrière lui.

Le professeur se remit aussitôt dans sa position initiale, au centre devant le tableau, et reprit son cours comme si de rien n'était. Les élèves, quant à eux, reprirent passivement leur stylo et se remirent à prendre des notes.

Mais quelque chose avait changé dans la classe.L'atmosphère était plus tendue. Lina avait presque l'impression que ses paroles se répercutaient en écho dans la classe encore et encore alors qu'elle s'était tue.

L'adolescente reprit sa plume, se redressa sur sa chaise pour être assise bien droite et se remit à écouter le cours. Il allait vraiment falloir qu'elle travaille si elle voulait avoir son bac.



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