Je fermai les yeux, avide de cette drogue si délicate qu'était le vent. Il insufflait à mes poumons un air de paix si apaisant que j'aurais pu aisément demeurer ainsi toute la journée. Mais ma mère m'attendait et je ne pouvais la faire attendre. Aussi je me mis en marche, les mains blotties dans les poches et le menton caché par le col de ma veste. Celle là même que Morgan m'avait donné deux mois plus tôt. Ma rancœur à son sujet s'était envolée, ne laissant comme seule empreinte qu'un vieux sourire amusé. C'était un enfant hors du commun qu'il m'avait été donné de rencontrer. Cependant à l'avenir, j'éviterai de croiser sa route. Tant pour mon bien que le sien.
La soirée karaoké, deux mois auparavant, avait changé bien des choses sur le plan émotionnel. Elle avait, pour commencé, balayé mes inquiétudes concernant la Prophétie et mon Don. S'il devait y avoir une destinée à accomplir, des vies à sauver, cela arriverait sans que je ne me sente obligé d'intervenir. Le recul prit sur la situation m'avait fait mûrir, en quelque sorte. Si il en était ainsi, alors cela arrivera quand cela arrivera. Nul besoin de s'emmêler davantage l'esprit.
J'avais finalement rencontré Jonathan, au cours d'une soirée arrosée en l'honneur de l'anniversaire de Jeane. Sinna s'était vite liée d'amitié avec lui. Ils partageaient d'étranges passions communes, comme celle de la médecine végétale. Cette dernière s'était d'ailleurs séparées de sa chaise roulante après quelques semaines. Nous avions célébré son retour sur pieds par une sortie matinale au parc d'attraction. Plus question de sortir le soir, désormais ; déjà parce que la peur me gardait bien de prendre ce risque, et ensuite parce que Kaï avait instauré un couvre-feu avant de quitter Stellarium.
Les premiers jours, je me rendais régulièrement à la bibliothèque lui demander conseil sur des recherches que je menais au sujet des Dons et des Prophéties. Je n'étais pas très doué, aussi elles n'étaient pas très concluantes. Il s'amusait souvent de la manière dont je finissais toujours par me perdre dans cet océan de pages et de mots à profusion. Seulement après trois jours, il s'en était allé sans donner la moindre indication concernant sa destination. Les journaux devinrent mon seul moyen de m'informer. J'appris, grâce à eux, que le vieux Roi se promenait d'Île à Île accompagné de son vieil ami Gnad, le Roi Astrellien, afin de tenter de rétablir la paix. Les peuples se ralliaient contre l'alliance des Changers, coupaient les ponts commerciaux avec eux. Il se murmurait même qu'une coalition entre Erkaïns et Deltaniens se forgeait, préparant une offensive contre un ennemi encore inconnu. Stellarium, ou Changer ? Nul ne savait.
A la capitale, les gens rassemblaient vivres et autres matériel visant à appréhender une possible invasion. De quoi survivre en cas d'attaque. Certains mêmes s'en retournaient à leur île natale. Enohria se vida également. Un quart de ma classe s'envola après l'annonce du couvre-feu, comme si cette première décision de temps de guerre annonçait qu'elle était bel et bien arrivée. Montrait aux habitants la réalité qu'ils allaient devoir se préparer à affronter.
Les cours, cependant, ne subirent aucune conséquence de l'attaque de la bombe, des émeutes grimpantes dans les rues, des pénuries de nourriture ou de l'exode massif de la population. Ils se poursuivirent comme si tout cela appartenait à un autre Monde. Ils n'annulèrent pas les examens, au plus grand bonheur de George ; et à notre plus grand désarroi. Plus les semaines passaient, et moins nous avions l'occasion de voir ce dernier. Il mangeait dans la salle d'étude, dormait dans la salle d'étude, vivait dans la salle d'étude. Jeane s'était démenée une semaine ou deux pour le sortir, l'obliger à quitter ses livres pour passer du temps avec nous. Mais elle avait vite abandonné après une grosse querelle avec l'Ours. Il lui reprochait de le forcer à quitter ses révisions alors qu'elle ne faisait pas mieux. En effet, Jeane n'était pas plus présente que notre ami. Elle séchait les trois quarts des cours pour retrouver son ami le Lapin blanc au cours de sortie diverses et variées. Sinna et moi nous retrouvions à manger seuls la plupart du temps, ce qui nous rapprocha considérablement. Ashley passait le plus clair de son temps à jongler entre les révisions avec George, l'aide qu'elle apportait à son père à l'infirmerie et les pots avec Jeane.
Les cours privés, présidés par Alwis, se poursuivirent. Il finit par m'apprendre à frapper à l'hyper vitesse, grâce à la Magie. Utiliser et sentir la pression de l'air pour en décupler la vitesse, scinder les particules, fut une chose longue et fastidieuse à apprendre. Le professeur de Lettres n'en devint pas plus sympathique. Nos échanges se résumaient aux techniques qu'il m'enseignait. Je tentai de lui soutirer des informations sur les agissements de Kaï, la guerre qui grandissait dans l'ombre, mais il demeura aussi silencieux qu'une tombe. J'allais même le voir après chacun de ses cours pour insister, mais il s'y refusait catégoriquement. Il m'avait même menacé de me mettre un zéro au prochain devoir si j'insistais.
Mais les exercices et recherches que nous devions sans cesse réaliser pour l'ensemble des cours ne m'importait guère. Seules celles concernant ma Prophétie et mon Don m'intéressaient. Mais sans l'aide de Kaï, je compris bien vite que je n'obtiendrai pas de résultats concluant. Les heures passées dans la bibliothèque à lire, à se retourner l'esprit, à tenter de comprendre quel était mon véritable rôle dans cette guerre étaient vaines. George devint ma dernière solution. Je le suppliai et l'implorai de m'aider dans mes recherches, mais il refusait à chaque fois. Sa priorité était les examens. Rien, pas même l'amitié, ne passait avant. Les autres professeurs ne m'étaient pas non plus d'un grand secours. Ils prétendaient que je devais plutôt me concentrer sur mes révisions plutôt que sur des bouquins parlant superstitions, vieille Magie et légendes.
En revanche, s'il eut quelque chose de positif ces deux mois durant, c'était bien la relation de mes parents que je finis par accepter. Sinna m'obligea à les inviter tout deux à un déjeuner pour prouver que cela n'était pas des paroles en l'air. Mais mon père déclina, à mon plus grand soulagement. Seule Julie vint, et cela fut bien mieux. Elle s'excusa de n'avoir parlé de la Prophétie et du Don plus tôt, mais je fis la sourde oreille. Je ne voulais pas entendre parler de ces termes en dehors de mes sessions de recherche. Elle m'expliqua qu'Aïru comptait s'en aller retrouver Kaï pour ses missions diplomatiques, ce qui l'inquiétait. Je fis de mon mieux pour la rassurer, bien que savoir mon père éloigné d'elle me rassurait, en quelque sorte. Je n'avais pas oublié ce qu'il avait fait la première fois. Il n'était pas question qu'il brise à nouveau le cœur de Julie.
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