Chapitre 14

« J'ai ton cadeau ! Haha, il est génial tu vas voir ! »

Maëlle s'égosille au téléphone, jubilant à l'avance. Aujourd'hui, pour la majorité des gens, c'est la Saint Valentin, une fête selon elle stupide et à l'origine de nombreux problèmes. Alors, avec Eliott, ils ont décidé de célébrer à la place la Saint Amitien. Pas d'amour, pas de cœurs, juste des cadeaux et des chocolats. La meilleure partie, quoi !

Ils doivent se retrouver vers 18h, le soleil commençant à faiblir. La journée a paru interminable à la jeune lycéenne qui n'avait qu'une envie : dire à Eliott quel était son cadeau. Sa patience et ses limites ont été mises à rude épreuve et elle a bien cru qu'elle allait craquer. Son ami n'a pas non plus été d'une grande aide, cherchant à lui tirer les vers du nez dès qu'elle baissait un temps soit peu la garde. Combien de fois a-t-elle dû se mordre les lèvres pour ne pas laisser échapper ce qui se cachait dans la poche rose bonbon bien kitch qu'elle a trimballé avec elle partout ?

Elle trépigne d'impatience, arrivée vingt bonnes minutes en avance. Elle saute d'un pied à l'autre, chantonne, triture les lacets du sac. Tout pour essayer de se calmer.
Plus d'un mois qu'elle a demandé à Harold de lui apporter son aide,
Plus de dix jours qu'elle a reçu le colis.
Elle n'en peut plus d'attendre.
Elle a l'impression d'être un volcan s'apprêtant à entrer en éruption.

"Il ne peut pas se grouiller, l'autre ? peste-t-elle à voix haute, faisant se retourner quelques badauds."

Toute poésie a quitté son âme, seule demeure la peur. Une peur inavouable qui la secoue de tremblements. Elle s'appuie sur le rebord, des petits cailloux s'enfonçant dans ses paumes, lui permettant de s'ancrer dans la réalité. Ne pas céder aux films qui assaillent son esprit de toute part. Elle respire à fond, l'air entre dans ses poumons, les remplissant de vie. Elle s'abandonne à la mélodie du ressac, de l'écume s'écrasant sur la plage. Elle se perd dans cet univers fait d'iode, de sable, d'eau salée. Fait de vie, d'écosystèmes entiers. Elle se plonge dans sa contemplation, oubliant ses pensées.

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Elle lui tourne le dos, ses cheveux libres emportés par la brise du vent. La poche est posée à ses pieds, toujours aussi rose. Eliott sourit à cette vision. A celle de son amie fascinée par le monde, par la vie.

Il ne peut s'empêcher de la comparer à la fille avec qui il est allé au cinéma. Cette fille qui était scotchée à son téléphone, qui les a pris en photo, a posté des stories tout du long de la sortie. Ce n'était pas un rendez-vous se dit-il, mais une exhibition. Il s'est senti mal à l'aise, enfermé. Les commentaires, les messages et toutes ces autres choses liées à la technologie l'ont tout simplement forcé à rester les pieds sur terre. A paraître. Alors qu'il voulait juste regarder son Marvel en paix ! Et puis, s'il n'y avait que ça. Mais sa conversation n'était vraiment pas des plus intéressantes. Loin de là.

Au moins, il a trouvé son cadeau pour Maëlle ce jour-là. Il a lâché la fille plus tôt et s'est rendu à la papeterie pour lui acheter un cahier et du papier à lettres. Il lui a même laissé un mot, à l'intérieur.

« Pour que tu continues à écrire. Le monde a besoin de tes mots... et moi aussi j'en ai besoin »

A vrai dire, il a failli le froisser un bon nombre de fois, les derniers mots lui semblants trop... intimes. Pourtant, il ne pouvait en être autrement. S'il est sincère avec lui-même, s'il refuse de mentir comme Harold le lui avait demandé, il se rend bien compte que c'est la vérité. Que sans les mots de Maëlle, sans les lettres qu'elle lui fait parfois lire, son univers n'a plus, ou en tout cas moins de sens.

Il se racle la gorge, Maëlle sursaute violemment. Elle se retourne et lui adresse un salut doublé d'un sourire resplendissant. Ses mains deviennent moites sur le paquet cadeau qu'il tient depuis tout à l'heure. Il réprime l'envie de les essuyer contre son jean et s'avance, presque avec timidité.

Il s'assied sur le rebord, face à la jeune fille qui s'est décalée. Elle brise cet instant de gêne en plaçant entre eux l'immonde sac rose bonbon. Un air délibérément niais sur le visage, elle lui déclare :

" Mon cher amitien, voici mon présent. Je vous l'offre pour vos beaux yeux et votre magnifique chevelure tout en espérant qu'il saura trouver grâce à vos yeux."

Elle s'arrête brusquement.

" Merde ! J'ai fait une répétition ! "

Il éclate de rire et contemple la jeune fille, complètement effarée. Tandis qu'elle fait mine de fondre en larmes, il la rassure, de sa voix la plus chevaleresque possible :

" Ne vous inquiétez guère, mon amie. Je vous suis gré de votre éloquence et je m'en vais de ce pas ouvrir ce magnifique...

Il désigne l'horreur du doigt,

- machin."

Elle le lui tend et il se met à déballer, sortant tour à tour les chaussettes à leur effigie, faites sur mesure, le porté-clé « Ma meilleure amie, c'est la meilleure » et un stylo resplendissant d'un très discret jaune fluo avec un poussin sur le dessus. Il s'émerveille, en rajoute un peu. Il se sent un peu bête, avec ses cadeaux plus sérieux. Il sent le rouge lui monter aux joues et passe sa main dans ses cheveux, tentant de cacher son visage. Mais quelque chose au fond du sac retient son attention. Un petit paquet qu'il n'avait pas vu jusqu'alors et qu'il s'empresse d'ouvrir sous le regard apeuré de Maëlle. Tout simple, un ruban l'entoure ; à l'intérieur, il y trouve une miniature. Un portrait délicat de lui et Maëlle, où ils se tiennent la main en sautant d'un ponton. Ils sont de dos mais il se souvient à quel point ils riaient ce jour-là. Ce souvenir à une signification particulière pour eux deux. C'est là qu'ils sont devenus amis, pour de vrai. Dans un camping des Landes où ils s'étaient ennuyés ferme avant de se rencontrer. Le hasard avait bien fait les choses et ils s'étaient revus à la rentrée de seconde. Ils s'étaient accrochés l'un à l'autre, totalement perdus dans cet univers qui leur semblait bien plus grand que celui du collège.

Une inscription, dans le coin gauche en bas, le fait tiquer. En minuscules, se trouve le prénom d'un homme qu'il connaît un peu. Il s'empourpre et lance un regard chargé d'émotion à Maëlle. Il va pour la prendre dans ses bras, en tout bien tout honneur et tel un ami seulement, lorsqu'un klaxon de voiture les fait sursauter et brise cette bulle hors du temps, où personne d'autre qu'eux n'existait.

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Dans sa petite Clio rouge, le vieil homme reste concentré sur la circulation ; certes fluide en cette période plutôt calme qu'est février, mais il veut à tout prix éviter de se prendre une énième contravention. Il ne lui reste que peu de points sur son permis et il n'a plus l'âge pour le repasser.

Pourtant, lorsqu'une dame d'un certain âge se jette véritablement sous ses roues, sans regarder la route et le nez pointé vers le ciel, il pile avec force malgré la surprise. Il ne l'avait pas vue. Le conducteur derrière lui s'agace de ce ralentissement et klaxonne avec force, faisant grimacer Harold.

Le manque de civilité et de sympathie au volant font que conduire n'est pas ce qu'il préfère. Lui aime la paix, le calme et l'amitié. Il aime sourire et non pas râler. Il aime ses rides, faites de rires et non pas de bouderies.

L'excité continue à appuyer sur le bouton du diable, faisant s'envoler les oiseaux qui partent alors chercher de la quiétude loin de là. La vieille femme est partie, sans un signe de la main, sans un merci. Elle n'a pas assisté à la scène, elle ne saura jamais qu'elle a existé. Perdue dans son monde, elle avance sans faire attention aux autres. Elle a passé sa vie en égoïste et elle continue, sans véritablement s'en rendre compte.

Il se gare enfin, détache sa ceinture et sort de la voiture en prenant bien soin de mettre son frein à main. Des gestes qu'il répète depuis des années maintenant et qui sont devenus des automatismes. Il regarde le bâtiment devant lequel il a stationné son véhicule. Assez haut, avec une couleur ocre, la poste ressemble plus à une ancienne maison qu'à justement... une poste. Il entre à l'intérieur, laissant la chaleur l'engloutir. Il ôte ses gants et commence à faire la file. Les gens avancent lentement et quand ils arrivent enfin devant l'employé, prennent tout leur temps sans se soucier un seul instant des autres clients.

Quand enfin une femme aux cheveux rose s'en va, Harold prend sa place. Il demande alors s'ils ont reçu une lettre au nom de Berckley. Benjamin -c'est écrit sur son badge- soupire et part dans la remise en pestant contre les vieux qui ne veulent pas attendre de recevoir leur courrier dans la boîte aux lettres prévue à cet effet. Franchement, ils n'ont que ça à faire de leur vie. Ils peuvent bien patienter quelques jours !

Enfin, après avoir fouillé dans la réserve et s'être pris un colis sur le pied, il revient avec une lettre. « Tout ça pour ça ! pense-t-il. En plus, je suis sûr que c'est qu'un relevé de compte. » Il lui tend son bien sans ménagement et appelle le prochain client, ne daignant adresser un regard à Harold. Ce dernier part donc, lassé de voir les gens si colériques et agacés. Ne savent-ils donc rien faire d'autre que de râler? L'humain est d'un bizarre...

Une fois chez lui, lové dans son canapé, il déplie la lettre, écrite non pas par Maëlle mais par sa fille, Alizée. Elle s'est souvenue de son épopée épistolaire, du plaisir que lui procure sa correspondance avec l'adolescente. Alors elle aussi s'est mise à lui envoyer des petits mots. Pas très longs, elle n'a pas vraiment le temps avec son nouveau travail. Mais des petits mots tout de même.

Plus tard dans la soirée, alors que le soleil vient de plonger derrière la Rhune, Harold s'assoit à son vieux bureau. Il appose ses mains sur le bois marbré puis, ayant choisi avec soin le papier à lettres, répond à sa fille. Chaque nouveau trait sur le papier le rapproche d'elle. L'atmosphère dans la pièce se teinte de lilas. De la couleur des mots que l'on pense et que l'on dit si peu. De la couleur des souvenirs et de l'attachement.

Lilas, le ciel effleuré par la nuit qui s'annonce.

Lilas, l'odeur ténue qui se dégage de la feuille.

Lilas enfin, ce souffle de vie qui l'habite.

Une fois terminé, il attrape une enveloppe. Mais quelle n'est pas sa surprise lorsqu'il découvre en son sein , pliée en deux, une de ses lettres adressées à Maëlle.
Se rendant compte que, tellement obnubilé par sa peinture et pris par le temps qu'auparavant il trouvait si long, il en avait totalement oublié de posté sa réponse, il note la date du jour et se promet de la poster en même temps que celle de sa fille.
Mais, avant cela, il s'accorde quelques minutes pour la relire et rajouter quelques mots et nouvelles, notamment concernant son petit-fils.

15 février 2023

6 rue Garat, 64310, Ascain

Maëlle,

Tu m'avais manqué aussi. Tes lettres, ton écriture toute ronde et ta manie de raturer tes mots. Je suis passé tous les jours à la poste dans l'espoir d'avoir de tes nouvelles. Je parais ridicule n'est-ce pas ? Avant, je ne te connaissais pas. Tu n'existais pas dans ma réalité mais tu y as trouvé ta place. Tu fais partie de mon monde. Il est dur parfois, de se dire que je ne te connaissais pas il y a quelques mois de cela. Cette période me paraît floue. C'est étrange de voir à quel point les jours se passent différemment quand on rencontre une nouvelle personne. Que le temps évolue en fonction de nos rencontres et de notre âge. Plus je vieillis, plus il me semble instable, fragile. A la fois lent et rapide. J'ai cette impression que chaque seconde compte, que chacune d'elles me rapprochent d'un temps où je ne serai plus.

En tout cas, je suis d'accord avec toi, la perfection et les papillons c'est surfait. Pourquoi ne pas mettre en avant les grenouilles ? C'est vrai, on dit qu'elles peuvent se transformer en prince. Il est bien plus utile de rencontrer un preux chevalier que de regarder des petits êtres ailés. Lui, il a un château et des domestiques (même si je n'apprécie pas cette idée de servitude). Comme tu peux le voir, j'ai lu beaucoup de contes à mes petits-enfants et je crois que je connais La Petite Sirène par cœur. Bien sûr, Cars n'a aucun secret pour moi et Winnie l'ourson passe souvent à la maison. Je suis le meilleur ami des princes et princesses Disney.

En parlant de mes petits-enfants, mon Jules a connu son premier chagrin d'amour.

Une petite brunette aux yeux verts qui ne le méritait pas. À l'école, les élèves devaient envoyer des lettres anonymes à leurs camarades et en deviner l'auteur. Comme je m'y connaissais en lettres, je lui ai donné un coup de main. Il était tout fier de sa carte qu'il avait mis des jours à préparer. Il comptait la lui donner et lui offrir un petit ours en chocolat. Eh bien, c'est lui et moi qui l'avons mangé. Quand elle l'a lu, la fillette a dit à ses copines :

"J'espère qu'elle vient de Thomas !"

Mon petit Jules était juste derrière et l'a entendue. Il est reparti sans rien lui avouer et les yeux pleins de larmes.

Je l'ai réconforté bien sûr mais... comment lui dire qu'il va encore subir cela ? Que son cœur d'enfant qui apprend tout juste à aimer va se briser plus d'une fois. Comment faire pour qu'il ne cesse jamais de croire en l'amour et au bonheur ?

L'amour brise, l'amour blesse. Quand j'étais jeune, j'affirmais que l'amour était un fardeau. C'était une sottise bien entendu car l'amour est un cadeau. Un présent à chérir, un bourgeon à faire fleurir. Ce n'est qu'une pousse au départ. Puis elle grandit, prend de l'ampleur. Elle devient merveilleuse, magnifique même si quelquefois elle est parée d'épines. Dans ce cas, il faut les retirer une à une ; avec douceur. Il faut prendre son temps, les caresser, les accepter et si elles se laissent faire, les couper. Ne jamais les brusquer, toujours écouter.

L'amour est une affaire de jardinage. Tu te prends des râteaux, tu fais faner des amours en ne faisant pas attention, tu te piques le doigt et tu souffres. Mais il ne faut jamais arrêter de croire. L'été, les efforts payent et tu te retrouves avec un jardin aux mille couleurs.

Suis-je un peu romantique ? Très certainement. Héloïse n'était pas comme moi. Elle se moquait de chaque film où les acteurs se tombaient dans les bras en s'embrassant tendrement. Nous étions deux contraires, deux étoiles qu'une galaxie séparait et qui pourtant se sont rencontrées.

En tout cas, voilà pour les leçons du jour. J'espère ne pas t'avoir trop embêté avec mes histoires.

Bien à toi,

Papy Harold

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Quelques heures et un Jules venu passer la fin d'après-midi avec lui plus tard, Harold se reprend à penser à la carte qu'il a fabriquée avec son petit-fils. Aux paillettes et aux rires qui ont inondé son salon. Un instant de bonheur. Une brève accalmie avant la déferlante d'émotions qui a secoué Jules. La tristesse certes mais surtout la peur. Peur d'avoir déçu son grand-père qui compte tellement à ses yeux.

Nos plus grandes prouesses sont souvent pour impressionner les êtres qui nous sont chers. On les remercie, d'une certaine façon, en leur prouvant ce dont on est capable. Et lui, Harold, il est fier. Éperdument fier de ce petit homme qui grandit à vue d'œil. L'enfance est un cours d'eau. Tantôt jonché de pierres tranchantes, de gros bouts de bois. Parfois ensommeillé, tranquille ou encore imprévisible. Mais on doit à tout prix la garder en mémoire. Ne jamais la quitter. Car l'enfance est le pays des rêves, de l'innocence certes mais aussi de la vie. On ne prend peut-être pas réellement conscience de ce qui est en train de se produire, mais on vit. Sans arrière-pensée. Sans peur de l'avenir. On respire, on expire, on rit. Il n'y a pas de plus belle magie.

Il se souvient de cet après-midi, réservé spécialement à la confection de la carte. Action déroulée sous l'œil expert de Juliette qui en était d'ailleurs allée de son commentaire. L'esprit critique de l'oiseau avait fait rire les deux compères. Jules, bien que nerveux,

Harold aime Jules. Il est son premier petit-fils et bien qu'il ait déjà eu des enfants, il a découvert avec lui une autre facette de l'amour. Il est là pour lui à tout moment mais ce n'est pas lui qui devrait lui payer ses études ni lui qui s'est réveillé quand, bébé, il ne faisait pas ses nuits.

Lui est le grand-père et cela lui plait. D'ailleurs, il faudrait qu'il peigne sa famille un jour. Il a encore des toiles vierges et peut-être pas assez de couleurs mais s'il utilise...

« Dis papy, tu sais ce que c'est que l'adaptation ?

La question du jeune garçon, le tire de sa réflexion.

« Et bien, c'est quand tu t'adaptes, c'est-à-dire quand tu t'habitues à quelque chose. Pourquoi donc cette question ?

- Papa a dit qu'il faudrait qu'il me parle au sujet de l'adaptation. Je sais que j'étais pas sensé entendre mais papy, je suis passé tout près de la chambre parce que ma voiture, tu sais la verte et violette, et ben elle est partie de ce côté du coup j'ai voulu aller la chercher mais finalement, je suis resté un peu pour écouter... Tu m'en veux pas, dis ? »

Encore une fois, le petit Jules se perd dans ses explications ce qui a le don d'amuser son grand-père. Là où d'autres se seraient énervés, il l'écoute avec patience et lui explique que non, ce n'est pas bien d'écouter aux portes mais que oui, il a bien fait de lui en parler. Quant à cette question d'adaptation et bien... il ne sait pas du tout de quoi ses parents voulaient parler.

Cela déçoit beaucoup l'enfant, qui était persuadé que son papy avait réponse à tout. Mais il ne veut pas lui faire de la peine alors il lui sourit et lui fait un gros câlin tout en lui murmurant :

« T'inquiète papy, comme ça on est deux à pas savoir »

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« Comment ça tu sais pas ?

- Ben, je sais pas. Voilà.

- Mais...mais elle est simple ma question, s'impatiente-t-elle Comment tu peux pas savoir ! Eliott, t'es vraiment pas doué.

L'enfant croise les bras sur sa poitrine et se renfrogne. Son frère n'est pas drôle et il n'est même pas fichu de répondre à une question. Une toute petite question toute simple. Vraiment, pourquoi c'est lui le grand de la famille ? Elle aurait pu répondre à la question, elle.

Il tente de lui sourire gentiment, tentant en vain de l'apaiser. Mais c'est peine perdue.

- Moi tu sais, je sais. C'est facile. Mais toi tu sais pas... et c'est bizarre.

Elle le regarde avec une certaine pitié, prend ses jouets pour quitter le salon et, juste avant de fermer la porte de sa chambre lui lance :

- Tu serais pas un peu bête par hasard ? »

Il sait bien qu'elle l'attend, que cette remarque n'était pas anodine. La connaissant, elle a déjà sorti ses pièges et ses doudous militaires. Mais il reste là. Assis. Les yeux dans le vague à réfléchir à la question pas si facile de sa sœur. Pour elle, tout est blanc ou tout est noir. Soit oui soit non. Pas d'entre deux, pas d'hésitations possibles. Il ne se souvient plus de la première fois où il s'est rendu compte que le monde était plus complexe que ça. Et cela lui manque parfois.

Il ferme les yeux et sa voix, angélique mais pourtant malicieuse revient lui susurrer à l'oreille: « Dis Eliott, tu serais pas un peu namoureux de Maëlle ? »

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L'amour est un phénomène étrange. Il a autant de définitions que de porteurs, il est source à la fois de force, de faiblesse. Il est tout et il n'est rien. Il peut être difficile à catégoriser, si faire se peut.

En effet, nous sommes tous amenés à le côtoyer un jour ou l'autre, que ce soit un amour ressenti pour les membres de sa famille, un amour que l'on témoigne à ses amis ou encore celui qui nous fait devenir tout simplement dingue.

Eliott ne sait ce qu'il ressent véritablement. Couché dans son lit et bien que dans le noir, il ne peut détacher son regard du tableau que lui a offert Maëlle. Il le connaît déjà par cœur, se le figure dans son esprit. Il n'a aucune envie de s'endormir car il s'est bien que demain, ce qui se sera passé aujourd'hui ne sera plus tangible. Il est conscient que cette journée, qui est l'une des plus belles de sa vie - il en est persuadé- va lui manquer. Il donnerait tout, pour la graver dans le marbre et la revivre encore et encore.

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