Chapitre 32

Non. Non. Non.

Ce n'est pas possible. Je ne veux pas le croire. Je ne veux pas l'accepter.

Le visage de Daerôn m'apparaît souriant et bienveillant.

J'ai l'impression d'être la seule coupable. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

Je n'aurai pas dû lui accorder ma confiance si rapidement. C'est le fils du roi cruel, l'héritier ne doit pas être mieux que son père...

Je voulais gagner, survivre. Je pensais qu'en m'associant à lui je vaincrais les Jeux. J'étais loin de penser que c'était lui que je devais vaincre.

Je ferme les yeux si fort que je vois des éclairs blancs devant mes paupières closes.

Je me suis réfugiée dans les montagnes pour réfléchir avant de rejoindre les autres.

Je ne comprends pas. Je ne comprends rien. Cette information est comme une lame qui transperce mon cœur. J'ai l'impression qu'on me l'a arraché et qu'on a laissé la plaie béante, que mon sang coule à terre pour tâcher le seuil de mon âme.

Si je reste avec Arwen, Rassna me tuera. Si je reviens, c'est Daerôn qui s'en chargera. Si je reste seule, j'enfreins les règles et Aegnor pourrait me faire tuer pour ça. Je n'ai aucune issue.

Aucune sortie de secours est signalée par une porte verte.

J'ignore pourquoi Daerôn ne m'a pas tué... Pourquoi semble-t-il vouloir maider ? Qu'attend-il de moi ? Pourquoi souffle-t-il le chaud et le froid quand je suis présente ?

Je repense à Calum, à Yasmina, à Mike et à tous les autres. Je me dis que même si ce n'était pas moi, le candidat choisi serait tout de même mort.

Assassiné.

Trahi.

Aujourd'hui ou demain, qu'est-ce que cela change ? A quoi je pensais ? Que j'irai jusqu'au bout ? Que je serai la première dellienne à remporter les Jeux ?

Même si Daerôn ne me tue pas, ce sera un autre...

Je ne suis qu'une pauvre fille naïve. Je me déteste. Je déteste l'espoir.

Je le hais pour sa facilité à entrer dans mon esprit. Je l'abhorre de s'être immiscé dans mon cœur. J'ai envie de le détruire. J'ai envie de souffler sur la flamme qui continue de brûler en moi. Et j'ai mal parce que je sais qu'il continuera de s'embraser, parce que je suis trop désespérée pour le laisser s'échapper.

Je pensais pouvoir changer les choses, mais il y a des destins inchangeables. Et le mien est de mourir. De me faire tuer par celui qui est le mieux placé pour le faire. Je me disais qu'il était différent. Différent de son père. Plus attentionné, plus gentil, plus compréhensif.

Je me trompais.

J'ai froid.

Je tremble de peur. Je suis terrorisée à l'idée de le voir, d'apercevoir ses yeux inquiets. De me rendre compte à quel point il joue bien la comédie. Et j'ai envie de le tuer.

Je suis en colère.

Pourquoi m'a-t-il laissé espérer ? Pourquoi ne m'a-t-il pas tué dès le début ? Pourquoi m'a-t-il aidé dans le labyrinthe ?

Comment savoir ce que Daerôn pense vraiment, ce qu'il ressent, s'il souhaite me tuer ou s'il veut juste obéir à son père ?

La vérité me terrifie.

Peut-être que je devrais en finir ? Peut-être que je devrais me tuer moi-même ? Ça leur couperait l'herbe sous le pied. Cette idée ne me paraît pas absurde.

Elle tourne dans mon esprit pour me faire miroiter la vengeance que j'y gagnerai. Si je me suicide, ça leur causera pas mal d'ennuis... C'est peut-être ma seule sortie de secours.

Ça mettrait une pagaille monstrueuse.

Ou alors, ils me remercieraient d'avoir fait le sale boulot pour eux.

Mais j'aurai eu une longueur d'avance...

Je m'assois et prends mon slard entre mes mains. J'observe mon reflet dans une des lames. Mes yeux brûlent de rage. Je ne pleurerai pas. Je ne leur ferai pas le plaisir de paraître faible. L'ancienne Elwing est partie. Maintenant, il ne me reste que la peur et la colère.

La lame de mon slard est tellement affûtée qu'elle pourrait briser un os si je le voulais. Je la dirige vers mon cou. J'aurai juste besoin d'un geste brusque et rapide pour en finir.

Et d'une tonne de courage.

Mais avec l'espoir, on peut soulever des montagnes. Et il m'en reste un peu. Là, au fond du cœur, entre mes côtes. Il court dans mes veines.

A force de tenir larme contre mon cou, je sens un liquide chaud couler le long de ma nuque.

— Elwing, qu'est-ce que tu fais ?!

C'est la voix de mon futur assassin. Il fait semblant de se soucier de moi, de ma survie.

— Je fais ce que toi, tu n'arrives pas à faire, je réponds amèrement.

Il s'approche plus près. J'ai limpression de voir un loup.

Un loup dangereux.

Il s'immobilise en voyant le sang écarlate tomber sur la neige pure et immaculée de la montagne.

— Qu'est-ce que je n'arrive pas à faire ? demande-t-il alors qu'il s'agenouille près de moi.

— Me tuer.

Il enlève son t-shirt et tapote mon cou en me disant que je suis complètement folle. Ses yeux examinent ma blessure. Il touche ma nuque de son index et je recule vivement. Il me regarde, interloqué comme si la situation lui échappait complètement.

— Je t'interdis de me toucher ! je hurle.

— Je dois te soigner, Elwing. Calme-toi, ordonne-t-il fermement.

— Non, laisse-moi mourir. Ou alors tue-moi pour de bon !

Je hurle. Je hurle tellement fort que je suis persuadée que mon écho fait des ravages sur l'île. Des oiseaux s'enfuient des arbres, des animaux qui me sont inconnus déguerpissent entre deux rochers et observent la scène d'un œil farouche.

— D'accord.

J'attends qu'il finisse ce que j'ai commencé. Mais je sens ses doigts panser l'entaille. Je sens ses mouvements tendres contre ma peau glacée. Et je meurs un million de fois. Je me transforme en brasier. Je déteste la sensation qu'il inflige à mon cœur meurtri. Je déteste que ses gestes rallument la flamme de l'espoir en moi. Je veux qu'il me fasse mal. Je veux qu'il me fasse souffrir. Comme ça, je pourrais le détester. Le haïr.

Mais je n'y arrive pas.

Finalement, je mévanouis contre son torse. Je me demande si c'est la dernière fois que je ferme les yeux.

*

— Elle est réveillée.

La voix que j'entends me semble lointaine, pourtant, elle parvient à me faire ouvrir complètement les yeux.

Nathaniel et Lindorie sont penchés au-dessus de moi.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris ! s'exclame Lindorie.

Je me relève doucement, mais ma tête tourne. Un bandage improvisé m'enserre la gorge. C'est douloureux lorsque je veux parler.

Je soupire en me prenant la tête entre les mains. Je retente de prendre la parole.

— On est quel jour ? je grimace.

Ma voix est faible et je crache mes poumons alors que j'attends leur réponse.

— Il nous reste 6h avant la fin des épreuves si c'est ce que tu veux savoir, répond Nathaniel d'une manière désinvolte.

— On t'a cherché partout, Elwing. Daerôn était tellement inquiet et furieux qu'il n'a pas dormi de la nuit pour te retrouver.

— Où est-il ?

— Je suis là ! s'empresse de dire Daerôn tandis qu'il se penche à son tour vers moi.

Je me recule pour m'écarter au maximum et l'assassine du regard.

— Ne m'approche pas ! je lance avec colère.

— Qu'est-ce qui te prends ? interroge Nathaniel avec un regard suspicieux.

— Peu importe. Vous vous êtes bien fichu de moi ! je déclare alors que je me relève.

Nathaniel hausse des sourcils interrogateurs dans ma direction et regarde Lindorie comme si j'étais une pestiférée.

— Quand est-ce que vous alliez me dire que les delliens doivent être assassinés par un des vôtres ?

Nathaniel éclate de rire et ne semble pas pouvoir s'arrêter. Lindorie devient pâle et Daerôn m'observe calmement.

— Ce n'est pas ce que tu...

— Pourquoi tu ne l'as pas encore fait ? Pourquoi tu me laisses souffrir ? je crie pour l'interrompre.

Je ne veux pas entendre ses excuses.

— Qui t'a dit ça ? demande-t-il, la mâchoire crispée.

Il n'essaye même plus de démentir.

— Peu importe !!! je hurle. Qu'est-ce que tu attends ? Tu veux que je te supplie, c'est ça ?!

— Je veux que tu te calmes.

Il s'accroupit et tente de me prendre le bras. A la place, je le frappe de toutes mes forces. J'ai besoin de me défouler. Il reste impassible, endure les coups, reste silencieux. Il me laisse faire jusqu'au moment où il me prend les poignets et me fait tomber au sol.

— Arrête, maintenant. Ce n'est pas le moment de devenir hystérique. Nous devons continuer notre mission sinon nous serons tous disqualifiés. Et dans ton cas, les conséquences pourraient être grave.

Qu'est-ce qu'il en a à faire que je sois éliminé des Jeux ? Il ne devrait même pas s'en préoccuper.

Je suis épuisée, fatiguée de lutter. Je m'écroule au sol quelques instants. Le temps d'une trêve. Le temps que Nathaniel me dise qu'ils ont tiré un mauvais numéro lors de l'épreuve précédente à laquelle j'étais absente et qu'on doit faire une épreuve en plus pour recevoir l'indice suivant.

Je suis brisée de l'intérieur. Je ressemble à une coquille vide. Je suis en colère. Je suis triste. Je suis déçue, mais aucune de ces émotions ne correspond vraiment à l'ouragan qui se déchaîne en moi. Je veux juste terminer tout ça au plus vite.

La prochaine épreuve se trouve non loin des Grottes Profondes ; l'endroit où Rassna a établi son camp.

Lindorie tire la manivelle du poteau et mon chiffre sort, mais je m'en fiche. Je suis trop en colère pour ressentir quoi que ce soit. Je vais me dépêcher de finir, comme ça, je pourrais m'éloigner de Daerôn le plus rapidement possible.

« Le candidat choisi devra se rendre dans la salle des glaces, devra passer dans une cuve d'eau glacée et chercher l'indice pour le rapporter à son équipe. Bonne chance. »

Je lève les yeux au ciel. J'hallucine. Ce n'est vraiment pas ma journée aujourd'hui.

Lindorie m'encourage d'un regard timide, tandis que Nathaniel me regarde d'un air blasé.

Daerôn, quant à lui, se dépêche de me barrer le chemin vers le sablier. Mes yeux lui lancent des éclairs.

— Tu es sûre que tu veux le faire ?

— Je n'ai pas le choix, à ce que je sache. Arrête de vouloir me protéger, ça me perturbe.

— Je ne te protège pas, je ne veux pas que tu tentes de te suicider encore une fois.

— Pourquoi ? Après tous les delliens doivent mourir, n'est-ce-pas ?

Sans attendre sa réponse, je le contourne et abaisse le sablier d'un coup sec. J'entre dans la grotte sans leur accorder un seul regard.

Je suis estomaquée par ce que je vois. Il y a une échelle qui monte jusqu'à une énorme cavité. J'imagine qu'à l'intérieur, l'eau est glacée. La cavité se resserre plus loin et je comprends que je vais devoir la traverser entièrement. Les murs sont faits de glace et l'ambiance de la pièce me fait frissonner. On dirait un réfrigérateur mortuaire.

Je me dépêche de monter l'échelle parce que le temps s'écoule. Il s'écoule dans un sablier que j'ai envie de briser, de pulvériser. Parce que chaque grain qui y tombe représente une minute de ma vie qui m'échappe.

Je plonge sans hésiter dans la cuve. Je suis trop surprise pour hurler. Trop paralysée par la douleur pour esquisser un seul geste. Je remonte à la surface et reprend doucement mon souffle.

J'essaye d'oublier. J'essaye d'oublier les eaux qui m'entourent, les gens qui m'attendent à l'extérieur. Ces gens en qui j'avais confiance, mais qui m'ont caché la vérité.

Une sorte de menotte se renferme sur ma cheville en un claquement bruyant.

CLAC

Je me rends compte qu'elle est aussi attachée à une sorte de tuyau qui court tout au long de la cavité. Une façon cruelle de me maintenir dans l'eau. Une manière de me rendre captive de ma misérable vie.

Je m'accroche et je marche sur le sol froid de la cuve. Je continue même si tous mes membres ont mal.

Même si mon cœur ralentit.

Je marche parce que c'est tout ce que je peux faire.

J'arrive enfin au bout, au prix de gros efforts physiques. L'indice est là quelque part. Il doit être là. Mais je ne le trouve pas et je me dis que c'est la fin.

Que je ne reviendrai pas vivante.

Que je vais mourir ici.

Frigorifiée.

Et je me dis que cette mort serait agréable. Pas d'une grande douleur, comme si la mort me tendait les bras. Cette pensée se forge dans mon esprit. J'ai juste à fermer les yeux et à attendre.

Et soudain, je le vois.

L'indice.

Alors je maccroupis entièrement et attrape le morceau de papier plastifié. Je fais le chemin inverse. Je ne m'arrête que lorsque je n'arrive plus à respirer. Je sors de l'eau et je m'écroule au sol. Je dois décider si je marrête ici ou si je continue.

Si je dois leur offrir cet indice qui leur permettra de vivre et de sceller ma mort.

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