Chapitre 10. En bonne puis mauvaise posture
Haymitch reste un bon moment abasourdi en voyant les gouttes d'eau se répandre peu à peu autour de lui, la fine pluie laissant bien vite place à une puissante averse. Il n'a pas le temps de se questionner quant à la potentielle toxicité de cette pluie qu'il est déjà trempé, à genoux devant une flaque d'eau boueuse, contemplant d'un regard hagard la cuvette remplie de ce qui lui paraît être à cet instant un nectar divin.
Le temps maussade rafraîchit considérablement l'atmosphère – à moins que quelques techniciens à la botte du Capitole n'aient été chargés de baisser le thermostat de l'arène – et le garçon se met à grelotter mais le froid est bien le cadet de ses soucis. Ses yeux ne se détachent pas de la flaque à ses pieds, cette réserve terreuse qui dégoûterait n'importe qui ; n'importe qui sauf lui, déshydraté qu'il est à cet instant.
Sa vivacité, qui se manifeste irrégulièrement ces derniers temps, reprend le dessus et le tribut se rue sur son sac pour récupérer sa gourde. Ses doigts tremblants peinent à dévisser le bouchon mais lorsque c'est chose faite, il observe avec délectation le liquide s'écouler, goutte après goutte, dans la bouteille, restée vide pendant bien trop longtemps.
L'eau est-elle comestible ? Ou est-ce un piège pour tester jusqu'au bout la résistance des tributs aux merveilles offertes par l'arène ? Haymitch n'en sait rien, il tend l'oreille, peut-être entendra-t-il quelques coups de canon pour l'alerter de la supercherie. La pluie ruisselle si fort partout autour de lui qu'il n'entend rien d'autre que cela. Sa méfiance s'amenuise à l'instant où sa gourde est remplie et que l'eau de pluie déborde goulûment sur les parois métalliques, le défiant de ne pas la boire, de ne pas en profiter...
« -Oh, et puis, merde ! »
Il s'empare de la bouteille à deux mains et avale tout son contenu d'une traite, incapable de ne pas céder à sa gorge qui réclame son dû à n'en plus finir. C'est si bon ! Si frais ! Il sent aussitôt son corps revivre, sa conscience reprendre de la force et ses muscles se détendre... jamais il n'a exprimé autant de plaisir à boire de l'eau. L'infini soulagement qu'il ressent est si brutal par rapport aux violences subies par son corps depuis le début des Jeux qu'il en est un moment étourdi et est obligé de s'assoir parmi la terre humide pour ne pas tomber. Il en profite pour présenter sa bouteille au ciel, qui ne tarde pas à remplir le contenant une nouvelle fois.
Il vide trois fois le contenu avant d'étancher sa soif – du moins, pour le moment. Il prend soin de remplir encore une fois sa gourde, puis la range dans son sac avec précaution. Maintenant que son esprit est capable de penser à autre chose qu'à sa gorge douloureusement sèche, il se rend compte que sa tenue est gorgée d'eau et qu'il commence à frissonner sérieusement. La forêt lui offre pas mal d'abris plus ou moins étanches, et il opte pour un enchevêtrement compliqué de buissons épineux qui ont au moins l'avantage de tenir éloignées les bestioles. Ses vêtements lui collent à la peau mais il n'a pas le courage de les retirer pour les essorer. Par défaut, il sort sa couverture thermique pour se réfugier dedans mais, à la place, tombe sur la crème qui a tant fait réfléchir son cerveau juste avant que la pluie n'accapare toute son attention. Le garçon examine avec attention le pot en verre, à la recherche d'un indice qui lui permettrait de comprendre son utilité. Evidemment, il est vierge de toute inscription, si bien que cela ne l'avance guère dans ses réflexions.
L'odeur qui se dégage du contenant lorsqu'il retire l'opercule est ignoble et la texture de l'onguent est douteuse. Il plonge avec précaution ses doigts dedans, admire longuement la crème qui s'est fixée sur ses phalanges sans parvenir à obtenir plus d'informations dessus. Il soupire, nettoie ses mains souillées à l'aide d'une feuille puis range le contenant au fond de son sac. Il sort sa couverture pour se tenir chaud et, une fois engouffré dedans, il ne peut se battre contre ses paupières lourdes de sommeil et son corps enfin hydraté cède aux bras de Morphée.
Il émerge plusieurs heures plus tard, lorsque la pluie a cessé de tomber. Il se maudit de s'être ainsi laissé aller, mais l'infini soulagement qu'expriment en contrepartie ses muscles lui fait bien vite comprendre qu'il aurait été incapable de faire quoi que ce soit de productif sans sommeil. Il s'extirpe difficilement de son abri, s'écorchant la peau à plusieurs endroits. La forêt frémit encore de la récente pluie qui l'a abreuvée et le sol est spongieux, humidifié par les fines gouttelettes ruisselant des arbres et des buissons. En sentant l'atmosphère se réchauffer, Haymitch ressent une profonde détresse à l'idée d'être de nouveau violemment déshydraté. Pourquoi n'avait-il pas cherché des contenants qui auraient pu accueillir de l'eau tant qu'il pleuvait encore ? Pourquoi n'avait-il pas cherché à maximiser ses réserves tant que l'arène lui offrait encore la seule source d'hydratation à sa disposition ? Il piétine sur place, agité et confus. Sa gorge s'assèche presqu'automatiquement et il a de nouveau soif, très soif.
Il prend une profonde inspiration et retrouve son calme. Ok, il n'a aucune idée de quand tombera la prochaine pluie mais en attendant il a une gourde pleine de deux litres d'eau. Ce n'est pas beaucoup, mais s'il a réussi à survivre plus de quarante-huit heures sans eau, il pourra bien se débrouiller... mais pendant combien de temps ? « Chaque chose en son temps, se force-t-il à penser. » Depuis l'averse, sa situation s'est considérablement améliorée : ses muscles ont repris en vigueur, son esprit est beaucoup plus lucide et il a retrouvé l'infime espoir de survie qui avait failli le quitter en début de journée. Il a une arme et de quoi se nourrir pendant plusieurs jours s'il se rationne très sévèrement. Il commence à connaître l'arène, a trouvé ses repères et surtout, surtout, il a un objectif, toujours le même : trouver les limites de l'arène. Il a suffisamment un bon sens de l'orientation et de l'observation pour savoir approximativement dans quelle direction se diriger pour s'éloigner de la Corne d'Abondance.
Lorsque sa respiration s'est sensiblement calmée et que de l'ordre s'est fait dans son esprit, il se rend compte de deux choses, presque simultanément : de un, il a faim ; de deux, ses morsures ne le lancent plus autant qu'avant. Il retire son t-shirt encore gorgé d'eau et observe avec stupéfaction la plaie sur son avant-bras. La dernière fois qu'il avait osé la regarder, la blessure était infectée, gonflée de pus et affreusement abimée. Maintenant, les œdèmes ont éclaté et du pus jaunâtre s'écoule paresseusement de la morsure. L'eau a nettoyé la saleté autour de la plaie, qui est nette bien qu'encore à vif. L'infection semble avoir considérablement diminuée et le garçon peut bouger son avant-bras sans grimacer de douleur. Il essore son t-shirt au-dessus de la plaie et ressent presqu'automatiquement une vague de soulagement en sentant l'eau couler sur sa peau meurtrie. Sans perdre plus de temps, il nettoie comme il peut sa première morsure, jusqu'à ce qu'une bonne partie du pus se soit éliminée puis bande de nouveau la parcelle de peau avec du tissu humide. Il fait de même avec la deuxième blessure dans son cou, qui est un peu plus compliquée à inspecter.
Une fois sommairement soigné, il croque dans un biscuit énergétique, ignorant volontairement sa gourde pleine et se met en route. Il marche plusieurs heures sans s'arrêter et sans dévier de direction. La pluie semble avoir, en plus de dynamiser son corps et panser ses blessures, éloigné les insectes et animaux, si bien qu'il ne croise pas âme qui vive durant les heures qui suivent. Il reste néanmoins aux aguets, sachant pertinemment qu'une arène trop calme n'est jamais bon signe pour les tributs. Le peuple de Panem est avide d'actions, de combats et de suspens. Haymitch a toujours été dégoûté par l'attitude de ceux qui ne sont pas ou plus concernés, de près ou de loin, par la menace annuelle de la Moisson. Ils parient, dépensent leur argent autour de discussions stupides et ne manquent pas une miette des Jeux. S'ils s'ennuient, le Capitole renchérit, prenant toujours un malin plaisir à étaler aux yeux de tous leur toute nouvelle technologie, découverte ou autre babiole : boules de feu qui poursuivent sans relâche les candidats jusqu'à l'épuisement, tremblement de terre, sol qui se met à tourner comme une toupie, bestioles qui surgissent de nulle part et grossissent à vue d'œil. Ils ne sont jamais en manque d'idées. Et c'est ainsi que, depuis des années, ils arrivent à fasciner des générations et à s'enrichir sur le dos des habitants des Districts qui n'ont d'autres choix que de subir, chaque année, la peur effroyable de perdre quelqu'un.
Après des heures tout sens en alerte et à profaner dans son esprit toute sorte d'insultes à l'égard du Capitole, Haymitch s'accorde une pause. Malgré son récent repos, ses muscles sont encore frêles et souffrent de manque de nourriture et d'eau. Ses morsures, bien qu'en voie de guérison, le tiraillent et le ralentissent. Son dos qu'il a tantôt frappé avec violence contre un tronc pour échapper aux écureuils dorés, ne cesse de lui rappeler son mauvais traitement. Il se sent vieux, fragile mais lucide. Le biscuit qu'il a avalé au début de sa marche lui a redonné de l'énergie mais bien vite, son estomac a réclamé plus, plus que le garçon ne peut se permettre, compte tenu des maigres biens entassés dans son sac. Seule sa haine infatigable contre le Capitole a su lui fournir suffisamment de fougue pour continuer d'avancer plusieurs heures durant.
Il a atteint une partie de la forêt plus dense que précédemment, si bien qu'il lui est impossible de distinguer le ciel d'où il est. Il lui est également impossible de savoir si le jour va bientôt se coucher, ou si le soleil brille encore de mille feux. Une luminosité modérée, semblant provenir de partout et nulle part à la fois, lui permet de distinguer son environnement sans mal. Il s'arrête sous l'ombre d'un arbre gigantesque au feuillage épais. Dans cette portion de la végétation, les arbres fruitiers aux odeurs entêtantes ont laissé place à de véritables mastodontes aux racines enchevêtrés et aux branches musclées. Les buissons secs et épineux prennent peu à peu la place aux plants de baies sucrées. L'herbe verdoyante devient plus parsemée. Les insectes colorés qu'Haymitch s'emploie à éviter se font plus rares. Les efforts déployés dans la partie la plus proche de la Corne d'Abondance s'amenuisent au fur et à mesure que le tribut s'éloigne et bien que l'environnement paraisse ainsi plus hostile, Haymitch se sent plus rassuré. Au moins, la dangerosité des lieux ne se cache plus sous les couleurs, les parfums sucrés et les fruits dodus. Ici, le paysage est plus naturel, plus... honnête, en somme.
Le garçon avise le tronc bosselé de l'arbre et se demande s'il peut trouver refuge sur l'une de ses branches. Là-haut, il serait à l'abri des potentiels tributs qu'il peut croiser et de certains animaux vivant au sol. En revanche, ce stratagème peut vite se retourner contre lui si jamais un candidat opiniâtre ou une bestiole obstinée se décide de camper près du tronc pour le cueillir dès qu'il est contraint de descendre. Il pèse le pour et le contre, puis se décide de monter, sans nécessairement y passer la nuit, au risque de se retrouver piégé au petit matin.
L'ascension s'avère plus compliqué qu'il ne l'a prévu. Ses muscles rechignent au moindre effort et le contraignent à avancer rapidement sans quoi il risque de rester tétanisé et chuter. A cause de la vitesse, il glisse sur des prises qu'il n'a pas pris le temps d'analyser avant et qui lui font défaut. Il manque de peu de faire une chute mortelle mais la force qui lui reste le hisse jusqu'à une branche épaisse sur laquelle il peut s'installer sans risquer qu'elle ne ploie, voire ne se brise, sous son poids. Le souffle court et transpirant, il jette un regard rapide en bas. Il n'a pas le vertige mais n'est pas particulièrement à l'aise avec les hauteurs. Il détache avec précaution le sac de son dos et s'accorde une gorgée d'eau. Il peine à retirer le goulot de sa bouche, qui en réclame plus. Il attache vaillamment les lanières de son butin à la branche pour ne pas risquer de le faire tomber puis inspecte ses plaies qui semblent avoir dégonflées depuis son départ. Il décide sans trop savoir pourquoi de retirer le tissu pour aérer la peau qui commence à dégager une odeur pas très agréable.
L'avantage avec cette escalade est que, désormais, il a accès à une petite portion de ciel et peut donc avoir un repère temporel. La luminosité faiblit à vue d'œil et le garçon en déduit qu'il vient de passer sa deuxième journée complète dans l'arène. Il n'a aucune idée du nombre de victimes aujourd'hui. Il n'a entendu aucun coup de canon mais cette constatation est biaisée, sachant qu'il a dormi pendant une bonne partie de l'après-midi et que la pluie, qui a duré plusieurs heures, a pu aisément dissimuler le bruit retentissant. Même si l'idée de ses camarades gisant quelque part dans la forêt sans vie ne l'enchante pas, il espère que la journée aura diminué la liste des tributs encore en lice. Plus le nombre de visages qui s'affichera dans le ciel lors de la tombée de la nuit sera grand, plus la victoire sera à portée de main. C'est l'une des certitudes à laquelle s'accroche désespérément Haymitch, après qu'un ami le lui ait conseillé.
Il est en train de se masser les muscles des jambes, tout en prenant garde à ne pas perdre l'équilibre, quand il entend le feuillage frémir au-dessus de lui. Il se redresse, soudain tendu, se retenant au dernier moment de faire un mouvement brusque qui l'entraînerait sans aucun doute dans une chute mortelle. Sans cesser de fixer une seule seconde l'endroit suspect au-dessus de sa tête, il tâtonne derrière lui pour dénicher son couteau, coincé dans une des poches extérieures de son sac. Il parvient à trouver le manche et referme la main autour lorsqu'une floppée de papillons colorés au dard luisant émerge devant son nez.
Haymitch sursaute violemment et manque de tomber sur le côté, il se retient de justesse en serrant ses jambes autour du tronc. Ses mains tentent de maintenir son équilibre comme elles peuvent et celle alors accrochée sur le couteau le lâche pour s'agripper à l'écorce.
L'armée de papillons s'amasse autour de lui comme s'il est un objet curieux. Haymitch peste dans le vent qu'il n'aurait pas dû monter dans ce « p***in » d'arbre qui le maintient prisonnier des insectes vicieux. Il se colle contre le tronc et repart à la recherche de son arme. Il ne sait pas vraiment ce qu'il va pouvoir faire avec son couteau face à une armada de papillons, mais ce sera mieux que rien. Ses doigts se resserrent contre la lame et le tirent hors de la poche. Malheureusement, le couteau semble bloqué dans le tissu et résiste à l'effort du garçon pour l'en extirper.
Les papillons s'approchent en meute, semblant réfléchir au meilleur moyen pour que tous profitent du festin qui s'offre à eux.
Haymitch tire d'un coup sec son arme en laissant échapper un cri rageur. Les derniers rayons de soleil frappent sa peau à travers le feuillage des arbres et de la sueur coule entre ses paumes moites. L'arme lui glisse des mains au moment où la lame est libérée de son entrave.
« -Non ! »
Le hurlement sort automatiquement de sa bouche, alors que le tribut voit son arme chuter jusqu'au sol. Il saisit avec force son sac et le place devant lui comme bouclier, au moment où le papillon le plus impatient se rue sur lui. L'insecte rencontre le sac et bat furieusement en retraite. Haymitch profite de l'instant de battement pour ouvrir son sac, à la recherche de son canif. A défaut d'une longue lame aiguisée, son petit opinel pourrait lui permettre, la chance s'y mêlant, d'atteindre les ailes de ces papillons afin qu'il puisse battre en retraite.
Un deuxième insecte en profite pour attaquer et le garçon fait volte-face pour parer son coup. Il glisse contre l'écorce et sent le poids de son corps attirer vers le sol. Ses mains s'accrochent en dernière tentative à la branche et le voilà bien vite suspendu, les pieds dans le vide, à plusieurs dizaines de mètres du sol. Son sac, qu'il a attaché à l'arbre, n'a pas bougé.
Les papillons volettent sournoisement jusqu'à lui, cherchant la plus tendre parcelle de peau pour enfoncer leur dard mortel. Haymitch sent les muscles de ses bras se déchirer sous l'effort et frappe furieusement ses pieds dans le vide pour tenir à distance les insectes. Sa danse ridicule et dangereuse intrigue les bestioles ailées plus qu'elle ne les repousse. Elles commencent à lui tournoyer autour pour l'attaquer.
L'une des bêtes tente une percée jusqu'à son ventre que le garçon évite in extremis en se balançant en arrière, puis en frappant la créature avec son pied. Déboussolée, elle bat des ailes un moment, tournoyant sur elle-même, comme ivre. Laissant échapper un râle de douleur, Haymitch essaye de se redresser sur ses bras afin de remonter sur la branche mais un des papillons en profite pour prendre d'assaut son bras, ayant compris son point faible. Le tribut est contraint de lâcher la branche de sa main droite, pour repousser avec de vifs gestes l'insecte qu'il réussit à atteindre avec son poing. Il profite de l'élan d'adrénaline pour attraper son sac de sa main libre.
A l'instant où ses doigts se referment sur le tissu de son sac, sa main gauche lui fait défaut et lâche la branche...
*
Helloooo !
J'espère que vous allez tous bien en ces temps un peu perturbés :)
Bon, encore une fois je vous laisse avec un petit peu de suspens parce que sinon ce ne serait pas drôle 🙈 Haymitch a trouvé un moyen pour s'hydrater et semble reparti sur de bonnes bases, jusqu'à ce que des papillons s'en mêlent... comment va-t-il se tirer de là ? Que va-t-il se passer ensuite ? Haymitch va-t-il rester isolé des autres tributs comme il l'est depuis deux jours ? Vous vous doutez bien que ce serait trop simple...
J'espère que ce chapitre vous a plu, n'hésitez pas à me laisser des remarques en commentaire si l'envie vous prend !
Sur ce, je vous souhaite un bon dimanche, une bonne semaine et surtout : prenez soin de vous ❤
PetitKoala
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top