Chapitre 4
" Soit vous enlevez votre masque. " Rien que ça ! Il m'avait coincée... Cet imbécile au regard de braise et au sourire de tombeur venait de révéler mon point faible.
Je ne sais pas comment il s'était débrouillé, après tout, il m'avait semblé qu'il ne s'intéressait pas à moi mais plutôt à mes hommes. Alors comment avait-il fait pour me cerner ? Personne, je dis bien personne, n'avait jamais osé me demander cela.
C'était simple ! Tout le monde redoutait de voir ce qu'il y avait en dessous ! C'était fait pour ! C'était mon meilleur atout ! Mon coup de maître ! Comment, comment avait-il compris ? Comment avait-il fait ? Et moi, que pouvais-je bien faire à présent ?
Parce que cette requête sonnait plus comme un défi que comme une condition, et si la chef de la police G n'arrivait même pas à relever ce tout petit défi, l'on commencerait à se poser des questions. Il le savait, c'était pour ça qu'il avait posé cette sentence qui me condamnait.
Peut-être avait-on l'impression que j'exagérais : après tout, j'avais moi-même dit que c'était la police G qui faisait les lois et non l'inverse. Mais cette règle ne pesait que lorsqu'il était question de violence, d'irrespect, de rébellion. Ici, il n'y avait rien de tel.
Et pire, je savais que secrètement, tous les soldats de mon équipe n'attendaient que cela. Aussi, si je refusais, ils sauraient. Ils sauraient qu'ils pourraient faire pression sur moi, ils sauraient à quel point j'avais besoin de ce masque et ils tenteraient par tous les moyens de me l'enlever.
J'étais complètement piégée. Et je détestais ça. Que faire ? Mon cerveau travaillait à toute allure, cherchant une solution qui ne venait pas...
Que faire ? Que faire ? Que faire ? Que faire ?
Je ne devais pas céder à la panique. Mais dans cette salle si froide, où je luttais déjà pour ne pas grelotter, dans ce silence si pesant que j'osais à peine respirer, face à ces regards si intenses que j'essayai d'ignorer, mon calme semblait avoir disparu. Je n'avais pas le temps de réfléchir posément, pas le temps pour peser le pour et le contre. Je devais agir vite, afin de dissimuler ma peur, afin de dissimuler cette faiblesse.
Une solution finit par s'offrir à moi : j'allais devoir enlever mon masque mais ne jamais me tourner. Je devais tout miser sur ma position dans la salle. C'était risqué, vraiment TRÈS risqué, mais je n'avais pas le choix, parce qu'il était tout bonnement HORS DE QUESTION que je rejoigne leur clan !
Alors que tout le monde attendait impatiemment ma réponse, je posai doucement mes mains sur le bas de mon masque, essayant tout de même de le dissuader sans paraître nerveuse :
– Êtes-vous sûr de vouloir voir ça ? Parce que ça en a traumatisé plus d'un.
Il me dévisagea avec un sourire plus qu'amusé, comme s'il vivait la scène la plus drôle de toute son existence. Il se redressa dans son siège et se frotta les mains tout en répondant d'un air de dire " tu ne m'auras pas à ce petit jeu " :
– Je pense que je survivrais.
– Ouais Lora ! Vas-y ! Défonces ce connard qu'on s'en débarrasse vite fait ! lancèrent certains de mes collègues dans mon dos.
Je soupirai, dépitée, désespérée et cette fois, après avoir pris soin de m'assurer que personne à part ces deux idiots ne pouvait me voir – avançant de quelques pas pour m'éloigner nettement de mes hommes – je glissai les doigts sous mon masque pour le retirer.
Je le fis lentement. Je ne savais même pas ce que ces deux hommes allaient découvrir : je n'avais pas vu mon visage depuis quatre ans. Peut-être, avec un peu de chance, avais-je des boutons partout et des cicatrices rappelant mes anciens combats ! Je souhaitais de tout mon cœur que ce soit le cas !
Malheureusement, quand le plastique quitta ma peau, quand l'air balaya mes cheveux coupés à ras pour mon travail et que je vis leur regard se poser sur moi, je sus. Je sus que je n'avais pas changé. Que j'avais conservé ce même maudit visage qui m'avait toujours apporté tant d'ennuis. Qui m'avait toujours mise en danger !
La nature était parfois injuste : j'avais été dotée d'un physique qui faisait de moi une proie, une victime. Et là, à cet instant précis, je voyais très bien que c'était ce que pensait monsieur le chef des Évolués.
Son sourire s'étira et son regard sembla me transpercer. Je sentis mes joues rougir et j'eus envie de me condamner pour cet horrible faux-pas, mais comment ne pas réagir quand on se montrait pour la première fois après quatre longues années ? Comment être à l'aise, face à un homme respirant la beauté et la puissance qui vous mettait à nu, véritablement ?
– Très intéressant... souffla-t-il, ne détachant pas ses yeux de moi.
Il semblait savourer chaque parcelle de mon visage. Et plus les secondes s'égrenaient, plus je maudissais mère nature pour m'avoir fait naître dans le pire corps possible. Je savais très bien ce qu'il voyait, ce visage presqu'irréel dont j'avais été pourvue.
Qu'est-ce qui le fascinait le plus ? Mes cheveux châtains aux reflets argentés ? C'était une configuration rare mais pas impossible en ces temps où la glace dirigeait notre vie, et le pire, c'était que depuis que je les avais coupés, j'avais remarqué qu'ils penchaient plus vers ce gris tape à l'œil que vers le marron... Je croisais d'ailleurs les doigts pour que le col de mon manteau et la distance masquent cette couleur à mes compagnons.
Ou peut-être se sentait-il attiré par mes yeux en amande, cerclés de cils gris épais et longs et dont les pupilles étaient d'un marron presque rouge, qui donnait des frissons ? Ou alors, c'était mes traits, plus fins, beaucoup plus fins que les siens ? Ma bouche en cœur ? Mon cou mince et long ? Tout, je dis bien tout chez moi avait été créé pour attirer les prédateurs. Pour me pourrir la vie ! Je n'étais pas seulement belle, j'étais unique, différente, je ne me fondais pas dans la masse. Une vraie malédiction !
Après de longues minutes, où il posait sur mon visage un regard empli de convoitise, où ses yeux semblaient vouloir me dessiner, me caresser, me kidnapper, il finit par se concentrer sur moi, en tant que personne et non plus en tant qu'objet de désir. Mais ce que je découvris dans son expression me fit peur. Je tentai par tous les moyens de cacher mon effroi mais je sentais, au plus profond de moi que j'étais en danger, que cet homme était le pire de tous.
Avant même qu'il n'ouvre la bouche, je compris que je n'aurais jamais dû douter de l'existence des Évolués, je ne sais pas comment l'expliquer, tout était dans le contact visuel, j'avais vu qu'il avait un don. Mais il reprit la parole sans que j'aie eu le temps de réagir :
– J'ai changé d'avis...
Le sol se mit à trembler sous nos pieds, si fort que j'eus du mal à garder mon équilibre. Puis j'entendis un bruit de craquement assourdissant s'élever derrière moi et je me tournai, paniquée : la terre était en train de se fendre, de se diviser. Moi et les Évolués d'un côté, la police G de l'autre.
Sans réfléchir, mon instinct de survie reprit le dessus et je m'élançai vers le gouffre qui se formait : je n'allais pas me faire capturer comme une pauvre demoiselle en détresse, si j'avais fait tout ces entraînements c'était bien pour ne pas être aussi inutile ! Je courrai vite, dérapant sur la glace sans jamais tomber. L'adrénaline faisait parfois accomplir de véritables miracles.
Lorsque j'arrivai à l'intersection, je ne ralentis pas et me jetai dans le vide sans une once d'appréhension. J'avais confiance en mes capacités, je savais que je pouvais le faire. Mon corps s'éleva dans les airs et traversa les deux mètres qui me séparaient de mes hommes.
Malheureusement, ce fut le moment où le fossé s'élargissait encore plus que je retombai et seules mes mains atteignirent la rive. Horrifiée, je tentai de m'appuyer dessus pour me hisser sur la terre mais mes doigts glissèrent.
Je criai, lâchant la dernière chose qui me permettait de ne pas disparaître au fond de cet abysse. Je crus que mon heure était arrivée, vraiment. Je sentis mon cœur s'arrêter en même temps que la gravité me tirait vers le fond. Mais deux mains apparurent au dessus de ma tête et se jetèrent sur moi, agrippant mes avants-bras.
– Elora, ça va ? Je te tiens !
Je ne répondis pas, trop concentrée sur la tâche consistant à m'agripper du mieux que je pouvais à ces deux bras salvateurs. Il tira alors que je serrai de toutes mes forces ses coudes et peu à peu, je remontai à la surface. Arrivée au bord, Elzo me tira d'un coup sec et je me retrouvai à plat ventre sur lui.
– C'était moins une ! s'écria-t-il essoufflé, j'ai vraiment cru qu'on t'avait perd...
Il ne finit pas sa phrase. Sans comprendre, je relevai la tête, reprenant peu à peu mes esprits et ma respiration :
– Quoi ?
– Tu... Tu...
– Quoi je ? répétai-je agacée tout en me reculant.
Cependant, il m'attrapa violemment pas les épaules et me plaqua contre son torse, plaçant mon visage à quelques centimètres du sien :
– Tu es belle... murmura-t-il d'un ton choqué et émerveillé.
Oh. Non. Horrifiée, je rompis le lien qui nous unissait et me mis debout, prête à prendre la fuite... Mais pour aller où ? Autour de nous, des piques de glace sortaient du sol et nous barraient le passage, nous étions tous piégés dans un cercle gelé qui nous rassemblait en un pauvre petit groupe de soldats sans défenses. Comment avions-nous pu en arriver là ? Comment avions-nous pu tomber si bas ?
Mes hommes couraient partout, à la recherche d'une issue, laissant la panique les submerger. Et Elzo restait allongé, à me regarder avec des yeux avides. Il ne manquait plus que ça !
– Police G ! Rassemblement ! hurlai-je, ma voix couvrant la cacophonie tonitruante de l'endroit qui subissait une véritable catastrophe naturelle.
Mes collègues, habitués à suivre mes ordres mirent leurs émotions en veille et s'avancèrent, m'écoutant par pur automatisme. J'allai monter un plan, trouver une façon de nous sortir de là ! J'étais maligne, une vraie stratège, c'est pour ça que j'avais été nommée chef. Aussi, en remettant mon masque sur mon visage j'étais prête pour trouver une idée qui nous sauverait.
Cependant, les fils qui tenaient mon masque furent coupé par un pique de glace qui poussa juste à ma gauche, frôlant mon oreille. Surprise, je fis un pas en arrière pour m'en éloigner et mes pieds décollèrent du sol alors qu'un de ces piliers translucides poussait en quinconce et passait entre mes jambes. J'essayai de m'enfuir mais un autre pique apparu, puis un autre, encore un autre, et je me retrouvai bloquée dans les airs, emprisonnée dans une prison gelée à dix mètres du sol.
– Mais qu'est-ce que...
Je tournai dans tous les sens, à la recherche d'un échappatoire mais n'en trouvai aucun.
– Chef ! Vous allez bien ! hurla la voix d'Omino en dessous de moi, mais je ne pouvais pas le voir, cernée comme je l'étais par la glace.
– Oui je...
Je n'eus pas le temps de répondre, de nouveau, un craquement étourdissant retentit et des cris résonnèrent sous mes pieds, les cris de mes soldats !
– Les gars ! Les gars ça va ? m'époumonai-je, perdant le peu de maîtrise que j'avais.
Ce fut, pour la première fois depuis un quart d'heure, le silence qui me répondit. En colère et épouvantée, je tentai de me sortir de ma prison mais mes membres étaient coincés entre des bâtons de glace dont l'épaisseur était anormale. Mais qu'est-ce que c'était que ce bordel ?
– Relâchez moi ! hurlai-je de toutes mes forces, laissez moi partir !
Rien.
– Au secours ! finis-je par laisser échapper bien que ça me coûte.
Mais de nouveau, aucune réaction.
Le froid était insoutenable, j'étais en train de geler, si je ne partais pas avant la prochaine minute, j'allais me transformer en stalactite à coup sûr ! Mais j'étais irrémédiablement bloquée et mes hommes avaient tous disparu en laissant derrière eux des hurlements à vous crever le cœur.
– Aidez-moi ! suppliai-je, n'ayant plus aucune dignité.
En temps normal, j'aurais sûrement attendu la mort, je ne m'abaissai jamais à supplier. Mais le froid me faisait perdre la tête. Je n'étais pas du tout tolérante à ces températures si basses, elles me faisaient profondément souffrir et me retournaient l'esprit.
– S... S'il vous plaît... murmurai-je alors que mes forces m'abandonnaient peu à peu.
Bientôt, ouvrir les yeux ne me servit plus à rien : j'étais comme devenue aveugle et mon corps se retrouva tout endolori. J'étais en train de mourir de froid. J'essayai une dernière fois de parler, mais ma voix ne sortit pas. Mon souffle, embué, s'échappa une dernière fois, faiblement de ma bouche, puis ma poitrine ne se gonfla plus et je perdis connaissance.
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