Chapitre 35 - Passages
Tu te sens mieux ?
Que répondre ? Je les suivis. Lui me tenait fermement par la taille. Jake se massait le dos en marchant. Il avait dû se blesser. J'essayais tant bien que mal de visualiser le déroulement de cet événement improbable.
Aodren avait ordonné à son cousin de posséder mon corps. Donc, j'en déduisis qu'il avait un don. Celui de prendre la place des autres. Un parasite, en somme. Lewis était apparu comme par enchantement. Il pouvait se téléporter ? Aodren lisait dans les pensées.
Chaque membre avait-il une particularité ? Les éléments s'imbriquaient parfaitement. Ils justifiaient des propos tenus par les uns et les autres. Cela expliquait de manière logique la manière dont Jake avait pu cacher ce qui m'était arrivé à la soirée. Il avait dû s'insérer dans le corps de Victor ; ainsi Aodren n'avait rien pu lire, mais Jake avait pu tout découvrir...
Une fois dans la grande salle, nous nous installâmes sur les canapés pour discuter. Ophélie courrait dans tous les sens. Aela se racla la gorge avant d'entamer sa logorrhée.
- Enaya, tu vas mieux ? Tu étais étrange. On aurait dit que tu convulsais. As-tu des soucis de santé ? Je n'aimerais pas que mon frère soit en souci au quotidien. Tu étais blanche et tu respirais avec peine. N'es-tu pas malade ? As-tu vu un médecin ?
- Aela, arrête ça de suite ! la coupa Aodren.
Elle tentait quelque chose qu'il n'appréciait guère au vu de sa réaction.
- As-tu déjà vécu des événements semblables auparavant ? As-tu eu des expériences étranges comme celle-ci ? As-tu ressenti des choses en particulier ?
Aodren l'interrompit une fois de plus, en colère.
- Quoi ? Il faut qu'on sache ce qu'il en est ! riposta-t-elle.
Aodren lui intima de se taire et me caressa la main, tel un homme tentant d'apaiser sa bien-aimée. Il était soucieux et son visage sombre reflétait une profonde réflexion. Il zieuta sa sœur qui ne dit plus rien mais soupira d'exaspération.
Lewis se tourna vers nous avant de se lever. Il sortit un paquet de cigarettes et s'en alluma une. Jake bougeait la tête, tantôt comme s'il approuvait des propos, tantôt comme s'il les réprouvait.
La conversation avait lieu entre eux. J'étais exclue du débat alors que j'étais la première concernée. J'étais agacée par tous ces secrets. Mes déductions ne devaient pas être loin de la vérité. Je me cloisonnais au fin fond de moi et analysais tout cela. Aodren se mit à parler à voix haute.
- Tout ce qui m'importe est ton bien-être et ta santé. Déjà, tu as meilleure mine. Les Winsor ne vont pas tarder. Je veux juste que tu retiennes ceci : évite impérativement Edward. Son fils ne devrait pas être un problème, mais je serais moins anxieux si tu pouvais également l'éviter au maximum. Ne les côtoies pas sans moi.
Après avoir donné mon approbation à tous ces ordres, ils vaquèrent à leurs préoccupations, à savoir de préparer l'arrivée des membres de la famille invités par Lewis. J'indiquai que j'allai me reposer. Cette excuse et leurs affaires me dégageraient du temps pour explorer la maison.
Je me ruai dans ma chambre et sorti mon journal intime. La clé du cadenas était toujours dans la pochette de mon téléphone portable. Je l'ouvris et y consignai toutes mes découvertes ainsi que mes suppositions. Judicaëlle avait évoqué les passages dans les murs. Ce devait être une réalité car Aodren m'en avait vaguement énoncé l'existence lorsqu'il m'avait proposé de prendre la chambre de l'Ermite. Trouver les « cartes » faisait parti des autres priorités que je me fixais.
Dans un premier temps j'inspectai tous les murs de ma chambre. Je frottai toutes les surfaces de mes paumes à la recherche d'un éventuel mécanisme. Rien de notable. J'étais frustrée. Les pas d'Ophélie résonnaient dans le couloir. Je m'enfermai à clé pour ne pas être dérangée.
J'ouvris mon ordinateur et lançai de la musique pour me couvrir. Je pouvais désormais faire autant de bruit que je le souhaitais. J'inspectai les sols avec minutie. Rien de particulier non plus. Après une bonne trentaine de minutes ma patience était déjà épuisée. Blasée, je m'affalai sur mon lit.
La pièce s'était assombrie avec la fin de journée. Les leds de mon réveil brillaient dans le noir. Me vint en mémoire Judicaëlle qui m'avait effrayée. Je me plaçai là où elle s'était tenue. Elle ne m'avait pas regardée moi. Elle avait bloqué face à elle, soit au-dessus de ma tête. Vers un miroir décoratif accroché au mur.
En observant la pièce de cet angle, à travers le miroir, j'aperçus une très légère irrégularité dans la tapisserie qui ornait le fond de la chambre, près de la salle de bains. On aurait dit que la moulure de la porte menant à la salle d'eau était très légèrement déformée. Je mis en route la lampe torche de mon téléphone avant de m'en approcher.
En glissant mes doigts le long de la boiserie, je pu sentir une sorte de bouton. C'était si léger et si bien intégré qu'il était quasiment impossible de le déceler. Je l'actionnai. Un pan de mur se releva dans un raclement de pierre assourdissant. J'avais été maligne de mettre la musique très fort.
L'ouverture ne permettait pas de passer debout, il fallait se plier en deux. J'éclairai le passage ainsi découvert. Un long couloir en pierre, poussiéreux, plein de toiles d'araignées, avec ici et là des poignées en bois qui dépassaient. Je m'aventurai lentement dans ce chemin. L'accès à ma chambre se referma soudainement derrière moi, me prenant par surprise. Je tentai de le rouvrir en baissant l'anse en bois près de là où j'étais passée. Les pierres se soulevèrent à nouveau. J'avais compris le fonctionnement du système d'ouverture. Simple, mais efficace.
En tapotant sur mon écran je vis que je n'avais qu'une heure pour explorer avant que les invités nous rejoignent. J'avançais à tâtons tout en écrivant des informations pour me souvenir du point d'origine de ma marche. J'essayais d'envisager à quelles pièces telle ou telle poignée correspondait. Le première devait assurément mener à la chambre d' Aodren.
Au bout du couloir se trouvait un croisement avec un appareil étrange. Une manivelle en métal rouillé au mur s'avérait avoir un lien avec une passerelle au fond d'un renfoncement. C'était trop haut pour que je puisse sauter. J'agrippai l'objet et le faisait tourner. Du moins c'était ce que je m'évertuai à faire. Étant donné que mon essai n'aboutissait pas dans ce sens, je tâchai l'inverse.
En y mettant toute ma force la plate-forme vibra avant d'entamer une lente remontée. J'y mettais tous mes efforts jusqu'à ce qu'elle atteignit mon niveau. Elle était dotée d'un mécanisme qui lui permettrait de redescendre en suivant le même procédé. L'insouciance due à mon jeune âge m'évita d'hésiter à m'engouffrer dans l'appareil. Toute personne ayant un minimum de jugeote aurait au préalable testé l'état du bois pour s'éviter une chute dangereuse. Je n'avais pas songé une seconde à cet aspect. J'étais une aventurière et le temps m'était compté.
Une fois l'étage inférieur atteint, je me rendis compte que je pouvais encore descendre d'un palier. Pourtant je pris la décision d'explorer cette partie avant d'aller plus profondément dans les entrailles de cette demeure. Le sol était plein de terre. Je marchais à tâtons. La lumière avait beau être puissante, c'était insuffisant pour me déplacer sans hésitation.
Une poignée indiquait la présence d'une porte. J'entendais des bruits. En collant mon oreille, des sons me firent déduire que la cuisine devait se trouver derrière. Je poursuivis ma route. Une seconde apparue; des voix retentirent. La grande salle. Plus loin, une troisième en bout de couloir. Aucun bruit. Je l'actionnai. En se soulevant, le pan de mur remua un nuage de poussière. Je toussai.
Une gigantesque salle se trouvait là. Je pus sans souci la situer dans la maison. Ce devait sans aucun doute être la pièce derrière la double porte de la salle de réception. J'entrai et découvris une immense pièce dont les murs étaient parés en pierres bleues. Sa forme en arc de cercle donnait au lieu un air solennel, d'autant que l'espace était divisé par des arches enjambant chacune un siège en bois, ressemblant à un trône. Il y en avait vingt-deux. Deux d'entre eux, plus massifs et imposants, étaient disposés tels les maîtres des lieux. On aurait dit une salle du trône.
Les arches étaient décorées de tentures en velours bleu royal. Je m'approchai d'un de ces sièges et l'inspectai. Une icône étrange était gravé sur le haut. En les observant les uns après les autres je réalisai qu'ils n'en avaient pas en commun.
Je m'arrêtai pour détailler le motif de l'un d'eux. Une étoile. Le suivant était une lune, puis un soleil et après je distinguai une balance. C'était très étrange. Sous les dessins je pus lire des chiffres romains. Ainsi j'avais donc exploré les numéros dix-sept à vingt. Je notais scrupuleusement sur mon carnet toutes ces informations en reportant chaque image à son signe numérique.
Ils étaient tous dans l'ordre, sauf les deux excentrés, le quatre et le neuf qui étaient illustrés par des couronnes sensiblement différentes. Mon téléphone se mit à vibrer. Aodren. Il cherchait à me joindre. J'espérai qu'il ne soit pas devant ma porte. Je ne répondis pas.
« Ma famille est là. Peux-tu descendre s'il te plaît ? » était son message.
« Ok. Je finis de me préparer, je fais au plus vite. »
Je rebroussai chemin, dans le dédale des passages pour me retrouver dans ma chambre dans laquelle mon ordinateur hurlait de la musique pop coréenne. Je me saisis d'une tenue élégante, car mon pantalon était tout crasseux suite à mon escapade. Je filai me faire une beauté pour faire bonne impression. Je cachai mon carnet.
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