Sibylle (Chapitre 11)
Cela faisait trois jours que Sibylle marchait plein est en regardant toujours devant elle pour se diriger vers les nuages de fumée qui apparaissaient toujours au loin. Elle s'en était bien rapproché après la traversée du dernier village en cendre qui lui avait pris un jour entier.
La jeune femme y pensait encore lorsqu'elle trébucha soudainement et tomba rudement à terre.
-Aïe...
Sibylle avait instinctivement retenu un cri de douleur en heurtant violemment le sol mais elle porta malgré elle la main au ravageur à son coup en ravalant de justesse un affreux juron.
Son sac à dos avait glissé quelques pas plus loin de son épaule et elle se redressa lentement, maudissant le trou qui venait de la faire tomber.
Elle se trouvait au milieu de ruines de ce qui avait dû être jadis une villa de luxe en hauteur à l'écart du plus proche village. Il ne restait que la trace d'une ancienne route couverte par une végétation étouffante et des pans de murs de verre fondus. Un paysage cauchemardesque auquel Sibylle tentait de s'habituer vaille que vaille...
La jeune femme voulut se relever mais alors qu'elle se mettait debout, elle sentit un violent élancement à sa cheville et retomba à terre.
Furieuse contre elle même, elle s'assit alors avant de se pencher en avant pour venir palper son membre abîmé.
-Foulure... Et mince, qu'est-ce que je fais maintenant moi ?
Elle en aurait pleuré si elle n'avait pas été aussi décidée et par ailleurs exténuée.
Partir à la recherche d'hypothétiques survivants d'Astra était une idée ridicule... mais elle y avait tant tenu ! S'il y avait des personnes, des êtres humains, des robots ou même des dragons... Alors ils auraient une chance de plus de récupérer leur planète s'il y avait un nouvel affrontement !
Sibylle avait voulu désespérément y croire mais elle n'était plus sûre de rien à cette instant tandis qu'elle s'efforçait malgré la douleur de masser délicatement sa cheville gauche.
De la crème... Elle devait en avoir dans la trousse de secours de son sac...
Sibylle voulut se retourner vers sa droite sur l'herbe trop foncée mais fronça alors les sourcils, n'apercevant soudain pas son sac à dos.
Alors qu'elle commençait à prendre conscience d'une présence derrière elle et à instinctivement paniquer, elle entendit un léger rire et une remarque lâchée d'un ton ironique :
-Ce ne serait pas cela que tu chercherais Al' par hasard ?
Sibylle ne put se retourner tout de suite ni répondre, hésitant entre une grimace d'agacement et un franc éclat de rire. Elle finit par opter pour cette dernière solution et ce fut avec un regard brillant d'amusement à son tour qu'elle se retourna vers le jeune homme :
-Tu ne peux jamais me lâcher hein, Carlys ?
Il haussa les épaules en lui tendant son sac qu'elle attrapa d'une main ferme.
-Franchement, c'est toi qui m'a demandé de venir je te rappelle. Quand j'ai vu que tu avais disparu sans prévenir, j'avoue que j'ai failli mal le prendre...
Sibylle songea que c'était en effet la première fois qu'elle le voyait proche de l'exaspération et elle se sentit coupable. La situation était étrange, eux deux seuls au milieu de ruines à l'écart de tout, mais cela lui était égal pour l'heure.
-Carlys, je suis sincèrement désolée. Tu as raison, c'était mal de ma part...
Elle venait seulement d'imaginer toute la peur qu'elle aurait ressentit si son ami était parti de la même façon sans prévenir. Il esquissa alors un petit sourire et s'agenouilla devant elle tandis qu'elle sortait de son sac sa crème apaisante et commençait à l'étaler lentement sur sa cheville.
-Pas grave. J'ai eu le temps de me calmer... En revanche je suis crevé. J'ai dû marcher très vite pour avoir une chance de te rattraper.
Sibylle releva son regard pâle vers lui et demanda :
-Je ne comprends pas, tu as quitté seul le camp ?
Carlys laissa passer quelques secondes de silence tandis qu'un vent léger venait soulever les courts cheveux de la jeune femme qui les remit en place d'un geste nerveux avant que son ami ne reprenne la parole.
-On a eu un léger problème avec les gardes eriquiens. Normalement nous ne sommes pas censé sortir de la zone qui nous a été concédée, c'est marqué sur tout un tas de documents officiels que tu as royalement ignoré, princesse. Ils nous ont consigné dans nos tentes et toute fuite à plusieurs semblait exclue... Ils auraient pu le prendre comme une menace et nous ne sommes clairement pas en position de force. Et puis je t'avoue que je n'étais pas le seul à t'en vouloir de ce soudain départ malgré le respect qu'ils ont tous là-bas pour ton statut... On a voté et il a été décidé à une voix près que nous ne tenterions pas d'aller à ton secours. Évidemment, tu me connais, moi et les règles, ça fait deux. Résultat, j'ai filé dès que j'ai pu avec la complicité de l'homme qui t'a parlé des dragons. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça, mais je l'en ai remercié. Voilà tout... Après pour te retrouver il ne me restait plus qu'à marcher le plus vite possible en direction de la fumée à l'horizon...
Sibylle releva vers lui un visage à la fois souriant et plus désolé encore que quelques minutes auparavant.
-J'ai été stupide de penser que je pourrais faire ça toute seule. Merci beaucoup d'être venu Carlys... D'autant que nous aurions pu ne pas nous retrouver.
-Je suis doué en orientation donc il n'y a pas de problème, contrairement à d'autres !
Sa plaisanterie arracha un léger rire à Sibylle qui eut cependant l'impression que le jeune homme cachait son émotion réelle derrière son sourire malicieux.
Elle se força cependant bien vite à revenir à d'autres pensées et désigna sa cheville d'un mouvement las :
-Je ne vois pas comment on va continuer à avancer Carlys... Je ne peux plus marcher.
-Tu tiens vraiment à aller voir la source de toute cette poussière à l'horizon ? Je suis sûr qu'il n'y a rien de plus que quelques incendies qui brûlent encore...
-Après tout ce temps ?
-Selon les recherches eriquiennes les derniers se sont éteints extrêmement récemment. Ils ont pu se tromper...
Sibylle hésita longuement tandis que son regard faisait pensivement le tour du paysage désolé qui les entourait. Ils arrivaient en fin d'après midi et elle laissa échapper un soupir avant de reprendre d'un ton résolu :
-Non. Je veux aller voir, tu as probablement raison mais... sinon j'aurais toujours mes espoirs et mes doutes. S'il n'y a rien à espérer, je veux m'en rendre compte maintenant.
Carlys, toujours assis devant elle, ébaucha un sourire de nouveau presque narquois et demanda :
-Ah oui ? Et comment compte faire mademoiselle pour avancer jusque là bas ?
Sibylle ne put s'empêcher de rougir. Par certains côtés, elle était exactement comme son frère. Même si elle savait mieux gérer que lui les contacts humains, elle n'était pas aussi spontanée que la plupart des gens concernant l'amitié et le rapport à l'autre. Ce qui amusait visiblement Carlys et lui donna envie à elle de retrouver sa mauvaise humeur.
-Eh... Tu pourrais me porter ? Je suis légère...
Le sourire du jeune homme s'agrandit et Sibylle détourna les yeux, furieuse de sa gêne et du rire du garçon.
Carlys finit par répondre sans aucun soucis de faire ou non un compliment douteux :
-D'accord tu es carrément maigre. Mais tu es lourde quand même petit cœur...
-Alors là si tu m'appelles encore une seule fois comme ça...
-Mmm... Mais ce n'est pas censé être terriblement romantique que je te porte dans mes bras ? Ça m'autorise à t'appeler petit cœur je trouve.
-Carlys je vais...
-Tttt attention p'tit cœur, je rappelle que tu as absolument besoin de moi pour les prochains jours...
Il venait de la couper dans ses effets et elle détourna son regard rageur pour pester en silence. Carlys n'avait jamais paru autant s'amuser qu'à cet instant mais il finit par redevenir grave et par se relever avant de lâcher :
-En revanche pour être un peu plus sérieux, je ne suis pas un surhomme non plus. Je peux te servir de canne mais on ira vraiment pas vite comme ça...
Ils n'avaient pas d'autre solution de toute façon et Sibylle regretta de ne pas y avoir pensé plus tôt. L'idée était bien plus enthousiasmante que celle de devoir supporter le regard moqueur de Carlys s'il l'avait effectivement portée.
Quelques minutes plus tard, elle reprenait son sac à dos après avoir serré un bandage de fortune autour de sa cheville -et catégoriquement refusé l'aide de Carlys- et ils purent se remettre en route, le jeune homme marchant lentement et elle clopinant à ses côtés, accrochée désespérément à son épaule pour ne pas trop appuyer sur sa cheville douloureuse.
Les prochaines heures allaient être un supplice mais Sibylle avait appris depuis longtemps à contenir sa douleur et à ne pas la montrer. Et puis, elle n'était plus seule, et cela lui apportait soudain un certain réconfort.
Ce fut quelques heures plus tard que Carlys reprit la parole.
-Ouf... Sib' je n'en peux plus...
Il faisait de toute façon maintenant nuit et la jeune femme respirait elle même difficilement, un terrible poing de côté lui déchirant le bas du ventre.
-D'accord... On va jusqu'au ruines là devant et on s'arrête pour la nuit ?
Carlys acquiesça et ils avancèrent ensuite silencieusement jusqu'à l'endroit désigné par la jeune femme. Un instant plus tard ils se laissaient tomber au sol et Sibylle laissa échapper un soupir de soulagement en même temps que son ami.
Il faisait totalement nuit maintenant et de toute façon continuer à avancer dans ses conditions était impossible.
Carlys se releva néanmoins quelques minutes après et Sibylle demanda en se retournant brusquement vers lui.
-Où tu vas ?
-Simplement chercher du bois ou quelque chose de bon à brûler...
Il s'enfonça ensuite sans se retourner dans l'ombre des ruines et Sibylle sentit une inquiétude sourde la gagner, regrettant sa soudaine solitude, mais le jeune homme ne tarda pas à revenir tenant à bout de bras du petit bois.
Il en fit un tas rapide devant eux et Sibylle sentit un soudain amusement la gagner lorsqu'il sortit un briquet de sa poche pour allumer le feu.
-Depuis quand tu sais faire ça toi ?
Carlys ne répondit pas tout de suite, soufflant sur les bûches pour aider le feu à partir. Ce ne fut que lorsqu'une petite flamme joyeuse s'éleva devant eux qu'il recula avec un sourire de satisfaction et répliqua :
-Depuis que j'ai été avec Edward en Egrabe. Les habitants se chauffent tous comme ça donc j'ai finis par apprendre...
Sibylle fronça le nez d'un geste curieux puis se rapprocha instinctivement du feu et du jeune homme pour se réchauffer.
-Tu appréciais Edward ?
-Beaucoup. Et je crois que si tu mettais de côté tes préjugés contre un prince eriquien, il te plairait beaucoup à toi aussi. Il est intelligent, et veut le meilleur pour les siens... En fait, il te ressemble.
Sibylle détourna les yeux pour fixer de nouveau son regard sur les flammes qui semblaient danser devant son regard brillant.
-Je l'ai croisé. Je crois effectivement que c'est quelqu'un de bien... Mais que nous ne nous entendrons jamais à cause de tout ce qui nous sépare.
-Sibylle...
Carlys l'avait interpellée d'une voix beaucoup plus douce que de coutume et totalement dépourvue de malice. Il poursuivit :
-Ne crois tu pas qu'un jour toute cette guerre sera terminée ? Alors qu'est-ce qui t'empêchera de te lier d'amitié avec un prince eriquien ?
La première chose qui vint à l'esprit de Sibylle ce fut qu'elle ne croyait pas vraiment qu'un tel jour soit possible. La seconde fut une pensée pour son frère.
Si seulement cela pouvait arriver... Elle savait très bien que même s'il essayait de le cacher Rodolphe souffrait de sa séparation d'Aileen et de leur fils secret qui ne connaissait même pas l'identité réelle de son père.
Pourquoi était-il tombé amoureux de la reine ennemie ? Oh, le destin était injuste ! Sentant peser sur elle le regard inquiet de Carlys, Sibylle se décida à reprendre la parole.
-J'espère qu'un tel jour sera possible, sincèrement...
Elle frissonna dans l'ombre de la nuit et Carlys vint étendre son bras autour de ses épaules sans prendre garde pour une fois à la douleur qui devait déferler en elle, semblant deviner qu'à cet instant elle avait plus besoin de réconfort que de tout autre chose.
Sibylle ne réfléchit pas pour une fois et laissa ses émotions prendre le dessus. Elle se pencha vers l'épaule de son ami et y laissa sa tête retomber doucement, les yeux toujours vrillés sur les flammes devant elle oranges et toujours dansantes.
Elle murmura sans même totalement s'en rendre compte :
-Quand j'étais petite, Rodolphe et moi nous adorions les feux comme celui-ci... Alors qu'évidemment nous n'en avions pas besoin comme en Egrabe. Mais Papa prenait chaque année un jour de vacances où il ne s'occupait plus d'affaires d'état. Maman aussi... Et nous allions alors tous les quatre en équipée pendant quelques heures dans la nature avec un pique-nique et des pommes de terre que nous faisions cuire sous la cendre chaude. Le soir Papa nous chantait des comptines pour nous endormir et maman nous racontait en l'accompagnant à la guitare qu'ils auraient monté un groupe de musique ensembles tous les deux si mon père n'avait pas été héritier d'Astra...
Sibylle ne savait pas pourquoi elle parlait ainsi mais elle se serra un peu plus contre Carlys, revoyant dans les flammes devant elle déferler tous ses souvenirs. Elle poursuivit d'une voix à peine audible :
-Et puis ils sont morts. Et plus tard nous sommes partis d'Astra pour toujours et j'ai perdu mon oncle, dont j'étais encore plus proche car comme ils étaient trop occupés le reste du temps c'était lui qui s'occupait de nous. Et ils ont brûlé Astra ! Je détestais le feu depuis... mais le tien est différent. Il me rassure... C'est comme s'il éloignait mes démons. Je ne sais pas si tu peux comprendre.
Elle avança la main et se détacha de l'épaule du jeune homme silencieux à ses côtés pour se pencher vers les flammes, hésita un instant puis retira ses doigts à quelques centimètres du feu brûlant.
Sibylle se tourna vers Carlys et croisa son regard en lui trouvant soudain une étincelle surprenante chez lui, différente. Il paraissait ému et elle en eut la confirmation lorsqu'il lui répondit d'un ton rauque :
-J'espère toujours réussir à écarter tes démons.
Ils restèrent un long moment à se regarder, leurs visages simplement éclairés par la pâleur lunaire, les étoiles et la rougeur des flammes. Et puis Sibylle détourna brusquement les yeux.
Qu'est-ce qui n'allait pas chez elle ? Pourquoi son cœur s'emballait-il bizarrement et se sentait elle étrange ?
Elle fronça les sourcils et enfonça ses mains dans la terre meuble à côté d'elle. La douleur qui déferla aussitôt plus fortement en elle lui ramena toute sa raison et sa certitude qu'aucun futur ne l'attendrait jamais. Elle ne voulait que Carlys pour ami, et rien de plus, car un jour lorsque tout serait fini elle partirai sans se retourner pour toujours...
La gorge de nouveau sèche, ne pouvant plus regarder les flammes devant elle songea à son oncle. Ils avaient tous deux changé depuis la prison et Sibylle n'aspirait plus qu'à s'éloigner de lui pour ne pas le faire souffrir car elle savait que lui pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert et savait très bien qu'elle n'avait plus envie de vivre.
Au lieu de résumer à voix haute ses sinistres pensées, Sibylle demanda sans regarder Carlys, une légère rougeur envahissant ses joues :
-Je peux dormir sur ton épaule ? S'il te plaît...
Le jeune homme ne lâcha pas de plaisanterie comme elle le craignait mais entoura de nouveau son épaule de son bras pour toute réponse. Alors elle ferma doucement les yeux et se serra contre lui, revenant s'appuyer sur son épaule sans plus réfléchir et en abandonnant l'idée de contrôler toutes ses peurs. Ce geste était contraire à toutes ses résolutions, mais aussi sa seule concession à un désir inavoué de l'aimer davantage.
Elle s'endormit les traits crispés en une grimace inquiète, sous le regard pensif et impénétrable de Carlys, la fixant tantôt elle tantôt le feu devant eux.
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