- Voici donc notre candidat, résume un matin Mayvin en observant un animal qui est à peu près trois fois leur taille. Appelons-le Purgatorius.

- Résumons notre ligne de mission, déclare Jiork.

- Nous l'avons fait de nombreuses fois ! Pourquoi recommencer ?

- Car, il faut être sûr de notre choix et savoir où nos germes devront l'influencer. N'oublie pas que nous ne pourrons communiquer entre nous avant une très grande période, puisque nous n'avons pas l'appui d'un nerculéen.

- D'accord, soupire Mayvin qui appréhende beaucoup ce silence neuronal, et elle commence :

- Purgatorius est de petite taille et il a la peau recouverte de téguments poilus emprisonnant une mince couche d'air, en cela il est bien mieux que nous avec le climat qui varie de plus de plus, commente-t-elle avec un frisson en se serrant sur son compagnon.

- De plus, il a un métabolisme stable qu'il doit veiller à conserver comme tel, complète Jiork. Ceci l'oblige à une alimentation continuelle durant les deux tiers de son temps. Il consomme des insectes - chacun ses goûts - ce qui lui apporte une grande charge d'énergie. Cependant, il devra diversifier son alimentation pour pouvoir faire face à une pénurie et aussi profiter de tous le types de milieux, de glaciaire à désertique.

- Tant mieux car je n'aime pas trop ces petites créatures à multiples pattes, alors imaginer en manger ! rajoute la dérivatrice sous le regard amusé de son compagnon qui reprend la suite :

- La reproduction est sexuée et la femelle conserve ses petits en son sein jusqu'à une plus grande maturité que les autres espèces que nous avons observées, qui conservent le développement extra-utérin dans un œuf à coquille rigide ou molle. De plus, à la naissance, les petits se font nourrir par un liquide sécrété par la femelle.
- ...
- Tu as des commentaires ? questionne Jiork face au silence de sa compagne.
- Non, aucun. C'est plus sécuritaire mais demande un plus grand investissement des femelles. N'est-ce pas ?
- Ne soit pas si vindicative, murmure Jiork en frottant son museau dans son cou. N'oublie pas que nos germes sont asexués lors des dérives. Je vivrai tout ce que tu vivras et inversement. À de multiples exemplaires. Femelle ou mâle, peu importe. Pour un plus grand spectre d'évolution, il faudra d'ailleurs inciter Purgatorius à chercher refuge dans les arbres, surtout si on se dirige vers les plaines, là où la richesse biologique est plus grande et variée. Il se mettra plus facilement à l'abri des prédateurs. Il se cache actuellement dans des terriers et y passe une bonne partie de son temps.
- Nous garderons ces abris pour la mise bas et l'élevage des petits. Il n'a pas encore la capacité de fabriquer un abri ?
- Non, nous développerons donc sa préhension des membres antérieurs en premier lieu, son équilibre ainsi que sa vision tridimensionnelle. La station debout sur les membres postérieurs sera un atout non négligeable à lui offrir. Il sera à même de mieux voir les prédateurs et ses proies. Il lui faudra devenir chasseur si on veut qu'il ait l'apport énergétique nécessaire à son évolution.
- Bonne idée, c'est toi le meilleur spécialiste en techno physiologie.
- Merci du compliment ma bien-aimée, répond Jiork, mais j'ai bien peu de concurrence. Et que pense la spécialiste en bio sociologie ?
- Que lorsque la descendance de Purgatorius apprendra à vivre en clan, tu pourras aussi le conduire à fabriquer des outils pour compléter ses capacités. Aussi, dans la plaine ou même ailleurs, nous pourrons l'inciter à bâtir des abris, des milieux de vie plus élaborés et à s'organiser en petits groupes. Ils pourront alors perfectionner leur communication et ainsi transmettre leurs connaissances et savoirs. Les clans permettront de protéger et d'assurer les apprentissages des descendants, qui en auront de plus en plus à acquérir. Ensuite, nous devrons...
- Je crois que cela résume assez bien les buts de cette dérive, interromps Jiork en l'encerclant de sa patte. Tu es rendu bien loin dans nos projets. Je sais que cette dérive est particulière mais je crois que nous sommes prêts.

- Il y a place à tant de variables dont nous ignorons l'existence et l'impact, murmure tristement Mayvin. Si nous ne réussissons pas, nous risquons de ne jamais côtoyer un être qui nous permettra de reprendre un contact neuronal, toi et moi, depuis nos germes. Il nous épuisera et nous serons muets à tout jamais.

- Mais nous aurons tout essayé pour produire l'être le plus complet depuis l'organique de cette planète. Nous ferons partie intégrante de lui et le hasard des probabilités de la dérive naturelle nous ramènera toujours l'un vers l'autre...

Jiork rajoute en plongeant ses prunelles dorées dans celle de sa compagne :

- ... et cela, je te le promets ma douce Mayvin, au nom de la Grande nébuleuse de notre enfance.

Ils restent ainsi, enlacés dans ces organiques de Banshok qu'ils ont apprivoisés depuis le temps qu'ils y sont intégrés. Leur communion est, de toute façon, bien au-delà de l'apparence.

Et alors que l'étoile de ce monde fait s'évaporer les dernières brumes de rosée de ce dernier matin de leur monde, le dérivateur susurre pour Mayvin :

- Maintenant, que nous avons ré-établi nos buts, je propose de profiter du reste de cette journée pour être ensemble et, de savourer chaque instant.
- Nous dériverons...
- Demain ma douce, seulement demain.