Jour 2 - Élixirs enchantés
— C'est toute la marchandise ?
Nora leva la tête bien haute et refusa de répondre. Le garde soupira, et réitéra sa question avec plus d'incisivité. La sorcière resta désespérément silencieuse. Elle s'autorisa même à lui tirer la langue, ce qui ne fit que tendre un peu plus l'atmosphère de cette fin d'après-midi déjà bien problématique.
Se faire réveiller à six heures du matin par les chiens de garde du roi, ce n'était jamais très agréable. Nora devait le reconnaître, elle n'était pas toute blanche, mais quand même ! Ses élixirs d'amour étaient presque légaux ! Ce n'était pas de sa faute si un crétin de nobliau avait été incapable de lire la notice d'utilisation et avait fini par s'enmaroucher d'une vache au lieu de la jolie damoiselle à laquelle il s'était promis tout seul sans consentement.
Sa famille demandait maintenant réparation après que la vache ait donné naissance à une abomination mi-homme, mi-taureau. Comme si c'était la première fois que ça arrivait. Personne ne connaissait la légende du minotaure ? Ils avaient qu'à enfermer l'enfant dans un labyrinthe et ça aurait fait bondir le tourisme dans la région, voilà tout.
Mais non, non, il avait fallu qu'on s'en prenne à la sorcière qui avait créé l'élixir parce que Papa et Maman nobliaux étaient incapable de remettre leur fiston chéri à sa place, dans l'étable où il appartenait désormais. Et puis, c'était quand même une opération de sauvetage. Le petit pervers, s'il avait besoin d'une potion pour se faire reluquer, c'est que la gamine voulait pas de lui et l'avait envoyé paître.
— Comment rendre la raison au garçon ? lui demanda une nouvelle fois l'inspecteur.
— Une bonne torgnole et une leçon sur le consentement aurait pu faire l'affaire avant tout ça. Qui cherche la merde, mange la poussière. Je peux rien pour lui. C'était écrit une goutte sur le flacon, il a pris toute la bouteille. Souhaitez-lui bon vent avec sa vache et oubliez-le. S'il en est séparé, il crèvera d'un chagrin d'amour.
— Vous êtes vraiment abominable ! cria la mère éplorée. Vous avez changez mon Jean-Eude en monstre !
— Fallait penser à l'éduquer avant qu'il tombe amoureux de sa vache. Maintenant vous avez plus qu'à renoncer à vos titres et vous exilez loin d'ici, parce que c'est vachement la honte quand même. Sans mauvais jeu de mot.
— Comment osez-vous plaisanter en ces temps sombres ? Gardes ! Brulez-la ! Elle a ensorcelé mon Jean-Eude !
La sorcière soupira, et se laissa traîner vers le bûcher sans sourciller. Vraiment ? Elle allait mourir pour une histoire de bouse de vache ? Elle ? Jamais de la vie ! D'un geste habile, elle saisit une petite fiole attachée à sa bourse et la jeta sur le sol. Son corps s'agita de spasmes et elle grandit, grandit, jusqu'à devenir dragon.
D'un pas pressé, elle bondit de bâtiment en bâtiment, ignorant les cris d'orfraie de tous les nobliaux de la haute cité. Elle rejoignit les champs et, sans plus de cérémonie, se jeta sur la vache de la discorde qu'elle avala toute crue. Jean-Eude, voyant l'amour de sa vie disparaître dans le gosier d'un monstre, ne put le supporter, foudroyé d'un coeur brisé.
L'affaire fut ainsi réglée. Plus de vache, plus de Jean-Eude, plus de problème. La sorcière décida quand même de s'exiler quelques mois, histoire d'être sûre qu'on ne lui casse plus les noix (et éviter un contrôle fiscal qui lui serait un peu trop défavorable).
Seul resta le minotaure, oublié de tous et orphelin, qui se promit qu'un jour, il se vengerait de son funeste destin.
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