Chapitre 9 : La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre (partie 1)
Kalum se faufila par l'ouverture de la porte. Linaëlle, assise dans un fauteuil et la tête entre ses mains, ne l'entendit pas entrer. Il s'approcha et s'agenouilla à ses pieds. Sa mère sursauta quand il posa ses mains sur ses genoux. Son premier réflexe fut de le repousser, physiquement et avec sa magie d'aura, mais il résista et posa sa tête sur ses jambes, comme il le faisait quand il était plus jeune.
Elle passa une main tremblante dans ses cheveux, se détendit un peu. Le contact physique ne lui permettait pas de maintenir ses barrières avec lui. L'adolescent sentit la colère, mais surtout l'immense tristesse et la crainte qui l'habitaient.
– Tu as peur pour Elerinna, devina-t-il.
Le jeune garçon sentit la main se crisper sur son crâne. Il releva la tête, croisa ses bras sur les genoux de sa mère et leva les yeux sur les siens, à la pupille verticale.
– Je l'ai rencontrée la nuit où Vélinol est tombée. Elle ressemble beaucoup à Emelyn. Pourquoi est-ce que tu n'es pas encore partie la chercher ?
– Justement parce que Vélinol a besoin de moi, soupira sa mère. Et vous aussi.
– Tu ne peux pas rivaliser en puissance avec des Dieux, Maman.
– Non, mais je suis la seule à pouvoir les retenir le temps que les renforts arrivent. Ils étaient là, le soir où l'École a brûlé.
– Je sais, je les ai vu...
Linaëlle secoua la tête, une ombre de sourire au coin des lèvres.
– Tu es peut-être le plus perspicace de tous les habitants de cette cité.
– Tu ne me feras pas croire que personne ne les a vu ou entendu ! On aurait crû un immense feu d'artifice ! se récria Kalum.
– La magie des Dieux est capable de beaucoup de chose, mon chéri.
Son regard s'égara et elle serra les poings.
– Il faut que j'aille la chercher.
– Tu n'iras nulle part, Linaëlle.
Mère et fils sursautèrent. Elmira se tenait dans l'encadrement de la porte, un carnet à la main. Comme Linaëlle s'apprêtait à protester, la Reine-mère s'avança et lui tendit le livre.
– Dernier paragraphe, précisa-t-elle.
– « Le cristal continue de livrer ses visions malgré la chute de Vélinol. » lut sa fille. « Chaque fois que je le consulte, je ne vois que chaos et destruction. Si ces évènements doivent survenir, il est impératif que Linaëlle reste à Dopalis. Elle est... ». Ça s'arrête là, pourquoi ?
– C'est daté du jour de l'incendie, elle n'a probablement pas eu le temps de terminer, murmura Elmira en reprenant le journal.
– Maman, c'est ridicule, tu ne peux pas...
– Croire ce qu'elle écrit ? l'interrompit la Reine-mère. Et pourquoi pas ? Je n'ai pas souvenir qu'elle se soit jamais trompée, surtout à ton propos.
– Mais sur quoi base-t-elle cette affirmation ?
– Je l'ignore, je me suis seulement intéressée à la dernière entrée, je n'ai pas encore eu le courage de lire le reste, souffla sa mère.
– Maman, intervint Kalum, tu viens de le dire toi-même, nous avons besoin de toi ici.
– Vous ne comprenez pas, murmura Linaëlle. Elle est à Karth, il peut lui arriver tellement de choses ! Elle a déjà eu tellement peur, elle est blessée... Je ne peux pas la perdre, et le monde non plus. Pas après ce qu'il est arrivé à Tillia.
Elle se leva, les poings serrés, tendue vers la fenêtre. Des écailles se dessinaient sur son visage, elles étaient à deux doigts de se métamorphoser. L'adolescent recula, effrayé, mais sa grand-mère s'approcha et posa ses mains sur les épaules de sa fille.
– Linaëlle, respire. Respire, trésor et explique-moi.
La métamorphe ferma les yeux, inspira et expira plusieurs fois.
– Je la sens très loin à l'Est. Elle dort ou elle est inconsciente pour l'instant, mais elle a été blessée. Depuis plusieurs jours, elle est terrorisée en permanence. J'ai peur qu'il lui soit arrivé malheur, on raconte tellement de choses sur cet empire... Il faut que j'aille la sauver !
– Calme-toi, détruire cette pièce en te métamorphosant n'y changera rien. Tu ne peux pas y aller comme ça. Laisse-nous du temps, l'apaisa Elmira.
– Je peux être à Falm dans la seconde et partir de là-bas...
– Et voler plusieurs jours sans pause au-dessus de l'océan, au milieu des tempêtes d'hiver ?
– Elle a besoin de moi, gémit Linaëlle en posant sa tête sur l'épaule de sa mère.
– Je le sais mon trésor, mais ce n'est pas en fonçant tête baissée que tu lui apporteras ce dont elle a besoin. Donne-nous un peu de temps pour réfléchir, nous allons trouver une solution.
Kalum s'approcha de sa mère et lui prit la main. Lui aussi brûlait d'agir, mais sa grand-mère avait raison, ils ne pouvaient pas s'élancer sans réfléchir. Les notes d'Amalicia n'arrangeaient rien. Si Linaëlle restait bloquée à Dopalis, qui irait au secours d'Elerinna ?
Sentant la métamorphe plus calme, Elmira la relâcha et demanda :
– Où est Adam ?
– Probablement occupé à m'agonir d'injures à Falm, soupira Linaëlle. Son oncle a des affaires à régler là-bas. J'espère qu'il s'abstiendra de se lamenter auprès de Manoël, ou toute la Cour elmakaise sera au courant de cette histoire avant la fin de la semaine.
– Il est en colère mais pas idiot, il saura se taire, la rassura Elmira. En revanche, je crois qu'il est temps que tu racontes l'intégralité de cette histoire Linaëlle. Cela aidera tout le monde à mieux comprendre, à défaut d'accepter la situation.
Sa fille grimaça.
– C'est Papa et Cassildey ?
– Il fallait s'en douter, acquiesça la Reine-mère. Ils apprécient beaucoup Adam, et ce sont les premiers sceptiques de la famille.
– Ils ne connaissent pas encore un dixième des problèmes que cela va probablement créer, soupira Linaëlle. Enfin, tôt ou tard, il aurait fallu que je leur raconte, je regrette simplement que ce soit dans cette situation.
– Tu profiteras du repas pour nous expliquer.
– Kalum ? l'interpella Linaëlle.
L'adolescent sursauta. Il assistait à la scène en spectateur, se demandant quand il allait pouvoir exposer l'idée qui lui trottait dans la tête
– Oui, Maman ?
– Veux-tu aller chercher Vélinol et nos amis elfes ? Il sera utile qu'ils assistent au repas.
– À ce propos, Cathya ne pourra pas être présente, balbutia Kalum.
– Comment cela ? interrogea sa mère.
– Eh bien, il semblerait que Vélinol l'ai marquée et qu'elle soit en train de recouvrer ses pouvoirs, mais la prêtresse est dans les pommes...
– Depuis quand ? s'étonna Elmira.
– Eh bien, à l'instant en réalité. Juste avant que je vienne te trouver, Maman, j'ai été lui rendre visite. Cathya tenait absolument à rencontrer sa Déesse. Je les ai présentées et au moment où elles se sont touchées, l'elfe est tombée dans les pommes. Tamara a dit qu'elle en aurait pour un moment avant de reprendre connaissance. En revanche, juste après ça, Vélinol m'a parlé par télépathie directe.
– Je suppose qu'une manquante sur les trois n'est pas bien grave, il sera difficile de faire attendre les autres, surtout si il lui faut plusieurs heures pour s'en remettre... réfléchit Linaëlle. Ramène-les tout de même.
– J'y vais de ce pas.
Le jeune garçon revint sur ses pas. Il commença par les appartement attribués aux elfes et leur indiqua comment se rendre à la salle à manger par les passages dissimulés, tout en leur recommandant de se faire discrets. Il se rendit ensuite jusqu'aux appartements de Vélinol. La Déesse terminait de se restaurer mais se leva dès qu'il lui expliqua la situation.
– Je me contenterais d'écouter. Mais il est important que je sois présente, surtout si tu veux partir toi-même à sa recherche.
– Mais comment ? bégaya le jeune garçon, surpris.
– Oh je t'en prie, il n'y a pas besoin d'être devin pour comprendre, sourit Vélinol. Ta mère coincée à Dopalis, qui d'autre que toi pourrait, et surtout voudrait, y aller ?
– Dans ce cas, ne les faisons pas attendre.
Il lui tendit son bras et elle s'y accrocha. Kalum prit une allure rapide avant de se modérer en voyant que la Déesse avait peine à suivre. Il oubliait parfois qu'elle avait frôlé la mort de très près. Pourtant, son crâne encore nu aurait dû lui rappeler. L'adolescent l'entraîna à sa suite dans les couloirs secrets du château. Il ne voulait pas prendre le risque de croiser un domestique. Bras dessus, bras dessous, ils rejoignirent les elfes qui, grâce à un œilleton dissimulé, surveillaient la salle. Ils attendaient que les domestiques s'éclipsent pour entrer.
Tous les deux eurent un sursaut en réalisant qui se trouvait à leur côté. Vélinol leur adressa un sourire, et il n'en fallut pas plus pour faire briller les étoiles dans leurs yeux. Kalum remarqua cependant qu'elle ne souriait pas de la même façon qu'elle le faisait avec lui ou Tamara. Son expression laissait ressortir la sagesse et la supériorité qu'elle avait sur eux dans tous les domaines, comme pour les maintenir à une certaine distance. L'adolescent prit soudain conscience du fossé entre eux. Il la pensait son amie, mais ignorait tout d'elle.
Comme si elle percevait ses pensées, la Déesse posa ses yeux vairons sur lui. Il vit le reflet de son propre étonnement sur son visage et une once de tristesse dans ses iris dissemblables. Lui aussi adoptait son rôle de Prince quand il sortait du confort de ses appartements. Même s'il ne se cachait pas de sa famille, les deux elfes lui demeurait étranger, et il endossait la seule armure qu'il savait porter.
Un coup d'œil dans la salle à manger leur permit de s'aventurer sans risque dans la pièce. Sans réfléchir, Kalum entraina Vélinol à sa suite, à la place où il avait l'habitude de s'installer. Quand il réalisa qu'elle aurait probablement dû siéger à côté de Linaëlle ou du Roi, il se figea, mais elle continua et s'assit près de ses cousins. Personne ne fit de remarque et les elfes prirent place près de la Porteuse du Sang.
L'adolescent se rendit compte du silence inhabituel qui régnait dans la pièce. Personne ne touchait à son assiette, attentif à ce qui allait suivre.
– Très bien, souffla Linaëlle. Je suppose que tout le monde attends la même chose, alors ne faisons pas traîner l'affaire plus longtemps que nécessaire. Pour que vous compreniez tous les tenants et aboutissants, il faut que je remonte très loin dans le temps, à l'époque où les Dieux fréquentaient les mortels...
L'histoire qu'elle leur conta ensuite était celle d'une légende, sa légende. Celle d'une enfant survivante, élue par une Déesse, par la magie des Dragons et par le destin pour sauver le monde. Kalum connaissait déjà certaines parties de cette histoire, mais il n'aurait jamais imaginé en savoir aussi peu sur sa mère. Il l'écouta, fasciné, raconter les rivalités entre les Dieux, les batailles, les victoires, mais aussi la peur, la colère et le chagrin. Il comprit enfin l'admiration qu'elle vouait à Fiona et la lueur qui brillait dans ses yeux, qui avaient reçu l'enseignement d'êtres qui gouvernaient l'univers.
À la fin de son récit, un grand silence s'installa. Les assiettes à peine entamées avaient refroidi depuis longtemps.
– C'est incroyable, murmura Sollia. Pourtant, toutes les pièces du casse-tête s'insèrent parfaitement.
Des hochements de tête pensifs lui répondirent.
– Le lien que tu partages avec Delthéa, il est magique ? interrogea Cassildey.
– Si tu sous-entends par là qu'il est artificiel, c'est faux, le reprit Linaëlle. Cela n'a rien à voir avec un enchantement ou un philtre quelconque. Au contraire, il n'y a rien de plus fort et de plus naturel que le lien entre deux âmes sœurs.
– Mais, et Adam, alors ? insista le Roi.
– Je l'aime au même titre que Delthéa.
– Mais...
– Oh merde, Cassildey, c'est vraiment le seul truc que tu as retenu ? s'emporta Kalioska. Au cas où tu l'aurais oublié, cela fait des générations que les dirigeants de Colrith ont plusieurs épouses et même des compagnons, et ça n'a jamais empêché le monde d'avancer !
Mouché, le souverain se tut, sa belle-sœur élevait rarement la voix et quand elle le faisait, elle était bien plus redoutable que Sollia ou Xavier, pourtant réputés pour leurs envolées spectaculaire.
– Si on en venait au vrai problème, à savoir, pourquoi est-ce que nous n'avons pas déjà envoyé un bataillon récupérer la petite ? demanda Énora.
– Parce que Dagmar et Ulcanth la repéreraient dès que les soldats la trouveraient. Un aussi grand nombre de personne qui fait allégeance à une divinité en même temps, ils ne peuvent pas passer à côté.
– Accessoirement, ça mettrait en péril nos relations avec l'Empire de Kalar, marmonna Cassildey.
– Qui ont toujours été inexistantes, rappela Elmira.
– Mais les soldats peuvent ne pas faire allégeance à ta fille, non ? réfléchit Victoire.
– Ce n'est pas une question de choix... Tous les gens à porté de sa magie ayant connaissance de son existence sera... Paktroni est le terme adapté, il n'a pas d'équivalent dans cette langue.
– En réalité, les Dieux ayant besoin des sentiments bénéfiques des mortels pour exister, ils puisent spontanément dans ceux qui se trouvent autour d'eux, expliqua Fahyr. Les gens concernés émettent donc des ondes d'énergie en direction de la divinité et c'est cela que les autres immortels peuvent aisément repérer.
– Même si on leur cachait le motif de la mission ? envisagea Sollia.
– Infaisable, ils savent tous qu'il y a une nouvelle Déesse. Si ils arrivent à destination et récupèrent Elerinna, ils ne mettront pas longtemps à comprendre. Même en faisant en sorte qu'elle n'entre qu'en contact avec les officiers, il y a trop de risque que l'un d'entre eux vendent la mèche, argumenta Linaëlle.
– Faisons leur prêter un serment magique, proposa Xavier.
Sa sœur secoua la tête :
– Trop de conditions seraient nécessaires, même pour une seule personne. Et de toute façon, pour la repérer exactement, il faut un lien avec elle, par le sang de préférence.
– Alors pourquoi tu n'y vas pas ? s'étonna Sollia.
– À cause de moi, annonça Vélinol.
Les têtes pivotèrent aussitôt vers la Déesse, intriguées.
– Je suis également sujette au phénomène qui vous empêche d'envoyer trop de gens au secours d'Elerinna, reprit-elle. Même avec des pouvoirs balbutiants, je reste une divinité et quand les gens se rendront compte que je suis ici, leur énergie affluera en masse pour moi. Et mon père comprendra que je ne suis pas morte comme il le pense. Linaëlle possède un lien qui permet à Delthéa de savoir immédiatement ce qu'il se passe et d'agir en conséquence. Elle est la seule personne capable d'empêcher Dopalis, voir même le pays tout entier d'être rayé de la carte si mon père et mon oncle viennent ici lâcher leur colère.
– De toute manière, appuya Elmira, elle doit rester, Amalicia l'a vu dans le cristal.
– Le mien ? interrogea la Déesse.
La Reine mère hocha la tête.
– Je me demandais où il était passé, souffla Vélinol.
– Et c'est vraiment important de la récupérer ? tenta Cassildey.
Linaëlle le foudroya du regard et il continua :
– Ce que je veux dire par là c'est que, hormis le fait qu'elle soit ta fille et une Déesse, pourquoi ne pourrait-on pas la laisser là-bas ?
– Parce que si elle meurs, ce sera la fin du monde tel qu'on le connaît, déclara Fahyr.
– C'est possible de développer un peu pour les gens moins vieux et plus incultes ? ironisa Xavier.
– Il y avait huit dieux, donc huit points d'équilibre entre l'Ether et notre réalité. Quand Elerinna est née, un nouveau point s'est formé. Mais avec le décès de Tillia, un a été anéanti. Si d'autres disparaissent, cela déstabilisera l'Ether, d'où proviens la magie, y comprit celle qui parcourt le sol d'Arkholis, déclenchant des catastrophes en série. La magie s'affaiblira et disparaitra et avec elle, toutes les espèces magiques. Ne resteront que de rares humains survivant qui finiront en quelques siècles par oublier le monde d'avant et vivront sourds et aveugles au monde qui les entoure.
Un lourd silence suivit son petit discours.
– Sinon, quelqu'un a une brillante idée pour éviter l'apocalypse ? lança Xavier.
– Moi, je pourrais aller la chercher, se manifesta soudain Kalum.
Plop vous ! Il était temps non ? Oui, grand temps même !
Bref ! Toute mes excuses pour mon absence, mais entre les fêtes de fin d'année, les partiels et la reprise des cours, j'étais un chouilla occupé ! Mais je suis de retour et prête à en découdre !
Pour ceux que je n'ai pas encore croisé depuis, une bonne année, la santé, la réussite, croyez en vos rêves et croquez la vie à pleines dents ! Des bisous à tous, et à la prochaine ;).
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