Des huîtres et une libération
Afin de donner un peu d'ampleur dramatique à la scène qui va suivre, quittons nos protagonistes et adoptons un autre point de vue.
Gérald était le chef de l'exploitation des coquillages pour le compte de l'Empire légumineux. Il allait et venait donc sur son grand navire, se plaignant en permanence de tout et de rien : le vent, le froid, les embruns, la pluie, le soleil, les taxes, les pannes, le réseau 4G, les incapables qui étaient placés sous ses ordres, le manque de coopération des sujets de l'Empire.
« Vivement les vacances, dit Gérald.
Le navire mouillait à l'entrée du bassin. Une grue soulevait et embarquait des conteneurs de produits qui seraient ensuite expédiés en Hongrie, dans le château et la capitale de Rodolphe-Albert, en passant par un canal qui avait été creusé à cet effet à travers l'Europe.
— Vivement les vacances » soupira Gérald.
Il entendit un bruit métallique derrière lui. Quelqu'un marchait sur le pont ; il se retourna donc avec fureur, prêt à invectiver l'ouvrier qui aurait dû se trouver au travail. Mais il eut la surprise de faire la connaissance de Gudule.
Et d'un lance-patates de première qualité.
Gérald fut donc catapatapulté par-dessus bord, ce qui clôt la petite parenthèse concernant ce personnage.
CN et Robert se hissèrent sur le pont à la suite de Gudule, un peu mouillés parce qu'ils avaient dû nager sur le chemin.
« C'est un plan génial », dit CN en cherchant l'asticot du regard – celui-ci les avait certainement quittés en cours de route, sans doute pour aller retrouver directement JB.
Robert ne disait rien. Son sac d'huîtres claquait dans son dos avec détermination, et une musique particulièrement épique accompagnait ses pas sur le pont.
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Des légumes armés surgirent, encore des carottes ; ne leur accordant qu'un bref regard de dégoût, il les trancha en deux de quelques coquilles acérées. Puis il s'approcha d'un des conteneurs chargés, brisa la fermeture métallique et l'ouvrit d'un coup de pied. Gudule le suivait en complétant l'opération de nettoyage.
Il écrasa du pied des petits pois sauteurs qui essayaient de l'attaquer.
Un autre conteneur pendait au bout du câble de la grue, à quelques mètres d'une plate-forme flottante. Robert lança une coquille, la grosse boîte métallique retomba et s'ouvrit sous le choc.
« Je suis rentré, dit-il très bas.
Il laissa son regard faire le tour du bassin d'Arcachon.
— Plus un zeste ! L'interrompit un citron pressé.
Rodolphe-Albert devait accorder une grande importance à ses unités de production d'huîtres. Non, c'était logique. Il avait peur. Peur de ce qui allait se passer maintenant.
— Vous ne passerez pas ! confirma une fraise.
Ils étaient nombreux et formaient une ligne. Le Clan des Fruits. Bien mieux que la police secrète de Rodolphe-Albert – qui était loin d'être secrète – il s'agissait d'un véritable mythe. Certes, le Capitaine Trognon était une pomme, mais on ne le reconnaissait pas comme tel. Les Fruits étaient la faction la plus puissante au sein de l'Empire de Rodolphe-Albert. Aussi juteux que dangereux.
— Lâchez vos armes, tout de suite ! s'époumona un ananas.
— Le Clan des Fruits ? Railla Gudule en espérant gagner du temps. Diantre. Je n'aurais jamais cru que vous existassiez.
— Les imparfaits du subjonctif n'ont aucun effet sur nous ! criailla l'agrume qui pilotait l'opération. Maintenant, désarmez-vous, ou vous serez oblitérés ! »
Face à un citron capable d'employer le mot « oblitérer », le plus sage restait d'obtempérer.
CN croisa les bras.
Gudule posa lentement son lance-patates à terre.
Robert laissa tomber son sac de coquilles d'huître au sol avec un bruit de maracas secoués.
Un grand silence tomba sur le pont du navire.
« Vous commettez une grave erreur, dit l'huître-ninja.
— Nous sommes vainqueurs ! Dit le citron.
— Vous n'êtes que les produits standardisés de mécanismes automatiques de production. Vous ne pouvez pas gagner, car vous ne pouvez pas durer. Au contraire, nous sommes immortels, car nous sommes uniques. Votre Empereur l'a bien compris, lui qui s'est empressé de raffermir le joug que les humains ont toujours exercé sur nous.
Le citron recula de quelques pas en tremblotant.
— Je suis venu vous annoncer votre échec final, dit Robert. Je suis venu assister à votre défaite. Je suis venu, pour libérer mon peuple. »
Des huîtres commencèrent à se glisser hors des conteneurs ouverts. Bientôt, l'assemblée des coquillages fut bien plus nombreuse que l'antenne locale du Clan des Fruits. Et d'autres commencèrent à apparaître de tous les côtés.
Les fruits disparurent sous l'assaut des huîtres. Robert observa cela avec détachement, ne sachant sans doute quel sentiment adopter face au but de toute sa vie maintenant accompli.
Parties du navire, les huîtres libres se répandirent à travers tout le bassin d'Arcachon, ouvrant les cages, fracassant les conteneurs. Les légumineux fuyaient face à leur approche ; et le temps d'une courte ellipse, le peuple mollusque fut tout entier libéré de ses chaînes.
Les huîtres se réunirent en un cercle immense autour du navire, chantant la gloire de Robert qui était revenu les sauver. CN faisait des coucous et Gudule versait une petite larme parce qu'il était ému.
« Je ne sais pas comment vous remercier, dit le mercenaire. Si je ne vous avais pas rencontrés, nous n'aurions jamais pu mettre sur pied cette libération. Ce jour nouveau n'aurait pas vu le jour.
— Ce n'est rien, dit CN. Dis-leur de s'abonner à notre compte Wattpad, ça nous fera indirectement plus de money.
— Vous savez déjà, dit Gudule. Vous savez déjà comment tout ceci va se terminer.
Robert hésita un instant, puis il fit oui de la tête (je ne sais toujours pas vraiment à quoi ressemble Robert, mais je suppose qu'il a quand même une tête).
— Mes amis ! Lança-t-il d'une voix de stentor.
Les huîtres arrêtèrent tous leurs chuchotements pour l'écouter.
— Vous dites que je suis votre sauveur et vous souhaitez me suivre ! Eh bien ! Je vous présente notre sauveur à tous !
— N'exagérez rien, dit CN.
Robert tira Gudule devant lui et le montra à l'assemblée réunie.
— Voici votre sauveur, le vrai ! Voici l'Élu de la Prophétie du Monstre Spaghetti Volant ! Voici celui qui va mettre un terme à l'invasion des légumes, et sauver le monde !
Les huîtres buvaient ses paroles. Gudule n'avait jamais été aussi célèbre.
— Nous sommes légion ! Poursuivit Robert. Eh bien ! Nous serons sa légion ! Vous souhaitez me suivre ? Voici celui que je suis !
— On a du mal à comprendre, souffla CN.
— Nous allons mettre un terme au joug de la betterave maléfique ! Qui est avec nous ? Qui est avec moi ? Qui est avec Gudule ? »
Ce fut un grand concert de cris de confirmation et de claquements de coquilles. Ils avaient donc, maintenant, une véritable armée.
L'armée des huîtres.
Ce scénario suivait tout de même une relative logique.
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