La gothique se mêle de ce qui ne la regarde pas.
Le lendemain, j'arrive au gymnase un peu plus tôt que d'habitude. Il y a encore beaucoup de places libres dans le parking alors je me gare le plus près possible du bâtiment sportif. Aujourd'hui, je sais pas trop comment ça va se passer. Hier soir, j'ai encore tourné dans mon lit en essayant de trouver le sommeil. Mais une fois de plus, je ne pouvais pas. Maël m'a foutu un vent et ça, ça me saoule terriblement. C'était peut-être la question de trop ? De toute façon, c'est pas comme si c'est un choc pour moi de savoir qu'il peut aimer les mecs. Au fond je le sais, il y a trop de choses qui le montrent. Un tapotement contre la vitre me fait directement tourner la tête vers cette dernière. Quand Romain me voit, il sourit et me fait un signe de main. Je lui réponds aussi, plus forcé qu'autre chose, et il se décale quand j'ouvre la portière.
— Salut mec, me lance-t-il une fois dehors. Bien ou bien ?
— Tranquille... Il est pas là Kévin ?
— Nope. Hier soir il est allé chez son père et tu sais bien que c'est pas à côté, du coup il rate les premières heures, m'explique mon ami les mains dans les poches.
Je l'envie ce con. J'aurai aimé ne pas me ramener en cours aujourd'hui mais je n'ai pas eu le choix, mon daron a capté ma comédie du matin. J'crois d'ailleurs que j'vais avoir une discussion avec mes parents ce soir, ils doivent se demander qu'est ce qu'il se passe pour que je tire la tronche. Et je me vois pas de leur dire ce qu'il y a vraiment, je n'en ai pas envie. Surtout pas à eux.
— Et t'as pu faire ton devoir maison au final ? Romain relance la conversation, s'allumant une cigarette.
Je regarde droit devant moi, m'adossant enfin contre le grillage métallique. Mon dos se balance un peu contre ce dernier et je finis par lever la tête vers le ciel. La brise matinale caresse la peau de mon visage.
— Ouais.... je chuchote presque.
— Ok... Mais Léo, t'es sûr que ça va ?
Mon ami force un peu, me voyant un peu perdu. Souvent quand on m'appelle par mon prénom, c'est pas bon signe. Surtout si ça vient de Romain ou de Kévin. J'crois que ça doit se voir à ma gueule qu'il y a un truc, je peux rien n'y faire malheureusement. Pour un jour, j'aimerai être une autre personne. Seulement pour échapper à mes pensées qui ne sont pas bonnes pour mon cerveau, celles qui ne te quittent plus une fois dans la tête. Je scrute rapidement Romain avant qu'une voix plus grave s'élève dans l'air, une voix qu'on connaît tous très bien désormais. Je dérive maintenant sur lui, mon regard montant lentement du bas vers le haut, de ses bottes qui font du bruit à chaque fois qu'il pose un pied au sol, de son jean troué et retroussé aux niveaux des mollets irrégulièrement, son sweat blanc avec la capuche qu'il l'a enfilé, accompagnant tout ça d'un bonnet noir où est brodé une rose rouge sur le côté. Sa fidèle veste de motard est toujours sur lui, celle qui ne quitte jamais. Je trouve qu'il l'a porte de mieux en mieux, au fil des jours. Il sent un peu la cigarette quand il s'approche de nous, mélangé avec son parfum habituel que je prends le temps de sentir, ce parfum fort mais pas trop. Le juste milieu. J'ai encore l'impression d'être tout petit face à lui, d'être ridicule. Un sourire aux lèvres, comme si c'était tatoué sur son visage, prend place.
— Hé, yo ! Romain cogne son poing contre le sien puis ils se font un signe de tête.
Il fait la même chose avec moi et je lui rends sa salutation plutôt lentement, le regard perdu sur son visage quand il pose ses yeux clairs sur moi. Pourquoi tout parait aussi beau chez lui ? Même ses imperfections, ses petites rougeurs, ses cernes et ses lèvres gercées arrivent à lui donner ce charme naturel que très peu possèdent. Bon... Je dois me ressaisir.
— T'es venu en moto ? commence mon ami en recrachant la fumée de sa clope dans l'air.
Maël se concentre à allumer la sienne, passant sa main autour de sa cigarette tout en amenant le coin du briquet à cette dernière. Je cligne des yeux un bon moment mais baisse instantanément mon regard quand il le lève sur le mien, quand il tire finalement sur sa clope. Je fais tourner un cailloux en dessous de ma chaussure, maintenant qu'il m'a vu le fixer, qu'est ce que ça sert à regarder le sol... Je m'énerve vraiment à réagir comme ça.
— Non... C'est mon frère qui m'a ramené.
— Ah ouais, t'as un frère ?
Le châtain hoche la tête, ses cheveux un peu mal coiffés bougeant à ce mouvement. Je reste silencieux tandis que les deux continuent leur conversation.
Un attroupement se fait au fur et à mesure des minutes, l'autre classe de terminale qui est dans le gymnase avec nous est présente. Les conversations fusent, d'autres crient et d'autres parlent entre eux, plus doucement. On n'arrive plus à s'entendre, on respire la fumée des cigarettes et ce n'est pas moi à qui ça va déranger en premier. Notre professeur arrive finalement et ouvre le portail. Je me décale alors vers l'entrée, sous les pas des deux derrière moi. Tout le monde se colle pour pouvoir rentrer, je ne comprends pas comment ils peuvent avoir hâte à moins que ça les amusent. Je soupire fortement quand on me pousse brusquement, un torse percutant mon dos. Je me tends tandis que lui, râle derrière moi et il semble sortir une insulte en direction d'une meuf qui ricane bêtement suite à ça. Quelle idiote... Ce cirque dure quelques secondes avant que tout le monde ne se dispersent à l'intérieur de la cour du bâtiment. Les petits groupes se forment à nouveau et une voix féminine crie après nous, je me retourne même si j'ai envie de continuer le chemin jusqu'à l'intérieur.
Cassandre et Bastien, les amis de Maël, nous saluent, avec leur têtes du matin. Elle nous fait la bise tandis qu'avec lui, une poignée de main suffit. Et puis, on prend chemin vers nos vestiaires. À l'intérieur, ça sent chelou comme d'habitude quoi. Je pose mon sac lourdement contre le petit banc en bois, où des écritures au marqueur de différentes couleurs figurent. Le dernier mec de notre classe referme ensuite la porte d'un claquement et la verrouille. Les autres se changent déjà tandis que je reste assis, mes yeux rivés sur mon portable. Tous les gars parlent entre eux, certains se racontant des histoires avec leur meufs, d'autres parlant des cours et de je ne sais quoi. De toute façon, ça m'intéresse pas. Sans même lire les publications qui apparaissent à mon écran, je like tout. On connait tous cette astuce qui fait croire qu'on est occupé sur notre téléphone alors que pas du tout. Maël s'assoit près de moi, ne portant que son pantalon et ses bottes qu'il commence à enlever. Torse nu et nullement gêné, je déglutis quand son bras droit me frôle à certains moments, ses doigts enlevant ses lacets noirs. Son rire tonne à mes côtés, il rigole à ce que raconte un mec. Il était obligé de se mettre aussi près de moi ou quoi ?
— Mec, tu viens ?
Romain me sauve et je me casse rapidement, laissant mon sac, sauf mon portable que je glisse dans la poche de mon gilet. Avant de passer la porte du vestiaire, je lance un regard au châtain qui lui, me fixait déjà et ça me rend presque bizarre qu'on se percute visuellement. Ce n'est pas le regard habituel, c'est le regard. Celui qui vous fait apparaître un long frisson le long du dos et une sensation à l'estomac.
— Putain... J'ai la flemme de faire volley là... J'hésite à faire genre j'me suis fait mal au poignet, tu pense que ça marcherait ou pas du tout ? me raconte Romain un peu plus doucement lorsqu'on se rapproche du professeur.
Il tourne finalement son visage vers un groupe de fille qui courent déjà sur le terrain, son regard bien évidemment porté sur leur petit-short. Ça, c'est l'autre classe de terminale et les filles sont bien plus jolies, faut se l'avouer. On n'a que des caves chez nous.
— La petite brune là-bas, cheveux de Pocahontas... Pas mal, non ?
— ... Elles sont toutes brunes, mon frère.
Romain claque la langue contre son palais et se rapproche un peu plus de moi, essayant de faire un signe discret de la main vers la nana qui court maintenant de dos.
— Mais elle ! Avec les cheveux attachés. Et le gilet Ellesse.
Je la regarde vite fait, fronçant un peu les sourcils. Elle est banale quoi, elle passe mais sans plus. Il voit vraiment une bombe lui ? Romain faut qu'il revoit ses goûts parfois mais bon, je ne le juge pas.
— Mouais. Y'a mieux, je dis en haussant les épaules.
— Genre... C'est vrai que t'es plutôt blonde, toi. Hm...
Le garçon aux cheveux miels semblent me rechercher une autre fille du regard sauf que le prof le stoppe, sifflant dans son sifflet au bruit infernal. La classe complète, il fait l'appel et on commence à s'échauffer. Le gymnase est séparé en deux, notre classe étant en volley et l'autre en escalade. Dommage de ne pas avoir l'autre prof, j'aurai trop aimé en faire. Tandis que je cours à petites foulées, je lance un regard aux gens au mur d'en face. Certains sont déjà tout en haut, qu'une seule et unique corde les reliant encore avec leur partenaire.
Rapidement, on s'entraîne à faire des passes sans le filet et toutes les 3 minutes on doit changer de partenaire. Ça m'arrange parce que Romain galère vraiment trop en plus ce con il envoie trop fort. Tandis que le sifflet sonne, signe qu'on doit inverser, je jette un coup d'œil à Maël qui est dans le fond avec Cassandre. Un mec avec qui je ne parle pas se met en face de moi et me fait un signe de tête, attendant le départ du prof. Je fais tourner la ballon dans mes mains tandis que l'enseignant note des choses et on reprend vite quand il lance le départ.
Peu de temps après, on doit faire la même mais par dessus le filet cette fois-ci. Je décide alors de m'avancer vers le fond, jetant le ballon de volley à la nana avec qui je viens de jouer. C'est Cassandre qui me voit arriver en premier et elle me sourit.
— Tu viens ici parce que tu veux t'entraîner avec moi ? me lance cette dernière, bien heureuse que je fasse le premier pas.
— Euh... Ouais, allez.
Bon, ce n'était pas ce que j'espérais mais c'est pas grave. Maël qui était en train de boire dans sa bouteille derrière la gothique s'avance enfin et Romain s'incruste avec nous. Je sais pas où est Bastien, sûrement avec les geeks de la classe et je m'en fiche on parle jamais. Le garçon aux cheveux miels pose la main sur mon épaule et je vois le châtain baisser directement le regard sur cette dernière, le visage froid. Bizarre lui.
— Maël tu te mets avec Romain, d'accord ? Viens Léo.
C'est comme ça que Cassandre m'attrape par la manche de mon gilet, m'entraînant vers les filets. J'ai pas mon mot à dire, cette fille c'est un phénomène. Elle chope un ballon de par terre et s'entraîne à le faire rebondir au dessus de sa tête. Je la regarde, un sourcil haussé. Je sens qu'elle s'apprête à me dire un truc.
— Tu sais... Tu peux faire le coup aux autres mais pas à moi. J'ai encore des yeux pour voir.
Ça commence super bien, cette conversation. De base j'ai rien demandé. Je laisse un peu le silence planer, j'vois pas pourquoi elle me sort ça. Mais je réfléchis bien vite et j'ai peur qu'elle puisse se douter de quoi que ce soit. Dans le cas de Cassandre, je crois que c'est un peu trop tard vu la tête qu'elle me tire quand elle me lance le ballon un peu brutalement. Je le rattrape à la va vite avant qu'il ne touche mon ventre d'un coup sec. C'est qu'elle s'en bat vraiment les couilles.
— Et toi, c'est quand que t'ouvres les yeux sérieusement ? continue-t-elle, s'avançant plus près de moi.
— Qu'est ce que tu racontes...?
Elle roule des yeux suite à ma question et me fusille du regard. Tout de suite elle a l'air moins sympa, avec son noir tout autour des yeux ainsi que son rouge à lèvre rouge couleur sang.
— Non mais je ne suis pas conne. Tu crois que tu peux m'embobiner mais je vois très bien ce qui se passe avec Maël, elle rigole froidement. Alors je vais te dire deux choses : soit tu vas te bouger et arrêter de tourner autour du pot soit c'est moi qui le fait.
Non mais elle est sérieuse celle-là ? Même pas deux semaines que je la connais et elle se permet de me dire ce que je dois faire ? Puis de quoi elle se mêle dans mes affaires ? Les gens du genre, je les supporte mais vraiment pas. C'est à mon tour de lui renvoyer le ballon dans le ventre et elle lâche un soupir en se retenant de jurer.
— Tu n'y connais rien alors t'en mêles pas.
— Oh, j'ai pas fini de te causer !
Et juste après ses dires, le sifflet du prof fait écho dans le gymnase, signe que la pause est finie. Sans dire quoi que ce soit de plus, je me mets derrière le filet et elle me lance le service. Je le rattrape bien évidemment et elle renvoie ensuite la balle, moins fort que je ne le pensais. Mais la brunette joue bien, c'est ça le pire. Sauf que là, j'arrive pas à apprécier le match car elle m'a énervée. Ça se sent d'ailleurs vu la façon dont on joue et je vois le professeur s'avancer lentement vers nous, les bras croisés. Il regarde nos mouvements ainsi que notre ballon qui vole dans l'air avant de faire une remarque.
— Hé, c'est juste de l'entraînement vous deux. Gardez votre force pour les matchs.
Puis il repart et Cassandre rate la balle, jurant grossièrement après. Elle me regarde longuement avant de me la relancer et je me décale à une vitesse sur le côté pour la renvoyer.
— Bah putain, vous faîtes pas semblant...
Même sans lever les yeux sur lui, je sais qu'il me regarde. J'arrive à sentir son regard se promener sur moi puis sur Cassandre même s'il reste plus longtemps sur ma personne. J'ai l'impression que mes mouvements se font de plus en plus merdiques à cause de sa présence. Heureusement le sifflet souffle et Romain nous applaudit tous les deux, comme si on était des champions. N'importe quoi. Je lui lance un sourire en secouant ma tête, je suis déjà transpiré c'est abusé. Mon adversaire s'avance vers moi et tape dans ma main, empruntant ensuite la bouteille que Maël lui tend.
— Tu joues avec moi après j'espère ? me demande alors le châtain, un ton presque impatient dans sa voix.
— Ouais, j'vais pas te voler encore une fois t'inquiète ! répond Cassandre, passant à côté du châtain en lui frôlant l'épaule, souriante.
Romain rigole suite à l'exclamation de cette dernière et elle part aux toilettes, Romain va remplir sa bouteille d'eau. Du coup je me retrouve avec Maël, ce dernier promenant son regard sur moi. Il me gêne un peu quand il fait ça.
— Au fait, elle t'a dit un truc... Cassandre ?
J'ai l'impression que sa voix a perdu un peu d'assurance et désormais il fuit le regard quand je le plante dans le sien. J'ai presque peur de savoir pourquoi il est comme ça, tout d'un coup. Je soupire avant de répondre un simple :
— Ouais...
— Quoi ?
Maintenant c'est moi qui détourne les yeux et les baissent sur mes Adidas. Je sais même trop comment tourner ça. Mes bras se croisent contre mon torse et ma tête se penche vers l'arrière, inspirant un bon coup.
— Elle dit qu'il y a un truc, comme quoi... Un truc entre... Entre nous. J'crois. Que c'est ça.
J'ose jetter un coup d'œil à l'expression faciale de Maël qui reste, neutre. Je n'arrive pas à savoir à ce qu'il pense, est-ce-qu'il a parlé de moi avec Cassandre ? Je me lance, poussé soudainement par la curiosité.
— Et... Pourquoi tu n'as pas répondu à mon message, hier soir ?
J'arrive à entendre son soupir d'ici et je le vois regarder derrière moi, faisant genre de ne pas vouloir me fixer. Mais comme une montée de confiance en lui, il finit par planter ses yeux gris dans les miens et ça me rend bizarre.
— On devrait pas discuter de ça ici.
— Je te pose une simple question là.
Je sais que j'ai raison, j'ai besoin de savoir, il n'a qu'à m'expliquer pourquoi mais j'vois qu'il n'est pas prêt à me répondre. C'est bien ce que je pensais, Maël a l'air d'un mec hyper sûr de lui alors qu'en vrai il est tout aussi paumé que moi, par moment. Le son du sifflet se fait entendre à nouveau et j'ai envie de choper son bras pour qu'il ne s'enfuie pas.
Et c'est ce que je fais, mes doigts s'enroulant autour de son poignet où son os y ressort esthétiquement. Suite à mon geste, le châtain baisse son regard sur ma main et affiche une mine presque surprise. Je le suis aussi mais je préfère ne pas penser à ce que je fais ou les conséquences qui pourrait suivre après ce que je vais lui dire.
— ... Tu veux en parler quand, alors ?
Maël frotte ses lèvres entre elles tout en me scrutant, comme si j'étais quelque chose qu'on s'apprête à manger. Les gens commencent à bouger autour de nous, sur les terrains, mais je n'y prête pas encore attention.
— Après les cours, si tu veux. Dans ta voiture.
Je hoche la tête en signe d'accord et je commence le jeu avec lui, après le deuxième coup de sifflet. Maël est bon, plus bon que Cassandre car il arrive à lancer fort mais avec précision. Le cours de sport passe ensuite normalement, j'ai gagné quelques matchs ce qui m'assure une bonne moyenne au niveau de ce sport. Je sors du gymnase en compagnie de Romain, content mais un peu stressé de ce qui va se passer tout à l'heure.
Début après-midi, Kévin nous rejoint devant la salle d'anglais. Ce dernier s'est enroulé dans une écharpe aux motifs écossais, sérieux, on dirait un truc de grand-père. Je prends le temps de me moquer de sa tenue et de sa tête. Par contre, je ne m'approche pas de lui pour le saluer car j'ai pas envie d'attraper sa crève. Vive le mois d'octobre et tous ces gens malades...
— Fait chier... J'sais même pas pourquoi j'ai prit la peine de v'nir aujourd'hui les mecs... se plaint Kévin en sortant un mouchoir de son paquet.
— Mais pourquoi t'es pas resté chez toi ? Toi, ton père il est du genre à t'envoyer en cours même si t'es mort... lui lance alors Romain, les mains dans les poches et appuyé contre la porte de la classe.
Kévin répond qu'il a exactement raison après s'être mouché bruyamment. C'est l'horreur ce genre de parents mais bon, j'imagine bien que ceux de mon pote peuvent être compliqué, ils ne sont jamais là et en plus ils sont séparés. Du coup la maison n'est quasiment qu'à lui. En vrai ça pourrait être cool mais au bout d'un moment, ça doit être lourd. Vivre sans parents ou même, famille. Kévin fait genre qu'il n'en a pas besoin mais au fond, j'suis sûr que ça lui manque. C'est ce qu'il explique qu'il soit extrêmement lié à Romain et à moi, on est un peu ses frères pour lui. Et ça le restera.
En anglais, je lutte pour ne pas m'endormir. Enfin, c'est pas trop compliqué pour dire la vérité, la prof m'interroge toutes les deux minutes à l'oral. C'est une horreur quand les enseignants font ça et puis, plus l'heure approche et plus je sens une boule se former dans mon ventre. J'ai presque pas envie de rentrer chez moi, d'arriver au moment où je dois atteindre ma voiture.
Je jette un coup d'œil à mon « rendez-vous » et je remarque que ce dernier a monté sa capuche sur sa tête, cachant la vue de ses Airpods à la prof. Il a les yeux rivés sous la table et semble sur son portable. Sa tête bouge légèrement de l'avant à l'arrière, signe qu'il doit apprécier sa musique. Le menton dans la paume de ma main, je prends le temps de l'examiner même si je sais que n'importe qui pourrait me choper. Mais c'est comme si j'étais hypnotisé, mes yeux ne semblent pas vouloir arrêter de se balader sur lui, à enregistrer tous les gestes qui a l'habitude de faire. Les tables des classes de langues vivantes sont positionnées afin de faire une sorte de grand U, pour qu'on puisse favoriser la communication entre nous tous. De ce fait, il est juste en face de moi et laisse entre nous un vide, vide comblé par les déplacements incessants de l'enseignante.
J'ose alors glisser mon Iphone de ma poche et le pose contre ma cuisse. Je me rappelle alors que j'ai le numéro de Maël, il me l'avait donné un jour quand il n'avait plus de forfait. Je cherche dans les M et je le trouve rapidement. Je tape sur son contact et jette un regard à l'enseignante qui écrit maintenant des mots au tableau.
Je ne réponds rien de plus, me contentant seulement de lever le regard sur lui. Ce dernier me répond d'un sourire avant de regarder à nouveau son portable et de chantonner dans sa tête, ses lèvres bougeant seulement, les sourcils légèrement froncés. Je ne sais pas comment je vais faire à la sonnerie. La discussion entre lui et moi me stresse, je dois dire la vérité. J'appréhende bien trop.
Et bien évidement ce moment arrive vite, toujours quand on le veut le moins, le temps décide d'avancer tout seul à la vitesse de la lumière. C'est seulement après s'être assis sur les sièges en cuir qu'il me demande de mettre le contact. Je l'écoute et il commence à envoyer au poste la musique qu'il écoutait en cours. Cette dernière démarre rapidement dans ma voiture, les doigts du châtain tapotant déjà le rythme sur sa cuisse. Je l'entends même par moment fredonner les paroles de la personne qui les chante. Et moi je reste planté, le regard dans le vide, n'y comprenant quasiment rien. Ça passe mais c'est pas le genre de truc que je mettrai dans mes écouteurs.
— Moi aussi, dit-il soudainement tandis l'instrumental se déroule lentement.
Je tourne légèrement ma tête vers lui, il a posé son crâne contre l'appui-tête et il a le regard dirigé tout droit sur le pare-brise devant nous. Mon pied gauche se met à taper nerveusement le tapis de ma voiture.
— C'est la première fois que ça m'arrive...
Silencieusement, je l'incite à continuer même si je sais ce qu'il s'apprête à me dire.
— Ça a dû m'arriver deux ou trois fois dans ma vie mais... Mais pour un garçon, c'est la première fois.
La musique ne s'arrête pas et je m'en fiche, de toute façon je ne comprends pas les paroles en anglais. Je comprends juste que mon ventre se tord presque à ses paroles, il me brûle presque. Cette sensation est si bizarre et incontrôlée, je me demande si cela lui arrive aussi. J'espère.
— ... Et pourtant, j'ai pas envie d'arrêter.
Il tourne finalement sa tête vers moi et comme si mon corps s'est décidé de se mettre sur OFF, mon visage ne veut pas se tourner de l'autre côté pour tout cesser. Ma bouche ne veut pas s'ouvrir et puis à quoi bon ? Pour dire quoi ? Il est trop tard pour dire quoi que ce soit, pour faire quoi que ce soit. J'ai l'impression de me trouver au stade de non-retour. Maël ressent quelque chose. Pour un mec. Et le seul mec ici présent, c'est moi. Mais moi, je ressens quoi ?
— Ça m'fait peur, j'dois te l'avouer. Je sais pas comment ça va marcher, comment je vais devoir me comporter avec toi après être sorti de cette voiture. Je... Ouais, je suis tout aussi perdu que toi... Ça doit s'entendre d'ailleurs...
Il laisse passer un rire nerveux et son regard se baisse par moment. Puis il remonte, semblant chercher la moindre petite étincelle dans mes yeux.
— Mais j'veux pas qu'on s'éloigne. J'apprécie vraiment te parler et tout ce qu'on s'est dit. La soirée chez moi la dernière fois... Elle m'a fait ouvrir les yeux sur certaines choses. Je ne sais pas toi ce que t'en penses de tout ce qui arrive... On peut se laisser du temps... Enfin, en vrai je sais pas si j'ai envie de ça. Je suis tout aussi perdu que toi, Léo. Je ne sais pas quoi faire. Seulement... J'veux pas que ça aille vite. J'veux m'assurer que t'en as envie, tout autant que moi.
Je déglutis légèrement en clignant un peu des yeux, mon regard se posant dans son cou où figure une fine chaînette que je n'avais jamais remarqué jusqu'à présent.
— Envie de quoi ? je souffle, à bout.
— De continuer avec moi. Tous les deux, à notre rythme car tu sais, le temps nous presse pas. Et il nous pressera jamais.
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