~Chapitre 13: Piano~
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Alda pose un pain sur la table. Assis autour de celle-ci, Josef, Madeline, Liliane et Kurt goûtent à une crème de pommes de terre bouillante. Madeline trempe délicatement ses lèvres dans une cuillerée pour vérifier sa température. Elle est parfaite, donc elle place son bol devant Liliane. Elle lui met sa cuillère dans la main.
- Devant toi, sur la table, il y a un bol de potage.
Liliane tâtonne le dessus de la table à la recherche du bol. Elle parvient à le trouver. Du bout des doigts, elle calcule sa position et, lorsqu'elle en certaine, y trempe sa cuillère.
Madeline hoche la tête, satisfaite. Elle aurait pu la faire manger comme elle le faisait lorsqu'elle avait un an, mais elle désire lui apprendre à être débrouillarde.
- Tout est allé très vite. Néanmoins, l'essentiel est que nous y sommes arrivés, raconte Kurt. Depuis le début du repas, il raconte à Alda comment il a fait pour sortir du camp.
- Je ne sais pas s'ils pourraient retrouver nos traces. J'ai toujours fait très attention de ne pas garder des papiers qui parlaient des évasions. Je les détruisais.
Madeline coupe une tranche de pain et la donne à sa petite. En passant au-dessus de sa tête, elle colle un baiser sur ses cheveux blonds.
- Tu as des nouvelles d'Heinz ? demande Kurt à l'intention d'Alda qui vient tout juste de s'asseoir.
Son regard s'égare vers la fenêtre de la cuisine et une lourde ambiance envahit soudain la salle à manger.
- Non.
Kurt comprend. Le silence inonde la pièce. Le bruit des cuillères frottant contre le fond des bols est le seul son qui se fait entendre dans la petite maison de campagne.
- Sa dernière lettre remonte à six semaines. Il ne faut pas s'inquiéter pour lui. La guerre se terminera un jour. Et il reviendra.
Après cette discussion l'atmosphère se détend. Josef, qui a pris le temps de se laver avant le dîner, parle de quitter la Pologne lorsque la guerre sera terminée... Si elle se termine un jour.
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Avant de quitter la chambre d'invitée, Madeline jette un coup d'œil au lit qui est serré contre le mur. Liliane s'y est endormie. Elle souffle un « Je t'aime » et referme délicatement la porte. Dans le couloir, il fait sombre. Durant le dîner, des chandelles étaient éparpillées dans la salle à manger. Mais dans ce couloir, il n'y a aucune source de lumière. Elle se fie à la faible lueur qui provient des escaliers et s'y dirige.
Après le dîner, elle a aidé Alda à laver les assiettes. Elle n'a revu ni Kurt, ni Josef depuis ce moment. Alda est partie se coucher une fois la dernière assiette sèche et placée dans le placard. Madeline l'a suivie pour coucher Liliane qui frottait ses petits yeux fatigués.
Au-delà de la rampe d'escalier, elle perçoit Josef qui s'est endormi sur le long divan du petit salon. Elle tente de faire le moins de bruit possible en quittant la maison par la porte d'entrée.
La lune est pleine. Ses reflets éclairent la noirceur d'une nuit d'août. L'air est frais, mais pas froid. Elle marche jusqu'au puit, et s'y pose.
- Est-ce que c'est la fin du monde ? finit-elle par se demander à voix haute.
Elle ferme les yeux. Elle a envie de fumer. Une bonne cigarette la détendrait certainement. Elle inspire. Lorsqu'elle ouvre ses yeux, elle remarque une faible lumière provenant d'un des bâtiments. « Ça doit être une grange ou une écurie » se dit-elle. En tendant mieux l'oreille, elle entend une jolie mélodie qui s'en échappe. Elle associe ce son à des notes de piano.
*Schindler's list - Piano theme
https://youtu.be/f8HRYVLtIyo
Curieuse, elle suit le chemin qui mène vers cette grande grange. Sur le devant de la bâtisse délabrée, elle trouve une ouverture par laquelle elle se glisse. Seule la simple bougie posée sur le piano à queue éclaire l'intérieur de la grange. Kurt est assis sur le tabouret. Il pianote longtemps sans se rendre compte de la présence de Madeline. Ses doigts, en frôlant les touches, retirent la pellicule de poussière qui les recouvrent. Ce piano n'est pas souvent utilisé, mais il fonctionne parfaitement bien. Kurt est déjà venu ici à plusieurs reprises pour pratiquer. Il n'a pas de piano chez lui et ici est le seul endroit où il en a trouvé un.
C'est la première fois que Madeline entend cette mélodie. Elle vient juste de fermer les yeux et déjà, cette musique l'entraîne ailleurs. Elle n'est pas de ton joyeux, mais plutôt triste. Du style qui reflète parfaitement ce que vit l'humanité présentement.
Madeline s'approche dangereusement du piano et de son musicien. Elle remarque que Kurt a les yeux clos et se déplace légèrement sur son tabouret au rythme des notes. À plusieurs reprises, elle hésite entre le laisser se détendre ainsi et le rejoindre. Et puis, la voilà à quelques centimètres de lui. Lentement, elle pose ses doigts sur les siens, toujours en train de pianoter. Madeline ressent la surprise de Kurt, puisque ses doigts perdent le rythme et qu'ils exercent une fausse note. Aussi, elle sent ses doigts se raidir sous les siens. Pourtant, Kurt n'ouvre pas ses yeux et poursuit sa mélodie.
La jeune femme s'assoit auprès de lui. Après la dernière note de la partition, Kurt immobilise ses doigts sans retirer ceux de Madeline, toujours présents sur les siens. Il tourne délicatement sa main de sorte que la paume de Madeline soit face à la sienne. Leurs doigts s'entrecroisent automatiquement.
- Cette musique est magnifique, chuchote Madeline.
Une flamme s'allume dans leurs deux regards qui se dévorent. Tous les deux sont épris d'une envie commune. Il veut la prendre dans ses bras et déposer ses lèvres sur les siennes.
Madeline détache ses yeux de Kurt et ils s'orientent vers sa gauche. Kurt voit les yeux de Madeline s'écarquiller et sa bouche s'entrouvrir. Elle semble dérangée par une chose qui se trouve derrière lui... Ou sur lui. Elle lui fait doucement signe de ne pas bouger et dirige sa main vers son cou. Elle retire de son collet une petite souris apeurée d'être d'un coup tirée par la queue et tenue tête vers le sol.
Madeline lâche un gloussement et dépose la souris sur le sol de terre séchée.
- Joues-moi quelque chose, souffle-elle en se redressant sur le tabouret.
Kurt repose ses doigts sur les touches et entame une musique de style plus joyeuse que la précédente. La voix de Madeline se mélange au son de l'instrument. Elle ne dit aucune parole, s'occupant tout simplement d'encadrer les notes avec un air mélodieux. La musique de Kurt et la voix de Madeline s'assemblent parfaitement.
Reposée, Madeline pose sa tête sur l'épaulette de Kurt. Lorsque le piano s'arrête, le silence règne dans la grange. Seules les criquets stridulent et on les entend jusqu'à l'intérieur.
Madeline sourit timidement. Elle sait que si elle relève la tête et qu'elle croise son regard, elle ne pourra pas arrêter son désir et elle devra poser ses lèvres sur les siennes. Il ne pourra lui non plus se refuser de glisser ses mains sous sa nuque et de se laisser emporter par l'agréable sensation qu'il s'imagine en pensant à ses lèvres souder aux siennes.
Et elle lève la tête...
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C'est le bruit d'un moteur de voiture qui éveille Madeline étendue sur un tapis de pailles et de vêtements. Aussitôt, Madeline saute sur ses pieds. Toujours endormie et incertaine d'avoir bel et bien entendu ce bruit, elle enfile sa robe fleurie et accourt vers l'unique fenêtre qui donne vue sur l'entrée de la maison. Un véhicule noir et luxueux est garé parallèlement à la voiture de Kurt. Un homme en costume SS en sort et Madeline échappe lâche un cri de terreur.
Alerté, Kurt ouvre les yeux. En un rien de temps, il se retrouve auprès de Madeline, fixant l'homme marcher vers la porte d'entrée de la jolie maisonnette. Les muscles de Kurt se relâchent et il soupire de soulagement.
- Ce n'est que Frank.
Le Staf se tourne vers le visage de la jeune femme. Il y lit de l'incompréhension.
- Frank ? articule Madeline encore troublée.
- C'est un ami. Il est au courant.
Il lui murmure un « Ne le crains pas » et place une main sur sa joue laiteuse. Il la caresse et déborde le long de ses lèvres désireuses. Il les colle aux siennes et Madeline lui rend son baiser. Ils s'étreignent longuement avant que Kurt se décide à la laisser pour retourner vers la paillasse et en retirer son pantalon fripé. Kurt est rendu à accrocher ses bretelles à sa chemise lorsque Madeline demande :
- Pourquoi un complice ?
- Il n'est pas complice. Il sait, c'est tout. J'ai jugé nécessaire d'avoir un plan B. Au cas où tout aurait mal tourné. Je lui fais confiance.
Madeline acquiesce en secouant la tête.
- Que fait-il ici ?
- M'informer des nouvelles. Je crois.
Madeline se pince les lèvres en réfléchissant aux dangers que cela représente. Elle se dit qu'au final, avoir un complice n'est pas une si mauvaise idée et elle s'avoue même que c'est une bonne idée.
- Te souviens-tu du jours où tu m'avais promis un gâteau pour me remercier ? se remémore Kurt. Madeline ne cherche pas longtemps dans sa mémoire. Elle s'en souvient parfaitement.
- Peut-être, lui réponds-elle avec un large sourire.
- Je crois que ce jour est enfin arrivé.
Kurt s'imagine déjà ce dessert qu'il a toujours adoré. Madeline s'approche dangereusement de lui.
- Je demanderai à Alda si elle a les ingrédients nécessaires, s'exclame-elle avant de poser sa main sur la mâchoire de l'homme et l'autre derrière sa tête, sur ses cheveux blonds.
- Et je te ferai le meilleur gâteau que tu auras mangé de toute ta vie.
Leurs lèvres chaudes se frôlent et leurs yeux se ferment.
- Il ne pourra jamais être aussi délicieux que sa conceptrice, lui confie-il au creux de l'oreille avant que ces lèvres ne descendent dans son cou.
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- Ils ont fouillé ton appartement. Ils vont tout faire pour te retrouver. Ils ont mis en place une équipe de recherche dirigée par Schmitt. Angerman fait partie du groupe. Il faut que vous quittiez le pays, que vous partiez loin. Ils vont vous retrouver.
Alda, Madeline, Josef, Kurt et Frank sont dans la cuisine. Liliane est assise sur un siège et s'amuse avec un petit jouet que Alda lui a déniché. Frank s'énerve et fait des mouvements expressifs avec ses bras. Son agitation est causée par la terreur qui le ronge d'être impliqué dans ce qu'appelle l'État une haute trahison.
- Aller où ? demande Kurt pensif. Les Nazis sont partout.
À ce moment, les deux femmes et les trois hommes entendent des voitures qui approchent de la petite maison de campagne paradisiaque.
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