Chapitre 25

Blake

Les trente-cinq minutes de marche pour rejoindre le SAM ne furent pas de trop même quatre heures après avoir englouti deux hamburgers et une portion de frites. Puisque Sitjaq ne pourrait pas rentrer dans le bar car il n'en verrait même pas la porte, Kieran et lui avaient décidé de passer le reste de la journée ensemble. Ce fut donc seule que je retrouvai Sorata à notre point de rendez-vous auquel il était aussi venu sans son collègue.

Tout en marchant dans sa direction, je ne pus m'empêcher de l'observer avec attention. À côté des autres gens, il détonait tant par sa stature, sa tenue droite, son visage racé, son charisme et sa musculature qui ne semblait pas d'apparat mais vitale comme devait l'être celle d'un prédateur. La vivacité de son regard posé sur son environnement montrait qu'aucun détail ne lui échappait, ce fut pourquoi il se tourna vers moi lorsque je fus près de lui, là ou un autre aurait été surpris de ne pas m'avoir entendu arriver.

— C'est sympa d'avoir accepté.

— J'avoue être assez curieux de l'histoire de ce lutin.

— Sacrée histoire. Viens.

Je le guidai jusqu'à l'avancée sous laquelle était accrochée la cloche.

— Il faut la faire sonner quatre fois.

Sorata fixa la sculpture et hésita un instant comme s'il peinait à distinguer la corde. Il l'attrapa finalement et actionna la cloche. La porte en bois massif sculptée de motifs floraux apparut, nous ouvrant le passage jusqu'au vestibule puis jusqu'au premier niveau du bar accueillant le comptoir. Il était encore trop tôt, l'endroit était presque vide. Teddy était à son poste, occupé à nettoyer des verres. Quand il leva le regard vers moi, il eut une minute de doute, jusqu'à ce qu'un large sourire illumine son visage poilu de sasquatch. Il abandonna son entreprise pour venir me prendre dans ses bras. Je lui présentai ensuite mon acolyte, puis il insista pour connaître tous les détails de mon affaire, alors je les lui racontai autour de la table sous laquelle déprimait encore Rala. J'enchaînai ensuite sur la raison de la présence de Sorata ici.

— Je retourne en France dans trois jours, expliqua-t-il lui-même.

Rala apparut sur la table à l'entente du nom de son regretté pays. Il entama une discussion en français que je ne compris pas, mais il paraissait tellement heureux que ce n'était pas important. J'avais une bière fraîche à boire pour patienter pendant qu'il racontait sa vie.

Je commençais à trouver le temps long lorsque Rala sauta littéralement de joie. Il se tourna vers moi, me prit une main avec les deux siennes et la secoua.

— Il me ramène chez moi ! Merci, Blake ! Merci du fond du cœur !

— Je n'ai pas fait grand-chose.

— Pourtant c'est énorme ! Merci !

Sous le coup de l'émotion, Rala me fit carrément un câlin. Je n'aurais jamais cru que sa joie puisse autant me faire du bien. Après tout, ça faisait cinq ans que je n'avais aidé personne, que j'avais à peine pu me déplacer en ville par mes propres moyens. Agir par moi-même m'avait manqué à un point que je n'avais pas soupçonné.

Rala me lâcha, et il y avait dans ses yeux brillants ce sentiment de revivre, celui que j'avais ressenti lorsque je m'étais transformée en humaine sous cette tente. Lui aussi allait bientôt retrouver sa part manquante, ce pays lointain cher à son cœur, celui vers lequel ses pensées l'amenaient inéluctablement.

Le temps arriva de laisser le lutin profiter des derniers moments avec nos compagnons du SAM. Sorata et moi saluâmes l'assemblée avant de prendre congé. Arrivé devant la fontaine, le vampire se tourna vers moi avec l'intention de me saluer. Sans me l'expliquer, cela me fit peur. Sans doute redoutais-je le fait de me retrouver seule sans vraiment savoir où aller, sans savoir où rentrer. Dans un élan désespéré, j'osai l'audace :

— T'as prévu quelque chose, ce soir ?

La question le prit un peu au dépourvu.

— Pas spécialement. Pourquoi ?

— Ça te dirait qu'on passe la soirée ensemble ?

OK, dit comme ça, c'était super bizarre, mais la proposition fit sourire Sorata.

— Ça s'annonce intéressant.

Il m'invita à le suivre jusqu'à sa voiture de location, puis jusqu'à sa suite d'hôtel. Je savais qu'il était mercenaire, ce que j'ignorais, c'était qu'il avait un travail classique la plupart du temps. Je fus donc surprise d'y trouver un ordinateur dernier cri, un appareil photo professionnel et des clichés étalés sur une table. Splendides clichés, tantôt doux, tantôt bruts. Paysage urbain, animaux, personnes, en noir et blanc ou en couleurs, il y avait de tout, et tout était sublime.

— Si je suis devenu mercenaire un peu par hasard, j'ai fait toutes mes études et toute ma carrière dans la photo, m'expliqua-t-il.

— J'ai du mal à concevoir le fait de devenir mercenaire par hasard.

— C'est un peu plus compliqué que ça, nuança-t-il sans pour autant entrer dans les détails.

S'il se fermait autant sur cet aspect de sa vie, c'est qu'il devait renvoyer à des moments douloureux. Je ne voulais pas être désagréable avec lui, aussi en revins-je à la photo, sujet sur lequel il se montra plus loquace. Je l'écoutais avec plaisir et je fus heureuse, ensuite, qu'il m'invite à parler de ma propre passion : le hockey. À présent, je me souvenais du nom de mes coéquipières, de mon agent, des membres de mon staff et je me rappelais les règles du jeu, la sensation de patiner. Plus je parlais, plus je prenais conscience du manque du sport dans ma vie, de la compétition, du goût de la victoire.

Sorata se montra curieux et très patient, car même durant le repas qu'il fit monter dans sa chambre, je me révélai être un vrai moulin à parole. La bière que j'avalai, en plus de celle consommée au SAM, aida ma langue à se délier. La troisième engloutie alors que nous nous étions installés sur le canapé acheva de me faire tourner la tête.

Je n'avais plus l'habitude de boire et le faire en étant seule avec un homme était de l'inconscience. Seulement, certaines précautions de base en tant que femme ne s'appliquaient pas à une louve, alors me souvenir de mes habitudes humaines n'était pas toujours évident, en particulier avec de l'alcool dans le sang et la présence attractive d'un mâle sexy en diable à côté de moi. Je ne sus pas vraiment ce qui me prit, ni pourquoi, à un moment, je me rapprochai de Sorata. Très près, car je crois que j'avais envie de lui. Non, j'en étais certaine, tout comme je savais qu'il me désirait, parce qu'il me dévorait des yeux. Sans que je me l'explique, je sentis son aura changer au point de devenir magnétique. Les fonctions vitales affolées, je ne voulais pas me défaire de lui. Sorata s'imposa dans mon champ de vision sans pour autant me dominer car il me laissait la place d'exister par moi-même. Mes doigts glissèrent le long de son cou, s'attardèrent sur sa chaîne aux maillons indigo, puis passèrent sous sa chemise pour frôler ses pectoraux puissants. Malgré son regard volcanique, il n'esquissa pas le moindre geste quand je l'embrassai, même s'il me rendit mon baiser avec une sensualité qui me liquéfia de l'intérieur. Il se contenta de poser sa main sur mon visage lorsque je libérai ses lèvres pour formuler ma requête :

— Tu veux coucher avec moi ?

La confusion de mes pensées m'empêchait de réfléchir autrement que par le prisme de mes désirs les plus primaires. Sorata caressa ma joue avec son pouce.

— J'aurais aimé, mais tu n'es pas en état.

C'était la première fois qu'on me le refusait, et c'était l'une des plus belles marques de respect qu'on m'ait donné de ma vie car non, je n'étais pas en état de prendre une décision éclairée et parfaitement consciente. Je blottis mon visage au creux de sa paume chaude qui en prit la forme parfaite, un écrin de tendresse.

— Est-ce que je peux juste dormir dans tes bras ?

Il m'amena dans sa chambre et m'y laissa enfiler l'un de ses t-shirts tandis qu'il se changeait dans la salle de bain. Il me rejoignit sous les draps où je me lovai contre lui, appréciant pour la première fois depuis cinq ans de dormir avec un autre homme que mon frère. Ce soir, j'étais là parce qu'on voulait de ma présence, pas parce que je l'imposais, et c'était infiniment agréable. Ce soir, j'avais l'impression d'exister dans ce monde en tant qu'individu. Ce fut avec cet apaisant ressenti que je m'endormis.


Le changement de luminosité soudain me tira de mon sommeil au matin. J'entendis un déclic à l'instant où j'ouvris les yeux avant de voir Sorata accroupi à hauteur de mon visage, son appareil photo en mains.

— Qu'est-ce que tu fais ? demandai-je en m'étirant de tout mon long.

— Tu verras dès que tu seras levée.

Son air énigmatique en quittant la chambre piqua ma curiosité. Je pris un instant supplémentaire pour bien me réveiller puis je le rejoignis sur le canapé. Il afficha sur son ordinateur portable la photo prise à l'instant. Je me figeai, stupéfaite.

— Mes yeux...

Ils n'étaient ni humains ni loup, mais un peu des deux, et ça rendait mon regard intense, entre fascination et danger.

— Peu de métamorphes connaissent ce moment précis, celui où les deux consciences se réveillent en même temps, et le seul où on les voit distinctement, m'expliqua Sorata.

— Comment tu l'as découvert ?

— En observant. Jusqu'ici je n'avais jamais eu l'occasion de le photographier. Tu aimes ?

— Beaucoup, avouai-je.

Le cliché était lumineux et en dehors de mes yeux, j'étais rayonnante, allongée là dans ses draps blancs, ma chevelure brune couchée sur l'oreiller. Sorata m'envoya la photo sur mon adresse mail quand je la lui donnai.

Je m'agenouillai sur le coussin à côté de lui.

— Merci, Sorata.

— Pour quoi ?

— Pour m'avoir écoutée.

— La période que tu vis n'est pas évidente. Tu es revenue, pourtant personne ne sait que tu es là. Je suis passé par une situation similaire, je sais l'importance d'avoir à ses côtés une personne sur qui on peut compter quoi qu'il arrive.

Touchée par ses mots, je caressai son visage glabre du bout des doigts sans le lâcher des yeux.

— Est-ce que maintenant, tu veux coucher avec moi ?

— Si tu es pleinement consciente, oui, j'en ai très envie.

J'étais plus consciente que jamais. Je l'embrassai avec tant de langueur que je fondis de l'intérieur une fois encore. Je n'avais pas souvenir qu'un homme m'ait jamais fait cet effet-là. C'était divin.

— Tu as des préservatifs ? demandai-je entre deux baisers.

— Toujours.

Je me mis à cheval sur lui afin qu'il puisse me porter jusqu'à la chambre.

Sorata avait raison, je devais me réapproprier chaque geste du quotidien à mon rythme. Petit à petit, je redeviendrai moi.

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