Chapitre 8
« Bon sang, c'qu'il fait froid, ici ! » râlait Margot en rajustant son bonnet d'aviateur sur ses cheveux couleur de feu.
Dans une grisaille opalescente se levait un soleil timoré qui parvenait à peine à illuminer la plaine et moins encore à dissiper l'air glacial de la nuit. Pelotonnés près du feu pour préparer leur thé matinal, les quatre membres de l'équipe frissonnaient.
Depuis trois jours, des expéditions partaient à pied depuis l'Arcturus pour repérer la zone. Celle d'Elven était partie vers le nord et campait à la belle étoile, au milieu d'une lande hostile et battue par les vents. Composée de Margot, Siméon et Elven, elle était commandée par le lieutenant Asufal d'Ire, un homme expérimenté et prévoyant.
« Ma parole, Margot, tu adores le poste de vigie et tu te plains du froid matinal de la terre ferme ? riposta Siméon avec humeur.
— C'est pas pareil, benêt, tu le sais bien. À la vigie, c'est magnifique. Tu vois tout ! Le monde entier, le ciel entier s'offre à toi. C'est féérique. Et alors l'autre soir, quand j'ai vu les baleines ! Oh ! Tu aurais dû voir ça !
— Vous savez, intervint calmement le lieutenant, il y a beaucoup d'aventuriers du ciel qui courent toute leur vie après les baleines célestes sans jamais avoir la chance d'en apercevoir une seule. »
Elven les écoutait sans un mot, blotti sous la couverture qu'il gardait sur ses épaules. L'image des majestueuses créatures lui revint en mémoire, et il se souvint à quel point, soudainement, il avait été transporté. À quel point le ciel lui avait paru attrayant, fascinant, splendide.
Alors, en repensant aux corps azurés, aux silhouettes éthérées, aux ondulations harmonieuses, en revoyant l'abîme scintillant d'étoiles où nageaient les créatures, Elven réalisa que la terre ferme n'était plus aussi rassurante qu'auparavant. Ici, le silence était le même qu'en haut, mais avait des airs bien plus menaçants. La plaine était vaste, plate à perte de vue. Elle était brune et désolée, craquelée, parsemée de rares arbrisseaux rabougris et desséchés. Le sol rocheux était traître, lézardé de failles, de fractures et de crevasses. Ici, la beauté irréelle des êtres célestes paraissait lointaine et inatteignable.
Aussi, lorsqu'ils reprirent leur lente progression à pied, assaillis par le vent et menacés par les anfractuosités, Elven était déjà morose et ne cessait plus de lever les yeux vers le ciel.
Pour le reste, Margot avait raison : il faisait affreusement froid.
Il était près de midi lorsque Siméon trébucha. En pestant et jurant abondamment, le matelot se pencha pour mieux identifier l'obstacle sur lequel son pied s'était accroché, tandis qu'ils longeaient une longue faille effilée qui saignait la plaine.
Excédés et agacés, Elven comme Asufal firent à peine mine d'entendre les grossièretés éructées dans la colère de leur compagnon. Jusqu'à ce qu'il se taise totalement ; ce fut ce subit silence qui les alerta. Soudain, Elven pressentit quelque chose de plus sérieux que le prompt courroux d'un homme qui avait manqué de s'étaler. Il se retourna.
Siméon se tenait debout, désormais silencieux, les yeux écarquillés, tenant un étrange objet effilé et tordu dans les mains. Il semblait le contempler sous toutes les coutures, comme s'il tâchait d'identifier ce que ça pouvait être. À cette distance, Elven crut à une vieille branche séchée. Mais la stupeur du matelot n'aurait pas été la même, pour une simple branche.
« Hé... finit par les héler celui-ci avec hésitation. Dites... ça vous fait pas penser à quelque chose, ça ? »
Il éleva la pièce à hauteur des yeux. Les trois compagnons échangèrent un regard entendu puis revinrent sur leurs pas, auprès de Siméon. Là, dans sa main, il tenait un morceau de métal. Une bande, longue et étroite, enflée de rouille, enfoncée et cabossée, pliée comme si elle avait été une feuille de papier. Mais elle présentait encore plusieurs trous parfaitement circulaires sur toute sa longueur, et un renfort soudé. C'était sans l'ombre d'un doute...
« Un fragment de dirigeable ! souffla Margot en reconnaissant la pièce de métal. C'est un fragment de dirigeable !
— Oui, reconnut Asufal à son tour. On dirait bien, en effet... ça ressemble à un renfort de structure de nacelle, non ?
— Tout à fait, oui, confirma la timonière.
— Vous croyez qu'on le tient ? réalisa lentement Elven. Le Saint-John, vous croyez que... c'est à lui ? »
Tous se tournèrent lentement vers lui, en silence. Tous l'espéraient. Nul n'osait le formuler. Comme si mettre des mots sur l'éventualité de cette découverte risquait de la faire disparaître. Pourtant...
« Bien, déclama Asufal en recouvrant ses esprits. Est-ce ici précisément que tu l'as découvert ?
— Oui, là, juste là, répondit Siméon. Cette garce dépassait du sol, je me suis pris le pied dedans.
— D'accord. On se sépare, à partir d'ici, on part en étoile. On fouille le sol. Le prochain qui découvre un débris métallique ou un fragment de toile nous fait signe et on converge tous sur lui. On va pister le dirigeable qui a perdu ce morceau. Il a dû en perdre d'autres encore. Elven, tu sais lire une carte ?
— Oui, mon lieutenant !
— Alors tiens ! prends-la. Note cet emplacement aussi exactement que possible. Tu noteras l'emplacement de tous les débris que nous découvrirons. Ils finiront par nous mener à l'épave. Allez ! »
Ils se mirent tous à l'ouvrage, avec un incroyable regain d'énergie et d'espoir. Il ne fallut pas longtemps pour que Margot découvre un nouveau débris, puis Siméon un autre... en les repérant sur la carte, Elven perçut aussitôt une ligne, une trajectoire. Un trait droit, qui filait... vers l'à-pic de la faille qu'ils avaient longée.
Aussitôt, il partit en trottinant, évitant les obstacles et les anfractuosités sur sa route. Il s'interrompit net au-dessus de la faille. En face, la plaine continuait à s'étendre à perte de vue, l'horizon flouté de poussière se confondant avec la brume. Mais entre les deux surfaces, la faille qui s'ouvrait paraissait bien assez large pour engloutir un dirigeable tout entier ...
Avec mille précautions, Elven se pencha un peu en avant. L'obscurité qui noyait le fond de la combe était telle qu'il fut incapable d'y discerner quoi que ce soit.
« Trouvé quelque chose, Elven ? l'interpella Asufal au loin.
— Je ne sais pas, mon lieutenant. Peut-être... en tout cas, cette crevasse me semble bien assez vaste pour y abriter une épave ! Ça pourrait expliquer pourquoi personne ne l'a encore jamais trouvée, malgré le grand nombre d'explorateurs qui l'ont cherchée... »
Asufal revint auprès du mécanicien et contempla l'abîme à son tour. Puis il se pencha sur la carte sur laquelle le jeune homme avait marqué d'une croix l'emplacement de chacun des débris. Comprenant son intérêt, Elven se contenta de tracer, du bout de son doigt, la ligne qui les reliait tous les trois... et croisait à angle aigu la crevasse qu'ils contemplaient désormais.
« Bon sang, bien vu, matelot ! s'exclama le lieutenant. Hé ! Margot, Siméon, ramenez-vous ! On va peut-être descendre faire un tour là-dedans ! »
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