9.

Ma résolution fut mise à rude épreuve lorsque Lila vint me chercher pour aller à Rosding. Après les questions banales, elle attaqua sans attendre.

- Tu crois vraiment à ces conneries que tu as raconté à Louis ?

- Ce à quoi je ne crois pas, c'est aux esprits et toutes ces sornettes. Ça n'existe pas.

- Alors quoi ? Tu te sens mal par l'opération du Saint Esprit ?

- Je ne crois pas à la Bible non plus donc, non. Je pense simplement que je me suis fichu la trouille toute seule comme une idiote. Rien d'autre.

- Tu n'y crois pas plus que moi, à celle-là ! Je te connais mieux que moi-même, Yvana. Tu es trop réfléchie pour réagir comme ça. Tu as peut-être imaginé l'ombre à la fenêtre. C'est possible. Par contre, tu ne te rendrais pas malade pour ça.

- Ce n'est pas quelque chose qu'on contrôle. Mon subconscient peut très bien jouer avec mon système pour ce que j'en sais.

Lila frappa son volant en se tournant vers moi une fois arrêtée au feu rouge.

- Tu te moques de moi, c'est pas possible !

- Non, Lila. Je suis sérieuse. Je ne crois pas que St John's soit hantée ou démoniaque. Il faut rester réaliste. Tu es la première à dire que ceux qui croient à l'occulte sont des idiots et qu'ils devraient se faire soigner !

- Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis.

- C'est de la mauvaise foi.

Elle resta silencieuse. Je crus un moment l'avoir enfin mouchée. J'avais tort. Elle était loin d'avoir fini. Elle avait encore beaucoup à dire, je le vis sur son visage.

Cependant, cette expression, cette peur dans ses yeux... C'était la première fois que je les voyais. Lila était courageuse comme un lion. Elle n'avait peur de rien. Voir cette frayeur dans son regard provoqua un choc chez moi. Jamais je n'aurais cru voir le jour où Lila serait effrayée.

- Il y a des choses dont je ne t'ai jamais parlé, murmura-t-elle.

- Ah bon ? Quoi ?

- J'ai vu des photos et des enregistrements. Ma grand-mère les garde dans une malle dans son armoire. Je suis tombée dessus quand j'ai habité chez elle pendant que mes parents étaient au Rwanda.

Je la fixai, attendant la suite. Il était évident que ce n'était pas facile pour elle d'en parler. Aussi ne la poussai-je pas, la laissant prendre son temps. Elle en avait besoin.

- Je m'en souviens comme si je les avais regardées hier. La malle sentait le moisi. Un peu comme ta maison le premier jour, en fait.

J'eus un sourire bien que je sache que sa blague dissimulait sa nervosité.

- Les photos, ça allait encore. Elles étaient si vieilles et jaunies que c'était flou et quasi impossible à voir. Mais les cassettes... Les bandes étaient intactes et même si le son n'était pas aussi bon qu'aujourd'hui, on pouvait distinctement entendre.

- Entendre quoi ? ne pus m'empêcher de demander.

- Les voix. À cette époque, ils n'auraient jamais su truquer la bande comme on peut le faire maintenant. Alors il est difficile de croire que c'est faux. Et pourtant, ça ressemble carrément à ce qu'on pourrait trouver dans un film d'horreur.

- De quoi est-ce que tu parles ? Quelles voix ?

Elle m'avait perdue. Contrairement à elle, je n'avais jamais été très encline à m'infliger des films d'horreur. Je les trouvais sans intérêt. Je n'avais aucun plaisir à les regarder. Louis étant un adepte inconditionnel de ce genre cinématographique, Lila avait assurément plus de connaissances que moi en la matière.

- C'étaient des enregistrements de séances de spiritisme. Ils n'ont pas entendu les voix sur le moment. La plupart du temps, il y avait ma grand-mère pour présider la séance et une ou deux autres personnes. À chaque fois, ma grand-mère explique pourquoi ils font cette séance, chez qui ils sont... Tout ce qu'il faut pour connaître les détails. Tu vois le genre ?

Elle me jeta un rapide regard pour vérifier que je suivais son récit. Je voyais à peu près ce dont elle voulait me parler. J'imaginais bien les gens autour de la table en train de se tenir les mains et de psalmodier en latin dans l'attente de phénomènes inexplicables.

- Je crois voir, oui...

- Dans chaque enregistrement, ma grand-mère dit que la maison où ils sont est dite hantée et les propriétaires voudraient se débarrasser de l'entité et blablabla. Je pensais que c'était encore une excentricité de ma grand-mère. Tu sais comment elle est, après tout.

Je le savais mieux que personne. Sa grand-mère m'avait harcelée sans répit pendant des jours. La seule fois où je l'avais rencontrée, elle m'avait regardée comme si je portais le démon en moi. Elle m'avait prédit une mort atroce. Elle m'avait aussi dit que je rencontrais l'homme de ma vie dans la plus noire période de ma vie. Si cela signifiait vraiment quelque chose...

Entre autres inepties. Je ne me souvenais pas de tout. Ces deux-là m'avaient interpellée plus que les autres. En même temps, elle me disait que j'allais mourir dans la souffrance et que j'allais rencontrer l'homme de ma vie... C'est le genre de chose que l'on retient lorsqu'on a dix-sept ans.

- En tout cas, les voix sont apparues très vite. Des murmures d'abord et puis, elles sont devenues plus fortes. Il y avait une telle... haine... Une telle méchanceté... Sur toutes les cassettes que j'ai écouté, il n'y en avait peu où les voix étaient autre chose que démoniaques.

- Qu'est-ce que tu veux dire par « démoniaques » ?

- Tu sais très bien ce que je veux dire. Je parle de ces voix sorties d'outre-tombe qui suintent la pire des méchancetés, la violence, la haine... Qui sortent de l'enfer. J'en fais encore des cauchemars parfois.

Sa voix tremblait, trahissant combien ces souvenirs la perturbaient encore. La connaissant comme ma poche, je savais pertinemment qu'elle ne jouait pas la comédie. Elle était sérieuse.

Je n'arrivais pas à la croire. Je ne pouvais pas y croire. C'était trop gros. Des voix démoniaques sur cassettes ? Ça sortait tout droit d'une production de seconde zone de Hollywood. Elle se moquait de moi, forcément. Elle s'était déniché des talents d'actrice hors du commun parce que j'étais presque prête à la croire.

- Qu'est-ce que tu me racontes ? Ces choses-là sont bonnes pour le cinéma, pas pour la vraie vie !

- C'est ce que je pensais avant de les entendre.

Je forçai un sourire en secouant la tête.

- Si tu te moques de moi, ce n'est pas drôle, Lila. Sérieusement.

- Je ne me moque pas ! Je te dis la vérité. Parce que je sais qu'il y a quelque chose de pas très net avec St John's. Ma grand-mère est peut-être une sacrée hurluberlue mais si elle m'a appris quelque chose, c'est de me fier à mon instinct. Et mon instinct me dit que quelque chose de noir et de vraiment mauvais rôde dans cette école.

- C'est pour ça que tu voulais y entrer, en fait. Pour trouver par toi-même.

Elle hocha la tête en se mordant la lèvre. Elle me jeta un coup d'œil.

- Je suis désolée de ne rien t'avoir dit, Nana. Je pensais pouvoir me taire, le garder pour moi. Mais vu ce que tu me dis, tu le ressens aussi alors...

Je ne sus quoi dire. Ce qui m'avait paru comme un délire, une anomalie causée par le stress prenait des proportions trop inquiétantes à mon goût. Je ne voulais pas être mêlée à une telle histoire glauque. Je voulais que ma vie soit aussi paisible que le village que j'habitais.

- Je ne crois pas à tout ça, Lil. Et je doute qu'il y ait quoi que ce soit d'étrange dans cette école sinon le fait que seuls le personnel et les élèves puissent entrer. Et ça, ça n'a rien de surnaturel.

- Libre à toi de ne pas me croire mais fais attention tout de même. C'est tout ce que je te demande.

- Je n'ai pas d'autre choix que celui d'être prudente. Pas avec ma santé.

Elle ne répondit pas, son soupir se perdant dans le ronflement bruyant de la moto qui nous dépassa à toute vitesse. J'aurais aimé éviter cette discussion. Désormais, nous étions toutes les deux mal à l'aise et j'avais juste envie de rentrer chez moi, courses nécessaires ou non.

Heureusement, Rosding se dessinaet nous eûmes autre chose à penser que St John's et l'imagination débordante de mon amie. Surtout que les magasins grouillaient de monde et que Lila se faisait toujours un malin plaisir de râler. Elle détestait être bousculée lorsqu'elle poussait son caddie.

Je fis mine de rien mais notre conversation demeura dans un coin de mon crâne toute la journée. Lila parut complètement l'oublier – ce qui était préférable, à mon sens. Je ne tenais pas à la relancer sur le sujet.

J'écoutai distraitement ma meilleure amie me parler de Louis qui avait encore râlé à qui mieux mieux à cause de notre journée entre filles. C'était toujours le même refrain et, en bonne amie que j'étais, j'eus les réactions de rigueur sans pour autant blâmer Louis. J'avais appris à doser mes réactions pour que Lila puisse s'épancher sans pour autant la mettre en colère parce que je parlais mal de son petit ami.

Elle me ramena chez moi en début de soirée et Louis nous rejoignit pour dîner. Cela acheva de me vider l'esprit. Voir mes deux amis se chamailler comme au premier temps de leur relation me faisait rire, me rassurer. Certaines choses ne changeraient jamais.

- Tu as été voir dans tes combles ? me demanda Louis alors que nous débarrassions la table.

- Non. Je n'ai pas eu le temps d'y aller et je ne sais pas si je ne vais pas simplement condamner la porte. Je n'ai pas besoin de cet espace supplémentaire.

- Je passerai jeter un œil dans la semaine, si tu veux.

Je haussai les épaules.

- Si ça te dit. Le propriétaire m'a dit qu'il n'y avait pour ainsi dire plus de plancher. Je n'ai pas l'intérêt ni les moyens de le refaire donc, honnêtement, c'est secondaire.

- J'irai voir quand j'aurais fini de déblayer tes herbes.

Lui et Lila n'étaient pas ensemble pour rien... Qui se ressemble s'assemble n'était pas un simple proverbe, avec eux.

- Merci, Louis, me sentis-je obligée de dire.

Il eut un geste de la main en guise de réponse.

- On va y aller, nous, reprit-il en récupérant sa veste dans le salon. Tu as l'air épuisée.

- Je vais bien, assurai-je avec un sourire aussi franc que possible.

Je détestais leur mentir. Mais si je leur disais que j'étais épuisée et que j'avais la tête lourde et bourdonnante, ils allaient me couver comme deux poules. Je n'avais pas besoin de ça.

- On se voit dans la semaine, me promit Lila sur le seuil en me serrant dans ses bras. Repose-toi bien !

- A plus !

Louis se contenta d'une bise sur ma tempe avant de gagner la voiture. Je leur fis signe de la main jusqu'à ce que la voiture s'évanouisse dans la nuit.

Je verrouillai la porte derrière moi avant de monter dans la salle de bains à l'étage pour prendre mes cachets. J'étais pâle comme jamais et mes cheveux en paraissaient plus sombres que d'ordinaire. Même mon regard était vitreux, mes paupières lourdes voilant l'iris doré.

Je sursautai violemment lorsqu'on frappa à ma porte. Qui pouvait bien venir chez moi à une heure pareille ? À moins que ça ne soit mes amis qui avaient oublié quelque chose ? Ça n'aurait pas été la première fois.

Je redescendis pour aller ouvrir la porte. Sans savoir pourquoi, je ne défis pas la chaîne.

Et avec raison puisque la femme sur le perron n'était pas Lila.

- Qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Jenna Ashton, il faut que je vous parle de St John's. C'est important. Vraiment.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top