Chapitre LXXIV : Les Amazones (partie 1)


Gaïa avait particulièrement veillé à sa mise. Kittos l'avait saluée avec déférence le matin-même et lui avait déclaré que Titus l'attendait dans la loge impériale.

Elle entra dans l'antre sacrée suivie de près par Néria. Gaïa avait décidé de ne pas se séparer de la jeune esclave. Elle avait imposé sa présence quand Titus l'avait conviée à assister en sa compagnie à la naumachie donnée lors du cinquantième jour de jeux. Les esclaves n'avaient pas osé s'opposer à l'entrée de la jeune fille, mais les prétoriens s'étaient montrés moins accommodants. Titus alerté par les protestations des soldats avait tourné la tête, levé la main. Gaïa était rentrée avec Néria, remerciant l'empereur par un sourire charmant.

Une manifestation gratuite de puissance. Gaïa n'avait pas vraiment besoin des services de la jeune esclave, elle la renvoya d'ailleurs aussitôt à l'arrière de la loge. Mais il n'échappa à personne que la jeune Alexandrine bénéficiait de passe-droits. Personne n'était autorisé à entrer dans la loge Impériale accompagné par qui que ce soit. Excepté l'empereur, excepté Gaïa.

Elle s'assit.

Elle n'avait pas assisté à la chasse du matin. Malgré elle, les inquiétudes de Marcia la taraudaient.

— Gaïa ? l'appela familièrement l'empereur. Qui donnerez-vous gagnant enfin d'après-midi ?

Je gage que notre belle Alexandrine ne porte son choix sur les Amazones, Imperator, intervint Marcus Flavius Sisenna qui n'avait pas oublié que Gaïa avait jeté son dévolu sur une gladiatrice lors de la mémorable soirée qu'il avait donnée chez lui neuf jours auparavant.

Vraiment ? s'étonna un homme que Gaïa n'avait encore jamais vu. Des femmes contre des hommes ? Seront-elles plus nombreuses ?

Non, autant d'hommes que de femmes combattront sur le sable, répondit Titus.

Les Amazones ont toujours perdu leurs combats, déclara péremptoirement l'inconnu.

Elles n'auraient jamais fondé des royaumes si elles avaient été de si piètres guerrières, répliqua Gaïa.

Hercule les a massacrées les unes après les autre, Thésée n'en a pas fait moins, et sous les murs de Troie, Achille n'a pas eu de mal à vaincre la reine Penthésilée.

Les hommes ne sont pas très enclins à reconnaître que des femmes puissent les surpasser à la guerre.

Une femme ne sait pas combattre.

Un ami tribun qui avait participé aux campagnes de Bretagne m'a affirmé le contraire. Il avait beaucoup de respect pour les qualités guerrières des femmes de Bretagne.

Qui donc ? intervint l'empereur.

Le tribun Kaeso Atilius Valens, mais vous le connaissez, Imperator.

Valens ?

Il a participé à la campagne de Judée à vos côtés, précisa Gaïa.

Oui, c'est exact, je me rappelle d'un homme intègre et efficace. Où l'avez rencontré ?

En Lycie-Pamphylie, à Patara.

Il servait dans la Fulminata, non ?

Il servait votre père Vespasien avec dévouement... avant de se faire assassiner.

Titus fronça imperceptiblement les sourcils.

— Un ancien compagnon d'armes, Imperator, ajouta Gaïa d'un ton égal.

...

Il aurait donné comme moi, les Amazones victorieuses.

Vos sentiments vous aveuglent, lança Marcus Flavius.

Des sourires fleurirent sur bien des lèvres. Il était de notoriété publique que la jeune Alexandrine bénéficiait des faveurs de la bestiaire aux cheveux d'or et que, comme si les charmes de la jeune gladiatrice ne lui suffisaient pas, qu'elle avait arraché à l'Empereur ceux d'une rétiaire qui, si elle ne bénéficiait pas de l'aura de la jeune auctorata, n'en était pas moins belle et désirable. Elle combattait cet après-midi dans les rangs des Amazones. Elle était d'ailleurs appréciée pour sa maîtrise dans le maniement du filet et ses combats très techniques.

— Prendriez-vous le pari contre moi, sénateur ? proposa Gaïa.

Tout à fait.

Parions alors.

Les affranchis au service de l'empereur se précipitèrent. Les paris fusèrent et tout le monde oublia que quatre paires de gladiateurs combattraient avant l'amazonachie.


***


— Ils sont pourris ces boucliers, ronchonna Aeshma.

T'auras qu'à le balancer, ce ne sera pas la première fois, fit Astarté en posant une main sur l'épaule de la jeune Parthe.

Astarté, tu seras avec nous ? demanda Bellone.

Qu'est-ce que tu crois ?

Astarté !

Un pas de course. Une accolade abandonnée. Des lèvres pincées. Un regard heureux.

— Galini...

Les deux gladiatrices se croisaient pour la première fois depuis le début des jeux.

— Tu t'en es bien sortie, fit Astarté.

Je n'ai jamais oublié tes leçons.

Presque jamais, observa Aeshma d'un ton revêche.

Je n'ai pas oublié les tiennes non plus, répondit la jeune gladiatrice.

Et les miennes ? intervint Sabina facétieuse.

Euh, non plus.

Ben, on va voir ça ! déclara Astarté. Au fait, Aeshma, tu t'es fait belle pour les beaux yeux de qui ?

Sabina se mit à rire. La Parthe se renfrogna.

— Tu aurais adoré, Astarté, ricana Sabina. On l'a coincée à trois et on lui a fait ravaler sa morgue. Elle s'est soumise comme une gentille fille aux mains de Gallus et de Germanus.

Ah, ouais ?

Si tu avais vu la tête des doctors quand ils l'ont vue hier matin ! Et Téos !

Le sanglier te va très bien, Aesh, grimaça Astarté.

T'es aussi con que les autres.

Peut-être, rit Astarté. Mais j'avoue que tu en jettes.

Ouais ?

Ouais.


***


Quarante gladiatrices. Quarante gladiateurs.

Quarante Amazones. Quarante Grecs.

Des têtes nues, des tuniques de lin blanc qui laissaient un sein découvert, des jambes nues, des bottes en cuir souple, des boucliers semi-circulaires légers, quelques arcs, des lances, des épées et des poignards, d'un côté.

Des casques d'hoplites, des torses nus, de larges ceintures, des ocréas, des galigaes, de grands et lourds boucliers circulaires, de longues épées et des lances, de l'autre côté.

Trente-trois fantassins, sept cavalières.

Quarante fantassins.

Aeshma ne connaissait pas les autres cavalières. Des Juliani à qui elle avait à peine eu le temps de parler. Elle s'était imposée. Avait préconisé des attaques rapides à coups de lance. Les gladiatrices étaient défavorisées par leurs équipements défensifs. L'intervention des cavalières en début d'affrontement serait décisive.

— Je sais monter à cheval, dit une gladiatrice. Mais je n'ai jamais combattu à cheval. Je ne suis pas bestiaire, ni equite.

Moi, non plus, répliqua Aeshma. On se débrouilla quand même.

Pourquoi ils n'ont pas engagé des bestiaires ? demanda une fille. On aurait eu des filles comme Marcia, on aurait écrasé les gars comme des mouches.

Parce qu'on est déjà trop fortes pour eux et que si Marcia et d'autres bestiaires étaient venues en soutien, il n'y aurait même pas eu de combat, juste un massacre.

Les affirmations d'Aeshma enflammèrent les esprits et gonflèrent les equites d'un jour de courage et de détermination. Elle leur avait redonné confiance.

.

Les hommes entrèrent les premiers.

L'amphithéâtre apprécia leur apparence et manifesta avec bruit et vivats son contentement. Un cheval de bois immense, reconstitution du cheval qu'avait fait construire Ulysse devant Troie, se dressait à un endroit. Des palissades, des petits fortins et des tentes occupaient deux tiers de la surface de l'arène. Ils avaient été disposés de manière à rendre le spectacle plus pittoresque, à séparer les combattants et à inciter les gladiateurs à engager des combats singuliers. Les organisateurs n'avaient pas voulu que l'affrontement s'apparente à une mêlée furieuse, mais qu'il ménage des surprises, des défis, qu'il donnât aux spectateurs le loisir de suivre plus personnellement l'un ou l'autre des combattants.

Officiellement, l'enjeu de l'affrontement était le cheval de bois. Les Grecs devaient le défendre. Les Amazones le conquérir et le détruire.

Des envoyés de l'empereur avaient été dépêchés auprès des futurs participants pour leur expliquer à eux, à leurs doctors et à leurs lanistes ce qu'on attendait très précisément de cette exhibition. Jamais personne n'avait présenté d'amazonachie dans un amphithéâtre, Titus attendait que le spectacle soit à la hauteur de ses ambitions. Héros grecs et Amazones légendaires ne pouvaient se permettre d'être minables ou médiocres.

Les gladiateurs se dispersèrent dans la partie qui leur était tout d'abord assignée. Ils avaient bien appris leur rôle et sous les yeux de la plèbe ravie, ils se glissèrent dans la peau des Grecs anciens. Retirés dans leur campement.

L'orchestre se mit à jouer. Des esclaves apparurent. Les hommes portaient de grands plateaux garnis de victuailles, des amphores, de la vaisselle. Ils furent accueillis à grands cris par les gladiateurs. Les plateaux furent posés par terre, les amphores débouchées.

Dans les gradins, se jouait la même scène. Des centaines d'esclaves distribuèrent friandises, fruits et pain, tandis que d'autres aussi nombreux offraient du vin aux plus chanceux, de la posca aux autres. Des jeunes filles passaient en arrosant les spectateurs d'eau de rose et de safran. Leur apparition concorda avec celle de danseuses sur le sable.

Les gladiateurs trinquaient, mimaient des conversations animées, des étreintes amoureuses, le sommeil. Une vie de camp oisive et voluptueuse. Ménélas, qu'on reconnaissait à son cimier plus grand qu'aucun autre, n'avait rien de commun avec les austères Lacédémoniens.

L'orchestre arrêta soudain de jouer, le son des tambours résonna.

Boum, Boum, Boum...

Les spectateurs retinrent leur souffle.

Dans les coulisses, les grilles s'ouvrirent une nouvelle fois. De furieux hurlements jaillirent. Les Amazones entrèrent sur le sable. Toutes ensemble, les trente-trois fantassins et les sept cavalières. Une charge sauvage en avant.

Le public se leva en hurlant :

— Attention !

Les Amazones !

Aux armes !

Debout, les Grecs ! Debout !

Combat ! Combat !

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Titus se fendit d'un sourire et se laissa aller sur le dossier de son siège. Astyanax priait pour que les combattants fussent à la hauteur des attentes de l'Imperator. La pompa avait remporté un vif succès. Ménélas et son cimier, Achille et sa cuirasse d'or, les équipements d'hoplites copiés sur les œuvres d'art anciennes, les gladiatrices. Leur nudité, leur poitrine altière. La reine Penthésilée qu'on reconnaissait à sa tunique de pourpre. L'humour qui voulait que la gladiatrice qui l'incarnait, portât le même nom que son modèle. L'intérêt curieux qu'une cavalière recouverte de peinture bleue avait suscité. L'entrée en scène des Amazones. La vélocité des cavalières. La légèreté des femmes qui bondissaient. La solidité des hommes qui les attendaient fermement campés sur leurs deux jambes.

Le choc des combattants.


***


— Abattez les cavalières ! cria un Grec. Les chevaux !

Un gladiateur grogna. L'ordre était plus facile à donner qu'à exécuter. Les filles se déplaçaient au grand galop. Elles fonçaient lance en avant, piquaient et repartaient aussitôt. Pas de morts, mais plusieurs gladiateurs furent atteints aux cuisses et aux bras. Elles détournaient leur attention des gladiatrices à pieds et plusieurs hommes furent transpercés de ne s'être pas concentrés sur leurs adversaires directes.

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Aeshma galopait quand deux hommes surgirent de derrière une palissade, elle tourna bride, son cheval dérapa, vira à gauche en catastrophe, un javelot siffla. Un deuxième. La bête hennit. Une éraflure. Elle se retrouva à l'abri d'une palissade. Elle talonna sa monture. Tomba sur Galini et Ishtar.

Les deux jeunes gladiatrices étaient engagées dans un combat contre quatre grecs. Qu'est-ce qu'elles foutaient ? Une, pratiquement novice avec Galini ? Où était Xantha ? Elle aperçut la Germaine qui se battait contre un grand hoplite un peu plus loin. Aeshma cria. Elle bouscula les quatre gladiateurs qui pressaient les deux jeunes filles, sa lance traversa la gorge offerte de l'un d'entre eux. Son cri d'horreur mourut dans un gargouillis. Galini attaqua en force, repoussa son adversaire et l'accula contre une palissade. L'homme se fendit, elle s'effaça vivement, son bouclier partit en avant, droit dans les genoux du gladiateur. Il cria, ouvrit sa garde. La jeune gladiatrice se recula d'un pas, lança encore une fois son bouclier. L'homme tomba à genoux. Elle frappa de taille. À la base du cou. Elle ne regarda même pas l'homme s'écrouler. Elle se retourna et courut soutenir Ishtar. La jeune gladiatrice flanchait, blessée au bras. Galini arriva comme un boulet d'onagre, bouclier en avant. L'homme trébucha, roula sur une épaule.

— Putains de filles ! jura-t-il.

Sans l'intervention de Galini, il aurait éliminé Ishtar. Il leur fit face. Des jeunes. Pas très grandes. Il allait les écraser. Aeshma fondit sur lui et lui asséna un coup d'épée sur la tête. Il tomba sans un cri. Le quatrième gladiateur s'enfuit.

La petite thrace ne s'attarda pas. Elle encouragea les deux jeunes gladiatrices à ne pas se séparer, demanda à Galini de soigner rapidement Ishtar et à cette dernière de lui faire honneur. Aeshma appréciait la jeune thrace, elle avait envie de pouvoir continuer à la former dans leur armatura. Elle comptait sur Galini pour cela. Les deux jeunes filles hochèrent la tête. Rassurée, Aeshma repartit vers un autre terrain d'opération.

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— Aesh ! l'avertit soudain une voix.

Une ombre sur sa droite. Trop tard. Un choc brutal. La jeune Parthe vida sa selle et s'écrasa à terre. Un corps lourd sur elle. De violents coups de poing. L'éclat d'une lame. Sa main qui se referme sur une gorge. Un cri sauvage. De la poussière. Un râle. Un juron. Une main tendue. Un visage inquiet.

Aeshma accepta la main et sauta sur ses pieds.

— T'as rien ?

Non.

Tu saignes, remarqua Atalante en lui passant un pouce sur la pommette gauche.

Pas grave.

On fait équipe ?

Et tes protégées ?

Margarita s'est fait clouer sur un mur.

Elle est morte ?

C'est tout comme.

Et Artémis ?

Elle n'a pas survécu au premier assaut.

On fait équipe.

Les deux melioras partirent ensemble.


***


Lucanus para avec son bouclier. La fille qui lui faisait face déployait beaucoup de puissance. Une secutor ou une mirmillon. Il ne servirait à rien de lui opposer une défense de brute. Le combat commençait, c'était la première fille contre qui il se battait vraiment. Il y avait eu un premier choc, puis les Grecs s'étaient dispersés. Ils avaient contourné les constructions, la stratégie était de laisser les filles rentrer à l'intérieur du camp, de leur opposer une force réduite pour les distraire, tandis que le plus gros des combattants les contournaient par l'extérieur. Ils formeraient une tenaille qui se refermerait lentement sur elles. Gênées par les gladiateurs qu'elles combattaient au centre, elles ne pourraient pas se désengager.

La fille était apparue au détour d'un fortin et lui avait foncé dessus. Lucanus bénéficiait encore de toute son énergie. Il se mit à danser. La gladiatrice le suivait lourdement. Elle lui rappelait Xantha. Il la battrait de vitesse. Elle s'essouffla et tout à coup, il fut derrière elle. Elle n'aurait jamais le temps de se retourner. Il allait porter un coup fatal quand des Amazones le surprirent et se mirent à courir vers lui en hurlant. Il choisit la retraite. Le public lui en voudrait, mais à quatre contre un...

L'important était de remporter la bataille. Les arbitres arrêteraient le combat quand ils jugeraient l'un des deux camps vainqueur. Il s'introduisit dans un fortin et grimpa sur la plate-forme supérieure.

La bataille faisait rage. Aeshma et Atalante combattaient dos à dos trois gladiateurs. Ils n'avaient aucune chance. Plus loin, il vit Astarté lancer une charge, des filles suivaient derrière. Des corps gisaient un peu partout. Une dizaine, peut-être plus. Des morts, mais aussi des blessés qu'on n'avait pas encore pris le temps d'achever. Margarita avait les mains accrochées sur la hampe d'une lance. Lucanus n'aurait su dire si la rétiaire prenait appui dessus ou si elle essayait de se libérer. Elle avait assisté à sa chute à Capoue. Il détourna le regard. Tenta d'évaluer les chances des uns et des autres.

L'issue des combats lui sembla confuse. Les filles étaient mieux organisées, mais plus vulnérables. Il aurait fallu qu'elles combattent toutes comme la familia de Téos pour pallier leur absence de protection. Les chances lui parurent inégales. Les arbitres en tiendraient-ils compte ?

Les arbitres...

Quelles étaient les clauses du combat ?

Conquérir le cheval de Troie.

Et si c'était un leurre, un mensonge ?

Lucanus n'avait pas pensé à regarder comment il était construit. Il jeta un œil dans la direction du grand cheval de bois et le trouva soudain horriblement solide.

Et si celui-ci se révélait indestructible ? Si l'enjeu réel était tout autre ?

L'extermination d'un des deux camps.

Non, se morigéna Lucanus. On n'avait pas parlé d'extermination.

Ce n'était d'ailleurs pas envisageable. On ne pouvait pas exterminer le camp des Amazones. Il y avait un nombre non négligeable de melioras parmi elles. Des filles comme Astarté, Aeshma ou Atalante qui s'étaient bâti une réputation auprès du public de Rome. Une fille comme Sabina.

Sabina.

Où était l'hoplomaque ?

Il inspecta fébrilement l'arène. Compta inconsciemment les gladiatrices couchées. Toutes les cavalières avaient été éliminées ou démontées. Trois chevaux hennissaient misérablement, couchés par terre, les jarrets coupés.

— Sabina, où es-tu ? murmura Lucanus.

Il sauta lestement de la plate-forme. Il évita les engagements, les filles à la recherche d'adversaires.


***


— Que fait ce grec tout seul ? s'étonna Claudius Pera.

Il évite les combats, répondit son voisin après avoir repéré le secutor. Un lâche certainement.

Il cherche quelqu'un, murmura Gaïa.

Vous croyez ?

Je n'en suis pas sûre, mais...

Je crois que vous avez raison, intervint un tribun. Je le suis depuis un petit moment. J'ai beaucoup aimé sa façon de bouger tout à l'heure. Une armatura lourde, mais très vif. Il ne fuit pas le combat.

Vous croyez qu'il cherche un amant ? demanda Claudius Pera.

Peut-être.

Ces gladiateurs jouent le jeu jusqu'au bout, déclara Marcus Flavius ravi. En tout cas, l'avantage, comme c'était attendu, va aux Grecs.

Rien n'est joué, fit Gaïa d'une voix mal assurée.

Vous croyez que le cheval peut être détruit ?

Gaïa pâlit.

— Votre rétiaire combat, n'est-ce pas ? demanda pernicieusement Marcus Flavius.

Oui.

Imperator ? l'interpella sans façon le sénateur.

Marcus ? fit l'empereur sans se retourner.

Si le cheval ne peut être détruit par les Amazones, jusqu'où combattront les gladiateurs ?

Je ne sais pas encore.

Flavius se pencha à l'oreille de Gaïa.

— Vous ne perdrez pas que votre pari dans l'affaire, la gladiatrice était charmante.

Elle l'ignora. Mais s'il disait vrai. Elle n'aurait même reparlé à Aeshma.

Un cri de surprise souleva la foule.

— Oh, vous aviez raison, s'écria Marcus Flavius à l'intention du tribun.

.

Sur le sable, un Grec avait trahi son camp.

Lucanus avait enfin retrouvé Sabina. Une juliana se vidait de son sang auprès d'elle. Une autre gisait les entrailles ouvertes un peu plus loin. Marpessa combattait à ses côtés. Aeshma avait ordonné à la thrace d'être l'ombre de l'hoplomaque. Marpessa avait accepté sans rechigner. Sa meliora parlait. Marpessa s'exécutait. Elles étaient arrivées à quatre, s'étaient heurtées à un groupe de six hommes. Sabina en avait prestement élimé un, Marpessa aussi. Et puis, les juliani étaient tombées et elles s'étaient retrouvées à deux. Deux autres gladiateurs se présentèrent. Six contre deux. Marpessa avait reçu un coup de lance qui lui avait déchiré la cuisse. Elle saignait. Sabina recula jusqu'à elle.

— Marpessa, c'est toi et moi contre eux.

La jeune thrace hocha la tête. Sabina la trouva pâle. Les hommes ricanaient déjà. Ils allaient s'amuser un peu. Le public n'approuverait pas un assaut. Ils attaqueraient les gladiatrices à tour de rôle. Qu'elles se montrassent bonnes combattantes ou pas, elles se fatigueraient. Les deux premiers se lancèrent.

Lucanus était arrivé par-derrière les hommes. Il regarda les deux filles affronter la première paire, la deuxième, puis la troisième. Elles combattaient vaillamment. Une partie des spectateurs suivaient leur démonstration et saluaient par des hurlements les coups et les esquives.

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Elles ne tiendront pas, regretta extrêmement déçue une vestale à sa voisine.

Elles méritent pourtant la victoire.

Le cœur des vestales battaient pour les gladiatrices. Elles n'avaient rien de commun avec ces esclaves abjectes frappées d'infamie qui vivaient par la violence et offraient aussi bien leurs charmes que leur sang au public. Officiellement, les vestales méprisaient les gladiatrices. Mais aujourd'hui, elles incarnaient des Amazones. De farouches Amazones qui vivaient en dehors des lois édictées par les hommes. Femmes libres, elles s'étaient bâti un royaume qu'elles gouvernaient sans partage. Les vestales vivaient retirées du monde, en prison. Vierges, si elles n'avaient pas subi la concupiscence d'un homme trop haut placé pour craindre de subir les foudres de la déesse ou de la loi qui rendait les servantes de Vesta, sacrées et intouchables.

Voir des femmes écraser des hommes sous leurs yeux leur procurait un étrange sentiment de jouissance malsaine. Elles jubilaient intérieurement du sang mâle versé par des mains de femmes. Elles ne l'auraient avoué à personne, mais les gladiatrices réalisaient sous leurs yeux les fantasmes qu'elles nourrissaient dans les profondeurs de leur maison sacrée.

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Sabina laissa échapper un râle de douleur. Un Grec lui avait balancé par trois fois le bord de son bouclier à la tête. Elle avait assez combattu de mirmillons ou de secutors pour gérer ce type d'attaque. Assez fréquenté Astarté. Mais le dernier coup la déstabilisa, elle se cogna à Marpessa et le Grec contourna sa garde. L'épée déchira sa tunique, trancha dans les reins. Les Amazones ne portaient pas de larges ceintures de cuir. Les gladiatrices avaient remisé les leurs dans leurs coffres en quittant leur ludus. Le sang n'eût pas coulé si Sabina avait porté sa ceinture. L'homme en face d'elle ricana.

— On a assez ri, déclara-t-il. Allez les gars, on se débarrasse d'elles.

Ses cinq compagnons levèrent les armes. Les deux gladiatrices se mirent en garde. Elles n'eurent pas besoin de se consulter, Herennius les avaient bien entraînées et Marpessa méritait sa place au deuxième palus. Elles se lancèrent ensemble. Elles mourraient, mais pas seules.

Ou elles ne mourraient peut-être pas.

Lucanus réagit au râle, à la vue du sang, au rictus de douleur.

Les gladiateurs se concentraient sur les deux femmes qu'ils allaient massacrer. S'ils étaient habiles, ils les désarmeraient, les jetteraient à genoux et les égorgeraient proprement. Comme on égorge un combattant à la fin d'un combat singulier. Une action d'éclat. Remarquable. Appréciable. Qui leur vaudrait des applaudissements. Le public aimait les mises en scène.

Sabina et Marpessa n'avaient plus rien à perdre. Lucanus avait cédé à la rage et au désespoir.

Les six gladiateurs ne retirèrent pas la gloire qu'ils avaient escomptée de leur combat contre les deux Amazones. Lucanus planta son épée dans le dos d'un premier homme. Il lâcha ensuite son bouclier, attrapa un deuxième homme par l'épaule, le fit pivoter vivement et son épée se ficha dans l'abdomen de l'homme qui se plia en deux. Il dégagea sa lame, poussa violemment un gladiateur sur le côté, para une épée qui menaçait Marpessa. La jeune gladiatrice ne prit pas le temps de comprendre, elle profita immédiatement de l'intervention de Lucanus pour se fendre en avant. Sa lame toucha l'épaule, l'homme rompit le combat et gagna la sécurité d'un petit fortin sous les huées du public qui suivait l'affrontement.

Trois contre trois. Lucanus se plaça à la droite de Sabina.

— Tu es meilleure que moi à ce genre de jeu, Sabina, dit-il dans un souffle.

La meliora hocha la tête et se plaça en pointe. Le combat reprit. Elle réfléchirait après la tournure que venaient de prendre les événements. Lucanus venait heureusement de retourner la situation.

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— Il ne cherchait pas son amant ! s'exclama Marcus Flavius.

Cette reconstitution est divinement réaliste. Les gladiateurs nous offrent une représentation théâtrale des plus étonnantes. Ne voit-on pas le héros Grec tomber sous le charme de son adversaire ? Achille et Penthésilée sont de retour !

Imperator, le spectacle est sublime.

Titus sourit. La trahison du Grec l'avait contrarié. L'empereur, féru de gladiature, habitué qu'on respecta scrupuleusement les règles que lui, Titus, avaient édictées, se sentit personnellement offensé par la trahison du gladiateur. L'homme défiait les règles et les violait de façon ignominieuse. Un affront personnel que le munéraire ne pouvait accepter.

Les réactions de ses courtisans et du public l'amenèrent à revoir sa position. La violation des règles n'était peut-être pas si grave. L'important était qu'elle ne ternît pas sa réputation.

— Quelle bonne idée d'avoir demandé à un gladiateur de rejoindre, au cours de la bataille, le rang de ses ennemies !

Personne ne serait dupe, même les amateurs de tragédie ou ceux qui se pâmaient à l'idée même d'une histoire d'amour illicite et tragique, sauraient que le gladiateur avait agi de sa propre initiative. Mais, sans l'avoir prémédité, l'homme avait ménagé une heureuse surprise, une de ces péripéties inattendues qui ravissaient tant le public. Si l'homme survivait, si les Amazones remportaient la victoire, il serait alors temps de punir ou de pardonner.


***


Atalante et Aeshma avaient balayé tout ce qui trouvait sur leur passage. Peu de monde à vrai dire. Cinq gladiateurs qui n'avaient pas retenu les melioras outre mesure.

— On va transformer ce cheval en tas de copeaux, grogna Aeshma en apercevant leur objectif.

Mouais. Elles joueraient au bûcheron, mais avant de s'adonner au plaisir de la destruction, elles devraient passer sur le corps de quelques Grecs décidés à protéger leur bien.

Une dizaine de gladiateurs défendaient la construction de bois.

— Merde, je ne pensais pas que ce truc était si gros.

Je ne crois pas que ce soit notre seul problème, Aesh.

Mouais, reconnut la petite thrace.

À deux, elles ne passeraient jamais.

— Eh, les filles ! les interpella une voix empreinte de jovialité. Besoin d'aide ?

Astarté.

La Dace, légèrement essoufflée, accourait vers les deux melioras. Elle était torse-nu. Sa tunique pendait en lambeau par-dessus la mince ceinture des Amazones. Elle avait récupéré un bouclier grec sur l'un de ses adversaires. Ils étaient lourds, plus lourds que ceux avec lesquels combattait en général Astarté, mais la Dace s'était entraînée des années avec des boucliers en bronze. Elle avait retrouvé les mêmes sensations qu'à l'entraînement. Le plaisir d'une arme lourde qu'elle n'avait jamais testé que sur des palus.

— Sympa ton bouclier, Astar, remarqua Aeshma. Tu t'amuses avec ?

C'est mortel, rit la Dace aux larges épaules.

M'étonne, grimaça Aeshma.

T'as pas aimé le tien, Aesh ?

Non.

La jeune Parthe s'était débarrassée de son bouclier et l'avait remplacé par une épée. Dangereux en défense, létal en attaque.

— Tu as atteint la parfaite félicité, alors ? Pas de casque, deux épées...

Ouais.

On va gagner cette bataille.

C'est pas pour t'offenser, Astar, lui dit gentiment Aeshma. Mais même à trois...

Pas à trois, corrigea Astarté. J'ai ramené des troupes.

Où ?

— Mmm... là-bas, dit-elle en désignant vaguement un endroit avec son épée. On est tombées sur un petit groupe de gladiateurs. Je les ai laissées se débrouiller toutes seules.

...

J'avais hâte de vous revoir, fit-elle avec un clin d'œil.

T'es con.

Les meilleures nous rejoindront, grimaça Astarté contente d'elle-même.

C'est ce que je n'aime pas chez toi, maugréa tout à coup Atalante qui, occupée à inspecter le terrain, s'était jusque-là tenue coite. Ton cynisme.

Je peux repartir, si tu veux. Je trouverais bien des têtes à exploser ailleurs.

Reste, répondit Atalante.

En même temps... ce n'est pas une si mauvaise idée, déclara lentement Aeshma.

Tu veux que je parte ?

Je parlais de partir ailleurs.

Explique, l'enjoignit Atalante.

On t'écoute, Aeshma.

Aeshma avait une idée. Atalante était toute ouïe. Astarté aussi. Qui disait combat en groupe, disait coopération et échange. Herennius les avait durement formées à cette idée. Il avait eu du mérite car les gladiateurs combattaient seuls dans l'arène. Seuls contre tous. Il leur avait appris à se battre ensemble et ne tolérait aucun manquement à ce qu'il nommait l'esprit de corps. Les novices étaient formés aux combats en groupe dès leur arrivée. Les plus anciens avaient des années d'expérience derrière eux. Les filles en particulier. Elles avaient intégré que leur survie dépendait de leur capacité à écouter, échanger, protéger et coopérer avec leur camarades. Les melioras ne se contentaient pas de mettre uniquement en œuvre cet enseignement quand elles se battaient ensemble. Elles y recouraient pour former les novices ou les jeunes gladiatrices, pour régler certains conflits, et tout le ludus en profitait. Les novices bénéficiaient d'un programme complet de formation et les filles évitaient bien des punitions. Il y avait toujours des fortes têtes et des bagarres éclataient régulièrement, mais l'ambiance était plus chaleureuse que chez les gladiateurs. Même des gladiatrices comme Aeshma et Astarté participaient à la vie communautaire.

— Ce truc ne m'inspire pas, dit Aeshma en désignant le cheval de bois. Ils sont trop nombreux à le garder et on risque de se faire prendre à revers. Pourquoi ne pas faire le ménage d'abord ? Combien de filles arrivent, Astar ?

J'en avais sept avec moi.

Qui ?

Galini, Penthésilée, Lysippé, une fille de mon ludus et trois autres que je ne connaissais pas.

Galini était seule quand tu l'as récupérée ?

Non, il y avait une jeunette avec elle.

Ishtar.

— On les attend, on se sépare en deux groupes, on fait le ménage et on se regroupe ensuite ici. On s'attend.

Le public va apprécier si on reste les bras croisés, avança Astarté sarcastique.

On s'amuse alors, mais on ne s'occupe pas du cheval.

T'as perdu le tien, au fait ? demanda Astarté.

Ouais.

Si j'en trouve un, tu le veux ?

Ouais.

C'est d'accord. Et Xantha ?

Pas vue.

Sabina ?

Même chose.

Cinq gladiatrices les rejoignirent. Les quatre de Sidé avaient survécu.

Atalante et Aeshma restèrent ensemble. Ishtar et une gladiatrice d'Alexandrie furent intégrées dans leur équipe. Aeshma surveillerait la jeune thrace. Elle était blessée, elle deviendrait son ombre. De toute façon, Astarté était nulle avec les novices.

Galini s'illumina quand la Dace aux yeux dorés se fendit pour elle d'un sourire heureux et la félicita de s'en être encore une fois sortie. Les deux reines des Amazones se congratulèrent de leur bonne fortune. Lysippé s'était reçu un coup d'épée au-dessus du genou, mais Penthésilée avait découpé sa tunique rouge et lui avait bandé la jambe. Lysippé avait crié qu'elle avait été touchée par la grâce d'une Reine et elle avait continué à courir aussi vite qu'avant.

Les deux groupes se séparèrent.

Aeshma et Atalante remontèrent du côté de la loge Impériale, Astarté du côté opposé. Elles rejoindraient le tiers de l'arène dépourvu de construction et retourneraient cette fois par le centre en direction du cheval de bois.

Les gladiateurs postés autour du grand cheval de bois, n'eurent plus personne à combattre.


***


Marcia jura entre ses dents. Elle ne voyait rien. Le combat se déroulait deux cent pieds plus bas. La vue d'ensemble était remarquable, mais la jeune fille s'en moquait. Elle, ce qu'elle voulait, c'était analyser la nature des blessures, leur gravité, le sang qui s'en écoulait, lire l'expression des visages, voir les lueurs qui brillaient dans les yeux des gladiateurs.

Elle aurait dû se trouver sur le sable. Combattre aux côtés de sa meliora, soutenir Galini, entendre les jurons d'Aeshma, retrouver Astarté. Elle avait espéré que Téos lui accordât enfin le droit de combattre sur le sable comme gladiatrice. Elle avait osé lui en parler et il lui avait rétorqué qu'elle faisait ce que lui, décidait qu'elle fît et qu'il ne gâcherait pas son talent à l'engager dans une sanglante reconstitution de bataille. Il conclut que si elle n'était pas contente de son sort, il pouvait, pour bien lui faire comprendre qui dirigeait le ludus, la consigner au ludus jusqu'à la fin des jeux.

— Au ludus Bestiari, précisa-t-il méchamment.

Marcia n'avait pas insisté.

La jeune fille s'inquiétait. Elle avait ri des malheurs d'Aeshma le soir précédent, mais elle avait mal dormi. Elle s'était résolue à quitter le ludus le matin après avoir salué toutes celles qui participaient à la représentation. Elle avait affiché un air crâne et suffisant.

Les filles débordaient de confiance et d'énergie. Marcia ne voulait pas jeter d'ombre sur leur humeur. Beaucoup s'étaient désolées qu'elle ne partageât pas leur matinée et leur déjeuner avec elles. Marcia avait invoqué des entraînements imaginaires. Carpophorus ne l'attendait pas aujourd'hui. Aeshma avait froncé les sourcils, la petite thrace soupçonnait son humeur sombre. Marcia avait détourné son attention en se moquant de ses peintures. Aeshma s'était laissée prendre au piège et avait une nouvelle fois agoni d'injures ses camarades. Elle se montrait d'une mauvaise foi désarmante. Marcia l'avait surprise plusieurs fois s'admirer les bras.

Atalante était plus difficile à manipuler. La grande rétiaire l'avait rattrapée avant qu'elle ne franchît la porte du ludus et l'avait traînée de force dans un coin sombre.

— Tu t'inquiètes ? lui avait-elle demandé.

...

Marcia, on a l'habitude de ce genre de combat. Herennius nous a bien préparées. On est les meilleures et Astarté ne combattra pas différemment que quand elle appartenait à la familia.

...

Tu doutes de nous ?

Non... C'est juste que... Atalante, pourquoi Téos a-t-il engagé tant de gladiatrices cet après-midi ?

Parce qu'on est les meilleures, Marcia. Que les autres ne font pas le poids. Que l'Empereur veut offrir un beau spectacle, un beau combat. Les combats ridicules et sans enjeux ont lieu aux meridiani, pas dans l'après-midi. Voilà pourquoi.

Je sais, murmura Marcia en baissant la tête.

Reste avec nous, Marcia. Tu pourras nous accompagner à l'amphithéâtre.

Non.

Pourquoi ? Tu sais que ça fera plaisir à Aeshma et qu'Astarté sera heureuse de te voir. Elle nous demande souvent de tes nouvelles et quand on a le temps, on parle ensemble de tes combats. Vous êtes idiotes de ne pas vouloir vous rencontrer. Tu vas finir par quitter Rome sans l'avoir revue.

...

Astarté t'aime beaucoup, Marcia. Je sais que tu l'aimes aussi. Tu as peur de la revoir, elle aussi, mais vous avez tort.

Marcia avait détourné le regard. Oppressée comme à chaque fois qu'elle pensait à Astarté, qu'on évoquait la Dace aux larges épaules devant elle.

Je vous connais toutes les deux. Je sais que ça passera bien. Vous êtes stupides. Tout le monde est stupide en ce moment.

Tu parles de Gaïa ?

Oui.

Elle me parle souvent d'Aeshma.

Évidemment ! s'était écriée Atalante en soupirant. Marcia ? avait-t-elle continué très sérieusement. Dis-moi ce que tu penses de son attitude.

Je comprends qu'elle hésite à convoquer Aeshma chez elle, mais depuis que tu as passé la nuit avec elle, Gaïa n'a plus vraiment trop rien à craindre pour sa réputation. Elle est complètement ruinée. Tout le monde se fichera qu'elle se paie les faveurs d'une autre gladiatrice.

Atalante avait pris un drôle d'air.

— Je n'insinue rien, s'était prestement défendue Marcia.

Il vaut mieux.

Atalante, je suis désolée. Je suis en colère aussi.

Tu voulais combattre à nos côtés ?

Oui.

Ce n'est pas ton jour de gloire, Marcia. C'est le nôtre. Ne sois pas jalouse.

Je...

Atalante souriait malicieusement et Marcia avait ravalé son objection. Elle avait serré la grande rétiaire dans ses bras et lui avait posé un baiser sur la joue.

— Tu nous retrouves ce soir pour fêter notre victoire ? demanda Atalante.

Mmm...

Tu nous montreras ton sceau ?

Je vais aller le chercher en fin de matinée.

Et Carpophorus ?

Marcia avait rougi et Atalante lui avait dit de filer avant qu'Aeshma ne s'aperçût de son humeur chagrine et ne découvrît que Marcia lui avait menti quant à son emploi du temps.

.

Sous ses yeux attentifs, Aeshma, Atalante et Astarté s'étaient regroupées, puis séparées. Elles étaient toutes les trois facilement reconnaissables. C'était plus dur avec les autres qui portaient, excepté pour Penthésilée, exactement les mêmes ridicules tenues d'Amazones.

Marcia louaient dans son cœur l'humeur joyeuse des melioras qui avait amené Aeshma à se retrouver recouverte de teinture bleue. On ne risquait pas de confondre la gladiatrice avec qui que fût. Par contre, les autres...

Qui s'était fait clouer par une lance sur une palissade ? Qui s'était fait égorger ? Blesser ? Marpessa ? Galini ? Lysippé ? Non, pas elle. Penthésilée se baladait depuis le début avec une fille accrochée à ses basques et quand la Reine des Amazones se battait, sa compagne devenait soudain son double. Leurs mouvements se confondaient et s'harmonisaient. Ils étaient bien trop réglés pour que ce ne fût pas Lysippé qui l'accompagna. Même armatura, même ludus, même formation, même entraînement. Lysippé s'était plainte de devoir jouer la guerre de Troie et d'ainsi laisser sa place de reine à Penthésilée. Celle-ci lui avait rétorqué qu'elle la désignait son héritière et qu'elle n'aurait qu'à enfiler sa tunique si elle mourait au cours la bataille.

— Ce sera plus rapide de me déshabiller que de te rouler dans mon sang, ajouta-t-elle.

Plaisanterie de gladiatrice.

Ce qu'elle pouvait détester Rome ! Marcia s'était correctement habillée et elle avait assez de prestance pour ne pas être confondue avec une esclave. Elle s'était même coiffée et affublée de bijoux assez coûteux. Maquillée. Elle ne portait aucune marque distinctive qui pouvait l'apparenter à une gladiatrice. Si ce n'était un nombre inhabituel de cicatrices. Mais l'été était passé depuis bien longtemps et la plupart se dissimulaient sous sa palla. Les autres étaient masquées par le maquillage. On la regardait comme une fille de bonne famille. Et malgré cela, elle se retrouvait au fin fond de l'amphithéâtre. Avec toutes les femmes. Derrière la plèbe, à peine mieux placée que les esclaves. Au milieu de folles hystériques qui hurlaient sans retenue.

Ces idiotes soutenaient les gladiateurs. Elles étaient vraiment cons. Marcia avait envie de toutes les étrangler. Elle soupira lourdement et porta son regard vers la loge impériale. Dieu qu'elle enviait Gaïa. Voilà où, à défaut de combattre sur le sable, elle aurait aimé se trouver. Peut-être que... mais si elle quittait sa place, elle risquait de manquer des phases importantes de la lutte qui se déroulaient dans l'arène.

— Fait chier !

Ses voisines lui lancèrent des regards scandalisés.

— Vous soutenez les Grecs ? demanda Marcia à sa voisine.

— Oh, oui ! Ils sont si beaux, si vaillants ! répondit la jeune femme en serrant les mains contre sa poitrine.

— Et dites-moi... ajouta péremptoirement son amie. Qui peut soutenir des Amazones ? Des femmes qui ont renié leur place dans le monde civilisé ?

— Ce ne sont que des barbares, approuva la voisine de Marcia.

Quelles abruties.

— Une si jolie jeune fille ne peut que mépriser ces caricatures de femmes.

— Ouais, ben, ces caricatures de femmes vont émasculer tous vos beaux mâles, leur planter leur épée dans le cul et réduire ce gros cheval de bois en sciure aussi sûrement qu'elles égorgeront vos gladiateurs. Elles vont triompher et ils vont s'écraser comme des bouses.

— Dieux ! s'exclamèrent les matrones choquées par tant de vulgarité.

— Mesurez donc vos paroles, jeune fille ! la tança une femme d'un certain âge.

— Je ne suis plus une jeune fille depuis longtemps, rétorqua hargneusement Marcia.

— Votre père serait heureux de vous entendre...

— Mon père est mort pour la gloire de l'Empire et ses mânes vous emmerdent !

Les matrones levèrent le voile de leur palla sur leur visage. Et la voisine de Marcia se détourna d'elle. Une jeune fille assise sur le gradin supérieur se pencha à l'oreille de la jeune gladiatrice.

— Tu les as joliment soufflées ! lui déclara-t-elle en riant.

Un chaperon l'accompagnait et elle lui donna une sévère tape sur la main.

— Maïa!

Marcia sourit en coin sans se retourner. Ses prédictions menaçaient de se réaliser. Les gladiatrices se perdraient pas leur temps à émasculer leurs adversaires ou à leur enfoncer cruellement et sans raison leurs épées dans le fondement, mais elles les balaieraient jusqu'au dernier. Elles n'épargneraient qu'un homme. Celui qui avait trahi ses camarades et s'étaient rangé à leurs côtés. Qui pouvait-il être ? Elle regarda son programme. Elle ne connaissait pers... Si. Lucanus. Le gladiateur qui avait été vendu avec Astarté. Un ancien melior lui aussi. Elle grimaça sauvagement.


***

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