Chapitre LVI : Entre rêves...


Quand Gaïa rentra du port, Aeshma ne se trouvait plus dans le jardin. Elle lisait dans le petit tablinium. Profondément absorbée dans son ouvrage, elle n'entendit pas Gaïa arriver. La jeune domina s'appuya en souriant contre le chambranle de la porte et croisa les bras sur sa poitrine. Quelle incroyable jeune femme, pensa-t-elle Que pouvait-elle lire ? Gaïa n'arrivait pas à voir. Elle se racla la gorge. Aeshma leva la tête. Elle posa instantanément le rouleau et se leva.

— Reste, Aeshma. Que lisais-tu ? fit Gaïa en s'approchant.

Un ouvrage de médecine égyptienne, domina. Une traduction en grec.

Intéressant ?

Oui, domina.

Il est tard et je t'ai fait attendre.

Vous aviez à faire, domina.

Mmm. Je viens juste de rentrer. Le dîner n'est pas prêt. Tu peux rester à lire. Cela te dérangerait de manger sur la terrasse ?

Euh... vous êtes chez vous, domina.

Aeshma... fit Gaïa d'un ton de reproche.

Domina ?

Pff, tu es parfois désespérante, Aeshma.

Et, contrairement à ce que sa déclaration supposait, Gaïa sourit gaiement.

— Je te ferai chercher.

.

Aeshma resta un instant saisie. La terrasse s'ouvrait face à la tour qui brillait intensément dans la nuit. La ville s'étendait devant. Des lampes dessinaient des carrés de lumières douces ici et là. On entendait des cris, des pleurs et des rires. Le quartier juif n'était pas l'un des quartiers les plus animés de la ville, mais il ne dormait pas d'un sommeil de plomb dès la nuit tombée. Néria l'encouragea gentiment à la suivre. Gaïa s'était installée dans la partie de la terrasse aménagée en jardin. Des arbustes, des plantes vertes, des plantes aromatiques en pot étaient harmonieusement arrangés et une treille de vigne dont les raisins n'étaient pas encore mûrs, formait un toit qui protégeait du soleil durant la journée. Des cassolettes d'herbes odorantes brûlaient, dégageant une fumée qui éloignait les insectes et charmait les sens sans pour autant les brouiller. Une table et deux lits avaient été dressés sous la treille. Un fumet de viande grillée chatouilla agréablement les narines de la jeune Parthe et elle se mit à saliver. Deux serviteurs s'activaient autour d'un petit foyer rectangulaire en fer. Aeshma distingua des plats de viandes marinées auprès d'eux.

— J'ai pensé que tu serais heureuse de varier un peu le menu qui nous a été imposé au cours de ces trente derniers jours, lui dit plaisamment Gaïa.

Aeshma s'approcha, elle regarda Gaïa, son sourire heureux et content, le lit qu'elle lui avait préparé, les plats déjà posés sur la table. Elle remarqua le plat de lentilles et grogna sans y prendre garde. Le rire cristallin de Gaïa retentit.

— Je savais que les lentilles te feraient plaisir.

...

Tu avais dévoré le plat que j'avais fait servir au Grand Domaine, et j'avais pris soin, au cas où, d'en prendre la recette, car à chaque fois qu'il en avait été servi, tu avais abondamment pioché dedans.

Euh, j'aime beaucoup les lentilles, domina.

Oui, je l'avais remarqué ! rit Gaïa. Mais j'ai fait préparer d'autres mets qui je l'espère, te conviendront aussi. Pas de fèves par contre, je sais que tu n'apprécies pas.

Vous...

Non, j'ai pensé à moi aussi, ne t'inquiète pas. J'ai beau t'aimer, je suis chez moi et je ne vais pas me priver bêtement pour toi de ce que j'apprécie manger.

Aeshma se garda de répondre et s'installa sur le lit. Elles mangèrent en silence. Gaïa appréciait le poisson et on lui apporta une belle dorade grillée, bourrée de fenouil. Aeshma préférait la viande, mais elle se laissa tenter par l'odeur qui s'échappait du plat. Gaïa lui prépara elle-même son assiette et versa un filet de garum sur le poisson avant de la placer devant elle. Aeshma apprécia et la remercia. Gaïa lui sourit gentiment en retour. La viande marinée fut servie selon les désirs de la jeune gladiatrice. Des feuilles de vigne farcies de fromage frais et de pignons l'enchantèrent et quand Néria apporta un pot de terre et l'ouvrit. Quand Aeshma y découvrit du porc cuit à l'étouffée avec des dates fraîches et quand on y ajouta des truffes du désert grillées, elle frémit de plaisir. Pour une fois, elle ne dévora pas son repas comme un loup, mais elle concentra toutes ses pensées dans les plats qui lui étaient servis. Aeshma ravirait n'importe quel cuisinier. La gladiatrice appréciait réellement ce qu'elle mangeait. Elle savait aussi se tenir à table, même si son silence, son attention exclusivement tournée vers le contenu de son assiette, pouvait passer pour extrêmement grossier. Elle s'en aperçut soudain. Elle suspendit le mouvement de sa main et leva les yeux vers Gaïa.

— Mange, Aeshma, lui dit affectueusement Gaïa.

Excusez-moi, domina, marmonna Aeshma qui ne savait pas trop quoi dire et menaçait de mourir de honte.

De quoi ? De ton silence ? J'ai passé ma journée à me disputer, à marchander, à palabrer, à écouter des doléances. On m'a parlé à n'en plus finir et j'ai parlé à en devenir aphone. J'apprécie au plus haut point de me retrouver au calme et de ne pas avoir à discuter civilement de choses et d'autres. Ta compagnie est reposante et très gratifiante.

Gratifiante, domina ?

Tu apprécies le repas, grimaça Gaïa.

C'est très bon, domina.

Je partage ton avis. Profite-en, j'en profiterai d'autant plus que je n'aurai pas à m'inquiéter de te faire la conversation.

Mmm.

Rassérénée, Aeshma retourna à son assiette. Gaïa l'interrompit pourtant après qu'Aeshma eut refusé de reprendre de la viande grillée.

— J'ai préparé un plat moi-même, Aeshma.

La jeune gladiatrice leva un regard interrogateur.

— J'ai un peu peur que l'idée t'en soit désagréable, mais... J'avais enfin la possibilité de le préparer à mon idée et... j'avais envie d'avoir ton avis.

... ?

Un plat que nous avons partagé sur le lembos.

Du poisson cru ?

Oui, ça te dit ?

Mouais, pourquoi pas.

Tu ne t'en es pas dégoûtée ?

C'est la seule chose fraîche que nous ayons mangée. Je ne suis pas très difficile, mais j'aime les produits frais.

Tu veux bien goûter, alors ? s'illumina Gaïa.

Bien sûr, domina.

Néria, tu peux aller chercher le plat que j'ai laissé à la cuisine juste avant de monter ? demanda Gaïa à la jeune esclave.

Tout de suite, domina.

Elle est gentille, dit soudain Gaïa en la regardant s'éloigner.

Elle est courageuse aussi, ajouta Aeshma.

— Elle t'a raconté ce qui s'était passé sur l'Artémisia une fois que nous l'avons quitté ?

Oui.

Le capitaine m'a raconté.

Il vous a dit pour Xantha ?

— La grosse brute persuadée que nous étions encore en vie ?

Oui, sourit Aeshma.

Il m'a raconté.

Néria réapparut avec une jatte dans les bras.

Aeshma inspecta le contenu.

— Ce n'est pas de la bonite, ni de la dorade ou du lieu, lui précisa Gaïa. C'est du rouget. Un excellent poisson à manger cru.

Vous en mangiez avant ? s'étonna Aeshma.

Mmm... Un caprice de petite fille que ma sœur partage d'ailleurs avec moi. Parfois, pour nous détendre et nous évader, nous courions la côte. Ce sont des gamins qui nous ont les premiers, fait manger du poisson cru. Nous avons aimé. Il faut juste veiller à ce qu'il soit très frais.

Je n'en avais jamais mangé avant. C'est vraiment bon.

Attends de goûter celui-ci.

Aeshma plongea ses doigts dans la jatte, retira un morceau et le porta à sa bouche.

— Il y a de la coriandre, annonça Gaïa. Mais en quantité raisonnable. Par contre, il y a aussi du poivre, du gingembre, du sel, de l'huile évidemment, un soupçon de garum et un filet de vinaigre.

Aeshma mâchait, concentrée sur les saveurs.

— Alors ? demanda impatiemment Gaïa.

Les yeux d'Aeshma brillèrent de malice.

— Si j'étais auctorata, je vous achèterais, domina.

Pour te faire la cuisine ?

En autre...

Entre autre ? Comment ça entre autre ?

Euh...

Aeshma avait pensé aux massages en disant cela, mais elle prit conscience de l'incongruité de sa déclaration. Ses joues s'empourprèrent.

— Aeshma... ?

Euh... rien, domina, rien.

Tu mens très mal, remarqua Gaïa.

Ah ? Euh, oui, c'est vrai, avoua stupidement la jeune Parthe.

Elle ne savait plus quoi dire, comment se tenir. Elle jeta des regards affolés sur Néria et les serviteurs qu'on devinait se tenir dans l'ombre. Gaïa la trouva touchante et ne chercha à l'embarrasser davantage.

— Et pour le gingembre, tu aimes bien ?

Le gingembre, domina ? demanda Aeshma qui ne comprenait pas de quoi Gaïa parlait.

Oui, dans la préparation du poisson cru, expliqua Gaïa. Julia m'a souvent dit que j'en mettais trop.

Julia ? s'étonna Aeshma qui ne suivait plus du tout.

Ma sœur, Aeshma. Julia Metella Valeria.

Ah... euh, non, j'aime beaucoup le gingembre, c'est frais et ça relève agréablement le poisson sans en couvrir le goût.

Donc, tu aimes ?

Oui, domina.

Une critique ?

Aeshma releva les yeux sur Gaïa. La domina attendait, patiente, sérieuse. Pas de sourire en coin, pas d'étincelle dans les yeux, pas de posture provocante. Naturelle. Aeshma se détendit.

— Je ne crois pas le garum indispensable, domina. Mais c'est bon, se rattrapa-t-elle tout suite après.

Gaïa prit un morceau de poisson qu'elle goûta longuement.

— Oui, tu as peut-être raison, reconnut Gaïa, songeuse. J'essaierai sans, la prochaine fois. Bon, Aeshma, si tu aimes ma préparation, qu'attends-tu pour manger ?

La jeune Parthe grimaça une excuse et elles vidèrent la jatte ensemble. Des fruits frais constituèrent le dessert. Gaïa avait hésité à commander des pâtisseries. L'idée du miel, des amandes, du sésame et des pistaches, l'avait écœurée. Les fruits et les légumes frais lui avaient à elle aussi manqué. Aeshma fit, une fois encore, honneur à ce qui se trouvait sur la table et Gaïa se félicita de son choix.

— Je n'aime pas trop les pâtisseries, domina. Je préfère les fruits, annonça Aeshma qui avait relevé l'expression inquiète, puis rassurée de la domina quand elle s'était servie. Vous savez, si vous m'aviez dit de ne choisir que trois plats, j'aurais gardé la salade de roquette, les fruits et votre poisson. J'aime beaucoup les lentilles, la viande, mais...

Je crois que j'aurais fait le même choix, avoua Gaïa. Sans oublier le pain.

Mmm..., acquiesça Aeshma.

La prochaine fois, je n'embêterai pas la cuisine.

Oh, mais tout était bon, domina, assura Aeshma. J'ai tout aimé.

Je le ferai savoir.

Elles grappillèrent encore des grains de raisin, burent modérément. Puis, Gaïa ordonna que la table fût desservie et congédia ses gens. Elle partit contempler la tour qui brillait dans la nuit. Aeshma se leva, elle n'aimait pas manger couchée et l'immobilité commençait à lui peser. Gaïa tourna la tête.

— Tu peux disposer si tu veux. La maison, de jour comme de nuit, t'est ouverte. Si tu veux aller marcher dans le jardin, lire au tablinium ou aller dormir, ne t'inquiète pas de moi. Nous nous verrons demain.

Domina ?

Mmm ?

...

Dans trois jours, dit Gaïa en répondant à la question muette de la jeune Parthe.

D'accord. Merci, domina, dit Aeshma. Bonne nuit.

Bonne nuit, Aeshma.

Gaïa se perdit dans la contemplation du phare. Une profonde tristesse lui enserrait le cœur. Un sentiment rampant qu'elle n'arrivait pas vraiment à combattre. Pourtant, elle était vivante, l'Artémisia était revenu, des hommes étaient morts, mais beaucoup avaient survécu. Néria, Andréas, Antiochus, Marcia.

Le capitaine lui avait raconté son entrevue avec Julia. Ils ne lui avaient pas annoncé sa mort, seulement raconté qu'elle se trouvait avec Aeshma et que le lembos était à leur portée. Ils l'avaient persuadée que sa jeune sœur et la gladiatrice étaient sauves, qu'elles avaient à boire et à manger, qu'elles survivraient. Ils avaient transmis leur espoir à Julia.

Gaïa avait survécu. Elle avait beaucoup appris sur elle-même, elle retirait beaucoup de fierté de son expérience de naufragée. Elle avait gagné l'estime d'une guerrière, d'une femme dont toute la vie consistait à se battre et à survivre. Elle n'avait pas démérité. Elle s'était efforcée d'être tenace et résistante, d'être courageuse et elle y avait réussi. Elle n'avait pas été à la charge de la gladiatrice. Elles s'étaient équitablement partagé les tâches. Aeshma l'avait entraînée au combat à main nue, au couteau et au glaive. Elle l'avait considérée comme son élève. Gaïa lui avait appris à nager, à vaincre sa peur de l'eau ou du moins à négocier avec. La fierté et la joie auraient dû l'habiter. Pas la tristesse. Alors, pourquoi ? Gaïa connaissait la réponse à cette question. Elle éprouvait ce même sentiment quand elle pensait à Julia. Quand sa sœur partait pour affaire alors qu'elles vivaient ensemble. Quand elle avait su qu'elle se mariait et vivrait désormais à Patara. Quand elle venait la voir et qu'elles devaient une fois encore se séparer. Aeshma n'était pas Julia. Elle n'était pas sa sœur. Mais elle s'était insinuée dans sa vie et cela n'avait rien à voir avec l'attirance qu'elle avait ressentie pour elle au Grand Domaine.

Sur ce lembos, Gaïa avait découvert une personne. Aeshma, la gladiatrice ? Oui. Un nom et un métier. Un état d'esprit. Mais une personne avant tout. C'était cela qu'elle avait cherché au Grand Domaine. Julia avait raison, elle n'avait pas su la voir. Aeshma ne se cachait pas plus que n'importe qui derrière son nom et son statut. Elle était. Elle était une personne qui avait touché Gaïa, qui l'avait fait rire, qui l'avait énervée, qui l'avait rassurée, avec qui elle avait aimé partager ses jours et ses nuits. Peut-être aurait-elle vécu la même chose avec une autre personne. Si Antiochus ou la grande rétiaire avaient remplacé Aeshma sur le lembos, peut-être aurait-elle éprouvé la même tristesse à l'idée d'être bientôt séparée de leur présence. Mais elle avait été catapultée avec la jeune Parthe sur ce lembos, pas avec quelqu'un d'autre. C'était elle qui avait été malade à mourir, que Gaïa avait soignée, avec qui elle avait dormi nuit après nuit, qui avait adouci sa solitude, qui l'avait encouragée par sa seule présence, par son opiniâtreté à ne jamais s'avouer vaincue, à ne jamais désespérer, qui s'était tenue à ses côtés, à qui elle avait voulu faire plaisir, dont elle espérait un sourire, qui l'avait parfois émue aux larmes sans même s'en apercevoir. Elle. Aeshma.

Gaïa avait aimé son père, sa mère, Lucia et Julia. Seule Julia avait survécu. Elle l'aimait profondément, tendrement. Elle pleurait parfois en pensant à elle, quand son amour débordait et qu'elle ne pouvait plus le contenir. Aeshma n'avait pas le pouvoir de Julia. Mais si Julia lui demandait maintenant qui elle aimait vraiment, elle savait qu'elle mentirait si elle n'ajoutait pas la petite thrace à sa liste. Elle ne l'oublierait jamais et elle resterait toujours fidèle à ce qu'elles avaient partagé durant un mois.

.

Aeshma soupira. Elle se retourna encore une fois dans son lit. Elle n'avait pas trop mangé, elle était calme, le lit était confortable sans être trop mou, la température était agréable, l'air n'était pas saturé d'humidité, la villa était silencieuse. Elle sentait encore le balancement de la houle agir sur ses perceptions, mais cela n'avait rien de désagréable. Tout était parfait. Sauf qu'elle ne dormait pas. Elle avait besoin de... Mais ici ? Chez Gaïa Metella ? Elle avait repéré quelques serviteurs attirants, mais elle n'avait pas osé les aborder. La domina l'avait traitée comme une invitée, Aeshma ne pouvait pas se conduire comme... comme si la maison lui appartenait et que les serviteurs étaient au service de ses désirs. Elle soupira une nouvelle fois. Se plongea dans ses souvenirs, les agrémenta de fantasmes qu'elle n'aurait jamais avoués à personne et s'employa à détendre son corps et ses humeurs. Une fois, deux fois, cinq fois et elle finit par se retourner sur le ventre et s'endormir en pensant qu'à deux, c'était quand même mieux.

Elle rouvrit les yeux, plus tard dans la nuit. L'oreille tendue, aux aguets.

.

Gaïa se tenait debout, immobile. Elle s'était retournée indéfiniment dans son lit, mal à l'aise, tourmentée par le vide qui l'entourait, le silence. En manque. Elle s'était traitée d'imbécile, elle avait résisté, et puis l'énervement, l'insomnie avaient eu raison d'elle. Elle s'était levée, avait passé une éternité assise sur son lit. Résisté encore. Capitulé. Maintenant, elle était là, debout. Elle entendait son souffle régulier. Elle ne voyait rien.

— Domina ? l'appela sa voix dans le noir.

...

Domina, c'est vous ?

Oui, souffla Gaïa.

Vous voulez quelque chose ?

...

Venez, dit soudain Aeshma.

La gladiatrice n'était pas très sûre, mais son instinct lui disait que la domina souffrait. Elle entendit les pieds nus de Gaïa claquer sur le plancher.

— Aeshma, je...

Ne dites rien, domina. Venez seulement.

Gaïa s'assit. Aeshma rabattit le drap qui la recouvrait. Elle se poussa vers le mur et d'une main sur son bras, l'invita à se coucher. La jeune Alexandrine obtempéra. Elle s'installa sur le flanc face à Aeshma.

— Vous avez assez de place ? lui demanda gentiment la gladiatrice.

Oui, je suis bien, je te remercie. Je...

Dormez, domina. Ce n'est pas le moment de palabrer.

Merci, Aeshma.

La jeune Parthe grogna. Elle se retourna face au mur. Le bassin de Gaïa vint se loger contre ses reins. Le reste de son corps ne la touchait pas, elle n'avait même pas posé une main sur elle. Aeshma ferma les yeux. Gaïa avait bien fait de venir. Elle savait pourquoi elle était là. Elles avaient passé près d'un mois à dormir ensemble, à se retrouver la nuit. La présence de la domina à ses côtés lui avait manqué, mais elle acceptait cette perte comme un fait. Elle devrait se déshabituer à la sentir près d'elle, à se réchauffer contre son corps quand elle avait froid, à trouver du réconfort même si rien ne justifiait qu'elle en cherchât. Elle avait perdu sa liberté à la sortie de son enfance, elle s'était efforcée de vivre sans. Sans sa mère, sans son père, sans son frère et sans Abechoura. Elle y était parvenue. Elle vivrait sans ses nuits avec Gaïa Metella. En plus, elles ne baisaient même pas ensemble. Pourtant elle avait bien aimé. Avant évidemment, que la domina ne la chasse comme une malpropre de son lit. Mais ce n'était pas cela qu'elle avait cherché auprès d'elle à bord du lembos. D'ailleurs, elle n'avait rien cherché. Elle avait juste trouvé une camarade. Elle l'aimait bien et elles avaient pris la mauvaise habitude de vivre à deux. En symbiose. De s'engager dans une relation fusionnelle. Les circonstances. Un mois à part. Différent. Elle ne l'oublierait pas. Elle resterait attachée à ce souvenir. Elle n'oublierait pas la domina, ni tout ce qu'elle lui avait appris ou donné. Gaïa avait brisé les murs qui les séparaient dans le monde réel. Elles avaient navigué hors du monde, mais maintenant, elles l'avaient rejoint. La domina l'oublierait. Elle n'avait pas encore repris pied dans la réalité. Mais Aeshma rejoindrait le ludus et Gaïa Metella retournerait à sa vie et à ses affaires d'aristocrates. Elle possédait une très belle villa, pensa encore Aeshma avant de s'endormir.

.

Gaïa revint. Les deux nuits qui restaient encore avant que l'Artémisia ne reprît la mer et ne mît le cap sur la Lycie-Pamphylie. Un voyage de quatre à dix jours selon les vents et l'état de la mer.

Elle arrivait après qu'Aeshma se fût couchée. La jeune gladiatrice lui avait ouvert son lit la deuxième nuit comme elle l'avait fait la première nuit. Elle dormait la troisième nuit. Elle s'était entraînée toute la journée et était partie courir hors des murs de la ville. Une course de trois heures, qui l'avait affamée, assoiffée et épuisée. Gaïa l'avait poussée sans trop la ménager contre le mur. Aeshma avait gémi, grogné, puis une fois Gaïa couchée, elle était venue se lover contre elle. Elle lui avait plaqué une main dans le dos et la domina n'avait plus pu bouger. Aeshma s'était réveillée dans la même position. Elle s'était empêtrée dans des excuses embarrassées que Gaïa avait chassées d'un baiser affectueux sur le front et d'un rire joyeux. Elle s'était levée ensuite, prétextant avoir ses coffres à préparer. Elle avait surtout évité de croiser le regard de la jeune Parthe.

Le capitaine était passé le soir précédent. Il avait convenu avec Gaïa d'appareiller à la septième heure. À la quatrième heure, un marin demanda à voir la domina. La mer était mauvaise, le capitaine préférait repousser le départ au lendemain matin, mais la domina pouvait faire charger ses affaires et s'installer pour la nuit à bord, si elle le souhaitait. Gaïa remercia le marin et fit transmettre au capitaine qu'elle rejoindrait l'Artémisia au cours de la première veille. Il pourrait ainsi partir quand il le souhaiterait le matin, sans s'occuper de savoir quand elle arriverait. Elle vaqua à ses affaires toute la journée et envoya Néria prévenir Aeshma des dispositions de leur voyage.


***

NOTES DE FIN DE CHAPITRE :

Illustration : Jatte de fruits, Pompeï, peinture à fresque v. 70.


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