Chapitre 13 - Irina

5 Septembre. Université de Princeton.

Je mets le point final à mon essai avec un grand soupir théâtral. Stacy sourit et roule des yeux face à mes manières. Depuis presque dix jours, je partage mon temps entre recherches à la bibliothèque de l’université avec ma nouvelle comparse et réunions de brainstorming dans notre nouveau QG. Nous avons pris possession d’un coin du starbucks le plus proche de l’appartement pour nous retrouver et travailler sur notre travail d’histoire de l’art. De temps en temps, Lily-Rose nous interrompt pour nous rappeler que nous devons aussi nous amuser. Elle ne pense qu’aux fringues, aux soirées et aux mecs.

— Voilà ! je chantonne en étirant les bras au-dessus de ma tête.

Mon t-shirt remonte et découvre mon nombril percé. Un mouvement que je repère du coin de l'œil m’avertit que j’ai quelques admirateurs. Ma peau dorée est bien mise en valeur avec ce petit diamant qui brille dès que la lumière l’éclaire.

— Quelle chance ! Je n’arrive pas à conclure pour ma part.

— Tu as besoin d’une pause et d’un peu de caféine.

— Un peu ? ricane Stacy. Tu as déjà compté la teneur en caféine et le taux de sucre dans nos boissons préférées ?

— Pas question de chercher à savoir. Rien que d’y penser, on frôle le diabète. Mais… Ce que j’ignore ne peut pas me faire de mal.

— N’importe quoi ! Comment peux-tu survivre en te gavant de ces  cochonneries ?

— Désolée, j’ai un métabolisme rapide. Je n’y peux rien si je brûle directement toutes les calories.

Ma partenaire referme son propre pc et commence à ranger ses affaires dans son sac.

— Tu sors ce soir ? me questionne-t-elle, curieuse.

— Oui, avec Lily-Rose. Tu viens ?

— Non, je vais bosser pour terminer et relire pour corriger mes fautes. Je dois être prête pour demain.

— OK. N’hésite pas à m’envoyer des messages au besoin, je surveillerai mon téléphone.

— Merci, je ne sais pas comment je me serai débrouillée sans ton aide.

Je lui fait un câlin et lui tapote les épaules. Cette fille a un problème de confiance en elle qui la tire vers le bas. Je suis certaine qu’avec quelques conseils, elle fera des étincelles.
Stacy me quitte sur un dernier signe de la main, me laissant seule à notre table. Je profite donc pour reprendre ma conversation avec Youri. Il m’inonde de messages quotidiens. Certains sont bienvenus puisqu’il répond à mes demandes d’informations sur mon entourage. Je peux être superficielle, joueuse, un peu tête en l’air dans mon comportement, mais ce n’est qu’une façade. Je suis la fille de mon père quand même. J’ai grandi dans un monde où personne ne fait confiance au premier regard.

[ Tu es certain de tes informateurs ? ]

[ Bien sûr que oui, tu me prends pour qui ? ]

Aie, j’ai vexé Youri avec mes doutes.

[ Bah, je trouve bizarre que ce que j’ai noté comme comportement de sa part ne te fasse pas plus réagir. Tu es tellement suspicieux d’habitude. ]

[ Tu n’as pas tort, c’est pourquoi, j’ai demandé une double vérification. ]

[ Tu ne m’as rien dit, c’est pourquoi je me pose des questions. ]

[ Tu ne vas pas m’apprendre mon job. Je ne te dois pas de rapports détaillés ! ]

[ Ce que tu peux être grognon. ]

[ Bon, revenons à notre sujet. Il est physiquement comparable à nos hommes, c’est certain. Il pourrait être un bon élément, mais il n’est pas des nôtres. Je l’ai passé au crible, tout comme tes deux autres colocataires. ]

[ C’est quand même une étrange coïncidence qu’il soit étudiant en art et qu’il soit toujours dans les mêmes activités que moi. ]

[ J’ai toutes les infos de ce mec, je peux remonter jusqu’à ses arrières grands-parents si tu veux. ]

[ Non, non, Son arbre généalogique ne m'intéresse pas. ]

Je lève les yeux au ciel en lisant ses réponses.

[ Bon, je te résume une dernière fois, puis tu laisses tomber. Tu me fais confiance n’est-ce pas ? ]

[ Bien sur, les yeux fermés. ]

[ Donc, Falco Dwight , italien, parle trois langues : dont le français et l’anglais. il n’est pas très sociable, ses parents, qui sont assez aisés, l’ont envoyé ici pour qu’il se fasse des amis et des relations. Il aime les sports de contact et a été élevé avec des valeurs familiales. ]

[ OK, OK, si tu m’affirmes que je ne crains rien de lui, je te crois. Merci mon oncle. ]

[ Sois sage. ]

[ Tu me connais. ]

[ Justement, tu ressembles trop à ta mère. ]

Je referme la conversation en ligne sans être convaincue, malgré ma déclaration. Je mordille l’ongle de mon pouce en réfléchissant. Une des leçons préférées de mon père est de suivre son instinct. Et il me crie que Falco n’est pas ce qu’il paraît être, malgré les dires de Youri.
Je sursaute quand des mains viennent se poser sur mes yeux.

—- Devine qui c’est !

Je stoppe mon mouvement pour attraper le poignet de mon assaillant quand je reconnais la voix in extremis. J’étais déjà penchée en avant pour le ou la faire passer par-dessus mon épaule.

— Lily !

— Trouvé ! Comment tu fais ? J’avais cassé ma voix.

Je la repousse en essayant de déguiser mon réflexe de protection en une attitude de stupéfaction et me retourne, prête à lui passer un savon. Elle est entourée par les deux compères. Nos colocataires masculins ont l’air de vouloir être partout sauf en notre présence. Jimmy tente de passer inaperçu et s’il continue comme ça, il va disparaître. Et Falco est toujours aussi indifférent aux pitreries de Lily-Rose. Les mains dans les poches de son jean noir, il se cache derrière des lunettes aux verres opaques. Ce mec ne connaît pas la couleur pour ses tenues. Pourquoi vient-il si ça l’ennuie à ce point ?

— Tu m’as surprise, j’ai manqué de…

Je butte sur le mot, je ne vais quand même pas lui dire que j’allais la mettre à terre et lui déboiter le bras au passage. Mes leçons d’auto-défense avec Youri et ses hommes m’ont rendue dangereuse.

— D’avoir une crise cardiaque, je termine en me rasseyant. Vous me cherchiez pour quelque chose de précis ?

— Oh ! Oui, on se fait une soirée avec mon mec dans sa fraternité. Tu nous accompagnes toujours ?

— Vous y allez tous ? questionné-je d’une voix surprise.

Jimmy hausse les épaules, l'air de dire qu’il se défilera à la première occasion et l’italien ne daigne même pas répondre. Mais je parierai ma main qu’il sera là toute la soirée. Il la passera dans son coin, repoussera les meufs trop entreprenantes et ne boira pas grand chose. Un schéma qu'il reproduit à chaque sortie que l’on a faite.
Un sourire sadique fleurit sur mes lèvres. J’adore la perspective de pouvoir encore le pousser dans ses retranchements. Je veux découvrir ce qu’il cache, révéler ses secrets. Et pour ça, j’ai le meilleur des moyens. Le rendre fou avec nos sorties. Je n’ai pas eu le temps de mettre en œuvre mon idée de le séduire avec le travail sur l’art et le pouvoir, mais maintenant je suis libre.

— Bien sûr, j’en suis ! Nous avons encore des cours cet après-midi, on se retrouvera à l'appartement avant d’y aller ? On pourra arriver en groupe comme ça.

J’emballe mes affaires et les suis à pied en direction des bâtiments d’art du campus.

— Alors ? Tu as fini ton essai? demandé-je à Falco. C’est pour lundi.

— Aucun souci, je serai prêt.

Je me demande bien comment. Ce mec n’a pas ouvert un seul bouquin, n’a pas travaillé une minute sur ce devoir et il est zen comme un bouddha. À moins qu’il ne le fasse pendant la nuit dans sa chambre, mais j’ai des doutes.

— Pourquoi tu t'infliges de venir aux soirées ?

Je ne peux pas me retenir de lui poser cette question. Ça m'agace de ne pas le cerner.

— Ce n’est pas un supplice. Personne ne m’y oblige.

— Tu tournes autour du pot, là ! Tu ne t’amuses pas, tu restes dans ton coin, seul à broyer du noir et foudroyer du regard ceux qui veulent t’approcher. Tu ne parles à personne, tu ne souris même pas. Oses dire que tu te marres ! Je n’y crois pas.

— Et bien tu te trompes, je prends des notes, vois-tu. J'observe et apprends comment les américains font la fête.

Il ne peut pas me convaincre qu’il nous étudie comme un anthropologue. Jamais je ne croirais qu’il compare les étudiants des campus comme un spécialiste des peuplades primitives.

— De mon point de vue, ça ressemble à de la torture. Tu ferais peur à un grizzli, tellement tu transpires la joie de vivre. Alors dis-moi, pourquoi tu es toujours dans nos pattes ? Reste à l'appart, c’est mieux.

Il n’a aucune réponse à me donner. Je l’ai coincé. On dirait qu’il me suit partout où je vais. Et bien, il va le regretter. S’il a été embauché par mon père, comme je le soupçonne, il va devoir trimer pour suivre mon rythme. Je vais le rendre fou. Il finira par avouer le pourquoi de sa présence.
Première étape, devenir le centre d’attention avec une tenue qui le renversera. Deuxième étape, le séduire. Je vais appliquer les leçons de tante Helena, la spécialiste du charme et du flirt. Comme elle ne cesse de le dire : les hommes ne résistent pas aux confidences sur l'oreiller. Cette résolution n’a pas pu être mise en œuvre avant, vu le travail en art que je désirais peaufiner. Ma note et pouvoir être l’assistante du professeur Anderson étaient mes objectifs de la semaine, maintenant que c’est bouclé, j’ai tout le temps pour me concentrer sur le “problème Falco”.
J’accélère le pas pour rattraper les deux autres.

— Je vais au cours sur la sculpture, tu peux prendre mon ordi puisque tu retournes à l’appartement ? demandé-je à Lily-Rose.

— Sans souci ma belle, je le dépose sur ton lit. Courage pour ton après-midi, je ne comprends pas comment tu restes éveillée. Rien que de penser à tout ce blabla, mes yeux se ferment.

Je ris des grimaces de ma coloc. Il est vrai qu’elle n’a pas la fibre artistique et que son seul objectif est de se trouver un riche mari. Les études ne lui sont pas indispensables et elle ne recherche que l'amusement. On se sépare sur un câlin et je me remets en route avec une ombre un peu maussade derrière moi. S’il n’a aucun secret et que ce sont ses parents qui l’ont forcé à venir, je comprends qu’il ne soit pas heureux. Il fait l'effort d'être présent. Par contre, si ce mec est là pour moi, il a encore pas mal de progrès à faire pour passer inaperçu. Dans un cas ou dans l’autre, je vais me faire un plaisir de le dégeler. Le fait qu'il m’attire et m'intrigue ne va rendre le jeu que plus plaisant.

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