Révélation

   Perdue au milieu du grand salon, la sensation oppressante d'une chute libre me saisissait. Les battements réguliers de mon coeur qui résonnaient à mes oreilles m'ébranlaient tandis que mon regard restait rivé à l'écran que me présentait mon amie.

   De son côté, Estelle, immobile, continuait de me fixer, une statue gravée dans le marbre, se fissurant à chaque inspiration. Cependant, je ne pouvais ne serait-ce que m'en rendre compte, une toile brumeuse opaque semblait me couper du monde.

   Comment ai-je pu croire que mon quotidien n'allait pas de nouveau être bouleversé ? Le choc en était d'autant plus dur que jamais je n'aurais imaginé qu'une telle situation vienne à arriver, à s'imposer à moi de manière si brutale.

   Tout à coup, mon propre téléphone sonna, perçant l'épais brouillard qui paralysait mon esprit. C'était ma mère, il ne faisait pas de doute qu'elle savait, qu'on l'avait mise au courant. Tremblante, je prenais l'appel, encore sous le choc.

   - Justine ! Je viens d'apprendre la nouvelle ! C'est incroyable !

   Reprenant peu à peu mes esprits, j'acquiescais gravement alors même qu'elle ne pouvait me voir. A sa voix, elle semblait plus excitée que consternée, ce qui me dérangeai. Une mère n'était-elle pas sensée s'inquiéter pour ses enfants ?

   C'est alors qu'elle reprit la parole, énonçant intelligiblement ce que mon cerveau était dans l'incapacité de formuler :

   - Tu te rends compte ? Tu fais partie de la dernière vague ! Tu es spéciale ! Oh, bien sûr, tu l'as toujours été, ma chérie, mais maintenant c'est officiel !

   Écoeurée, je raccrochai subitement. J'étais certaine que ma mère ne pensait qu'au paquet d'argent que pourrait lui apporter les journalistes. C'est ainsi que cela s'était déroulé pour les autres. Le monde entier voulant entendre leur version du changement, ils avaient été submergés de demande d'interviews.

   Bien entendu, dès que le public se lassait de l'un d'entre eux, il était jeté dans un coin, laissant ainsi la place au suivant.

   Je me levai vivement. Comprenant mon malaise, Estelle me raccompagna jusqu'à sa porte. Elle me sembla gênée de ses propres réactions et m'adressa à peine deux mots avant que nous nous quittions. Ni elle, ni moi n'avions réellement la tête à la discussion. Le choc était trop important.

   Je comprenais que les changements allaient s'imposer à mon quotidien, tout comme je me doutais que mes proches ne me traiteraient plus de la même manière. Si cela me terrifiait, je décidais néanmoins de m'y préparer consciencieusement.

   Il était hors de question que l'on m'utilise ou que l'on se serve de moi d'une quelconque façon. Aussi, je pris la décision de refuser toute avance de journaliste ou de curieux indiscrets. J'avais droit à mon intimité tout de même ! Car s'il y avait bien une chose dont j'aurais horreur, ce serait que l'on étale ma vie au public, comme cela avait pu arriver aux autres.

   Devant mon domicile, j'hésitais à entrer. Supporter la condescendance de mon père, la jalousie de mon frère ou l'avidité de ma mère me semblait au-delà de mes capacités. Cependant, le jour n'était pas encore couché. Pourquoi ne pas faire un tour au parc avant d'affronter la corvée de la famille ?

   Pour évacuer mes idées noires, je passais en mode vengeure. Bien entendu, je m'attendais aux quelques murmures haineux habituels des esprits. Je n'aurais pas pu plus me tromper.

   A peine mon changement d'état terminé, une terrible cacophonie de hurlements lancinants me vrilla le crâne. Je tombai à genoux en gémissant, jamais je n'avais souffert telle douleur. Des voix inconnues m'invectivaient, dans des langues incompréhensibles au milieu du vacarme qui résonnait dans ma tête.

   Sanglotante, je quittai difficilement le mode vengeure avant de m'effondrer par terre, exténuée. Certaine que la quatrième vague était la cause de cet horrible moment de douleur, je pestais contre elle. Si je m'étais attendue à de nouveaux pouvoirs, je n'avais en aucun cas cru que ceux que je possédais déjà puissent se détraquer de la sorte. 

   Je me ruai jusqu'à chez moi, le cerveau en compote. Un résonnement me lançait le crâne et c'est le coeur au bord des lèvres en une forme de rejet que je passai le seuil de ma maison. Si je me faisais discrète, je savais que je pourrais ne pas me faire remarquer. Mais, bien entendu, toute ma petite famille m'attendait en plein milieu du couloir, juste histoire de ne pas me louper.

   Ma mère, toujours aussi hypocrites se jeta sur moi pour m'étreindre de toutes ses forces. J'eus droit à toutes sortes d'ânneries, tels : "j'ai toujours su que tu étais la meilleure", ou encore "on est tous tellement fier de toi".

   Je me dégageai prestement de leur rassemblement et pris congé, à leur grand déplaisir. Tranquillement installée sur mon lit, je me rendis compte que je ne savais toujours pas ce que j'étais devenue en tant que nouvelle espèce bizarre de la quatrième vague.

   C'est alors que j'entendis quelqu'un toquer. Surprise que l'on se donne cette peine, je me demandais qui cela pouvait être quand Lena, ma grande soeur passa sa tête dans l'entrebaillement de la porte. Contrairement à ce que j'aurai pu croire, elle avait abandonné ses airs supérieurs pour une mine soucieuse. Elle me fit part de son inquiétude à mon égard ainsi que de la réprobation que lui inspirait le comportement de nos parents.

   Tant de sollicitude après tous les bouleversements que j'avais enduré ces dernières heures me poussa à craquer. Je fondis en larmes et me précipitai dans les bras grands ouverts de Lena, nous avions toujours été proches et ce fut un véritable soulagement de savoir qu'elle n'allait pas m'abandonner par jalousie.

   Je préférais remettre à plus tard les découvertes sur ce que j'étais. Après tout, cela ne risquait pas de changer en une nuit et je devais profiter de mes derniers moments de paix.
  

  
  

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