Partie 1
Lundi 8 juillet 2019:
Je suis un cliché ambulant. Tomber amoureux de son meilleur ami. Déjà vu. Je suis bien trop timide pour partager mes sentiments à Léo. Je sais d'avance qu'il ne ressent pas la même chose envers moi. Je pourrais prendre le risque. Après tout, le lycée est terminé et dans deux mois, nous irons tous à l'université. Personne ne sera au courant de ma très certaine humiliation. La fac sera assez immense pour le fuir en cas de refus. Même si j'aurai le coeur brisé. Je n'ai jamais dit à quiconque que je suis gay. Mes amis l'auraient peut-être bien pris, ils m'auraient peut-être accepté. En fait non. Ils m'auraient rejeté.
Je me rappelle trop bien de ce gars l'an passé, pendant notre année de première. Un matin, il est arrivé et ses amis l'ont humilié, le traitant de « sale pédé », en plein milieu des couloirs. Depuis ce jour-là, il est resté seul, plus personne ne lui a adressé la parole. Mes amis ont rigolé, le trouvant bizarre, se moquant de lui lorsqu'il passait devant eux. À ce moment là, j'ai su que je ne pourrais pas être moi-même au lycée et avec mes amis. Pas dans un lieu, où tout le monde se suit, où tout le monde juge tout le monde, où les différences sont pointées du doigt et misent de côté. Il me restait plus d'un an et demi à passer, je ne pouvais pas prendre le risque que mes dernières années de lycée soient un enfer. Je ne l'aurais pas supporté. C'était dur bien sûr, surtout de voir le garçon de ses rêves à porter de main, mais en même temps si loin, inaccessible.
J'ai 18 ans maintenant, je vais rentrer dans la fac de mes rêves, à Londres. Adieu petite compagne de Bathampton. Je ne veux plus me cacher. Il est temps pour moi de changer d'amis. Je veux être entouré de gens qui m'acceptent. Je n'ai rien dit pendant 2 ans, trop effrayé à l'idée d'être seul. Aujourd'hui c'est terminé. Je vais m'assumer, être libre. Je vais finir le coeur en miette, mais libre.
Léo n'est pas amoureux de moi, j'en suis conscient. Je l'ai vu sortir avec des filles, je l'ai entendu me raconter sa première fois, puis ses ébats sexuels qui ont suivi. Il me parlait de ça, sans penser une seule seconde qu'il me détruisait. Cependant, je ne lui en veux pas, il n'est au courant de rien. Trois ans que je l'aime en secret. Je ne sais pas comment je fais pour tenir depuis aussi longtemps. Pleurant tous les soirs, priant pour qu'il m'aime en retour. J'ai essayé de m'en détacher, de m'intéresser à quelqu'un d'autre mais cela n'a pas fonctionné. Tout me ramène à lui. Devoir me cacher tous les jours, étaient épuisant. Je devais faire attention à tout ce que je disais, contrôler chacun de mes gestes. Aussi lâche soit-il, je ne voulais pas finir comme ce gars, Dimitri.
Mon portable vibre sur la table basse, ce qui me sort de mes pensées. Mon coeur s'affole en voyant un message de Léo apparaitre sur l'écran. Malheureusement, l'euphorie redescend aussi vite qu'elle est venue, lorsque je lis le contenu du sms. Il veut que je vienne chez lui cet après-midi, seulement, je ne peux pas.
Tout de suite après la fin des cours, c'est-à-dire il y a deux jours, j'ai trouvé un travail pour cet été. Je dois commencer aujourd'hui. Je n'ai pas osé avouer à Léo que je devais travailler pour payer mes frais de fac. Mon père est au chômage depuis quelques mois suite à un accident de travail, alors le salaire de ma mère suffit à peine, à nous faire vivre correctement tout un mois, tous les trois. J'ai trouvé un job dans la ville de Bath, à quelques kilomètres de mon village, dans un fast-food. Lors de mes recherches, j'ai fait attention, à ne pas postuler dans un lieu que mes amis seraient susceptible de fréquenter. Ils ne comprendraient pas pourquoi, je ne pars pas en vacances comme eux, et surtout pourquoi je me rabaisse à devoir bosser. L'apparence est tout ce qui compte pour la majorité d'entre eux, les autres suivent le mouvement, pour ne pas être mis à l'écart. Oui vivement, la rentrée que je puisse me détacher d'eux.
Je ne vais pas suivre le même cursus qu'eux. J'ai choisi d'étudier l'histoire au King's College, qui fait partie du groupe de l'université de Londres. Léo, lui part en droit, dans une autre faculté. C'est pourquoi, lorsque je lui aurais tout avoué et qu'il me mettra le vent de ma vie, j'aurais très peu de chance de le voir.
L'alarme, signalant que je dois partir bosser, retentit. Je la coupe et récupère mon sac avec mes affaires. Avant de partir, je salue mon père, puis cours jusqu'à l'arrêt de bus. Il faut un peu plus de trente minutes en car pour rejoindre mon lieu de travail. J'arrive devant Chicken House 10 minutes avant l'heure de mon rendez-vous. Je rentre dans le resto et me dirige vers un membre du personnel.
- Bonjour, je suis Gaël, le nouvel employé. J'ai rendez-vous avec Mr Curtis, je me présente à la serveuse, avec un sourire.
- Enchanté, moi c'est Mia. Je vais le chercher, me prévient-elle.
Elle part vers le comptoir et disparait derrière une porte. Je suis stressé. C'est le premier job de ma vie et je ne veux pas le foirer. J'ai besoin de cet argent. Mia revient accompagnée de Mr Curtis, que j'ai déjà vu lors de mon entretien.
- Bonjour Gaël, me salue le patron.
- Bonjour.
- Allez viens suis-moi, que je te montre tout ce qu'il y a voir, me dit-il joyeusement.
Le gérant me fait une visite de la salle de resto, des cuisines, des vestiaires, où il me montre mon casier et me donne mes uniformes. Il m'explique brièvement comment se passe le service, le poste que je vais occuper, c'est-à-dire la caisse et préparer les commandes. Jusque-là, rien de très compliqué.
- Je te laisse te changer et je t'attends au caisse pour te montrer comment ça marche, me lance-t-il avant de sortir de la salle du personnel.
Je me déshabille et enfile le pantalon et le tee-shirt noir, avec le logo du fast-food brodé dessus. Je mets également les chaussures de sécurité, obligatoire, ainsi qu'un badge portant mon prénom. Une fois prêt, je rejoins Mr Curtis, à l'endroit demandé. Entre temps, d'autres employés sont arrivés.
- Gaël, je te laisse avec Dimitri, me prévient-il en me montrant du doigts un garçon et mon coeur rate un battement.
Le dénommé Dimitri, relève la tête vers moi. Il écarquille les yeux sous la surprise. Nous devons avoir la même tête hébétée. Combien de chance il y avait pour que je bosse au même endroit que ce gars ? La surprise passée, je vois son visage se contracter et sa mâchoire se serrer. Apparemment l'idée de travailler ensemble ne l'enchante pas.
- Dim, je te le confie. Je te laisse lui montrer le boulot, lui demande Mr Curtis en lui donnant un tape sur l'épaule avant de partir.
Je reste piqué sur place comme un imbécile. Je ne sais pas ce que je dois faire, surtout que Dimitri m'a tourné le dos pour continuer à ranger des gobelets. Je me dandine d'un pied à l'autre mal à l'aise.
- Salut, je finis par lui dire après m'être raclé la gorge.
Il daigne enfin me jeter un regard, irrité certes, mais au moins il se rappelle ma présence. Je ne peux pas m'empêcher de le détailler. Ça m'emmerde de le reconnaitre, mais il est plutôt pas mal. Il est grand, musclé, avec un beau visage, des traits magnifiques. Ses cheveux sont aussi noirs que ses yeux. Ces derniers me déclenchent un frisson incontrôlé. Son bras droit est couvert de tatouages. Ouais, il est diablement sexy comme mec. Je l'ai toujours secrètement pensé, mais là, l'évidence me frappe au visage.
- Alors écoute Gaël, ce n'est pas parce qu'on vient du même lycée, que l'on va faire ami-ami. Personne ne sait que je bosse ici et il y a intérêt que ça reste comme ça.
J'avale difficilement ma salive. Mes mains tremblent sous la peur, parce que je dois bien avouer que sur le moment, il me fou la trouille. Sa voix est sèche et tranchante. Je ne peux rien faire d'autre que d'acquiescer en silence. Dans un sens, je peux comprendre Dimitri. Il ne doit pas savoir quoi penser de moi. Nous ne nous sommes jamais parlé et il m'a vu de loin lorsque mes amis se moquaient de lui, alors forcement, il se méfie de moi, ce qui est légitime. Mais nous ne sommes plus au lycée. J'ai décidé de changer alors je prends sur moi et m'approche de lui.
- D'accord. De toute façon c'est pareil pour moi et je suis ici pour bosser, je lui dit la voix tremblante malgré tout.
- Bien.
Après ça, il ne m'a plus décroché un mot sauf pour m'expliquer le fonctionnement des machines et le reste du boulot. Je l'ai écouté religieusement. En regardant le planning, j'ai constaté avec une certaine crainte que je travaillais à chaque fois en même temps que Dimitri.
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Lundi 22 juillet 2019:
Avec le boulot, je n'ai pas eu le temps de revoir Léo, avant qu'il parte en vacances. Je ne le verrais pas pendant trois semaines. Nous avons pu parler au téléphone, avant que je tombe de sommeil. Il me manque, c'est affreux. J'aurais aimé pouvoir passer du temps avec lui. Juste une dernière fois avant que tout explose. J'ai pris une grande décision, à son retour je vais tout lui avouer.
Depuis ces deux semaines de boulot, j'ai beaucoup observé Dimitri. J'ai envie de lui parler, de lui dire pour moi. J'ai besoin de le confier à quelqu'un et de recevoir des conseils.
Alors pendant notre pause, je le suis dehors. Je reste discrètement derrière lui pendant qu'il s'allume une cigarette. Je vais me lancer, lorsque j'aurais assez de courage pour lui faire face. Je souffle plusieurs fois, les mains tremblantes.
- Tu vas rester là longtemps ?, me demande soudainement Dimitri, ce qui me fait sursauter de peur.
- Heu... je... heu...
Dimitri tourne la tête vers moi, de la fumer s'échappant de ses lèvres. Je me racle la gorge et m'avance vers lui. Ce mec me fout la trouille. Surtout que son regard n'a rien d'encourageant. Dans un tic nerveux, j'arrache les cuticules autour de mon pouce avec l'ongle de mon index.
- Je voulais te demande quelque chose, je commence incertain, la tête baissée.
- Tu peux toujours essayer, réplique-t-il mais je ne relève pas cette phrase.
- Comment tu as dis à tes amis que tu es gay ? je balance d'une traite.
La lueur qui passe dans ses yeux, me fait reculer automatiquement. Grosse erreur de ma part. Je n'aurais pas dû lui poser une question aussi intime. De plus, en sachant ce qu'il a vécu suite à cette annonce.
- Je vais faire comme si tu ne m'avais jamais posé cette question, finit-il par dire avant de jeter sa clope et de repartir à l'intérieur, non sans claquer la porte.
J'ai oublié qu'il ne veut pas devenir ami avec moi. En même temps, je m'attendais à quoi sérieux ? Il a été clair avec moi, je ne dois pas lui parler sauf si cela concerne le boulot. Je suis un gaffeur de première, je me taperais la tête contre le mur tellement c'était stupide. Je pousse un long soupire avant d'avoir le courage de retourner dans le resto pour rejoindre Dimitri à notre poste.
Nous ne nous sommes pas adressés un seul mot de l'après-midi. J'ai senti son regard sur moi plusieurs fois mais je l'ai ignoré. Je me suis fait tout petit. Les yeux qu'il posait sur moi, m'ont réfréné toutes envies de communiquer. Est-ce que je dois préciser que ce gars fait au moins une tête de plus que moi et que je ne ferais clairement pas le poids face à lui ? Ses vingt centimètres de plus et sa corpulence qui fait deux fois la mienne, ne m'aident pas beaucoup. Alors j'évite de le chercher inutilement.
À la fin de mon service, je vide les poubelles pour les jeter dans la benne à ordure qui se trouve derrière le resto. Là où certains employés passent leurs pauses pour fumer. Mes soixante kilos tout mouillés ne m'avantagent pas non plus, puisque je n'arrive même pas à soulever le sac pour le mettre dans le container.
Par miracle le sac se lève tout seul pour atterrir dans la benne. En levant les yeux pour voir à qui appartient la main qui m'a sauvé, je suis surpris de tomber sur Dimitri. Je lui souffle un « merci » embarrassé. Il tourne la tête, refusant toujours de me faire face. Pourquoi être venu m'aider si c'est pour ne pas me parler et m'ignorer ? Je reste de longues secondes à fixer son profil. Aller parle !
- Ta question de tout à l'heure, pourquoi me l'avoir posé ?, me demande-t-il sans me regarder et je n'avais encore jamais entendu quelqu'un parler aussi sèchement et en ordonnant un truc à chaque qu'il fois ouvre la bouche.
- Oh heu..., je balbutie plus très sûr de ce que je veux faire mais je dois aller au bout, commencer à m'assumer. Je suis gay et personne ne le sait, je voulais juste savoir comment ça s'était passé pour toi.
Je suis fier d'avoir parlé sans bégayer. Comparé à moi, qui se dandine d'un pied à l'autre et qui tremble d'angoisse, lui, il ne cille même pas. Je ne l'ai pas vu esquisser le moindre mouvement. Comment fait-il pour rester autant de marbre ?
Je sursaute en entendant le bruit de son briquet. Seul le silence nous entoure, il commence à se faire tard, les gens désertent peu à peu les rues. Bath n'est pas une grande ville, alors si les habitants ont envie de sortir, généralement, ils vont ailleurs.
Nous restons de longues minutes sans s'adresser un seul mot. Je ne sais pas si je dois rajouter quelque chose ou pas. Alors je reste comme un imbécile, piqué debout, à attendre. Je voudrais tellement le secouer dans tous les sens, pour le faire réagir. Mais je pense que je me prendrais un pain bien avant d'avoir essayé.
- Comment tu rentre ? je fais un bon sur place à sa question et retiens un cri de frayeur, je ne m'attendais pas à ce qu'il finisse par me parler.
- Par..., je me racle la gorge pour m'éclaircir la voix. Par le bus.
- Viens je te ramène.
Pris au dépourvu, je le suis alors qu'il commence à rentrer dans le resto. Une fois encore, sa demande n'en était pas vraiment une. Je ne dis rien, baisse la tête et marche jusqu'à sa suite, aux vestiaires. Je le vois entreprendre de se changer, encore sous le choc, je mets quelques secondes à faire de même.
Je récupère le casque qu'il me tend, les mains tremblantes comme des feuilles. J'avais oublié en acceptant- disons plutôt que je n'ai pas eu le choix d'accepter - que Dimitri venait à moto. Au bruit du moteur qui démarre, je me liquéfie. Je ne suis jamais monté sur un deux roues et je suis mort de peur. J'ai grandement besoin de me détendre, et on ne peut pas dire que mon collègue soit le meilleur placé pour cela.
- Est-ce que tu veux me ramener dans le but de me draguer, maintenant que tu sais que je suis gay ?, je l'interroge en rigolant nerveusement de ma propre tentative de blague.
Visiblement, ma boutade n'a fait rire que moi. De plus, j'ai encore le droit au regard du « Tu m'as sérieusement demandé ça ? ». Mon essai est complètement tombé à l'eau. Je baisse la tête, honteux et tente de cacher mes rougeurs. Note pour plus tard, ne pas refaire d'humour avec Dimitri.
- Monte, me siffle-t-il agacé.
À contre cœur, j'enfile le casque sur ma tête et prie silencieusement pour arriver en vie chez moi.
MlleLovegood
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