Chapitre 15
Après avoir déposé sa sœur dans la salle commune des Hawk, Isaac traverse d'un pas vif les couloirs du premier étage. Il s'engouffre dans le cul-de-sac et heurte de plein fouet un corps marchant dans la direction opposée.
« Eh ! peste l'élève dans lequel il a foncé, un nouvel élève de classe 7 qu'il reconnait vaguement. Tu peux pas regarder où tu vas ?
– Désolé, désolé, s'excuse Isaac, je... n'ai pas mes lunettes. »
Son interlocuteur fait un pas en arrière pour l'inspecter du regard. Isaac cligne deux fois des yeux et remarque, à sa droite, un peu en retrait, un autre garçon qu'il reconnait pour l'avoir déjà croisé plusieurs fois : Arthur Portland, de la maison Hawk.
« Et où tu vas, d'ailleurs ? demande le premier garçon en posant sur lui un regard suspicieux.
– Je... je... je me promène, répond Isaac sans conviction.
– Eh bien, je te déconseille de te promener ici, crache son interlocuteur. Ce couloir ne mène nulle part. »
Arthur Portland fait un pas en avant et adresse un regard d'avertissement à son camarade.
« Enzo... souffle-t-il. Laisse-le passer. »
Le dénommé Enzo fixe Isaac quelques secondes de plus, avant de s'écarter. Les deux garçons poursuivent leur chemin sans un regard en arrière ; Isaac les regarde s'éloigner, perplexe. Puis il se remet à marcher, pressant le pas. Perdu dans la contemplation de ses pieds, qu'il distingue à peine dans le flou ambiant, il heurte un nouveau corps marchant dans sa direction.
Malgré sa myopie aiguë, il parvient à constater que le corps qui lui fait face est un corps féminin.
« Isaac ? appelle la jeune fille d'une voix qu'il reconnait.
– Elizabeth ? répond-il. Qu'est-ce que tu...
– Qu'est-ce que tu fais là ? l'interrompt-elle.
– Tu étais avec Arthur, avec Arthur ? demande-t-il, perplexe.
– Je... Ce ne sont pas tes affaires. Pourquoi tu es là ? »
Le cerveau d'Isaac peine à intégrer toutes les nouvelles informations qui se présentent à lui. Il ferme les yeux et compte mentalement pour remettre ses pensées en ordre. Après plusieurs secondes de réflexion, il prend sa décision :
« Je cherche Cali Wolfe, avoue-t-il.
– Cali Wolfe ? Mais pourquoi ?
– C'est elle qui a trouvé le corps. Je veux voir si elle sait quelque chose. »
Isaac croit voir la jeune fille froncer les sourcils d'incompréhension. Elle reste silencieuse plusieurs secondes, avant de demander :
« Où sont passées tes lunettes ?
– Je les ai cassées, je les ai cassées, répond-il, le feu aux joues.
– Cassées ?
– Oui, oui.
– Bon. Vu comme tu m'es rentré dedans, tu vas avoir besoin d'un guide. Je viens avec toi. »
Le feu lui monte aux joues et il cligne deux fois des yeux.
« Merci, merci, dit-il. Il y a des toilettes au fond du couloir ?
– Euh... oui. Pourquoi ?
– Elle doit être cachée là. »
Elizabeth fronce de nouveau les sourcils, mais acquiesce après quelques secondes de réflexion. Elle agrippe soudainement la main d'Isaac et l'entraîne avec elle ; sa main est douce, chaude, et son contact propage une douce sensation à travers le corps d'Isaac. Elle le guide au fond du couloir ; le faible éclairage le force à avancer quasiment à l'aveugle. Ils pénètrent dans les toilettes et font face à la seule cabine dont la porte est verrouillée. Elizabeth toque doucement à la porte.
Après quelques secondes, la porte se déverrouille de l'intérieur et la jeune fille l'ouvre doucement. La cabine est plongée dans le noir ; en plissant les yeux, Isaac distingue une petite forme sombre pelotonnée dans un coin.
« Cali Wolfe ? » demande-t-il d'une voix peu assurée.
La petite fille lève la tête ; malgré l'obscurité, la pâleur de sa peau attire le regard.
« Elle était là, tout ce temps... » souffle Elizabeth.
Isaac hoche la tête. Il l'a enfin trouvée.
« Cali, on veut seulement te parler, dit Elizabeth doucement. Tu peux sortir de ta cachette ? »
La fille les fixe l'un et l'autre sans répondre ; ses yeux sombres n'expriment aucune émotion.
« On ne te veut pas de mal », continue Elizabeth.
Peu à peu, Cali Wolfe semble se détendre. Elle se lève doucement et sort de la cabine d'un pas frêle.
« Je ne répèterai rien de ce que j'ai entendu, souffle-t-elle. Je vous le promets. »
Isaac jette un œil à Elizabeth, les sourcils froncés d'incompréhension. La jeune fille esquisse un sourire rassurant et répond :
« Ce n'est pas important. On voudrait te poser des questions sur... sur le garçon que tu as trouvé tout à l'heure. »
À ces mots, les yeux de la petite fille s'emplissent d'effroi.
« Je ne sais rien, rien du tout, s'empresse-t-elle de répondre.
– Quand l'as-tu trouvé ?
– Tout à l'heure.
– Comment était-il ?
– Il avait... il avait l'air mort.
– Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?
– Je ne sais pas. Je ne sais rien.
– Pourquoi était-il là, seul ? Pourquoi es-tu passée à cet endroit ? Qu'est-ce que tu as fait quand tu l'as trouvé ? »
Mais Cali s'est complètement refermée sur elle-même. Elle s'est laissée glisser contre la porte des toilettes et a replié ses jambes devant elle ; elle secoue la tête à chacune des questions d'Elizabeth, de la peur dans les yeux.
« Arrête, arrête, Elizabeth », s'interpose Isaac.
C'est la première fois qu'il lui parle avec autant de fermeté. La jeune fille le regarde avec surprise et colère – puis son expression change lorsqu'elle se rend compte de l'état dans lequel elle a mis la petite fille.
Isaac rassemble tout son courage pour s'agenouiller devant la jeune fille et prendre la parole :
« On... on ne te reproche rien, rien, dit-il. On aimerait juste savoir si tu as vu, si tu as vu quoi que ce soit d'anormal avant de trouver le garçon. Quoi que ce soit qui laisserait deviner la présence d'un...
– d'un détraqueur », complète Elizabeth.
Un frémissement parcourt Isaac et Cali lorsque la jeune fille prononce ce mot. La petite secoue la tête.
« Je n'ai rien vu du tout. »
Elizabeth et Isaac échangent un regard indéchiffrable. Après plusieurs secondes de silence, Elizabeth prend la parole :
« Merci, Cali. Tu veux qu'on te raccompagne ?
– Non. Je vais rester là encore un peu. »
La jeune fille hoche la tête, puis s'éloigne doucement en faisant signe à Isaac de la suivre. Quand ils sont sûrs que Cali ne peut plus les entendre, ils s'arrêtent et Elizabeth plante ses yeux graves dans ceux d'Isaac.
« Il y a un foutu détraqueur dans l'école. Un foutu monstre invisible qui aspire nos âmes.
– Et qui aura bientôt de nouveau faim, ajoute le garçon.
– Je vais le trouver. Et tu vas m'aider. »
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