« Attends-moi là, Rose », ordonne Isaac.

Il plante sa sœur dans le couloir et toque timidement sur l'énorme porte en bois qui sert d'entrée à la salle commune des Raven. Il concentre toutes les cellules grises de son cerveau sur sa respiration, tentant de calmer les battements de son cœur. Il compte tout bas en attendant que quelqu'un vienne lui ouvrir la porte ; quand il arrive à vingt-cinq, il entend un mouvement de l'autre côté de la cloison et la porte s'entrouvre quelques instants plus tard.

Isaac se retrouve face à face avec une jeune fille un peu plus vieille que lui. Elle est grande, bronzée, et ses cheveux coupés à la garçonne lui donne un air intimidant qui fait reculer Isaac imperceptiblement.

« Hum... bonjour », dit-il d'une voix incertaine.

La fille plante ses yeux sombres dans les siens et ne répond pas. Isaac sent son sang se figer dans ses veines sous l'effet de ce regard pénétrant.

« Je... je cherche Cali Wolfe, Cali Wolfe. Elle est à Raven, en classe 4. »

De nouveau, la fille ne semble pas vouloir répondre. Elle le fixe pendant une longue minute, minute pendant laquelle Isaac se retient dix fois de prendre ses jambes à son cou. Finalement, elle dit d'une voix grave :

« Entre. »

La fille ouvre la porte en grand pour le laisser passer. Une sensation étrange envahit Isaac ; il a tout sauf envie d'entrer dans cet endroit, mais ses jambes fonctionnent sans son accord.

Il pénètre dans la salle commune des Raven et constate avec horreur que la fille ferme la porte à clé derrière lui. Autour de la salle sont disposés des canapés sombres ; une vingtaine de Raven y sont allongés, avachis les uns contre les autres. Tous semblent inactifs, la tête tournée vers le plafond, comme s'ils dormaient les yeux ouverts. Personne ne parle ; seuls quelques gémissements de bien-être viennent troubler le silence.

Isaac contemple, bouche-bée, le spectacle qui se présente à lui. Son regard se pose de nouveau sur la jeune fille qui lui a ouvert, qui continue à le fixer, cette fois avec une lueur d'amusement dans les yeux.

« Les gars ! appelle-t-elle. On a un visiteur ! »

Peu à peu, quelques élèves se redressent, semblent sortir avec difficulté de leur état de léthargie.

« Oh, bonjour, toi, susurre une jeune fille de son âge, avec qui il partage quelques cours.

– Un Nightingale, quel plaisir, ajoute un garçon d'une voix traînante.

– Bonjour, je... bafouille Isaac. Je cherche Cali Wolfe, Cali Wolfe.

– Oh, il cherche Cali Wolfe ?

– Il cherche Cali Wolfe...

– Aidons-le, alors.

– Mais amusons-nous un peu avec lui, avant. »

Ils lui adressent des sourires dénués de gentillesse. Isaac tente de réguler les battements de son cœur et d'empêcher la panique de s'emparer de lui – ils ne font que l'intimider, se convainc-il, ils ne peuvent rien lui faire.

« Allez, Lucia, reprend un des garçons en s'adressant à la fille qui lui a ouvert. Joue donc avec lui. »

Lucia esquisse un sourire et s'approche de lui.

« Tourne sur toi-même », lui ordonne-t-elle.

Isaac fronce les sourcils, mais avant qu'il ait pu rétorquer, il sent ses jambes obéir à l'injonctive. Il observe avec horreur son corps pivoter sans son consentement.

« Enlève tes lunettes », continue la dénommée Lucia.

De nouveau, le corps d'Isaac obéit aux ordres de la jeune fille sans qu'il puisse l'en empêcher. Il retire ses lunettes et le monde devient flou.

« Lâche-les. »

Il lâche ses lunettes, qui atterrissent dans un fracas sur le parquet.

« Écrase-les.

– Non ! » proteste-t-il.

Mais son pied se lève et ses lunettes sont broyées sous sa chaussure. Des rires s'élèvent dans la salle. Le garçon fait tout son possible pour retenir les larmes qui s'apprêtent à lui monter aux yeux. Ne pas céder, ne pas montrer qu'il a peur.

« Lève un pied. »

Isaac sent sa jambe se lever. Il veut la reposer, mais son corps ne lui obéit plus. Il passe plusieurs minutes dans cette position, manquant plusieurs fois de tomber. Ses muscles de la cuisse le brûlent ; le feu embrase ses joues et il cligne des yeux à répétition. Son entourage est devenu un monde flou de sourires et de rires sardoniques.

« Tu peux reposer ton pied », dit finalement Lucia.

Les spectateurs protestent. Isaac repose son pied et se mord la joue jusqu'au sang pour s'empêcher de pleurer.

« Tu peux demander à Elline. Elle est dans sa classe. Je vais la chercher », dit Lucia.

Isaac met un instant avant de comprendre de quoi elle parle. La jeune fille se dirige vers une porte au fond de la salle commune – probablement la porte des dortoirs – et appelle la dénommée Elline. Après quelques secondes, une fille d'une dizaine d'années aux longs cheveux blonds ondulés sort du dortoir et se dirige vers Isaac.

« Viens, allons dehors », dit-elle simplement.

Ils sortent de la salle commune. Une fois dans le couloir, Isaac respire profondément, libéré du pouvoir maléfique des Raven.

« J'ai entendu ce qui t'est arrivé, commence la fille. Je suis désolée. C'est dur à croire, mais... on n'est pas tous comme ça. La plupart des Raven sont aussi amicaux que les élèves des autres maisons ; mais quelques élèves de classe 6 et 7 ont décidé de prendre le pouvoir et d'effrayer tout le monde. »

Isaac hoche la tête doucement. Il inspecte la jeune fille du regard. Son visage est habité d'un très léger sourire qui ne semble pas oser s'agrandir. Les yeux bleus qu'elle pose sur lui sont dénués de méchanceté ; mais peut-on faire confiance à une Raven ?

« Tu peux me faire confiance, ajoute-t-elle en écho à ses pensées. Même si je n'ai aucun moyen de te le prouver.

– Isaac ? Tu as trouvé Cali ? »

Le garçon se trouve et découvre sa sœur, dont il avait oublié la présence.

« Non, non. Mais Elline pourra peut-être m'aider. »

Il pose de nouveau son regard sur la jeune Raven, attendant une réponse de sa part.

« Je connais Cali, répond-elle. Enfin, aussi bien qu'il est possible de connaître Cali... Mais je ne sais pas où elle est. Elle disparaît sans cesse, personne ne sait où elle va. »

Isaac sent le désespoir l'envahir. A-t-il vraiment supporté les tortures des Raven pour rien ?

« Mais essaie les toilettes hors service au fond du couloir du premier étage. Elle s'y cache parfois. »