7. L'Examen final


Je tentais de respirer profondément mais les tambours qui résonnaient dans ma tête me coupèrent le souffle. Ma respiration redevint saccadée. Je tentais de réfléchir. En vain, la peur me rendait malade. J'avais la gorge sèche et mes oreilles sifflaient. Le haut parleur grésilla et la voix mécanique d'un homme déclara :

- Moïra Félis. Entrez.

Je me levais brusquement, manquant de trébucher. Les jambes en coton, je m'avançais vers la porte en bois massif. D'une main tremblante je saisis la poignée. Son contact froid me perturba. J'avais si chaud qu'elle me semblait glacée. Mon cœur cogna plus fort encore. Ici, je passerais le dernier Test. Ici, je jouais mon avenir. Je fermai les yeux un instant, ignorant les chuchotements de ma conscience qui me criait d'abandonner. Les paroles de ma Grand-mère juste avant que je ne quitte la maison me revinrent en mémoire :

- Tu vas y arriver. Je crois en toi, comme tes parents ont toujours eu foi en toi. Respire. Et montres-leur qui tu es.

Prise d'un élan de courage, je tournai la poignée et poussais la lourde porte. Je fis un pas dans l'obscurité la plus totale et je me figeais. La porte claqua dans le silence pesant qui régnait ici. Seuls les battements effrénés de mon cœur venait briser cet ensemble. Je déglutis péniblement. L'air me paraissait frais, mais lourd.

Mes jambes s'activèrent d'elles-mêmes et je fis quelques pas sans trop savoir où j'allais. Une odeur familière flottait dans l'air et je sentis mon corps se détendre aussitôt. J'étais dans une forêt, là où je me sentais protégée. A peine arrivais-je à cette conclusion qu'une lumière fluorescente apparut. Je regardais, médusée, des arbres sombres apparaître tout autour de moi. Ils étaient si grands que je n'en voyais pas les hauteurs, qui plongeaient dans un brouillard épais. Je fis un pas de plus, réalisant que la lumière venait de sous mes pieds. Le sol s'illuminait d'une lumière verdâtre à chaque fois que ma chaussure touchait la terre humide. Je continuais à marcher dans cette forêt fantomatique, étrangement hypnotisée par cet étrange spectacle. Bientôt, des éclats semblables à ceux émanant du sol éclairèrent les fleurs et le lierre sur mon passage.

Je frissonnais lorsqu'une bourrasque fraiche m'ébouriffa les cheveux. Je regardais autour de moi et ma gorge se serra. J'y étais. Soudain, tous mon corps fut secoué d'un spasme incontrôlable et je tombais à genoux alors qu'une voix douce résonnait dans la forêt. Elle. Ma mère. Ses appels résonnaient autour de moi, détruisant les barrières que j'avais installée entre ma tête et mon cœur. Sa voix. Elle m'avait tant manquée. Je gémis :

- Maman ?

Mais sa voix n'était qu'un écho incompréhensible. Un sanglot dévastateur me secoua. Je pleurais sans trop savoir pourquoi. Je savais qu'elle n'était pas là. Elle était morte, elle ne pouvait pas être là, avec moi, alors que j'avais tant besoin d'elle. C'était un Test. Juste un Test. Je savais que sa voix n'était que la création du Jury qui m'était ma raison et mon instinct à dure épreuve. Je me répétais ce fait en boucle alors que je fermais durement les yeux. Je devais trouver arrêter, arrêter de luter. Arrêter de croire qu'elle pouvait être là et ne penser qu'au moment présent. Réel. Je devais le faire vite. C'était devenu crucial, désormais. Je respirais le plus lentement possible pour écouter la forêt autour de moi, faisant fi de cette voix que me lacérait le cœur. Mon père m'avait apprit à écouter la nature pour qu'elle nous guide lorsque nous en avions besoin. Je n'entendais rien que le vent. Agacée, je serrais les poings.

Un craquement me fit ouvrir les yeux, aux aguets. Deux yeux jaunes me fixaient dans l'obscurité du chemin. Il n'était pas là quelques minutes plus tôt. Rassérénée, je me redressais vivement et suivis d'un pas plus confiant le grand félin que j'imaginais sans mal se mouvoir dans la nuit. Les arbres se raréfièrent et mon cœur repartit dans un concert de battements. Dans un gros arbre, je vis une panthère noire. Les yeux de celle-ci pénétrèrent les miens et je souris. C'était la représentation animale de mon instinct le plus profond, celui m'ayant guidé jusque là. Le regard du félin dévia et je le suivis aussitôt. Face à moi, il n'y avait plus d'arbres. Juste une clairière illuminée de vieux lampadaires. Et, au centre, le mystérieux Jury de l'Examen. Ils étaient sept, tous habillés en noir et possédant des masques d'animaux. Je pouvais tous les identifier : un Corbeau, un Loup, un Hibou, un Chat, un Renard, un Cerf et un Lapin.

- Moïra Félis.

La voix féminine venait de la personne se cachant derrière le masque de Hibou. Elle avait prononcé mon prénom de façon détachée, comme pour commencer l'Examen de manière solennel. J'étais si stressée que je faillis répondre que c'était bien moi. Mais je me forçais à garder le silence en me tenant bien droite face à eux. Ils se tenaient assis derrière un bureau de pierre ocre. Ce dernier ajoutait du mystère à la situation et je frissonnais. Le Jury Hibou déclara :

- Moïra, chantes-nous l'hymne du village.

Ma respiration se bloqua dans ma gorge. Je connaissais cet hymne par cœur, comme tous les habitants du Village. Nous le chantions sur la Place Centrale, tous les matins, les uns serrés contre les autres. Je savais que c'était un moyen comme de nombreux autres pour déterminés si nous étions tous loyaux à nos codes. Je trouvais ça malsain et fourbe, mais je suivais tout de même ma Grand-mère tous les matins lorsqu'elle rejoignait la place. Ce matin, comme les deux jours d'avant, j'y avais échappé. Car les Elèves avaient le droit à trois jours de préparation complète à l'Examen avant ce dernier. Je sentais le regard du Jury sur moi et je stressais plus encore. Je connaissais l'hymne. Mais je ne l'avais jamais chanté sans entendre les voix des autres se mêlant à la mienne, la camouflant dans la masse. Je pris une profonde inspiration et me lançais d'une voix que j'espérais stable :

- "Les doyens ont la Voix,

Suivons-les, gardons la foi,

Le Code est res-pec-té !

Les limites, observées !

... Dé-vlo-ppons

Nos ver-tus :

... Respect et obéissance...

Le groupe vaut plus que le soi,

L'individu n'a pas de droits.

Les anciens nous ont tracés

Le chemin vers l'humilité !

... A-ssi-dus,

Nous scan-dons :

... Unité et clairvoyance...

Réprimons les différences,

Renforçons notre alliance,

Si le monde doit avancer,

Seule la Voix peut nous guider.

Tous li-és

Nous souhai-tons :

... Bonheur et pérennité...

Sur la Flèche d'Airain nous le jurons

Pour le Village nous sacrifierons

Nous sommes preux, des guerriers !

Nous sommes forts, vos piliers !

Dé-vou-és

Nous ser-vons...

La Chasse, la Cause...

L'Honneur...

... La Voix des Mères-Grands."

Je terminais, haletante. J'espérais avoir réussis à leur prouver que je respectais cet hymne. Car c'était vrai, je le respectais. Mais le respecter ne voulait pas dire que je l'approuvais. Mais je savais que les Villageois étaient prêts à mourir pour défendre les valeurs du Village et j'admirais leur loyauté. J'aurais aimé la posséder. Mais j'avais mes propres priorités. Et je savais que le Jury les connaissais. Tous le monde les connaissais. Le jury oiseau s'anima de nouveau. Elle déclara :

- L'hymne est énoncé. Moïra, respectes-tu sa Voix ?

- "Lorsque le Croc de Lune parjura

Du prix du sang il le paya.

Rien ne fait vaciller un vrai dévouement.

Que la Voix et la Lame me renient si je mens."

J'avais répondu machinalement. C'était la réponse que le Jury attendait, celle qu'on m'avait apprise depuis longtemps. Je n'avais même pas eu à réfléchir pour répondre, et cela sembla plaire au Jury Hibou qui hocha la tête en déclarant :

- Le préambule est terminé. Commençons.

Je frissonnais. Ce n'était que le début, je le savais. Pour la suite, je ne savais pas ce qui m'attendais. On nous avait enseigné l'hymne. On nous avait enseigné nos serments de loyauté, nos codes, nos lois. On connaissait tous notre monde, ou du moins ce qu'on avait bien voulu nous apprendre sur lui. Je connaissais tout ça par-cœur. Je devais juste le leur prouver.


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