Chapitre 8 [2/2] ~ L'Auberge Abandonnée
- Précédemment -
Tout à coup, un fracas assourdissant résonna à l'intérieur de l'auberge, semblable à des milliers de verres se brisant à l'unisson. Les xomythois se redressèrent vers la source du raffut.
— Il... il y a quelqu'un...
— Ce doit-être Béross, répondit Aria à son frère. Il a peut-être pris peur en entendant Noà.
— Vous êtes sûrs qu'on est obligés de dormir ici ?
— La nuit est bientôt tombée et nos provisions sont épuisées. On n'a pas d'autre choix.
D'abord hésitants, les trois élémentaires dépassèrent les grilles de métal. Noà poussa la porte d'entrée et tous franchirent le seuil de l'auberge.
L'intérieur du bâtiment, éclairé par de simples bougies, était tout aussi sale et désordonné que le laissait paraître l'extérieur. D'innombrables chaises et tables brisées jonchaient le sol de la pièce. Accrochées aux murs, des peintures d'elfes et de faunes jouant de la flûte ne tenaient plus que sur une corde. Des portraits déchirés et des morceaux de vases se joignaient aux décombres, offrant un spectacle de désolation macabre.
— Monsieur Béross ? Monsieur Béross vous êtes là ? appela Töm dans un murmure presque inaudible.
— « Monsieur Béross » ? répéta Aria d'un ton accusateur. T'en as pas un autre de surnom ? Il n'y a personne ici, cet endroit est complètement dévasté !
— Impossible, fit remarquer Noà sans quitter le sol des yeux. On a tous entendu le même bruit.
Les rescapés de Xomythe passèrent un long moment à fouiller le domaine, constatant avec effroi qu'aucune pièce n'avait été épargnée. Ils s'assurèrent de rester groupés au cas où la situation venait à dégénérer. Après plusieurs minutes, ils s'engagèrent dans une salle encore plus vaste que les précédentes. Elle était constituée de grands canapés beiges et d'étagères sur lesquelles reposaient toutes sortes de livres poussiéreux. Leur attention se dirigea aussitôt sur ce qui se trouvait au centre : un lustre immense, dont les proportions recouvraient la totalité du lieu. Éparpillés sur toute la surface du sol, des morceaux de cristal brillaient d'un éclat resplendissant. De fines particules de lumières s'agitaient à l'intérieur, semblaient lutter pour ne pas s'éteindre. Des petites boules dorées appartenant au candélabre se mêlaient aux débris et donnaient aux ustralois l'impression de marcher sur Lyréah.
— Par Ferkhâd, s'extasia Töm. Qu'est-ce que...
— C'est ça qui a dû tomber quand on était dehors, devina Aria, aussi éblouie que son frère.
— Vous pensez que ça vaut cher ?
Noà admira la sphère d'or que son ami venait de ramasser.
— C'est... on dirait que c'est vivant, balbutia-t-il.
Un nouveau bruit retentit au fond de la pièce. Perdu dans sa contemplation, Töm lâcha l'ornement qu'il tenait entre les mains. Celui-ci éclata dans un tintement aigu, suivi par un silence mortuaire.
À l'autre extrémité d'où il se trouvait, là ou un escalier en colimaçon grimpait pour se rendre aux étages de l'auberge, Noà discerna quatre minuscules lumières pourpres l'observer. Des lumières qu'il était certain d'avoir déjà vues quelque part. Son cœur accéléra mystérieusement, comme s'il cherchait à l'avertir d'un danger.
Comme s'il essayait de lui faire prendre conscience de ceux qu'il avait face à lui...
Dès qu'il comprit, les souvenirs du massacre de Xomythe s'immiscèrent en rafales dans son esprit et la peur s'infiltra dans son corps. Avant même de hurler à ses amis de s'abaisser, Noà serra les poings et invoqua la Foudre qui sommeillait au plus profond de son être. La rage au ventre, il balança une décharge qui illumina la pièce et percuta les nortox en plein thorax. Les créatures s'écroulèrent au sol dans un râle étranglé.
Déjà parvenu à leur hauteur, Noà matérialisa son élément et projeta un orbe électrique sur la tête de la première. À l'instant où la deuxième dégaina un poignard, elle fut happée par un typhon maintenu en lévitation. Le nortox tenta de se débattre, mais Aria ne céda pas. Ses cris s'arrêtèrent progressivement tandis que ses membres, toujours ballottés par sa cellule aquatique, s'immobilisèrent. L'ustraloise éjecta le cadavre noyé du monstre et se laissa choir à genoux, éreintée.
Pendant un long moment, personne n'osa prononcer le moindre mot. Noà s'adossa au mur le plus proche sans lâcher les créatures mortes des yeux. Son sang cognait contre ses tempes à l'instar de souvenirs douloureux. La main froide d'Aliona. Les explosions. Le corps inerte d'Isach. Tòphios. Le visage décomposé de sa mère.
Un sentiment d'angoisse lui comprima la poitrine et il se laissa glisser à terre. Le temps que l'état de choc se dissipât et que l'adrénaline retombât, Töm l'avait rejoint :
— Hé, ça va aller. Tu les as éclatés.
Noà reprit tant bien que mal sa respiration et se tourna vers Aria.
— Merci pour le coup de main.
— Je les avais pas vus, c'est grâce à toi...
Il se releva et s'approcha des cadavres, écœuré par leur apparence répugnante. Ils étaient si maigres que leurs os se dessinaient sous leur peau grisâtre. Leur visage lacéré, leurs yeux violets éteints... Noà n'eut aucun doute : ces monstres appartenaient à la même espèce que ceux ayant détruit Xomythe.
— On n'a croisé aucun village aux alentours, annonça Töm d'une voix grave. Qu'est-ce qu'ils foutaient ici ?
Un bruit sourd, à l'étage, succéda à sa question.
— Je pense que tu as ta réponse, répondit sa sœur après s'être engagée dans l'escalier en colimaçon. Faites attention, il peut y en avoir d'autres.
Aria grimpa les marches, suivie de près par les deux garçons, jusqu'à ce qu'un long couloir étroit leur apparût. Des dizaines de portes en bois blanches se dressaient de chaque côté et permettaient d'accéder aux chambres de l'auberge. Aux aguets, l'élémentaire d'Eau avança vers les geignements puis, une fois assurée de se trouver devant la bonne porte, la défonça d'un coup de pied.
Béross était recroquevillé sur lui-même, bâillonné et ligoté au pied d'un grand lit par de fines tiges de barbelés argentées. Quand il vit les xomythois entrer, il se mit à se débattre et ses plaintes s'accentuèrent. Aria se précipita vers lui sans réfléchir. Elle retira d'abord le chiffon poussiéreux de sa bouche et démêla les liens métalliques qui l'entravaient.
En s'approchant à son tour, Noà constata que Béross était le premier elfe qu'il rencontrait de sa vie. Même s'il paraissait très âgé, l'aubergiste le dépassait d'au moins deux têtes. D'épais cheveux gris tombaient en cascade dans son dos et dissimulaient ses longues oreilles pointues. Ses yeux, d'un bleu cristallin, fixaient Aria avec insistance.
— Venez m'aider, soupira-t-elle. Les fils sont trop coupants, j'arrive pas à les enlever.
Lorsque Noà s'agenouilla à côté de son amie pour lui prêter main forte, Béross ancra son regard dans le sien et l'observa de ses grands yeux ronds. Gêné, il ne put s'empêcher de baisser la tête. Il passa une éternité à dénouer les tiges de métal – non sans égratignures –, puis aida l'elfe à se relever.
— Ce sont les nortox qui vous ont fait ça ? l'interrogea Aria.
Béross détourna le regard de Noà et acquiesça.
— Ad... Adzôd... Adzôd, bégaya-t-il d'une voix rocailleuse.
— Pardon ?
L'elfe posa de nouveau les yeux sur Noà et lui montra du doigt la fenêtre de la chambre. Comme celles que l'élémentaire avait pu apercevoir à l'extérieur de l'auberge, son contour était composé d'un étrange métal bleu nuit.
— Que voulez-vous que je fasse ? lui demanda-t-il.
Béross s'avança vers la fenêtre en question et l'incita à le suivre. Sans comprendre quoi que ce fût, Noà s'exécuta. Le vieil homme posa la main droite sur le métal sombre. Avec celle de gauche, il pointa le garçon du doigt et lui fit signe de l'imiter. Noà jeta un coup d'œil à ses amis, aussi perplexes que lui.
— Vous voulez que je touche cette fenêtre ?
Béross hocha la tête et lui sourit, dévoilant de petites dents immaculées. Aussitôt en contact avec la surface métallique, Noà eut l'impression qu'on le plongea dans un bain d'eau glacée. Par réflexe, il retira son doigt et dévisagea l'elfe avec stupeur.
— Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous m'avez fait ?
— Adzôd... répéta-t-il d'un ton enjoué après lui avoir posé la main sur son épaule.
— Oui, Adzôd, je sais. C'était quoi, ça ?
— Noà...
Le concerné se tourna vers Töm, dont le teint avait blêmi.
— L'Adzôd, c'est la matière avec laquelle les combinaisons de Xomythe sont fabriquées pour le tournoi...
Noà écarquilla les yeux. Il se remémora l'instant où il avait enfilé la tenue de protection dans son village, avant de combattre. Il avait été le seul à ressentir cet effet de froid intense.
— Essaye de toucher cette fenêtre, s'il te plaît, dit-il à son ami.
Comprenant son intention, Töm posa son doigt sur le métal brillant. Après plusieurs secondes, il le retira sans afficher la moindre expression.
— Ça me fait rien.
— Vous savez quelque chose à propos de ce phénomène ? demanda Noà à Béross.
— Adzôd, répondit l'elfe d'un hochement de tête.
— Expliquez-moi. Pourquoi je suis le seul à ressentir ça ?
Comme si de rien n'était, l'aubergiste tourna les talons et se dirigea vers la sortie. Töm le rattrapa juste à temps pour lui bloquer l'accès.
— Qu'est-ce que vous faites ? s'exclama-t-il, ébahi. On vous a sauvés la vie, à vous et votre taudis ! La moindre des choses serait de nous remercier et de répondre à nos questions !
— Adz... Adzôd... répéta l'elfe avec désespoir.
— Ça sert à rien, souffla Aria, les yeux levés au plafond. Il est plus dégénéré qu'on le pensait.
Töm s'écarta alors de la porte et laissa Béross s'engouffrer dans le couloir en bafouillant inlassablement le même mot.
— Qu'est-ce qu'on fait, du coup ? demanda-t-il.
— On essaye de trouver la réserve et on recharge nos vivres, répondit sa sœur. Vu son état, je pense pas qu'il pourra nous en empêcher. Et puis, il nous doit bien ça...
— Il reste un problème, fit remarquer Noà. La nuit est tombée. On peut pas prendre le risque de rester ici. D'autres nortox sont peut-être cachés dans l'auberge et attendent qu'on s'endorme pour nous attaquer.
— Et ce fou furieux serait capable de nous trancher la gorge une fois le dos tourné... murmura Aria.
Töm pâlit et ravala difficilement sa salive.
— Tu veux quand même pas qu'on reprenne la route sans dormir ? Sans manger ? On tiendra jamais jusqu'à Drakkä !
— Non, on fait comme ta sœur a dit. On se réapprovisionne et on fiche le camp. Avec un peu de chance, on trouvera un endroit où se poser dehors.
Sans chercher à le contredire davantage, Töm finit par acquiescer et s'engagea dans le couloir qui menait au rez-de-chaussée. Il prit une grande inspiration, puis se tourna vers sa sœur et Noà, un sourire forcé dessiné au coin des lèvres.
— Bon... allons chercher de quoi se remplir la panse, alors.
____________________
Elephant Music ~ Super Nova ♫
____________________
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top