2 : Décisions (2/3)
Dans la soirée, le major les emmena à la base militaire, à coté du centre de recherche où travaillait le père de Manuel. Là elle leur fit une proposition :
« - Avant tout, je vais vous expliquer deux ou trois choses. C'est compliqué et je ne veux rien oublier alors ne m'interrompez pas s'il vous plaît.
Chaque escadron de l'armée ou des milices est constitué d'environs dix membres. Le groupe Rock n'en contient que sept. J'aimerais que vous soyez les numéros huit et neuf de ce groupe de combat. Sachez que vos surnoms ont déjà été définis, et qu'ils ne sont pas modifiables. Si vous acceptez, chacun d'entre vous deux recevra l'argent nécessaire pour se procurer une armure, ainsi que le permis qui va avec. Étant donné que vous travaillerez en partie pour l'armée, votre âge ne sera pas une limite. L'armure que vous aurez choisie sera préparée pour le combat mais sera peinte en civil, sans aucun logo, l'entretien sera assuré par l'armée. Elle vous appartiendra et ce que vous ferez avec ne regardera que vous et cela, dans la limite de la légalité. En dehors de l'armure, le matériel de combat qui vous sera confié restera dans la base. En cas d'engagement, avec les chimères ou autres, vous serez appelés, vous devrez alors vous rendre à la base, ou à un point de rendez-vous, recevoir les marquages militaires et récupérer votre paquetage de combat. Les ordres suivront après. Vous ne pourrez pas vous y soustraire. Tant qu'il n'y a pas d'alerte, vous devrez vous présenter tout les mercredis et jeudis après-midi pour l'entraînement avec le reste du groupe. Je vous conseille également de prendre des cours d'art martiaux dans un des clubs de la ville. Avez-vous des questions ?
- Vous dites qu'il y a sept membres dans cet escadron, mais nous n'en avons affronté que six ? interrogea Fernand
- Mon indicatif est Leader Rock.
- Ah ? euh...OK. Et quels seraient nos surnoms ?
- Le tien serait « Twister » et celui de Manuel serait « Doux-dingue »
- Si on signe on dois rester combien de temps minimum ? demanda de nouveau Fernand.
- Cinq ans minimum, dans le cas contraire vous devrez rembourser intégralement l'armure et l'entretien qui y a été effectué. Vous ne pouvez pas partir non plus si un conflit est en cours.
- J'ai besoin d'y réfléchir... Dit simplement Manuel sans l'entrain qui semblait animer Fernand.
- Tu as tout ton temps. Passe à la base quand tu auras fait ton choix. Dans le positif comme dans le négatif. Ça vaut aussi pour toi Fernand. D'autres questions ? »
Rien.
Marilyn identifia que Manuel, contrairement à son ami, avait parfaitement compris les implications et les risques de cet engagement. Une telle maturité était surprenante pour quelqu'un d'aussi jeune. Elle-même n'avait compris les dangers et les devoirs de son métier que bien plus tard. Autrefois, elle s'imaginait en héroïne de série télévisée, traversant les champs de bataille sans peurs et défendant l'humanité au péril de sa vie. Mais la réalité l'avait rattrapée plus d'une fois. Et heureusement qu'elle avait eu l'escadron Rock a ses cotés au début, dans le cas contraire, elle aurait elle-même été grossir les statistiques.
Les statistiques, celles qui concernaient les chimères étaient terrifiantes : chances de survie sans armure, cinq pour cent ; durée de vie moyenne sur le terrain, une minute et quinze secondes. Avec une armure on atteignait péniblement les cinquante pour cent de chances de survie et la durée de vie d'un soldat dépassait les vingt minutes, mais les mutilés étaient courants.
Marilyn chassa ces idées noires.
« - Allez, je vous ramène chez vous. »
*
* *
*
Manuel était dans la pénombre de sa chambre. Dehors la pleine lune éclairait la ville comme en plein jour. Cet éclairage blafard entrait par la baie vitrée, remplissant la chambre d'une lumière grisâtre. L'ensemble n'était que nuances de gris, rien ne bougeait, pas de bruits, hormis les ronflements qui provenaient de la chambre de sa sœur. Manuel avait pris la chaise de son bureau, et s'était installé pour avoir le dossier face à lui. Il avait croisé les bras sur celui-ci puis il avait posé le menton dessus. Son regard était fixé sur son armure à moitié démontée. Elle avait l'air d'un fantôme, pas le genre drap blanc et boulet au pied, non, plutôt squelettique, macabre, le genre de chose provenant d'un film d'horreur. Mais ce monstre de métal ne bougeait pas, il restait immobile, tel un arrêt sur image pendant le film. Elle semblait lui montrer ce qui risquait de lui arriver s'il entrait dans cet escadron.
La proposition du Major tournait et retournait dans sa tête.
Et il ne trouvait pas le sommeil. Il n'était pas fatigué, et ce malgré la journée passée. Mais cela faisait beaucoup trop de choses en trop peu de temps. Il se devait de faire le point.
Faire le point sur ce qu'il désirait, et sur ce qu'il était prêt à sacrifier pour l'avoir. Le jeune homme ne voulu pas que ses parents décident pour lui. Aussi, en rentrant, il fit comme d'habitude. Il bricola un peu, mangea avec ses parents et sa sœur, aida à débarrasser la table, se mit en caleçon puis alla se coucher. La nuit porte conseil, disait-t-on.
Mais il s'était levé en pleine nuit, la tête pleine de pensées contradictoires. Et regardait désormais fixement cette amure qu'il avait commencé à fabriquer. Les conseils ne venaient pas.
Une couverture lui tomba doucement sur les épaules en même temps qu'une paire de mains. Manuel se retourna, surpris de constater son père en robe de chambre derrière lui. Ce dernier ferma la porte sans faire de bruits avant de lui adresser la parole dans un murmure.
« - Qu'est-ce qui te tracasse ?
- Rien. Tu es là depuis combien de temps ?
- Suffisamment longtemps pour savoir que quelque chose ne va pas. On s'en est douté avec ta mère dés que tu as passé le pas de porte »
Malgré la pénombre, Manuel vit son père se fendre d'un sourire et s'asseoir contre le mur en face de l'armure avant de continuer.
« - Je suis ton père, je t'ai fait avec ta mère et tout l'amour dont je peux disposer. Il n'y a pas grand-chose que tu sois en mesure de nous cacher, à moi comme à ta mère. Je me doute que c'est suffisamment important pour que tu ne veuilles pas nous inquiéter. Mais c'est raté, ton mutisme nous inquiète autant, sinon plus, que des explications. Je ne dors pas comme tu le vois, et ta mère doit faire semblant à coté. »
Cette dernière phrase, il la termina par un mouvement de tête en direction de la chambre parentale. Il laissa passer un silence, avant de reprendre.
« - Quels que soient tes problèmes, ou tes choix, nous resterons tes parents, et nous te connaissons suffisamment pour savoir que nous serons toujours fiers de toi. Tout comme nous sommes fiers de ta sœur...
- On m'a proposé de rentrer dans un escadron d'AMC. Dit tout simplement Manuel
- Ah, fit son père de manière soulagé. Je m'attendais à quelque chose de pire ... Et ?
- J'ai peur. Peur d'aller au front et d'affronter ces monstres Les simulations c'est bien, mais elles restent des simulations. Tu me l'as dit toi-même : ce qui se passe en réel est souvent très différent de ce qui est prévu. J'ai besoin de réorganiser mes idées.
- Ça je peux le comprendre et je peux t'y aider si tu veux.
- Comment ?
- Une discussions constructive, comme de celles que nous avions l'habitude d'avoir. Ça mettra un peu d'ordre dans le bazar que tu as dans le crâne. Mais je tiens à ce que le choix d'y aller ou non reste tien. Cela te convient ? »
Manuel sourit en repensant à ces discussions interminables sur des sujets aussi variés que la mécanique, la politique, les mathématiques et autres auxquelles participaient souvent sa sœur et parfois sa mère. Ces discutions commençaient toujours par une affirmation, vraie ou fausse, peu importait, du moment qu'elle présentait le sujet.
Ainsi commença une longue, très longue discussion qui dura une bonne partie de la nuit.
La discussion se finit, sentant qu'il n'y avait rien à rajouter, son père s'esclaffa doucement et se leva, Manuel sentait que le sujet avait été cerné. Il n'y avait rien d'autre à ajouter, il avait le pour et le contre, devant lui, une frontière sans retour, le choix était de la franchir ou non.
« - Bon, je vais aller me recoucher, il est deux heures du matin et aujourd'hui est un autre jour. Je crois que même si tu n'arrive pas à dormir tu devrais aller te reposer, ça te ferait du bien. Repense à tout ce que l'on s'est dit, pèse le pour et le contre, et fais ton choix. Je ne pense pas que l'on reparlera de ce sujet avant que celui-ci soit effectif. Je vais juste dire à ta mère que tu as un choix difficile à faire, et que tu dois le faire seul. Le sujet n'a pas besoin d'être évoqué sinon elle va se faire un sang d'encre et va tout faire pour influencer ta décision. Tu connais ta mère... »
Manuel sourit à cette évocation.
Le père de Manuel sortit de la chambre de son fils comme il y était entré : sans un bruit. Manuel attendit encore un moment à interroger silencieusement son armure du regard avant d'aller se recoucher. Étrangement, pour le reste de la nuit, il dormit.
*
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Les jours suivant, de nombreux camarades de classe vinrent trouver Manuel et Fernand, essentiellement pour avoir des informations à leur sujet. La rumeur dans l'école était maintenant qu'ils avaient sauvé une jeune femme d'une bande de junkies dans une discothèque. Autant qu'ils s'en souviennent, aucun des deux ne se rappelaient avoir autant d'amis que depuis que cette histoire avait débuté. Aucun des deux n'aimait se faire remarquer, que ce soit par rapport au corps enseignant ou par rapport à leurs camarades. Pour la discrétion c'était raté, maintenant tout le monde connaissait leurs noms et leurs visages.
Ils avaient tenté de reparler ensemble de la proposition du Major au self, mais avait été interrompus par un groupe d'élève avide d'en savoir plus. Manuel avait compris : Fernand allait accepter mais préférait attendre pour connaître son avis. Il ne savait pas trop où il en était à ce sujet. Il y réfléchissait entre deux cours, ou encore la nuit. Le jour, il se changeait les idées comme il le pouvait, le sport, le bricolage, il aida sa sœur sur un chantier. Il put même s'entraîner le jeudi avec Fernand et l'escadron. Mais dès qu'un instant de répit se profilait, le choix revenait, ne lui laissant que peu de repos.
Mais le vendredi matin, arrivant à l'école, Manuel remarqua une agitation peu ordinaire. Quelque chose avait du se passer, tout le monde parlait des chimères. Une fille vint même lui demander s'il pourrait la protéger. Il répondit que s'il le pouvait il le ferait sans se douter de la raison qui poussait tout le monde à en reparler. Elles restaient dans leur coin depuis des années. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer pour qu'elles redeviennent le sujet principal de discussion. Il ne mit pas longtemps à trouver son compère de toujours à lire un journal en buvant un café dans l'amphithéâtre.
« - Y'a de l'ambiance ce matin dis donc !
- Tu m'étonnes, tiens. » Déclara Fernand en lui donnant le journal.
Face au gros titre, Manuel laissa échapper un juron que son ami commenta par un « en effet, on peux voir ça comme ça »
Sur la page principale, en couleur on voyait une chimère ressemblant à un lézard jaune et bleu à plumes, entourée par des AMCs. La chimère était au sol, morte. Et, le gros titre, sur la page principale, étant sans équivoque : « TENTATIVE D'ATTAQUE DES CHIMERES SUR BORDEAUX ». Manuel ouvrit le journal pour en savoir plus.
Apparemment, une chimère avait été identifiée près de Bordeaux, à trois kilomètres du centre ville. Rapidement, la population des alentours avait été évacuée dans l'urgence et les forces militaires présentes étaient intervenues. L'article supposait que la chimère était présente pour faire de repérage en vue d'une attaque il y avait également l'itinéraire supposé de la bête. L'article continuait par l'éloge des soldats qui avaient attaqué, prenant la chimère au dépourvu, ne lui laissant pas le temps de réagir. Aucun blessé chez les soldats. L'article complimentait également la population qui avait agit dans le calme. Mais quelque chose n'allait pas... Seulement Le jeune homme n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Il prit alors la décision de sa vie à ce moment là, Bordeaux pouvait sembler loin, mais à l'échelle du monde c'était juste à coté.
« - On va à la base après les cours.
- Cool. T'en a mis du temps ! » Répondit Fernand en souriant.
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A leur arrivée, Ils furent conduits au bureau du Major Targin. Elle les reçu cordialement, le même journal posé sur son bureau. Elle était dans une simple combinaison de pilotage sans aucun ornement. Manuel parla dès les salutations d'usages terminées.
« - Si j'accepte votre offre, je veux utiliser l'amure que je suis en train de construire dans ma chambre. Comme ça l'armée n'aura aucune avance à faire, je vous fournirai également la liste de l'ensemble des pièces que j'ai utilisé pour l'entretien. Cela devrait me soustraire à l'obligation de rester au minimum cinq ans.
- Tu es sur de vouloir utiliser ton truc ? demanda Marilyn de manière dubitative. On ne sait rien dessus, même pas s'il va démarrer.
- J'en suis certains, d'ailleurs il est quasiment terminé pour la construction, après quelques modifications il sera prêt au combat. Déclara-t-il en ignorant la seconde remarque.
- Écoute, je ne peux rien te promettre : personne ne peut prévoir que tu ne tomberas pas en panne au pire moment car il n'y a aucune étude ni d'essais pour ton engin. Mais je vais en parler au commandant. Fernand ?
- Moi, je suis prêt à signer.
- Bon, Manuel, je passe ce soir chez toi pour te donner la réponse du commandant. On verra demain matin pour les papiers. Si je passe ce soir à neuf heures, ça vous convient ? »
Les deux jeunes acquiescèrent.
Ils passèrent ensuite une partie de l'après-midi dans la casse à chercher des pièces de blindage spécifique pour l'armure de Manuel. La guerre passée étant ce qu'elle fut, ils trouvèrent tout ce dont ils eurent besoin. Ils finirent l'après-midi chez Manuel à effectuer les modifications nécessaires pour que, d'une paisible armure de construction, elle devienne une solide armure de combat. Sa sœur arriva peu après eux. Ayant une oreille un peut distraite, et les deux jeunes n'ayant plus rien à cacher, elle comprit immédiatement ce qu'ils faisaient. Après une courte discussion, elle décida de les aider. Si elle ne possédait pas les compétences nécessaires en mécanique, l'électronique, la programmation et les automates, c'étaient son domaine. Lorsque la mère de Manuel arriva à son tour, elle les surprit à parler de systèmes de visée. Au courant des nouvelles de Bordeaux, elle entra dans une colère monumentale. Mais, malgré tous ses efforts, les trois jeunes continuèrent de s'affairer autour de l'engin de construction perverti. Lorsque le professeur Ferreira arriva, il comprit immédiatement quelle était la décision de son fils en voyant les modifications apportées à sa machine, sa femme se précipita dans ses bras pour le supplier de convaincre son fils de ne pas faire une bêtise.
« - Tu as donc fait ton choix ? dit-il d'une voix monocorde.
- Oui. Tu désapprouves ?
- Non, comme on en avait discuté je respecte ton choix quel qu'il soit. As-tu besoin d'une aide quelconque de ma part ?
- Oui, si tu as la possibilité de me dire quels sont les points faibles que tu vois. J'aurais également besoin de l'aide de maman. Ce soir j'aimerais inviter deux personnes à manger à la maison. »
Le père de Manuel emmena la mère dans le salon. Là ils eurent une discussion et il acheva de convaincre sa femme qu'ils ne pouvaient que soutenir leurs fils et de tout mettre en œuvre pour qu'il revienne vivant s'il devait partir. La discussion terminée, il retourna dans la chambre. La mère de Manuel eut beaucoup de mal à se lever pour préparer le repas, et même ainsi, ce fut sans motivation.
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