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Merci à tous d'avoir suivi Sohane et Aimé jusqu'ici. Quelque soit la fin, je vous suis à jamais reconnaissante de me permettre de partager ce que j'écris, la moi d'il y a quelques années qui écrivait des morceaux d'histoires sur son téléphone en pensant que ça n'intéresserait personne, pleurerait aujourd'hui : )

Le Chaos Naquit Après est l'une des premières idées d'histoire que j'ai eu, elle a grandi dans ma tête pendant plus de deux ans et quand je me suis enfin convaincue qu'elle méritait d'être écrite, je m'y suis accrochée. Un an plus tard, nous voici avec Soso et Aimé et je ne regrette pas d'avoir priorisé ce projet à un autre.

Chers lecteurs, je vous aime et surtout, bonne (dernière) lecture
❤️‍🩹❤️‍🩹


















𝓐imé










Je n'ai pas pour habitude de perdre mon temps, allongé dans un lit, à compter chaque seconde qui passe. Quel est l'intérêt d'écourter une journée ? Pourtant, à l'heure actuelle, je ne souhaiterais être nulle part ailleurs que sur ce matelas tiède, couché aux côtés de Sohane. Il est encore tôt, trop tôt pour que le soleil ne fasse sa première apparition. J'ai l'impression d'avoir tout juste entamé la nuit. Le temps a filé sans que je ne m'en rende compte ; résultat, je n'ai pas fermé les yeux une seule fois. Comment aurais-je pu, alors que mon cœur battait la chamade contre celui de Sohane ?

Je l'ai toujours trouvé beau, mais là, au creux de mes bras, le visage orné d'un léger sourire et les cils parsemés de larmes séchées, je me demande si sa splendeur est légale. Sa peau tiède adhère à la mienne telle une couverture de coton, et j'ai beau le serrer à l'instar d'un joyau disparu, il n'est jamais assez proche. Est-ce normal qu'il soit blotti contre moi et qu'il me manque quand même ?

Je voudrais que cet instant soit éternel.

Je dépose doucement mes lèvres sur les siennes, les paupières fermées, afin de ne ménager que mon sens du toucher et m'imprégner de cette sensation insatiable. Il est aussi présent qu'un lourd secret dissimulé que jamais je n'oserais prononcer à voix haute, de peur qu'il disparaisse. Sa main est agrippée à ma hanche et j'ai l'impression de partager son angoisse. Je ressens sa présence sans même la savoir près de moi et je pourrais traduire chacune de ses émotions sans qu'il ne me les divulgue. Ça a toujours été le cas. Mais aujourd'hui, maintenant que son cœur fusionne avec le mien, qu'il repose sur ma poitrine, c'est comme si je récoltais entre mes mains, l'étendue de ses tracas qui s'écoulent le long de nos draps.

Il n'a pas besoin d'ouvrir les yeux ou de parler pour que je comprenne que ça ne va pas. Enfin, il y a quelque chose qui lui travaille l'esprit et je préfère qu'il dorme le plus longtemps possible avant que tout n'éclate.

Seulement, il ne dort plus.

— Aimé ?

Je grogne un "oui" inintelligible, tandis qu'il balade son index sur mes pectoraux pour dessiner toutes sortes de formes circulaires, la joue appuyée sur mon épaule.

— Je ne peux plus te sortir de ma tête.

— C'est ce qui te taraude l'esprit ? demandé-je d'un ton mi-amusé, mi-attendri.

— Entre autres...

Je frotte le bout de mon nez sur sa fine couche de cheveux, les narines allégées par son odeur de fleur fraîche et de miel.

— Qu'est-ce qu'il y a d'autre ? l'interrogé-je.

— De retour au palais, tu n'assumeras jamais de me côtoyer et tu seras un homme de plus qui aura honte d'être assimilé à moi.

Les mots sortent de sa bouche d'une fluidité déconcertante, comme s'il s'en était persuadé au point de s'y résoudre, de se satisfaire de ça parce qu'il ne pense pas mériter mieux et que quoique je puisse lui dire, il continuera de croire que je suis comme les autres.

— Sais-tu ce que tu me fais Sohane ? Sais-tu seulement combien j'avais envie de m'arracher les tripes chaque fois où tu entrais dans une pièce, et que tu ne posais pas les yeux sur moi ?

Je m'empare de son poignet et dépose un baiser au creux de sa paume, avant de la placer sur mon cœur haletant.

Je pourrais le regarder pour l'éternité.

— Je me meurs de ton indifférence. Depuis le premier jour, tout ce que j'ai fait n'a été dans le but que d'attirer ton attention ou piquer ta curiosité, parce que j'avais besoin que tu me remarques.

J'embrasse son front, tente de cacher mon appréhension.

— Alors si c'est ce que tu veux je t'embrasserai devant le royaume entier pour effacer tes doutes, conclus-je.

Il ravale la bile douloureuse qui lui brûle la gorge, mais n'ajoute rien. Il demeure silencieux en se libérant de mon étreinte.

— Qu'y a-t-il d'autre ?

Il sort du lit, s'avance en direction du récipient rempli d'eau au niveau du miroir et se nettoie le visage et la bouche. Même si son silence me comprime la poitrine, je l'imite sans dire un mot. Je serais prêt à prendre sur moi le temps qu'il faut et ne jamais le brusquer, jusqu'à ce qu'il daigne enfin m'offrir une explication. Toutefois, pour ça, il faut qu'il soit prêt à communiquer avec moi.

Lorsqu'il enfile un haut, un manteau, et qu'il s'apprête à sortir de la tente, je m'empare de son épaule. Il se retourne pendant que je referme l'entrée pour m'assurer qu'il reste à l'intérieur, même s'il me fuit du regard et garde les lèvres scellées.

— Non, non, non, non, m'emballé-je. Hors de question que tu partes énervé. Je ne sais même pas ce que j'ai fait, alors s'il y a quelque chose qui ne va pas, on règle ça maintenant.

Sohane passe ses deux mains sur son crâne sans pour autant se dévoiler. Il est simplement... frustré, et je le suis d'autant plus en ne sachant ni ce que je dois me reprocher, ni ce que je peux faire pour arranger la situation. Pourtant c'est tout ce que je veux. Il n'y a rien que je désire plus, qu'un moment de répit en sa compagnie qui puisse s'éterniser, quitte à ce qu'il devienne mon havre de paix, si tant est qu'il ne l'est pas déjà. Mais il faut croire que ça ne nous est pas destiné. Ça ne nous sera jamais accordé.

— Tu n'as rien fait, Aimé. C'est juste moi, j'ai du mal à... Je n'arrive pas à mettre mes idées au clair.

            — Alors explique-moi, m'exclamé-je, terrifié à l'idée qu'il puisse tirer un trait sur nous avant même qu'on ait l'occasion d'être quelque chose.

            — Pars avec moi, me supplie-t-il soudainement.

            — Comment ça ?      

            — Je veux d'une vie avec toi. Pars avec moi.

            Je suis pris au dépourvu. Jamais je n'aurais envisagé une telle requête venant de Sohane. Il est en plein délire, impossible que le prince sans émotion et avide de vengeance que j'ai connu, puisse me supplier droit dans les yeux d'abandonner le champ de bataille aux mains de l'ennemi pour s'enfuir avec moi. Il doit forcément être hors d'esprit, sinon, il n'aurait pas les doigts agrippés aux miens avec désespoir, espérant que j'agrée avec cette idée insensée.

            — Tu veux fuir ? C'est impossible Sohane, je me suis juré de me venger de Vylnes. Ils doivent payer pour leurs crimes.

            Ses lèvres deviennent une ligne fine alors qu'il retient ses larmes. Je n'ai pas eu assez de temps pour apprendre à anticiper ce genre de crise. Je sais juste qu'elles se déclenchent lorsque son esprit devient trouble et que ses émotions le submergent, avant même qu'il ne le comprenne. Il a dû y réfléchir un long moment avant de prendre une telle décision, et que je m'y refuse ainsi doit le frustrer plus que jamais. Mais il n'y a pas d'autre bonne réponse, on est responsable de ces troupes, lui comme moi. Fuir maintenant serait impardonnable.

            Même si c'est pour Sohane.

            — Je suis le premier à avoir détesté Vylnes de toute mon âme pour des raisons que tu ne soupçonnerais même pas, crache-t-il. Mais j'ai fait mon deuil, la guerre est un cercle vicieux. Tuer des milliers de Vylnesiens aujourd'hui ne les empêchera pas d'en faire de même demain.

            — Et alors quoi ? Tu comptes abandonner ton peuple ?

            — Un camp aura toujours un prétexte pour attaquer l'autre, et ça offrira toujours plus de raisons de se venger. Il faut que ça cesse Aimé, se lamente-t-il.

            J'ai envie d'essuyer les larmes qui perlent aux coins de ses yeux et de lui dire qu'il ne lui arrivera rien, qu'il n'a pas à paniquer ainsi, qu'il doit prendre sur lui et laisser le temps faire les choses. J'ai envie de le serrer contre moi comme je l'ai fait cette nuit, et de lui dire qu'il est ce que j'ai de plus cher ici. Que quoiqu'il arrive, rien ne lui arrivera parce que je ferai de lui ma priorité sur le champ de bataille. Mais la sensation de sa peau contre la mienne n'est déjà plus qu'un amas de poussière, un résidu de souvenirs éphémères.

            Ne pleure pas Sohane, on aura notre vie ensemble, après la victoire.

            Si je cède, je suis capable de laisser ses yeux abattus altérer ma décision, alors je glisse mon pouce sur sa paupière humide et secoue la tête, les mains lourdes. J'ai l'impression de lui refuser une place dans mon cœur.

            — Je serai tout à toi lorsque la guerre sera finie.

            À cet instant précis, il n'a plus rien de l'homme indifférent qui peut convaincre tout un peuple que rien ne l'atteint. Il est aussi fragile qu'un cœur fracturé qui tente de guérir. Mais on ne peut colmater un organe une fois qu'il a été détruit. Son regard est suppliant, il me conjure de ne pas le briser davantage, quant à ses mains...elles ne pourraient s'accrocher plus fort à mes bras.

            — Pas après Aimé, s'étrangle-t-il, des larmes coincées dans la trachée. J'ai besoin de toi, maintenant.

            Tout son corps est souffrant, contracté, comme s'il s'apprêtait à saigner de la tête aux pieds.

            — Montre-moi que j'ai tort de penser que je t'en demande beaucoup, parce que je l'aurais fait dans l'autre sens. Je suis toujours prêt à donner plus aux autres qu'ils ne le feraient pour moi... se désole-t-il un peu plus bas.

            Je rassemble tout le courage dont je n'ai jamais su faire preuve pour lui refuser une seconde fois sa requête. Ça me brûle l'échine, ça me broie le cœur, mais je refuse.

Et tout s'effondre.

            Il m'a désiré davantage qu'il n'aurait aimé sa gloire, ce n'est pas mon cas.

            — Tu m'as tenu dans tes bras comme si tu n'avais aucune envie de me laisser partir un jour. Tu m'as fait espérer que tu n'étais pas comme les autres, pour au final me laisser tomber, s'esclaffe-t-il, un faux sourire aux coins des lèvres.

            Des larmes roulent jusque dans son cou, à la limite de sa veste, et je m'efforce de ne pas abdiquer. Peut-être que si Vylnes n'avait pas décimé des centaines de villages, dont le mien, je n'aurais pas une soif de vengeance si avide. Peut-être que j'aurais choisi Sohane. Seulement ma décision est prise et je ne peux revenir en arrière.

            Je lui tourne le dos et alors que je pense qu'il va laisser tomber, il reprend la parole, à bout de souffle.

            — Tout est biaisé, s'emporte-t-il. Les raisons qui te poussent à te battre sont dérisoires. Rappelle-toi qu'avant tout ça, tu pensais que Vylnes était ce qu'il y avait de mieux. Tous les habitants de ton village d'enfance avaient des idées de rébellion, ils voulaient tous rejoindre Vylnes et pourtant, même si tu as grandi avec cette mentalité, aujourd'hui tu veux les exterminer. Est-ce qu'un incident, qui s'est produit chez eux comme chez nous, mérite d'influencer ta position dans cette guerre ?

             Je fixe la toile blanche qui s'étend face à moi, aussi aride que les pensées qui désertent mon esprit. Les mots de Sohane tournent en rond dans ma tête. Ils ne font pas forcément sens, mais il y un élément que je ne parviens pas à situer. J'inspire, j'expire, je tente de relativiser. Cependant, son discours résonne en rouge sous mes paupières.

            Il y a quelque chose qui ne coïncide pas.

            — Qu'est-ce que t'en sais ? soufflé-je, priant pour que les soupçons qui s'éveillent en moi s'évanouissent.

            Suite au silence qui ne fait qu'amplifier mes doutes, je ferme les yeux, paniqué.

            — Tu m'as l'air bien sûr de toi Sohane, affirmé-je en me tournant face à lui. Comment tu pourrais savoir qu'un village perdu, loin du palais royal, ait pu avoir de telles idéologies ? Je croyais que personne n'avait entendu parler de nous ? Je croyais qu'Arès Gahéris avait une famille abandonnée dans un village où seul lui savait se rendre ? Que le palais avait découvert l'existence de notre village le jour où Vylnes y a mis feu. Alors comment peux-tu savoir ce qu'on pensait ! explosé-je.

            — Tu délires, Aimé, susurre-t-il en baissant les yeux au sol.

            Il me ment.

            Comment est-il possible que mon père m'ait assuré que le roi n'a jamais voulu entendre parler de sa famille, qu'on habitait dans un village oublié de tous et qu'un prince enfermé depuis sa naissance entre les murs du palais en sache autant sur notre manière de procéder ?

            — Je sais... Mais puisqu'il est impossible de faire confiance à qui que ce soit, qu'est-ce qui me prouve que tu ne faisais pas partie des personnes qui nous ont espionnés et assassinés ?

            Lorsqu'un individu trompe, il voit la tromperie partout. Il réfléchit comme un trompeur, anticipe comme un trompeur, procède comme un trompeur. Sohane sait que son entourage fait erreur de lui vouer leur confiance, alors il est lui-même incapable d'en faire autant. Il se méfie de tout le monde, comme s'il n'avait rien à apprendre et qu'il avait déjà expérimenté les pires trahisons, ou qu'il les avait déjà lui-même infligées...

Réfléchis, Aimé. Réfléchis.

Sohane tente de se rapprocher mais je le repousse. S'il cherche à m'atteindre c'est qu'il a quelque chose à se reprocher, d'autant plus qu'il n'a pas dit un mot pour démentir mes propos.

Mon regard croise le sien, vitreux, et tout devient clair.

— Non... imploré-je. Non, Sohane je t'en prie.

— Je suis désolé Aimé.

            — Arès est-il au courant ?

            Il secoue la tête. Ses épaules s'affaissent au même instant où il compresse sa tête entre ses paumes. Il a l'air si dépassé que ma compassion est sur le point de prendre le dessus. Mais c'est impossible maintenant que je sais ce qu'il a fait.

            — Il te considère comme son propre fils, et toi... m'exaspéré-je. Et toi tu es responsable de la mort de sa femme.

            — Non, ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre, c'est mon père.

            Mes poings se resserrent le long de mon corps.

            — Mais tu étais au courant ! Tu as toléré la mort de tout un village, tu savais que des innocents allaient mourir.

            — À l'époque, ça m'importait peu.

            — Pourquoi ? me sidéré-je, la voix tremblante.

            — Parce que j'avais perdu ma mère. J'étais stupide, déboussolé et j'avais besoin d'un responsable à mon malheur.

Ce n'est pas Vylnes qui a tué ma mère, c'est lui, c'est son père.

Et il le savait.

            J'avais l'impression de me rapprocher de lui ces derniers mois, d'apprendre à le connaître. Je pensais apprécier son caractère, ses facettes cachées et tous les sourires qu'il avait à m'offrir. Mais aujourd'hui, je réalise que j'ai en face de moi un total inconnu.

            — Et donc, des villageois innocents étaient la proie parfaite, c'est ça ?

            — Vous n'étiez pas des villageois innocents de Mahr. Vous étiez des prisonniers Vylnesiens du palais, qui ont été transférés dans un village abandonné, déclare-t-il.

            Mon cœur s'arrête.

            Des prisonniers.

            Vylnesiens...

            — Vous étiez la raison pour laquelle le palais a été attaqué à mes neuf ans, le soir où j'ai perdu ma mère, parce que vous étiez retenus captifs au palais. Même si toi, tu n'étais pas là pour y assister. Ta mère a été déportée bien avant ta venue au monde.

            Le choc est si brutal que je ne sais plus comment respirer. Même dans ma tête, je refuse de l'admettre, de le comprendre, de le concevoir... C'est impossible, ça voudrait dire que mon père n'a pas été le seul à m'avoir menti toute mon existence. Ma mère aurait été la première à le faire. Elle m'aurait laissé redorer une origine qui ne m'appartenait pas, en sachant qu'elle la haïssait ? Il y a tant de questions qui me paralysent, pourtant la seule qui m'échappe est probablement la moins pertinente.

            — En quel honneur ?

            En quel honneur ma mère aurait été déportée ?

            Sohane me concède un sourire empathique, l'air de dire qu'il n'a pas encore tout admis, que ce qu'il s'apprête à répondre s'avère être encore plus consistant et que je n'ai pas le gabarit nécessaire pour l'endosser.

            — Réponds-moi.

            — Ta mère était une figure importante, admet-il. Elle était princesse. Princesse héritière, comme moi.

            Je manque de tourner de l'œil, tout ceci est tellement gros que je suis à deux doigts de vomir mon repas d'hier soir.

— Oui Aimé, en tant que dernier enfant en vie de sa majesté Aliénor, tu es à l'heure actuelle le prince héritier de Vylnes.

Je m'effondre sur mes genoux, sans voix. Le souvenir de ma mère est encore plus douloureux maintenant que je connais la vérité. Elle n'a jamais retrouvé sa famille, elle est restée prisonnière de Mahr jusqu'à son dernier souffle, et a péri de leur main. À mon tour, je lutte pour réfréner les larmes qui menacent de couler. Sohane s'accroupit à mes côtés et dépose une main sur mon dos, mais je le repousse d'un geste vif.

— Ne me touche pas !

Le regard que je lui porte s'est métamorphosé. Il est devenu aussi haineux que le premier jour de notre rencontre.       

            — Tu es exactement comme ton père, formulé-je, la mâchoire serrée.

            Sohane tient sa poitrine d'une main, comme s'il s'efforçait de retenir les fragments de son cœur qui lui déchirent la poitrine de l'intérieur. Il s'obstine à rester près de moi malgré les mots rudes que je lui jette à la figure et essuie ses yeux irrités par le nombre de larmes qu'il a versées. Si je n'étais pas aussi faible, je serais sorti de cette tente depuis un bon moment, mais le problème, c'est que je continue de m'inquiéter pour lui. Même s'il est complice de la mort de ma mère, qu'il m'a menti depuis le départ et qu'il n'est probablement rien de la personne que j'ai connue, j'ai mal de le voir ainsi.

            Je saigne ce qu'il saigne.

            — Tout ça, c'était avant... se justifie-t-il, à bout de forces.

            — Avant quoi ?

— Avant que je te rencontre, avant que je réalise que tu es la meilleure chose qui me soit arrivée, avant que je tombe amoureux de toi...

Je suis épuisé, il n'y a rien que je puisse croire venant de lui désormais. Je m'apprête à lui répondre lorsqu'un bruit sourd résonne juste à côté de la tente. C'est si puissant que couvrir mes oreilles ne suffit pas à protéger mes tympans. Les sons alentour deviennent troubles pendant que mes doigts réceptionnent un liquide chaud. Du sang s'écoule de mon oreille. J'en oublie l'existence de Sohane dès l'instant où j'enfile un manteau et m'empare d'une épée.

— Je te choisis à mon peuple, admet-il, épuisé.

— Facile à faire quand tu en as un, mais je ne sais pas auquel j'appartiens. J'en suis incapable, désolé.

Je reprends mon souffle.

— Tu comptais fuir. Fais-le, lui conseillé-je avant de sortir de la tente.

À l'extérieur, le soleil s'est levé et je suis contraint de couvrir mon œil pour ne pas finir aveugle. Des éclats de poussière, mélangés à de la terre et de la neige polluent l'air. Je ne peux respirer sans tousser. Tous nos hommes alertés par le bruit me rejoignent sur le champ de bataille, terrorisés à la vue de la mer de soldats qui se rue vers nous. Il y en a des centaines, tous couverts et armés jusqu'aux dents. Des trébuchets lointains projettent des rochers et d'autres objets lourds dans notre direction, ce qui explique le bruit assourdissant qui nous a éveillé.

— Armez-vous ! ordonné-je, en désignant la tente pleine d'épées, d'arcs et de toutes sortes d'armes.

Nous prendre au dépourvu ne nous empêchera pas de contrer l'attaque. Suivi par la totalité de nos hommes, je chevauche un étalon pendant qu'ils en font de même. Nous sommes au moins autant qu'eux et même si je n'ai jamais guidé de troupes sur un champ de bataille, je me sens capable de les anéantir.

Je suis si enragé que je me persuade de pouvoir les terrasser à moi seul.

Je suis en première ligne à l'instant où une dizaine de soldats nous atteignent. Je me prépare à tuer l'homme qui se précipite vers moi, quand une voix dans ma tête me rappelle qu'il s'agit de mon peuple. Ce sont mes hommes, des personnes que je suis censé guider depuis le trône Vylnesien. Ils partagent mon sang et j'incarne leur ennemi. Alors que je me laisse distraire par mes pensées parasites, le soldat ennemi m'assène un coup d'épée que j'évite de justesse avant de le lui rendre. Il meurt sur le coup.

Il n'y a pas de rédemption possible.

Il est trop tard pour que je pense pouvoir me racheter auprès de mon peuple, je guide Mahr désormais.

Mes émotions s'amoindrissent dès lors que les morts se succèdent. Je ne me rends même plus compte que mon épée arrache des vies, tour à tour. Je suis spectateur du cauchemar qui se déroule, conscient que mes camarades s'en sortent comme ils peuvent derrière moi, pendant que je crée une brèche dans le camp ennemi. Chaque homme qui croise ma route rencontre la lame de mon épée et s'écroule.

Du sang gicle sur mes vêtements, sur mon visage, dans mes yeux, mais rien ne freine mon euphorie. L'adrénaline est tout ce qui me permet d'aller toujours plus loin dans ces vagues de torture. Sohane avait raison pour une chose : nous avons face à nous des hommes qui ont été entraînés dans une guerre qui ne les concerne guère et qui tentent de défendre leur pays autant que nous. Le ciel s'assombrit, nous indiquant que témoigner d'un tel massacre le froisse. Il est aussi froid que le sol revêtu de neige et je commence à appréhender. Ma vue se voile de blanc, tout juste rassasiée par l'étendue de cadavres qui se succèdent sur le manteau de neige maculé de sang.

Je regarde autour de moi. Notre légion est pour la plupart tombée, mais ceux qui sont encore debout sont plus nombreux que les survivants ennemis. C'est peut-être crédule de ma part, mais j'ai espoir de réussir.

— Lord Sohane ! vocifère un homme dans mon dos.

Je me frigorifie à l'entente de son prénom. Je tourne la tête, découvrant avec horreur que Sohane est sur le champ de bataille depuis le départ. Seulement, il vient de tomber de son cheval et je suis le seul à comprendre pourquoi il se tient le dos d'un air agonisé. Sa blessure s'est rouverte. Sa plaie n'a jamais cicatrisé et il s'est précipité au cœur d'une guerre comme s'il ne partait pas avec une déficience supplémentaire. Je me dois de rester concentré sur mes propres duels si je ne veux pas mourir, mais je finis incontestablement par chercher Sohane du regard.

Il se bat corps et âmes contre chaque homme qui l'attaque et malgré sa blessure et le fait qu'il soit au sol, il arrive à s'en sortir. Lorsqu'il vient à bout du dernier soldat qui cherche à le tuer, un soupir de soulagement m'échappe. Je m'assure qu'il rejoigne son cheval, manquant moi-même de subir une blessure mortelle par inadvertance.

Je le quitte des yeux une fraction de secondes, le temps de me débarrasser du Vylnesien qui s'en prend à moi et à l'instant où je le cherche à nouveau, je le vois. Lui et ce soldat qui se précipite vers lui par derrière.

— Sohane ! m'étranglé-je, tandis que le lâche tend son épée droit vers sa colonne vertébrale.

Mon avertissement l'alerte assez tôt pour qu'il esquive l'attaque et que je me charge de poignarder l'individu. Je lui tends une main qu'il observe un temps avant de saisir. Son pouls est si bruyant qu'il résonne contre mes doigts quand je l'aide à remonter sur son cheval tourmenté. Il ne dit pas un mot, mais ne me lâche pas des yeux.

Il espère que ce geste équivaille à mon pardon.

            Ce n'est pas le cas, alors je lui tourne le dos et c'est à ce moment précis que je me rends compte de l'erreur que je commets.

Un halètement de souffrance me parvient avec difficulté à travers les cris d'effroi qui s'élancent autour de moi. Quelque chose d'épouvantable vient de se produire, mais ça n'a rien à voir avec Sohane. Lui, il est en sécurité, je me suis assuré qu'il regagne son étalon, il n'a aucune raison d'être blessé.

Alors pourquoi j'ai l'impression qu'on m'a arraché le cœur lorsque je lui fais face ? Pourquoi mon corps est-il congelé ? Pourquoi plus aucun de nos hommes ne continue de se battre ? Pourquoi dès lors que je regarde autour de moi, je ne vois que des soldats scandalisés ?

Ma tête bascule en avant. La vue dont je dispose m'est insupportable. Il me suffit d'une image pour que mes yeux s'encombrent de larmes. Sohane est toujours assis sur son cheval, son regard ne m'a pas lâché, il s'est même adouci maintenant que je lui fais face. Ses pommettes saillantes rosissent à vue d'œil et traduisent une douceur dont je n'ai témoigné que de rares fois. Un faible sourire redessine ses lèvres, mais son torse est traversé d'une lame et il n'est plus capable de soutenir son propre poids.

Il s'effondre au sol.

Peu m'importe qu'on se trouve au milieu d'une bataille, ou que les ennemis nous encerclent. Je saute de mon cheval et accourt auprès de lui. Mes genoux s'enfoncent dans la neige pendant que je recueille son visage entre mes paumes. Il est froid, glacé ou très chaud, je ne saurais le dire.

— Continue de te battre, je ne veux pas que tu me suives là où je vais, avoue-t-il, la voix éraillée.

— Tu rigoles ou quoi ? Tu ne vas nulle part sans moi, je ne t'ai pas encore pardonné.

L'ombre d'un sourire s'affiche sur son visage, bien qu'il s'efface aussitôt lorsqu'une toux grasse lui noue la gorge et qu'il se met à cracher du sang.

— Tu m'as détesté lors de notre rencontre, et tu me détestes lors de nos adieux. C'est assez triste que je trouve toujours le moyen de tout gâcher, ironise-t-il.

— Il n'y a pas d'adieux qui tiennent, on va rentrer ensemble au palais Sohane, paniqué-je.

Mes mains tremblantes caressent ses joues, pourtant plus je tente de le garder éveillé, moins il parvient à garder ses beaux yeux ouverts.

— Je n'ai pas envie de mourir Aimé. J'étais censé devenir un meilleur roi que mon père et prouver au peuple que je suis assez.

— Tu es assez ! m'offusqué-je, à bout de souffle. Tu es assez, tu es largement assez.

— Pas pour que tu laisses nos troupes, il faut croire... Pas assez pour que tu me choisisses.

L'encens de son corps marque ma peau au fer rouge. Son odeur n'inonde plus mes poumons comme la vieille, elle se ternit, se meurt à même le sol. Les mains moites, je saisis ses épaules et soulève son torse. Ma respiration se coupe à l'instant où je constate que sa plaie se perpétue jusqu'à son dos. La lame a traversé son corps. C'est une blessure fatale. Les informations s'amoindrissent dans mon esprit, c'est pourquoi je ne fais que m'écrouler sur lui, plus affaibli que jamais.

— Raconte-moi la fin de ton rêve, murmure-t-il à mon oreille.

J'étouffe mes sanglots d'une main pour ne pas qu'il comprenne que son état est aussi critique qu'il le pense, et la sienne s'enroule autour de mes épaules afin de me rassurer.

— J'avais une bague à l'annulaire et tu avais la même, soufflé-je. Tu n'avais envisagé mon règne lié à personne d'autre qu'à moi, alors...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase avant que sa main ne lâche mon corps et atterrisse dans la neige. Son sang glisse le long de mes bras à mesure que je resserre mon emprise autour de son corps. Je hurle son prénom sans m'entendre. Je n'entends plus rien, qu'est-ce qui m'arrive ? J'ai l'impression que mon âme survole mon corps et observe la scène de l'extérieur pour se protéger de la douleur. Mais ce n'est en rien efficace, je cherche sa main et l'enroule autour de mes épaules cinq fois avant d'accepter qu'elle s'échouera au sol dans tous les cas, parce qu'il ne la maîtrise plus... parce qu'il est mort.

— Sohane, tu vas bien mon amour. Je suis là.

Il ne me répond plus.

Impossible de penser à quoique ce soit.

La seule chose qui se répète en boucle dans mon esprit, à l'heure de sa mort, est un vieux souvenir.

Un souvenir dans lequel Sohane me regarde, sans rien dire, comme si j'incarnais le paroxysme de la beauté.

Un souvenir dans lequel il s'éprend d'une douceur qui ne lui ressemble pas en m'observant de loin.

Un souvenir dans lequel il ne peut s'empêcher de sourire, malgré la foule qui l'entoure, parce que je comble son champ de vision.

Ses lèvres s'esquintent contre son verre rempli de vin, puisqu' il refuse de d'admettre ce que je lui fais ressentir. Il ne se doute pas que je sens son regard m'effleurer et ne s'importune pas du fait que d'autres s'attardent sur moi. Parce qu'il sait que c'est à lui que je reviendrai, un jour où l'autre. Je me souviens avoir pensé qu'il n'avait nul besoin de dire tout haut ce qu'il ressentait tout bas, parce que je savais. Contre toute attente, il avait pris conscience qu'une vie sans me haïr était envisageable, avant même que l'idée ne frôle mon l'esprit.

Mais aujourd'hui j'en ai besoin. Je me meurs de sa détérioration et je brûle d'envie de l'entendre me hurler ce qu'il ressent à nouveau sans que ce ne soit dans la contrainte, par peur de me perdre. S'il ne le fait pas maintenant et qu'il l'emporte avec lui, alors qui s'en chargera ? Je ne peux concevoir qu'il puisse me filer entre les doigts.

— Sohane, me lamenté-je. Sohane, n'ose pas m'abandonner.

Je berce son corps entre mes bras, malgré son cœur qui bat de moins en moins vite. Quoiqu'il advienne, mon cœur est destiné à souffrir.

— J'ai besoin de te dire quelque chose, mais il faut que tu ouvres les yeux Sohane, sangloté-je. Tu ne peux pas mourir maintenant, il te reste des milliers de choses à accomplir, et des milliards de moments à m'offrir.

Tout ce qu'il m'a apporté sera enterré avec lui.

Aussi fanées soient les fleurs d'automne qui pâlissent aux coins des rues, ou asséchés de raison puissent être les ignorants qui le damnaient, Sohane s'éteint entre mes bras alors que je goûte à ses lèvres froides pour la dernière fois. Son corps mort revêt désormais le sol enneigé, et à travers les larmes qui strient mon visage, je me persuade que ça ne pourra qu'aller mieux. Que l'agonie finira par se dissiper, mais le chaos naquit après.

Après la mort de l'amour de ma vie.

            Je me réveille en sursaut dans une pièce plongée dans l'obscurité. Mon premier réflexe est de porter ma main à mon cœur. La douleur qui s'ensuit est insupportable. Mon torse est nu, et malgré le froid tétanisant qui règne, mon corps est brûlant, presque nauséeux.

            Je viens de m'échapper d'un cauchemar effroyable, le pire de tous. J'ai rêvé de perdre la personne à qui je tiens le plus, et je me dois de le trouver pour lui avouer ce que je ressens. Mes pieds pendent dans le vide au moment où la porte s'ouvre et qu'un homme, dont je ne peux discerner le visage, s'avance vers mon lit.

— Sohane ? susurré-je.

— Aimé... déclare mon père d'une voix lourde. Il n'est plus parmi nous.

Je ne sais combien de minutes je perds à fixer le vide, en tout cas, pendant ce laps de temps, mon père ne me quitte pas. Il s'installe à mon chevet et s'empare de ma main tétanisée dans l'espoir de la réchauffer.

— Vous avez perdu la bataille, et tu as été retrouvé inconscient au milieu des cadavres. La plupart d'entre eux sont méconnaissables, car ils ont été piétinés par les chevaux et ont été gelés par la neige, mais les soldats ont tenu à ramener celui de Sohane.

Je me penche pour vomir, l'estomac vide.

— Aimé... crois-moi je sais à quel point c'est dur, mais je dois te demander quelque chose.

Je ne sais même pas si mon père est encore en face de moi, à me poser une question dépourvue de sens, pendant que je me vide de tout ce que je suis incapable d'exprimer à voix haute.

— Ils ont identifié son corps, Rufus lui-même a certifié qu'il s'agissait de lui, mais je ne peux le croire, s'effondre-t-il. Je sais que tu le connaissais, plus que beaucoup de personnes qui l'ont côtoyé depuis sa naissance, alors sais-tu s'il avait une tâche de naissance, quelque chose de distinct qui permettrait d'en être sûr pour de bon ?

Une tâche de naissance ? Sur le corps de Sohane ? Je ne me rappelle pas en avoir vu une un jour, mais je n'en aurais pas besoin pour savoir si c'est lui ou non. Dans tous les cas, au-delà du fait que son corps m'est plus familier que le mien et que je n'aurais qu'à l'effleurer pour savoir qu'il s'agit du sien, je reconnaîtrais sa blessure. La blessure que j'ai colmatée la veille, sans penser que je devrais le voir souffrir d'une incurable le jour suivant.

J'en suis incapable. Je me trancherais la gorge sur le coup si je devais à nouveau faire face à son cadavre, alors j'ignore mon père.

— Quand tu es arrivé au palais, Aimé, j'ai été déçu de vous voir vous haïr. Vous étiez similaires sur tant de points...

Je ne l'ai jamais vu aussi dévasté, même après la mort de ma mère.

— Merci de lui avoir offert le réconfort que personne n'a jamais su lui donner, tu l'as rendu heureux, même si ça n'a duré qu'un temps.

Je sais que lui aussi est en deuil, mais je l'abandonne pour m'enfuir de la pièce. Je commence à m'étouffer, Arès perd peut-être un soi-disant fils, mais moi je perds tout ce que j'ai et c'est entièrement de ma faute. La forte luminosité soudaine m'éblouit, pourtant je reconnais tout de suite les couloirs du palais.

Je suis de retour ici, sans lui...

À bout de force, je trébuche à chaque marche et m'accroche aux murs pour ne pas m'écrouler. Dans chacune des pièces que je traverse, il manque quelque chose. Une chose qu'on ne peut pas juste substituer avec une similaire. Mes mains tâtent toutes les surfaces, jusqu'à rencontrer le couloir des portraits de la famille royale. Il y en a une dizaine qui se succèdent, les plus récents. Je ne reconnais que Rufus bien plus jeune, Isayah et... Sohane.

Son visage me procure un mal de crâne affreux, accompagné d'une douleur au foie. Ses yeux orientés sur la droite sont animés d'une lueur captivante. Une lueur qui, de son vivant, n'a illuminé son regard que de rares fois. Chaque détail ressuscite un souvenir, de sa couronne de feuilles dorées jusqu'aux nuances subtiles de son expression faciale. Tout est imprégné du Sohane auquel je me suis dévoué. Et bien que ce ne soit qu'une figure statique, ses yeux brillent d'une intensité déroutante. Je le croirais presque face à moi... Mon Sohane, l'autre moitié de mon cœur.

Je m'assois au sol face à lui, lorsqu'un vieil homme sort de l'ombre et me fait sursauter. Sa longue barbe et ses traits de visages me sont familiers, il s'agit du peintre qui a réalisé son portrait.

— Qu'est-ce que vous faites là ? tonné-je.

            — Vous êtes dans le couloir de mes œuvres, c'est à moi de vous demander ce que vous faites là, jeune homme.

            — Le voir, murmuré-je en désignant son portrait du menton.

            Le vieil homme caresse sa longue barbe grisâtre en fixant à son tour le visage du prince. Ses lèvres s'incurvent vers le bas, comme s'il pouvait compatir à mon agonie. Il effleure ses yeux du bout des doigts puis se tourne vers moi et dépose sa main sur mon épaule.

            — J'ai appris pour son décès, toutes mes condoléances.

            Il ne fait que remuer le couteau dans la plaie. Je hoche de la tête et l'ignore avant que les larmes ne resurgissent de nulle part.

            — Les survivants de l'attaque disent que même après sa mort, le corps du prince a continué de protéger le vôtre quand vous avez perdu connaissance. Que c'était inscrit sous sa peau, gravé dans ses veines, qu'il n'avait d'intérêt qu'à protéger la source de son bonheur.

            Je secoue la tête. J'abhorre ces foutues spéculations, d'autant plus lorsqu'elles me brisent le cœur de plus belle. Sohane est mort avant même que je ne puisse lui avouer mes sentiments, et son corps était inanimé contre le mien. Je l'ai senti expirer jusqu'à ses plus faibles battements, alors qu'on ne vienne pas me dire quels étaient ses intérêts à cet instant.

            — Sachez une chose. Ce portrait n'est pas dans les règles. Notre devoir est de dépeindre une expression froide, neutre. Mais pour la première fois, j'ai eu droit à une expression sincère de la part d'un héritier, affirme-t-il. Il vous regardait comme s'il désirait vous protéger à n'importe quel prix, comme si vous étiez la raison même de son combat.

            Je me recroqueville sur moi-même, compressant mes genoux contre mon torse avant d'y enfouir mon visage. Les larmes ne cessent de couler, c'est un calvaire. Je ne peux même plus respirer, plus rien n'a de sens, toutes les pièces de l'échiquier sont mélangées. Je cherche du réconfort, cependant le vieil homme n'est plus là.

Tout ce qu'il me reste, c'est un portrait de l'homme qui m'a aimé quand j'étais incapable de l'accepter. Et maintenant que j'ai besoin de lui, il est trop tard.

Je donnerais n'importe quoi pour l'entendre une dernière fois et enfermer son rire sous mes entrailles.

            En tâchant de mémoriser la toile, je réalise que Sohane avait l'apparence de ce qu'aurait pu être mon bonheur. Il incarnait tout ce qu'aurait pu être le reste de ma vie et je l'ai gaspillé aux dépens d'un conflit qui va bien au-delà de ma petite vie.










Juste parce que l'image est parfaite,
je vous la mets en grand

N'oubliez pas l'épilogue

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