Chapitre 1 : prologue


Quand Maxence me souhaite joyeux anniversaire pour mes 32 ans, alors que je passe devant son bureau pour m'installer dans le mien, je lui grogne quelque chose du style « pfff, tu parles ». C'est une salle journée, comme toutes les autres depuis... depuis l'incident.

Voilà déjà plusieurs jours que j'ai repris le travail suite à ma mise à pied, mais je ne me sens plus à ma place. Lorsqu'un délinquant sort de prison, on dit qu'il a purgé sa peine et effacé sa dette. Pour ma part, ma sanction a beau être derrière moi, je ne me sens pas moins coupable pour autant. Comme pour m'auto-flageller, j'ai demandé au procureur que l'on ne me confie pas d'enquête dans l'immédiat. Je préfère servir de sous-fifre à mes collègues de la Police Judiciaire le temps de retrouver toute ma confiance en moi. J'ai d'ailleurs la sensation, peut-être paranoïaque, que ma hiérarchie est sur la réserve, comme si ma faute restait écrite sur mon front, comme si je risquais de faire un nouveau pas de côté à tout moment. J'ai pourtant retenu la leçon. Moi qui ai toujours été droit, presque psychorigide en matière de règlement... j'ai commis une erreur.

Depuis mon affectation, j'avais toujours été très proche de François : on travaillait souvent en binôme, j'aurais pu dire qu'il était "mon coéquipier" si nous avions tourné dans un film américain. D'ailleurs, on fredonnait souvent le refrain "Bad Boy" quand on montait en voiture, et ça nous faisait rire. Le quotidien était rythmé, j'aimais ce que je faisais et mon métier passait avant tout le reste, de toute façon.

Sauf que j'avais découvert qu'il trempait dans une sale magouille. Il s'était servi d'une affaire qu'on lui avait confiée pour récupérer des substances illicites, qu'il avait bien vite revendues. Quand je l'avais grillé, il s'était mis à pleurnicher comme un gosse qu'on choppe la main dans la bonbonnière avant un repas : « Je t'en supplie, ne me balance pas. » Puis il s'était justifié... Ça n'est arrivé qu'une fois, une seule putain de fois. « J'avais jamais fait ça avant, mais j'ai eu besoin de fric pour mon divorce. Elle m'a tout pris, je te jure, je suis dans la merde jusqu'au cou. Il me fallait 8 000 balles, j'ai juste... cédé à la tentation. »

J'étais bien décidé à tout raconter. Mais je savais qu'il traversait une période difficile. Le dilemme m'avait tenu éveillé plusieurs nuits. Et puis j'avais finalement pris la mauvaise décision : je lui avais fait promettre de ne jamais recommencer un truc du genre, je lui avais juré que je le balancerai au moindre faux-pas. Désormais, il m'aurait sur le dos façon "big brother" jusqu'à la fin de ses jours. J'avais empoigné la main tremblotante qu'il me tendait pour sceller notre accord, il m'avait remercié tout en versant quelques larmes de soulagement.

Sauf qu'ensuite, il avait plongé et j'avais été éclaboussé. Toute l'affaire avait éclaté. Je m'étais rendu complice de quelque chose de très grave. J'avais donc accepté les sanctions sans broncher, bien trop honteux pour essayer de me défendre ou me justifier. Flic corrompu. Indigne de porter l'insigne. Une longue mise à pied durant laquelle j'ai vécu un véritable enfer. L'oisiveté, les regrets, la perte d'estime de soi.

J'ai repris le travail les yeux rivés au sol, incapable de soutenir le regard de mes collègues. Pourtant, plusieurs d'entre eux m'ont salué chaleureusement, avec une main sur les épaules, une parole compatissante. J'étais presque ému de leur bienveillance, moi qui avais trahi notre engagement. Aucun d'entre eux ne semblait garder une amertume contre moi. Ce matin encore, Maxence semble plein de sympathie à mon égard :

— Tu sais, Quentin, aucun d'entre nous ne peut dire ce qu'il aurait fait à ta place. C'est jamais facile de balancer un collègue. On a besoin d'être solidaires, on traverse sans arrêt des moments difficiles, on doit se serrer les coudes. Alors franchement, j'aurais pas aimé que ça me tombe dessus. Au moins, t'as prouvé à tes coéquipiers qu'ils peuvent compter sur toi dans n'importe quelle galère. Aucun de nous te juge pour ça, on est plutôt du genre à t'admirer, ok ? Relève la tête Quentin, tu es un flic génial. Ne laisse pas cet accident de parcours bousiller une carrière exemplaire.

— Merci de dire ça, Max. Mais dans l'immédiat, je vais me faire tout petit.

— On va boire un verre à ta santé ce soir, ok ? Y a une affaire dont on voudrait te parler... en OFF. Viens avec nous s'il te plait, tu as un anniversaire à fêter, paie ta tournée !

J'acquiesce mollement, sans avoir la moindre idée de la tournure que ma vie va prendre. Sans savoir que je vais bientôt la rencontrer, qu'elle bouleversera mes sens et ravagera toutes mes certitudes en un battement de cils, ou presque. Ce soir-là, j'attrape ma veste et quitte mon poste pour me fourrer dans la plus grosse galère du siècle. Je suis sur le point de croiser le regard de braise de la plus belle salope du monde. Lady Cash.

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