À ton étoile
Au réveil tout est plus simple et moins Show-Off. Dylan reçoit l'accord du médecin le lendemain pour retirer son attelle et commencer sa réeducation.
Nous passons trois jours parfaits. Ses journées sont réservées à ses soins et ses rendez-vous médicaux. Tyler vient le voir en début de journée pour lui faire répéter son texte, Michaël Keaton passe une fois aussi. Son coach vient l'aider à garder le reste de son corps en forme et en ordre avec les prescriptions strictes du kiné qui passe deux fois par jour.
J'occupe mes journées comme un touriste le matin. Je vais courir sur la plage, je visite les fameux studios, et me promène à Venice. Le deuxième jour je fais un caprice au sujet des taxis trop chers et des rues trop grandes et des douleurs dans mes pieds. Dylan lève les yeux aux ciel et capitule en me lançant les clefs : je sors de l'immeuble en compagnie de la jolie française qui s'ennuie ferme dans le parking.
Je quitte Los Angeles en passant par Pasadenas et son architecture métissée avant de rejoindre la route 210. La Midual est sage et se tient correctement sur la route. Je fais chauffer ses pneus avec précaution, de gauche à droite : elle slalome avec la souplesse et la retenue d'une ballerine qui s'étire. Je ne la presse pas tout de suite.
Azusa, Chino, Corona... Je passe les villes en appréciant les paysages qui défilent comme dans un flipbook. A Riverside je prends la direction de Woodcrest pour rejoindre Canyon Lake. J'arrive sur ces fameuses routes qui m'ont toujours fait rêver dans les films. Le bitume et les espaces désertiques de chaque coté, j'ai le sentiment que si je vire à droite ou à gauche mon choix n'aura pas d'importance, je crèverai de soif et de solitude aussi vite. Je ne choisis pas et j'accélère. Plus vite. Un peu plus vite encore. La moto répond à toutes mes exigences, elle est aussi belle que confortable et rassurante, comme dotée d'un pouvoir magique elle fait disparaître les énormes trucks dans le souffle de ses accélérations, disparaître les villages au loin, disparaître les autres motos. Elle fait tout disparaître et me laisse vide et presque neuf lorsque je l'arrête au bord du lac. Je me balade autour et hésite un peu à tremper mes pieds dedans mais sans Dylan dans l'eau j'ai peur d'avoir froid et je me ravise.
Le couloir de natation. La piscine de Nation.
Le Penthouse. Mes 35m2.
La Midual. Le Vélib'.
Dylan. Grindr.
Comment tu vas t'en sortir mec? Aucune idée.
Sur le chemin du retour je m'arrête pour donner à boire à ma monture avant de la remettre au parking. La nuit commence à tomber lorsque je rentre dans l'appartement. Entre les séances de kiné, de sport et de lecture Dylan s'est endormi sur l'immense canapé du salon, la bouche ouverte il ronfle un peu et je me réserve un instant pour l'observer à loisir.
D'une caresse j'efface
Tes cauchemars et leurs chimères.
Ton visage constellé de beautés granuleuses
Et la parfaite Balance à ton oreille,
Je rends hommage avant ton éveil
A ta beauté nébuleuse.
Dors bien ma jolie Merveille,
Fais de beaux rêves mon Trésor.
Ce n'est pas demain la veille
Que j'aimerai un autre corps.
Il y a un ballet de lumières et de strass
Qui vibre sous tes paupières,
Si je n'y ai pas ma place
Je resterai tout près, juste derrière.
Sois doux pour âme mon Etoile,
Sois bon pour mon cœur
Je te protégerai de ceux qui dévoilent
Nos précieux secrets et tes tristes peurs.
Viens, jolie Panthère sur mon torse en sueur
Ne retiens pas ta langue entre tes lèvres.
Travaille à faire monter la fièvre
Qui mêle nos peaux dans la fureur.
Comme s'il avait écouté aux portes de mes pensées il ouvre des yeux encore embués de fatigue.
-Je me suis endormi. J'étais crevé.
-Je vois ça.
-Tu es là depuis longtemps?
-Non je suis rentré il y a dix minutes.
-J'aime bien te voir quand j'ouvre les yeux, dit-il en se renfonçant dans le coussin avant de tendre la main vers moi.
-J'ai du le sentir, je suis rentré à temps pour ton réveil tu vois.
-Tu repars bientôt et je ne profite pas assez, pas autant de toi que je le souhaiterais.
Je caresse d'un doigt la ligne de sa mâchoire en remontant vers son oreille, je trace et je relie les constellations de ses grains de beauté, son visage est la carte de mon ciel étoilé.
-Tu me chatouilles un peu, dit-il en rentrant la tête dans son cou.
-J'aime bien ces trois là. Ces trois grains de beauté là, les trois près de ton oreille : on dirait le zodiaque de la Balance. Tu portes mon signe, c'est assez flatteur.
-Au moins je porte le tien, on ne peut pas dire que tu arbores le mien comme un blason, je suis Vierge.
-Vierge ascendant Connard, avec ma Balance dans ta Lune. On continue ton thème astral ou on va dîner?
-Let's go, I'm hungry!
Je ressors la moto du parking. Je roule longtemps exprès. Parce que c'est trop bon ce vent chaud qu'on sent malgré le blouson et malgré le casque. Chaque mètre de route est bon à prendre tant que ses bras s'agrippent à mon ventre.
Le restaurant n'a rien d'exceptionnel, mais nous pouvons garer la moto derrière à l'abris des regards et notre table se trouve dans un coin sombre du restaurant. Une fois ma bière et son Bloody Caesar* servis il profite de l'intimité de l'endroit pour me toucher légèrement la main. Il est bon ce moment, je tente de le mettre en archive dans ma tête pour plus tard.
-Tu es déjà venu avec d'autres ici j'imagine.
-C'est discret et la nourriture est correcte. Oui, je suis venu avec d'autres. Tu es jaloux de la vie que j'ai eu avant de te connaître?
-Non, enfin peut-être un peu en fait. J'en suis curieux je crois.
-Qu'est ce que tu voudrais savoir?
-Comment ça s'est passé le jour où tu t'es dit que tu n'aimais pas les femmes? Le premier homme qui t'a plu... Comment tu as choisi de rester dans le placard? Un peu tout ça.
-Comme toi. Comme n'importe qui à quelques années près. En 2001 je suis allé voir "Lord of The Ring" et en sortant de là je me suis rendu compte que malgré les seigneurs noirs, malgré les pieds poilus des Hobbit, au milieu des Ténèbres de Sauron et de la crasse, il y avait Legolas. J'avais dix ans et j'ai ressenti un truc qui me dépassait complètement : il y avait une lumière et une douceur dans son visage qui éclipsait tout autour. Je ne me souviens que de ça dans ce film, le visage d'Orlando Bloom.
Le placard je me suis mit dedans tout seul. Difficile quand tu commences à être célèbre très jeune de parler de tes désirs qui ne rentrent pas dans la norme de ton public. Et puis un premier film qui reçoit un prix à Sundance, ma rencontre avec Brittany sur le tournage, je ne me suis même pas rendu compte en fait. Un choix en entraîne un autre et ferme un accès de plus. Un matin je me suis réveillé et je me suis rendu compte que je tombais amoureux de celui qui partageait mon lit mais que j'étais à des années lumières de pouvoir profiter de ça.
-Qu'est-ce qui s'est passé?
-Je l'ai quitté, j'ai beaucoup bu, j'ai appelé Tyler, j'ai pleuré et on a beaucoup bu et j'ai pris de la distance. Le temps a passé, je me suis blindé. Je ne sais pas trop combien de temps je vais tenir encore mais pour le moment ça va à peu près.
-Donc ta solution c'est de ne plus tomber amoureux?
-Oui, c'est un peu ça.
-Et ça fonctionne bien?
-Non. Pour moi ça ne fonctionne pas bien.
Une salade au pastrami et un cheeseburger plus tard nous ressortons du restaurant côté rue pour marcher un peu avant d'aller reprendre la Midual. Nous avançons en silence, emmitouflés dans la moiteur de la nuit californienne. Au détour d'une rue Dylan me devance d'un pas et fait volte-face, ses yeux brillent avec l'éclat du dessert que je n'ai pas pensé à commander d'un brun-chocolat piqué de miel.
-Juste pour une fois, juste pour savoir, dit-il avant de s'approcher et de prendre ma main.
Au coin de cette rue ni très belle ni très fréquentée il m'embrasse. Il fait trop chaud pour qu'une brise passe sur nous. Il fait trop chaud tout autour de nous et ce baiser en public n'arrange rien. Je le prends comme une jolie déclaration et ferme mes bras autour de ses épaules pour en avoir un peu plus et je m'amuse de la photo qu'il prend de nous avec son téléphone.
Il y a un espoir au firmament pour mon Étoile.
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