Chapitre 13 : Mauvais sort
Dans son fiacre noir, tirés par quatre chevaux frisons, Zambara réfléchissait intensément. Ce freluquet de Silko l'avait profondément énervée, mais elle reconnaissait qu'il avait raison sur un point : Valkar avait de bonnes idées. Séquestrer la princesse, qui, apparemment, était peut-être en vie, pour la modeler à son image et ensuite la faire revenir miraculeusement sur le trône... Le pouvoir serait enfin aux femmes.
Cependant, elle allait devoir recourir à la magie, car il lui était impossible de retrouver la fillette, surtout deux semaines après l'attaque. Si elle avait survécu, elle pouvait être n'importe où.
Après une bonne heure de trajet, elle arriva enfin dans son domaine, et quelques minutes plus tard, à son manoir. Lorsqu'elle était devenue la propriétaire, à la mort, tragique, de ses parents, elle l'avait fait peindre en noir. Non pour montrer son deuil, car elle n'avait que faire de ses géniteurs, qui l'avaient forcée à prendre un époux, décédé lui aussi, mais parce qu'elle aimait profondément cette couleur. Ou plutôt cette absence de couleur. Elle trouvait que cela lui correspondait.
Elle entra et déposa son écharpe en fourrure sur le bras que la servante lui tendait. Elle la remercia et fila directement dans son bureau pour écrire à Delfia, une mage dont on lui avait vanté les mérites à plusieurs reprises. Pendant qu'elle écrivait la courte missive où elle demandait à la mage de venir chez elle dans les plus brefs délais pour une mission de la plus haute importante, un corbeau entra par la fenêtre et vint se placer sur le perchoir, juste à côté de sa maîtresse. Il croassa en signe de bienvenue et baissa la tête pour se laisser caresser. Zambara sourit à son corbeau apprivoisé, qu'elle avait nommé après son frère, Symkyn. Cela faisait des années qu'il avait été emporté par une pneumonie, pourtant il lui manquait toujours terriblement et chaque jour elle pensait à lui.
Elle glissa le billet dans le capuchon attaché à la patte de l'oiseau. Celui-ci se percha sur son avant-bras. Zambara lui donna une dernière caresse avant de tendre son bras pour le pousser à l'envol.
Elle ne douta pas une seule seconde qu'il rejoindrait sa destination, car le capuchon était enchanté. Elle ne savait pas vraiment comment ça fonctionnait, mais grâce à la magie, le corbeau savait exactement où aller. Satisfaite, elle sortit du bureau pour se prélasser dans un bon bain chaud. Après une journée pareille, elle en avait grandement besoin.
Quelques jours plus tard, Delfia arriva. La mage, d'une quarantaine d'années, ses cheveux châtains attachés en une longue tresse, imposait le respect malgré sa petite taille. L'assurance de ceux et celles qui possédaient la connaissance se dégageait d'elle. Elle s'inclina néanmoins devant la Dame de ses lieux, comme l'exigeait l'étiquette.
- Vous m'avez fait mander, ma Dame, dit Delfia d'une voix doucereuse.
- Oui. J'ai besoin de vos services et j'espère que vous serez à la hauteur de mes attentes.
- Je ferai en sorte que ce soit le cas, ma Dame, affirma-t-elle avec force.
- Suivez-moi, nous serons plus à l'aise dans le petit salon.
Les deux femmes traversèrent de longs et ténébreux couloirs pour finalement arriver dans une pièce plutôt spacieuse, mais aussi sombre que le reste de la bâtisse. Un soleil radieux brillait dehors, mais il semblait intimidé et n'osait laisser entrer ses rayons dans le manoir. Delfia se sentit tout à coup oppressée par tant d'obscurité. Elle espérait régler cette affaire vite fait et sortir le plus rapidement possible pour respirer un air frais et lumineux.
Delfia s'assit sur l'un des nombreux fauteuils en cuir noir qui occupaient presque tout le salon. Zambara s'assit en face d'elle et commença à expliquer ce qu'elle voulait.
- Je suis à la recherche d'une jeune fille d'une dizaine d'années environ. Elle a disparu il y a environ deux semaines, et je tiens à la retrouver. Pouvez-vous m'aider ? Existe-t-il un sort pour la localiser, ou un moyen magique pour fouiller le Royaume ?
- Avez-vous un objet qui lui appartient ?
- Non.
- Alors je ne peux pas lancer de sort de localisation, pour ça il aurait fallu un objet personnel.
- Je vois.
- Je pense malgré tout être en mesure de vous aider. Je travaille depuis quelques mois sur un sort permettant d'invoquer des créatures. Je les appelle les Zoriacs. En formulant clairement ce que vous voulez et en donnant une description détaillée, je pense qu'ils seront en mesure de retrouver la jeune fille que vous cherchez. Il faudra également énoncer des conditions, car s'ils ne la retrouvent pas, ils ne pourront pas errer comme des âmes en peine le reste de leurs vies, qui, je crois, est éternelle.
- Je vois. Vous pouvez effectuer le sortilège dès maintenant ?
- Bien sûr, dès que nous aurons établi ce que nous devons dire aux Zoriacs et décider du montant de paiement.
- Je vous propose deux cents pièces d'or lorsque vous aurez lancé le sort, et deux cents pièces d'or lorsque j'aurai récupéré la fille.
- Disons plutôt sept cents pièces d'or maintenant, ensuite je lance le sort, puis sept cents pièces d'or lorsque les créatures vous auront rapporté celle que vous cherchez.
- Quatre cents.
- Six cents.
- Cinq cents.
- Ma Dame, j'ai l'honneur de vous annoncer que nous avons un accord.
- Bien. Commençons alors. De quoi avez-vous besoin ?
- De calme, il me faut une immense concentration car l'incantation est longue et fastidieuse. J'ai besoin d'une grande salle sombre pour que les Zoriacs s'y sentent à l'aise. Ils sont vulnérables à la lumière.
- Très bien, je peux vous fournir tout cela. C'est tout ?
- Mes cinq cents pièces d'or.
Zambara la regarda, les lèvres pincées. Elle commençait à l'agacer avec ses pièces d'or. Elle espérait qu'au moins elle serait compétente et obtiendrait ce qu'elle voulait. Elle se leva, alla jusqu'à un petit bureau et sortit d'un tiroir une bourse, qu'elle tendit à la magicienne. Celle-ci s'en saisit rapidement, comme si elle avait peur que l'argent s'envola. Zambara soupira.
Voilà qui est prometteur, ironisa-t-elle intérieurement.
Delfia semblait respirer à nouveau une fois la bourse entre ses mains. Elle posa quelques questions pour déterminer les conditions d'invocation des Zoriacs.
- Je récapitule, fit la magicienne. Les créatures auront deux années pleines pour trouver la jeune fille. Je me permets de vous rappeler qu'elles ne pourront effectuer leurs recherches que la nuit, car la lumière les fait fuir. Si elles la trouvent, elles devront vous la ramener immédiatement. Si, au terme du temps imparti, elles ne l'ont pas trouvé, elles disparaîtront. La fille en question est jeune, petite, blonde, les yeux verts et mince.
- C'est cela, confirma la maîtresse des lieux.
- Très bien. J'ai toutes les informations nécessaires. Je vais pouvoir procéder au lancement du sort, préférablement dans une pièce avec plus d'espace.
- Suivez-moi.
Zambara mena la mage dans la salle de bal qu'elle n'utilisait jamais, pour la simple et bonne raison qu'elle détestait les fêtes, et danser.
Delfia grogna à la vue des rideaux opaques tirés, qui ne laissaient filtrer aucun rayon par les fenêtres pourtant aussi hautes que le plafond. Pourtant, l'obscurité était exactement ce dont elle avait besoin.
Elle se plaça au centre de la salle et s'agenouilla. Elle incanta, d'une voix forte et autoritaire, pendant cinq bonnes minutes. L'une des plus longues incantations de sa vie. La magie emplit son corps au fur et à mesure qu'elle parlait, jusqu'à ce qu'elle ait l'impression qu'elle allait exploser. Alors doucement, elle laissa son pouvoir affluer le long de ses épaules, ses bras, et enfin dans ses mains. Elle libéra la magie en une sorte d'explosion de lumière. Puis tout redevint sombre. Soudain, des cris inhumains retentirent, obligeant les deux femmes à se plier en deux en se bouchant les oreilles avec leurs mains. Le silence revint aussi rapidement qu'il s'était déchiré, mais le cri suraigu résonnait encore dans leurs oreilles.
Zambara leva la tête la première et aperçut trois ombres ténébreuses, à l'aspect à peine humanoïde. Elles flottaient légèrement au-dessus du sol, indolentes.
- C'est ça, les Zoriacs ? demanda-t-elle en masquant du mieux qu'elle le pouvait les tremblements de sa voix.
- Oui, répondit la magicienne en époussetant sa robe. Ils sont plus impressionnants en vrai que dans les livres, dit-elle, émerveillée.
Zambara se tourna vivement vers elle.
- Comment ? Vous voulez dire que c'est la première fois que vous utilisez ce sort ?
- Et bien... oui. Je n'ai jamais eu l'occasion de le tester auparavant.
- Êtes-vous sûre de l'incantation ?
- Evidemment ! je ne suis pas une amatrice. Je me renseigne avant, tout de même, s'enorgueillit Delfia.
Elle se plaça fièrement devant les ombres et brailla :
- Vous savez ce que vous avez à faire ?
Les Zoriacs semblèrent s'incliner avant de se fondre dans l'obscurité et de disparaître.
- Bien, reprit-elle, maintenant que j'ai effectué l'incantation, vous me devez encore cinq cent pièces d'or.
- Ce n'est pas ce dont nous avions convenu, corrigea Zambara d'une voix glaciale. Je vous verserai cette somme une fois que la fille sera en sécurité dans mon manoir.
- Vous me contacterez lorsque ce sera le cas ?
La maitresse des lieux se contenta de hocher la tête avant de raccompagner la magicienne.
Elle soupira en fermant la porte derrière elle. Elle intercepta une servante qui passait, les bras chargés de linge, et lui ordonna de lui préparer un bain. La jeune femme avait terriblement besoin de se détendre. Heureusement, la servante fut prévoyante et avait déjà fait le nécessaire. Zambara la remercia, monta dans sa chambre, entra dans la salle de bain attenante et se déshabilla distraitement. Elle doutait des capacités de Delfia, mais elle espérait que malgré tout, le sort avait fonctionné.
Nous verrons bien, songea-t-elle en se coulant dans l'eau délicieusement chaude.
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