15 Face sombre

La ville de Nor était l'une des plus prospères du royaume d'Idemré. Après Tiredaile, elle avait fait la réputation du royaume. Mais Nor, pour le tableau et l'architecture atypique qu'elle offrait, attirait bien plus de voyageurs. En effet les habitants vivaient dans de gigantesque tours. Au nombre de sept, elles correspondaient chacune à une caste de la société. La tour où vivait le seigneur local et la plupart des nobles, avait son pied qui trempait directement dans l'eau glaciale de la mer, là se trouvait un port des plus florissant. Elle était bien plus haute que les autres et le mur blanc de sa façade extérieure était ornée de motifs dorés. Alek était déjà venu à Nor, lors des déplacements officiels de son père, mais n'avait jamais vu que cinq des sept tours. Il y avait observé des vies heureuses, les habitants semblaient ne manquer de rien et cela même dans les castes les plus basses.

Alek lorgna sur les tours, alors qu'ils s'en approchaient. Eugène ne semblait pas rassuré.

-Le Duc d'Emmerann me connait, il ne pourra refuser d'aider le fils de son roi. S'exclama le roux.
Il leva les yeux vers le sommet des tours, qui baignaient dans la clarté du soleil de midi.

Eugène soupira avant de suivre le regard du prince
- Alek, tu devrais peut-être me laisser partir en éclaireur, il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas à propos de Nor et de Emmerann...dit-il.

-Que racontes-tu ! La famille Emmerann est l'une des plus vieilles familles d'Idemré , et comme toutes les vieilles familles, elle est fidèle à la couronne. Le père de l'actuel Duc a toujours combattu auprès de mon père, lors de l'invasion des Yoldiyiens.

- Je le sais, s'agaça Eugène. Mais comme tu l'as dit, c'était son père, et non l'actuel Duc...

Les deux compagnons rabattirent leurs capuches et reprirent leur route dans une atmosphère bien plus lourde, tandis que la nuit tombait sur les tours illuminées. Il faisait déjà bien sombre quand ils atteignirent le portail de la première tour. Aleksey fut surpris de constater qu'un attroupement d'une centaine de personnes s'était réuni à son pied.

-Les villageois, murmura Eugène. Ils viennent certainement chercher refuge dans les tours de peur de subir le même sort que les Tiredailiens...

La foule était éclairée par deux torches suspendues en haut des battants du portails. Les deux grandes flammes dansaient joyeusement sous le vent marin. En s'approchant, Aleksey remarqua qu'un murmure de mécontentement s'élevait de la masse.

-Ils ont fermé le portail, constata Eugène, ils ne comptent laisser entrer personne.

-Quoi ! Mais où tous ces gens passerons la nuit ?

- Tu ferais mieux de ne pas t'en soucier, lui répondit son ami, suis-moi.

Les deux compagnons s'éloignèrent de la foule, Aleksey jeta un dernier regard derrière lui avant de se résigner à suivre Eugène.

Le nekothrope contourna la tour, jusqu'à un endroit non éclairé. Il repérât bien vite un trou dans le mur de pierres blanches. Il était à hauteur du genoux et assez grand pour qu'un homme adulte puisse s'y faufiler. A en juger par l'odeur nauséabonde qui s'échappait de la cavité, Alek devina qu'il devait s'agir des canalisations. Comme pour confirmer ses pensée, un léger filet d'eau s'en échappait rendant le sol boueux.

-Quoi? Mais je refuse de rentrer par-là ! s'exclama le prince avec un moue dégoûtée.

-Quand tu verras ce que j'ai à te montrer, tu me remercieras. Toi qui crois si bien connaitre la famille Emmerann. Suis-moi.

Un instant plus tard un chat brun disparaissait dans les méandres de la cavité. Aleksey hésita à le suivre. Il jeta un regard sur la mer derrière lui, l'horizon infini lui donna la chair de poule, il dut finalement se résoudre à rejoindre Eugène.

...

Des voix semblaient s'élever derrière chaque porte fermée, mais quand Donovan les ouvraient, elle se taisaient instantanément.

« Je te l'avais dit qu'elles ne veulent pas jouer avec toi ! hihi ! »

-Tais-toi, Ena ! s' exclama Donovan.

Le jeune homme ne voyait plus la silhouette de la petite ombre, mais il continuait à entendre sa voix de temps en temps. Il arrivait que le rire cristallin d'Ena résonne dans sa tête au beau milieu de la nuit. Le brun était maintenant sûr d'être totalement fou. 

-Laisse-moi tranquille Ena... reprit-il

Et cela semblait marcher car la petite voix se tue. Donovan soupira avant de se remettre à longer les couloirs de la demeure. Il savait qu'il n'était pas seul ici, et pourtant il n'avait encore jamais vu les autres occupants du manoir. Le seule qui venait le voir était le passeur, mais ce dernier disparaissait souvent pendant de longs jours sans prévenir. Donovan n'avait pas l'impression d'avoir appris grand-chose sur son « pouvoir » et pourtant il avait l'impression qu'une éternité entière s'était écoulée depuis son arrivée.

Arrivé à un endroit où le couloir faisait un coude, le prince releva les yeux. Il avait l'impression que quelqu'un se tapissait derrière le mur. Il n'hésita pas un instant avant de s'élancer, il avait dépassé ce cap où les ombres de la nuits nous font peur. Ses pas ne firent aucun bruit sur le sol de marbre, sa vision s'adapta à la pénombre pour lui permettre de voir comme en plein jour. Il se sentait comme un chasseur, traquant sa proie, caché dans tout ce qu'il y a de plus sombre en ce monde.

Quelle ne fut pas sa déception quand le couloir s'avéra vide. Donovan soupira pour la énième fois et reprit sa marche en traînant des pieds.
Quelque part dans le manoir une porte claqua, et les voix reprirent de plus belle, un peu plus effarouchées cette fois.

***

Faylon observa une femme d'un certain âge attiser les flammes du brasier, elle était habillée de guenilles et avait ses cheveux grisonnants noués dans une interminable tresse. Son vissage fripé, trahissait une grande lassitude et ses yeux aux iris blanches ne semblait pas voir le jeune hommes qui lui faisait face. Ils se trouvaient au centre du village baigné d'un soleil éblouissant.

Faylon avait tenté, tant bien que mal, d'engager une discussion. Mais si elle ne semblait pas le voir, elle ne semblait pas l'entendre non plus. Elle continuait ce qu'elle faisait sans prêter la moindre attention à ce qui se passait autour d'elle. Quelques instants plus tard, une deuxième femme, la copie conforme de la première, arriva à leur hauteur. Tout aussi aveugle et sourde que l'autre, elle ne prêta pas une grande attention à Lyne qui tentait de lui parler.

-Bon, cela ne sert clairement à rien. Rouspéta Lyne.

-C'est clair, renchérit Lysandre qui semblait plus fasciné par ce que les deux femmes faisaient. Ensemble, elles soulevèrent un lourd chaudron rempli de fleurs violettes, qu'elles laissèrent tomber au milieu des flammes.

-Elles ne m'ont pas l'air réelles, reprit Lyne, leur peau est si blanche, et c'est impossible qu'elles n'aient pas senti notre présence. Tout ce village a l'air irréel.

Lysandre haussa les épaules avant de regarder le village autour de lui.
-Où sont les autres villageois ?

-Je ne sais pas mais je pense qu'on perd notre temps à rester ici ! s'énerva Faylon.
En disant cela, il avait croisé les bras devant sa poitrine et s'était mis à faire des vas et viens, tel un enfant buté.

-Si tu ne tiens tellement pas à rester on a qu'à les suivre. Dit Lysandre

Faylon se retourna pour voir que les deux femmes s'éloignaient. Elles trimbalaient péniblement le chaudron, le tenant chacune d'un côté.

Les trois étrangers leur emboîtèrent le pas. Ils marchèrent sans s'arrêter jusqu'à ce que le jour se fasse plus sombre. Autour du petit cortège, les parterres de fleurs violettes à perte de vue avaient cédé la place à un paysage plus montagneux. Les roches de granites poussaient entre les hautes herbes et les bruyères. Les deux femmes, portant toujours leur fardeau, suivirent un sentier en pente douce qui disparaissait dans la brume naissante.

-J'en peux plus ! S'écria Faylon, elles ne comptent pas faire de pause ?

-C'est toi qui voulais quitter le village, lui rappela Ly.

-Mais je n'avais pas ça en tête.

Plus loin le sentier se faisait plus pentue, cela n'arrêtât les deux braves femmes qui semblaient avoir pressé le pas avec le lever de la lune.
Ly, Lyne et Faylon les suivaient toujours en gardant une distance respectable. Ils marchèrent encore une partie de la nuit, quand enfin, les porteuses marquèrent une pause. Elles baissèrent simultanément le regard vers le fond d'une ravine, avant de reprendre aussitôt leur route.

-Quoi c'est pas possible, pesta Faylon qui s'était déjà assis sur une roche. Elles repartent déjà ? La pause n'a même pas duré trois secondes !

Ignorant les simagrées du prince, Lyne se tourna vers Lysandre.

-Que regardaient-elles d'après toi ?

-Je n'en sais rien. Répondit-il. Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

Ils rejoignirent le bord de la ravine, où les deux femmes s'étaient tenues un instant plus tôt.

-ça alors...

Il s'agissait de l'exclamation de Faylon qui venait de se poster auprès de Lyne.

Au fond de la ravine gisait un chaudron dont la rouille et le temps avait attaqué l'extérieure. De part et d'autre deux squelettes étaient comme recroquevillés, grelottant dans le froid depuis des années.

-Reprenons la route avant de les perdre. Reprit Ly, brisant ainsi le silence lourd  qui s'était installé entre les trois. 

- Mais où sommes-nous...Murmura Faylon. 

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