Chapitre 17: Sauvageonne Arquée

Lydie avait toujours aimé les écureuils. Petite, elle les observait depuis sa fenêtre de Gerberoy, en Picardie. Alors quand elle en vit un passer à ses pieds, elle se dit qu'il s'en était passé des choses depuis le temps.

— Vous n'êtes pas les seuls à chercher ce pot de Nutella, annonça-t-elle.

Cinq ans plus tôt, la jeune fille avait vu son père préparer leurs bagages pour une destination inconnue. Elle se rappelait de cette journée particulière, elle venait tout juste de rentrer de l'école quand elle l'avait croisé dans l'entrée. Il l'avait alors pressée.

— Ma chérie dépêche-toi, il faut qu'on parte, avait-il dit.

— Mais pourquoi ? avait-elle alors demandé.

— Je t'expliquerai plus tard, monte préparer tes affaires.

Une demi-heure plus tard, quand son père était monté pour descendre son bagage, il l'avait trouvée couchée par terre, en train de jouer avec ses Playmobils. Il avait alors piqué une colère monstre et saisit quelques affaires qu'il avait fourrées dans un sac.

Ce fut quand Lydie entra dans la voiture, qu'elle comprit que son père était sérieux. Elle n'avait que huit ans à cette époque-là et n'avait jamais pris l'avion. Son père avait réservé des billets pour Omsk et plusieurs heures plus tard, ils emménageaient dans un petit appartement délabré de la ville sibérienne.

Hubert Fildeberg était un grand scientifique. Il avait travaillé dans la boîte qui avait découvert le problème avec l'entreprise Nutella. Il faisait partie de l'équipe qui faisait les tests. Pourtant, quand ils voulurent révéler la découverte au grand public, on les avait licenciés et menacés. Sa femme l'avait quitté quelque temps après, se plaignant de son comportement incohérent. Elle lui avait laissé leur fille, mais ce n'était pas comme si elle s'en était réellement préoccupée dans le passé.

On avait retiré aux scientifiques leur matériel et le fruit de leur recherche. Il ne restait plus une seule preuve à Hubert pour prouver que Nutella était responsable de l'épidémie meurtrière. Obsédé, il avait alors un peu perdu les pédales. Le jour où il avait découvert qu'un pot de Nutella avait été gardé en Sibérie, il avait pris sa fille sous le bras et avait quitté définitivement la France.

— Mon père aussi voulait le retrouver, expliqua-t-elle.

Les vrais problèmes avaient alors commencés. Lydie n'allait plus à l'école, elle ne parlait pas russe et Omsk était une ville fantôme. Son père l'emmenait avec lui tous les matins, et elle restait toute la journée à jouer avec sa peluche dans le hall de la bibliothèque.

Il y avait un homme d'un certain âge qui gardait le bureau de l'entrée : monsieur Nickichine. Il avait vécu en France quelques années et parlait quelques mots de Français avec la petite fille quand l'ennuie la gagnait. Il l'avait prise d'affection et l'emmenait parfois manger des syrniki, qui sont de petites crêpes que la demoiselle adorait arroser de sucre glace ou de chocolat fondu. Tandis qu'Andrei Nickichine de son côté, les recouvrait de Vodka.

Ce fut ainsi que Lydie passa les quatres premières années à Omsk, jusqu'au jour où son père eut découvert la carte où se trouvait le terrain d'Adam. La jeune femme se souvint de son père entrant dans leur petit appartement, où les araignées et les cafards avaient élu domicile par manque d'entretien, avec ses gros sacs de camping.

— Ma chérie, on part à l'aventure !

Cette fois-ci, Lydie avait grandi. Du haut de ses douze ans, elle avait crié «Non ! ». Mais à douze ans, on ne peut pas encore s'affirmer devant un parent. Alors après plusieurs crises de nerfs, elle avait dû abandonner la bataille et quelques jours après, elle disait au revoir à Andrei et se retrouvait dans la forêt effrayante en compagnie de son père.

— Ça fait trois ans que je cherche cette cave dans cette foutue forêt, poursuivit-elle.

Les premiers jours avaient été simples. Ils avaient suivi la carte, aidés de la boussole et du bon sens d'orientation d'Hubert. La fillette se sentait en sécurité à ses côtés, il avait l'air si sûr de lui. Puis ils étaient arrivés sur le terrain enregistré sous le nom d'Adam Rastorgouïev.

— Je suppose que vous pensiez que le plus dur serait de trouver le terrain, s'enquit-elle, nous aussi c'est ce qu'on pensait.

Ils s'étaient séparés et avaient parcouru le terrain de deux hectares pour trouver une entrée dans la terre. Chaque soir, ils se retrouvaient dans le camp qu'ils avaient installé au beau milieu de la parcelle, en hauteur. Les jours défilèrent et toujours rien. Lydie commença à se lasser et déclara qu'elle resterait pour s'occuper du camp, pendant que son père rechercherait l'entrée de la cave.

Jour après jour, l'installation sommaire se transforma en un cabanon, jusqu'à devenir une jolie petite cabane en hauteur. Pont suspendu, corde, échelle, de nouvelles inventions arrivaient chaque semaine, tandis que son père rentrait dépité et épuisé chaque soir.

— Mon père l'a cherché pendant deux ans, jusqu'au jour où il n'est pas rentré, annonça-t-elle.

[TW- Sang]

Elle avait trouvé son cadavre le lendemain d'une longue nuit d'inquiétude. Cela n'avait jamais été dans ses habitudes de ne pas rentrer au camp. Il était allongé par terre, blanc. Du sang coulait de son front et glissait dans son cou. En état de choc, il avait fallu plusieurs heures à la jeune fille pour réaliser. Elle avait fermé ses paupières et était rentrée au camp. Lydie avait trouvé une douille quelques mètres plus loin, lorsqu'elle avait voulu récupérer du bois pour le feu.

[Fin de TW]

— Il devait être proche. Beaucoup trop. C'est pour cela qu'il a été abattu, dit-elle, et c'est ce qu'il risque de vous arriver vous aussi, si vous continuez.

La jeune fille avait dû creuser une tombe, elle avait mis deux jours. Son père avait pensé à acheter une pelle et une pioche. Sa musculature n'était pas très développée et elle avait traîné son corps sur plusieurs mètres, avant de le laisser tomber dans le trou et de le recouvrir de terre. Un simple bâton enroulé d'un ruban rouge, qu'elle avait l'habitude de mettre dans ses cheveux, indiquait l'endroit où Hubert Fildeberg reposait.

— J'ai voulu rentrer, mais je me suis perdue dans cette maudite forêt et j'ai dû apprendre à y survivre. J'ai taillé cet arc et je me suis mise à chasser. J'ai appris à vivre dans les arbres et à me déplacer comme un animal, raconta l'archère.

Lydie n'était désormais plus une fillette. Elle avait grandi, ses seins avaient poussés, ses hanches s'étaient élargies et ses règles avaient montré le bout de leur nez. Elle devenait femme, alors que son instinct de survie la poussait à devenir animale.

Après plusieurs mois de perdition dans la forêt, elle avait enfin retrouvé la petite ville sibérienne. Mais quand elle avait traversé la lisière, elle s'était sentie dépouillée et seule. Elle n'avait plus personne. Elle n'était, personne,  dans cette société. On avait dû la déclarer morte des années auparavant.

Apeurée, elle s'était réfugiée dans son antre et avait décidé de retrouver ce pot de Nutella pour prouver au monde que son père n'avait jamais été fou, que l'entreprise était responsable de la mort de milliers de gens et qu'elle avait engagé des tueurs à gages pour le faire taire.

— Je suis revenue ici, sur le terrain, mais je n'ai toujours pas trouvé la cave. En y réfléchissant, je me suis dit que les papiers à Omsk avaient pu être falsifiés pour nous mettre dans la mauvaise direction, expliqua Lydie.

Rapidement, la jeune femme avait réalisé que le corps de son père avait dû être déplacé, mais sur le moment, elle n'avait pas eu le réflexe de pister les traces. Elle avait fouillé la zone de la douille, sans succès. L'adolescente n'était même pas sûre d'avoir retrouvé le bon endroit, il s'était écoulé tellement de mois.

— Ils n'ont pas pu le traîner sur des kilomètres. Aucune voiture ne passe dans ce coin. Mais s'ils étaient plusieurs ils ont pu parcourir une large zone.

C'était durant une inspection de routine qu'elle avait aperçu les trois garçons. Ils faisaient beaucoup de bruit dans la forêt silencieuse et faisaient fuir les écureuils. Lydie n'avait pas croisé d'être humain depuis la mort de son père. La dernière personne qu'elle avait rencontrée avait été monsieur Nickichine. La demoiselle les avait suivis. Curieuse, elle avait fouillé leurs affaires, profitant d'un moment de distraction au sein du groupe.

Elle avait trouvé le registre et avait voulu les faire fuir. Elle ne voulait pas d'autres drames à cause de ce pot de Nutella. Elle avait alors décidé de saccager leurs affaires, en vain, ils avaient continué. Lydie s'était alors incombée une nouvelle mission: les protéger. Heureusement pour eux, car avec leur boucan, ils avaient éveillé la curiosité d'un colossicus ursus.

Elle avait été obligée de le tuer. L'animal n'était pas du genre à abandonner ses proies et les trois garçons étaient les repas idéaux en cette période d'accalmie.

— Je voulais vous flanquer une nouvelle frousse ce matin et puis j'ai réalisé que c'était inutile, vous êtes juste des têtes brûlées, souffla-t-elle, fatiguée par toutes ces explications.

Les trois garçons avaient les yeux grands ouverts, ils ne s'attendaient certainement pas à entendre une telle histoire. La jeune fille, qui faisait la taille de deux tabourets, passa son arc sur son épaule se préparant à repartir, quand un des garçons la héla.

— Viens avec nous, proposa Henry. 

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