Chapitre 59

« Nul autre que le peuple ne sacre un souverain ; qu'il prenne soin de ses sujets, car une foule en colère a le pouvoir de faire tomber la tête qu'il a couronnée. »

– Jang Jinwha, discours prononcé devant l'Assemblée des Cinq Peuples le 21 janvier 693


Lorsque Yoongi ouvrit les paupières ce matin-là, Jimin avait quitté la tente. Ils avaient dormi ensemble, et le Phénix attendait avec impatience le jour où ils se réveilleraient aussi de cette façon. Il adorait ces soirées passées à s'embrasser et se perdre dans les bras l'un de l'autre, il raffolait des puissantes étreintes de ce général qui, sans un mot, réussissait à lui promettre qu'il veillerait sur lui quoi qu'il en coûte.

Il sortit à son tour pour découvrir que l'aube n'était pas encore levée ; elle ne tarderait plus. Jimin était occupé à caresser la tête de Samran, qui lui avait rapporté un message de Kim Namjoon.

« De quoi s'agit-il ? demanda-t-il avec curiosité.

— Rien de bien intéressant, des nouvelles de la capitale.

— Je me demandais : votre aigle a-t-il déjà été blessé au cours d'un voyage ?

— Oui, plusieurs fois. J'essaie de veiller à ce qu'il ne passe pas au-dessus des lignes ennemies, en revanche... en ce moment, la chose est compliquée. Je m'inquiète souvent pour lui, affirma-t-il sans quitter du regard la tête de son animal qu'il caressait dans des gestes tendres. Non seulement son rôle s'avère crucial, mais en plus il est un véritable ami pour moi. J'y tiens énormément. Ces aigles sont rares, ma famille fait partie des dernières qui en élèvent, nous en possédons beaucoup, c'est une immense fierté.

— Votre famille est donc reconnue à Arixium, n'est-ce pas ?

— En effet. Nous appartenons à la noblesse.

— Pourquoi ne m'avez-vous encore jamais parlé de votre famille, quand vous m'avez tant questionné sur la mienne ?

— Que voulez-vous dire ?

— Je voudrais en savoir plus sur vous, » admit Yoongi avec une moue songeuse.

Peut-être ses sentiments parlaient-ils à sa place, quoi qu'il en soit, Yoongi désirait en apprendre plus sur celui qu'il chérissait : à quoi son enfance avait-elle ressemblé ? Qui se cachait derrière le puissant général Park Jimin ?

« Je ne vois pas en quoi ces informations pourraient vous intéresser, j'ai eu une enfance somme toute très banale pour un général arixien.

— Et savez-vous combien d'autres généraux arixiens je connais ? rétorqua Yoongi. Je vous ai parlé de mon peuple, à vous de me parler du vôtre, de vous.

— Eh bien... je suis né à la capitale, dans la villa familiale, et j'y ai appris dès mon plus jeune âge le dressage des aigles ainsi que les armes : dans ma famille, on est soit soldat, soit éleveur. Or très vite, je me suis pris de passion non pour les oiseaux, mais pour le fer. L'élevage reviendra sans doute à ma cousine, puisque je n'ai ni frère ni sœur et qu'elle apprend elle aussi ce métier depuis l'enfance. Je me débrouillais bien au jingum à huit ans, et à douze, j'étais si doué que j'ai été admis à l'académie de Noria. Y entrer signifie presque toujours qu'une fois dans l'armée, on grimpera au moins jusqu'au rang de lieutenant.

— J'ai des souvenirs où vous me disiez que votre éducation y avait été très difficile.

— Les cours étaient éprouvants, oui, admit Jimin en laissant Samran s'envoler tandis qu'il perdait son regard dans le bleu azuré du ciel – il avait un peu plu cette nuit, par chance le temps s'était découvert. J'ai même failli être viré.

— Vous ?

— Eh oui.

— Parce que vous n'étiez pas assez doué ? Je refuse d'y croire.

— Non... parce que j'étais trop compatissant.

— Pardon ?

— Je refusais l'idée de tuer si cela ne s'avérait pas nécessaire. Mes professeurs ne trouvaient pas cela correct de la part d'un élève de leur prestigieuse académie.

— Et... que s'est-il passé ? »

Jimin porta de façon instinctive la main à sa poche dans laquelle il fouilla sans en sortir quoi que ce soit. Yoongi néanmoins se souvenait bien de ce qu'elle contenait.

« Que signifie ce bracelet, Jimin ? »

Le général parut surpris qu'il ait retenu ce détail. D'un geste précautionneux, presque timide, il sortit le bijou d'émeraudes de sa poche. Il l'observa, ému.

« Ma mère me l'a offert le jour où j'ai intégré l'académie, révéla-t-il. À travers lui, j'ai l'impression qu'elle me donne de la force quand j'en ai besoin.

— Avant chaque combat, donc.

— En effet.

— Comment avez-vous fait pour... rester dans l'académie jusqu'à la fin de votre cursus ? »

Jimin, assis à présent sur l'herbe, les yeux fixés sur l'horizon qui s'éclaircissait peu à peu, poussa un soupir.

« Je devais rester, comprenez-vous ? Pour l'honneur de ma famille, et parce que je désirais plus que tout intégrer l'armée et réussir ma carrière. Alors j'ai tenté de mettre mes sentiments de côté pour continuer. Mais... j'avais été convoqué, et après un avertissement, il fallait nécessairement passer une épreuve pour pouvoir rester. Alors j'ai été de nouveau convoqué quelques jours plus tard, cette fois pour mon rattrapage.

— En quoi... cette épreuve consistait-elle ? demanda Yoongi avec un soudain mauvais pressentiment qui propagea un frisson le long de son échine.

— Je devais assassiner un apprenti adverse. Il s'agissait d'un Tyfodonien qui apprenait le métier de soldat. Il avait été fait prisonnier lors d'un assaut arixien, il apprenait le maniement de l'arc aux côtés de son père qui faisait partie de l'armée du chef Choi. Cet enfant avait mon âge, à peine douze ans, et je devais l'assassiner.

— Bon sang. Et... j'imagine que vous vous êtes plié à cette consigne...

— Je ne voulais pas tuer cet enfant, vous imaginez bien. Mais... à côté, attachée à une chaise, les mains liées aux accoudoirs, ils avaient aussi ma mère. »

Yoongi écarquilla les yeux à cette révélation.

« Q-Que comptaient-ils lui faire ? balbutia-t-il abasourdi.

— Chaque minute que je passerais à hésiter, ils lui arracheraient un ongle. Quand la pince a commencé à tirer sur le premier, elle a poussé un cri tel que je n'ai pas réfléchi une seconde : j'ai planté ma lame dans le crâne de l'enfant. Son doigt n'a saigné qu'un peu, ils n'ont pas eu le temps de lui faire beaucoup de mal... du moins pas physiquement. Car elle a appris que mon père avait autorisé ce test. Il avait accepté que l'on brise son fils en torturant sa femme pour exercer sur lui une pression supplémentaire.

— Quelle horreur !

— Ce test avait pour but de me prouver que tuer ses ennemis revenait à sauver les gens que l'on aimait. Or, cet enfant, des gens l'aimaient. Sa famille avait dû pleurer sa perte, ses amis se demander ce qu'il était devenu... et je l'avais tué pour protéger ma mère. À mes yeux, à l'époque comme aujourd'hui, j'estimais que deux vies se valaient, d'autant que ce Tyfodonien était encore un enfant : la vie d'un enfant était supposée être plus importante que tout. Et moi, je la lui avais prise sans ménagement, au seul cri de ma mère.

— Vous avez réagi comme n'importe qui aurait réagi.

— Et c'est exactement cela que je ne supporte pas : j'ai agi comme n'importe qui, autrement dit sans réfléchir. Parfois je me console en me disant que si je ne l'avais pas tué, cet enfant aurait été abattu par un autre Arixien, peut-être après avoir subi d'atroces sévices. J'ai essayé de me rassurer de toutes les façons, et dans tous les cas il est impossible de revenir en arrière.

— Vous étiez obligé, personne ne veut voir souffrir ses proches. Et maintenant, vous voilà devenu un homme qui se refuse à tuer ses ennemis, à part en cas de guerre. Tous ces Scorpions que vous avez blessés pour les empêcher de continuer le combat sans pour autant les condamner... ils sont la preuve que vous êtes devenu un général admirable. Moi, en tout cas, je vous admire.

— Je vous remercie. Quoi qu'il en soit, cette histoire aura au moins appris à ma mère de se méfier de son époux : depuis, elle ne lui a plus jamais adressé la parole. Ils vivent dans deux ailes séparées de la villa, ils n'ont pas accès aux appartements l'un de l'autre. Quant à moi, ce jour m'a marqué, mais je suis sorti de l'académie avec les honneurs, major de ma promotion. J'étais devenu ce que l'on attendait de moi, quelqu'un capable de cacher ses émotions, de les oublier pour accomplir son devoir. Je me bats pour protéger non seulement ceux que j'aime, mais aussi tous ceux qui le méritent.

— Vous êtes sans doute la personne la plus forte, la plus courageuse et la plus magnanime que je connaisse. »

Jimin lui rendit son regard empli d'empathie, et il esquissa un sourire mélancolique. Le Phénix s'était assis auprès de lui.

« Je sème la mort, n'est-ce pas ce que vous disiez ? le taquina le général.

— En effet.

— Je craignais que ces révélations ne ternissent l'image que vous vous faisiez de moi.

— Oh il n'y a plus rien à ternir, général Park, je vous rappelle que depuis le début, je me méfie de vous et vous hais.

— Oui, c'est juste. Moi aussi, je vous méprise. »

Et Jimin enveloppa de sa main celle de son aîné, qui en frémit de plaisir. Yoongi posa la tête contre son épaule. Il ferma les paupières, preuve de sa confiance, et il s'abandonna à ce paisible moment dont il savait qu'il ne durerait pas. Le soleil en effet commençait déjà son ascension à l'horizon. Bientôt tout le monde se lèverait, le camp s'animerait, et les troupes poursuivraient leur route.

Jimin se releva le premier, imité par le Phénix. Ils vaquèrent à leurs occupations chacun de leur côté, jusqu'à temps de partir. L'armée s'ébranla dans un silence qui attestait des tensions encore fortes entre Arixien et Tyfodoniens. Des rixes vite résolues avaient éclaté ces derniers jours, par chance les fautifs n'avaient jamais récidivé, mais en contrepartie, le général et ses subordonnés devaient se montrer aussi vigilants qu'intransigeants. Hoseok notamment n'avait pas cessé les remontrances, reprenant ses soldats et ceux des autres lieutenants. Jungkook avait la veille hésité à intervenir, avant de se rendre compte qu'après avoir demandé leur version des faits aux coupables et aux témoins, le chef Tyfodonien avait réprimandé son propre combattant et l'avait obligé à présenter ses excuses à un Arixien, puis il lui avait infligé des corvées supplémentaires.

Sa probité avait surpris Jungkook, qui était resté à l'écart avant de tourner les talons. Taehyung se faisant discret, ils n'avaient toujours pas échangé un mot ou presque, chacun estimant qu'il valait mieux éviter toute discussion capable de mener à un conflit, quand un conflit bien plus grave se déroulait et qu'ils en étaient les protagonistes. Le poète trouvait jour après jour un peu plus sa place dans les rangs de l'armée : Hoseok et lui s'entraînaient parfois au crépuscule ou bien à l'aube, afin que le jeune homme retrouve tous les réflexes qu'il avait perdus après son service militaire.

Taehyung se rapprochait en douceur du beau Tyfodonien, qui se montrait patient et bienveillant avec lui, ce qui le surprenait autant que cela le réjouissait. Il se sentait en sécurité avec Hoseok, et surtout il se sentait compris, il comptait pour lui : le Tigre lui avait confié sa jeunesse quand il venait le voir en prison, et à présent il leur arrivait souvent de discuter de tout et rien à la fois, de réfléchir ensemble à des problèmes insolubles, à des questions qui ne recevraient jamais de réponses. Taehyung adorait converser avec Hoseok, qui ne se cachait pas d'apprécier lui aussi leurs bavardages qui le distrayaient lors de leurs longues chevauchées et des marches qui les entrecoupaient.

Peut-être même l'artiste était-il peu à peu attiré par cet homme d'un an son aîné avec qui il avait établi une proximité psychologique plutôt que physique. Jungkook aurait-il deviné ce qui adviendrait ? Taehyung éprouva un pincement au cœur à cette idée. Son cadet avait tant compté pour lui... il lui avait laissé sa chance de lui prouver son affection, mais jamais Jungkook ne l'avait saisie, du moins pas avant qu'il ne soit trop tard. C'était en le perdant que le lieutenant avait compris son erreur.

« Taehyung ? Est-ce que vous m'écoutez ?

— P-Pardon, bégaya le poète, j'étais perdu dans mes songes. De quoi était-il question ?

— Je vous demandais la suite de ce roman que vous me racontiez hier avant que nous nous arrêtions pour la nuit.

— Ah, oui. »

Il raconta, et la matinée se déroula de façon paisible pour la troupe, traversée néanmoins par une tension grandissante à mesure qu'ils approchaient du fort dont il leur faudrait s'emparer. Jimin remarqua que la prise de Yoongi se raffermissait autour de sa taille alors que le Phénix appréhendait de plus en plus ce nouveau combat. Son second œil commençait déjà à virer au noir, que se passerait-il quand les deux auraient terni ? L'ombre le vaincrait-elle ? Pourtant, il ne se sentait pas happé par l'obscurité, elle ne l'attirait pas davantage qu'au premier jour. Ses iris changeaient de couleur, voilà tout.

Les collines se transformaient peu à peu en montagnes, les troupes envisagèrent d'abandonner les chariots. Au midi, il fut décidé que chacun se chargerait de ses provisions pour la semaine à venir ainsi que de son matelas.

Parce que l'armée arixienne savait devoir renoncer tôt ou tard à ses charrettes, l'une contenait des sacs qui permirent à tous de stocker autant que possible ce qui avait été préparé. Les soldats s'équipèrent de pesants bardas qu'ils refusaient d'infliger aux chevaux à une heure si chaude de la journée : ils marchèrent à côté des montures, le pas lourd et le dos courbé.

Puis, alors que le début d'après-midi pommelait le ciel de nuages dans lesquels se perdaient les cimes les plus lointaines, les troupes aperçurent au loin des fortifications de pierre qui juraient à peine avec le décor rocheux. Les militaires eux-mêmes foulaient des chemins de cailloux, sans doute tracés par l'armée adverse.

Jimin enfila en toute discrétion son bracelet d'émeraudes et ordonna de fondre sur le fort ennemi : chacun remonta sur son destrier après avoir abandonné son sac au bord du sentier, afin de ne pas s'en encombrer durant l'attaque. Yoongi, qui accompagnait le général, se sentait de plus en plus anxieux : Jimin ne lui avait pas caché la dangerosité de cette mission. Dans cet édifice se trouvaient de façon régulière deux troupes sawaï. Or, l'Aigle était persuadé que du fait de la guerre provoquée par Arixium, le Prince avait eu le temps de grossir ses effectifs dans les forteresses qui jalonnaient le chemin jusqu'à Hurna.

Il s'attendait à un minimum de trois voire quatre troupes... autrement dit, plus qu'il n'en possédait. Les dimensions du bâtiment permettaient d'accueillir un millier de soldats, Jimin en était convaincu, et il était convaincu aussi qu'il fallait que ses six cents hommes se préparent à en attaquer presque deux fois plus.

La cavalcade attira vite l'attention, mais déjà les archers tyfodoniens tiraient leurs traits létaux sur les sentinelles qui tentaient de donner l'alerte dans leurs derniers souffles. Hoseok, mortellement précis, ne ratait pas un ennemi, accomplissant parfois même l'exploit d'en éliminer deux d'une seule flèche.

« Yoongi, lança Jimin, j'imagine que vous ne pourrez pas utiliser de façon grandiose votre pouvoir, n'est-ce pas ?

— Si par "de façon grandiose", vous voulez dire que je ne pourrais pas tuer des centaines d'ennemis, alors je vous confirme que non, je ne me sens pas en mesure de vous offrir un miracle.

— Même avec votre caillou ? le taquina-t-il.

— Ce caillou est une pierre sacrée, grommela le Phénix, un peu de respect je vous prie.

— Pardonnez-moi. Dernière question : vous pourrez immobiliser des ennemis, n'est-ce pas ?

— Oui, je pense y parvenir.

— Je compte sur vous pour couvrir ma percée. »

Yoongi ne répondit rien mais se jura de se montrer à la hauteur des attentes de son cadet.

Ils approchaient l'entrée principale quand des archers sawaï réussirent à tirer leurs premiers traits. Le Phénix les immobilisa un court instant, le temps que les Tyfodoniens s'occupent d'eux. Puis les portes de la forteresse s'écartèrent, et il en jaillit des hordes de cavaliers Scorpions équipés de lances. Ils jetèrent ces armes en direction des troupes de Jimin. Plusieurs soldats furent touchés ; ils basculèrent de leur monture, et Yoongi préféra ne pas les imaginer piétinés par les chevaux qui galopaient tout près.

Les ennemis dégainèrent leur sabre, Jimin brandissait déjà le sien. Son amant s'accorda une profonde inspiration avant de rouvrir les yeux pour les braquer sur les Sawaï. Décidé à combattre de son mieux, il savait de toute façon que Jimin empêcherait quiconque de le blesser. Auprès de lui, il ne risquait rien.

Yoongi savoura une dernière fois l'air frais de la montagne en dépit des rayons d'un soleil printanier qui lui caressait la peau, il profita de l'odeur encore délicate des ajoncs et des pins.

Puis la guerre envahit la nature. Elle pénétra l'atmosphère, les plantes, les animaux, et même le firmament. Les flèches tyfodoniennes strièrent le ciel de noir, la pestilence du sang se propagea, accompagnée par des râles de douleur et de puissants hennissements. Jimin tranchait sur son passage tant de gorges que de l'hémoglobine avait giclé sur Yoongi, qui continuait de figer les Scorpions malgré son horreur. Son pouvoir néanmoins s'amenuisait à une vitesse inquiétante. Il faiblissait alors que deux minutes s'étaient écoulées depuis que Jimin avait infligé le premier coup de sabre à ses adversaires.

« Jimin, je ne tiendrai pas longtemps.

— Mince, grommela l'Aigle, j'espérais bénéficier de quelques minutes supplémentaires. Je ne vais pas pouvoir vous évacuer. »

Dans l'agitation générale, alors que les troupes de Jimin maintenaient leur formation initiale après s'être déployées devant le fort, les Scorpions pour leur part attaquaient dans la précipitation, pris de court : ils agissaient de façon désorganisée, de sorte que personne encore n'avait repéré le Phénix, même s'ils avaient été prévenus qu'un mage participait à cette guerre – un mage qu'ils ne devaient pas tuer, pas même blesser, mais qui risquait de mourir s'ils ignoraient son identité.

La rigueur arixienne pouvait l'emporter sur la brutalité sawaï, Yoongi en était convaincu. Protégés en effet par un mur de cavaliers équipés de sabres, les Tyfodoniens continuaient de cribler leurs cibles de pointes acérées qui aéraient de plus en plus les rangs adverses. Or, pour chaque soldat ennemi qui tombait, deux déboulaient aussitôt de l'édifice. Une tempête d'écarlate submergeait l'océan céruléen.

Après quelques instants supplémentaires, Yoongi s'affaissa sur son cadet, le souffle court, la respiration difficile.

« J-Jimin...

— Reposez-vous, votre aide me fut précieuse aujourd'hui encore, mon ami. »

Et il planta son jingum dans le torse d'un Sawaï alors que le Phénix enroulait les bras autour de sa taille dans l'espoir de se fondre en lui, de disparaître pourquoi pas – il ne se rendait même pas compte qu'il risquait de le gêner.

Sans surprise, Jimin fut touché peu après en déviant un coup qui aurait dû le frapper au ventre et qui lui entailla la cuisse. Il se ressaisit aussitôt pour défendre le Phénix qui avait dégainé sa dague, prêt à parer n'importe quel assaut.

« Jimin ! »

Yoongi se baissa tandis que le général, alerté, repéra l'attaque et l'esquiva en levant sa lame. Les deux sabres s'entrechoquèrent dans un tintement à déchirer les tympans qui produisit quelques étincelles. Le Phénix retint son souffle, stupéfait : d'une seule main, Jimin avait réussi à couper tout l'élan du Sawaï, qui écarquilla les yeux à ce même constat.

Or, un autre ennemi avait décidé de prendre moins de risques, de frapper non le cavalier, mais la monture. Le pauvre étalon que chevauchaient Jimin et Yoongi tenta de se débarrasser de son assaillant, ce qui ne fit que repousser à peine l'inévitable, car très vite il reçut une entaille mortelle au crâne, alors que l'Arixien était occupé à se défendre contre un adversaire qui esquissa un rictus machiavélique quand le cheval vacilla. Il fêtait déjà sa victoire, mais tandis qu'il levait son arme pour le coup de grâce, il se retrouva immobilisé. Une courte seconde suffit à Jimin pour lui trancher la jugulaire.

Le Phénix ferma les yeux alors que quelques gouttes de sang éclaboussaient son visage. Il les avait tout juste rouverts que l'Arixien avait bondi de sa monture et lui attrapait les hanches pour l'en écarter. Yoongi paniqua : que deviendrait-il si le général s'éloignait de lui ? Déjà un nouvel ennemi approchait !

Le Sawaï fut stoppé par le sifflement de l'acier d'une ombre derrière lui. Il s'immobilisa devant Jimin et il s'affaissa, mort, alors que le lieutenant Jeon retirait de son dos son jingum, un sourire suffisant aux lèvres. À son tour il avait choisi de se déplacer à pied.

« Tout va bien ? s'enquit-il.

— Nous devons l'éloigner du combat, déclara le chef en jetant un bref regard au mage.

— Je vous couvre. »

Ils filèrent à travers les chevaux et les militaires aussi vite que leurs poumons le leur permirent. Les bruits de la bataille stressaient de plus en plus le Phénix qui tentait de garder son calme, concentré sur tout ce qui l'entourait et qui s'avérait susceptible de le tuer. Plus d'une fois Jimin et Jungkook parèrent des attaques qui les visaient : les Sawaï avaient remarqué la cape du général, et c'était de lui qu'ils désiraient le plus se débarrasser.

Dans un vacarme de fer et de gémissements, Jimin réussit à se frayer un chemin vers l'arrière de ses troupes, où s'aventuraient bien moins de soldats ennemis. Le cœur de Yoongi battait à tout rompre dans un rythme qui pulsait à ses tempes.

Par chance, les deux jeunes chefs parvinrent à l'éloigner de la bataille, et Jimin tendit le doigt.

« Ce chemin par lequel nous sommes venus : suis-le et tu trouveras Ina avec quelques autres blessés incapables de combattre. Reste avec eux, protégez-vous les uns les autres.

— C'est d'accord... merci, Jimin.

— Fais attention à toi, Yoongi. »

Un étrange pressentiment envahit le Phénix qui, après une brève mais trop longue hésitation, voulut rattraper son cadet. Or ce dernier s'éloignait déjà, suivi par son lieutenant qui s'impatientait de se jeter de nouveau dans la mêlée. Alors qu'un frisson d'appréhension remontait le long de son échine, le mage fila rejoindre le groupe indiqué un peu plus tôt. En chemin, il usa ses ultimes forces en projetant son ombre au loin, afin de vérifier son intuition.

Il se concentrait sur les alentours, sondait les collines en principe dépourvues de toute présence humaine. Il ne parvint pas à étendre ses ténèbres à plus d'une centaine de mètres ; rien ne lui apparut dans cet infime périmètre.

~~~

Jung Hoseok attrapa d'un geste d'une violence inouïe la capuche de Taehyung, qu'il attira à lui. Le jeune soldat-médecin en eut le souffle coupé et bascula vers l'arrière. Une lame lui passa tout près du visage alors qu'il s'effondrait dans les bras de Hoseok, qui tendit une main pour planter sa dague dans le corps de l'adversaire. Taehyung poussa un soupir sous le coup de la peur – il avait cru que c'était un Sawaï qui l'avait empoigné pour le tuer.

« Hoseok !

— Attention, reste concentré, petit oiseau ! »

Ce surnom, qu'il n'avait jamais entendu auparavant, faillit empourprer Taehyung qui se ressaisit. Il fila s'occuper d'énièmes Scorpions sous le regard scrutateur du Tigre qui veillait sur lui comme sur un frère, ou plutôt comme sur quelqu'un qu'il appréciait de manière un peu trop prononcée.

Il reporta son attention sur le combat. Son arc à poulie replacé dans son dos depuis qu'il s'était avancé pour attaquer au-devant des soldats arixiens, Hoseok maniait la dague comme personne. Ses adversaires le mésestimaient, et tous en payaient le prix fort : le Tyfodonien ne leur laissait aucune chance. Déjà un nouvel assaillant l'obligeait à reculer, brandissant un long sabre. Or, il s'apprêtait à découvrir, la taille d'une lame ne façonnait pas la valeur du guerrier. L'acier siffla quand le Sawaï abattit son arme, toutefois Hoseok leva à son tour la sienne, parant le coup sans sourciller. Si Jimin et Jungkook ne tremblaient jamais dans de tels cas, lui, un tireur aux bras plus puissants encore, s'avérait même capable de repousser l'ennemi. Stupéfait, l'homme grogna de rage et de douleur lorsque son poignet fut tordu par le geste, et il signa son arrêt de mort quand son manche lui échappa. Le fer produisit un bruit aigu en s'échouant au sol, tandis que le lieutenant Jung plantait sa dague dans son cœur. Une gerbe de sang gicla.

Il repartait déjà à l'attaque quand il s'aperçut que les tuniques rouges se multipliaient autour de lui et des soldats les plus avant. Il ordonna alors un léger repli, afin que les Arixiens ne soient pas mis en difficulté à combattre plusieurs ennemis à la fois.

Sans hésiter, il attrapa la seconde arme à sa ceinture, identique à la première. Toutes deux possédaient des lames crantées et appartenaient à Arixium – il n'avait retrouvé que son arc en s'enfuyant avec ses hommes, si bien qu'il avait « emprunté » le reste, songeant que le pays qu'il s'apprêtait à secourir ne lui en tiendrait pas rigueur.

Une Sawaï s'attaqua à lui. Douée d'une force admirable pour sa carrure et d'une habileté remarquable, elle déstabilisa Hoseok : elle utilisait un poignard à la lame à peine plus longue que celles de ses dagues.

« M'aurait-on envoyé un adversaire à ma mesure ? plaisanta-t-il alors qu'il déviait son coup.

— Je me posais la même question, rétorqua-t-elle en contrattaquant. N'êtes-vous qu'un simple soldat ?

— Lieutenant, et vous-même ?

— Lieutenant aussi, bien sûr. »

La conversation s'arrêta là : chacun avait compris qu'il devait éliminer l'autre à tout prix. Faire tomber les chefs pour abattre les troupes. Le général remontait à peine les rangs, il s'était absenté un bref moment avec un de ses lieutenants, moment qui aurait pu devenir fatal si Hoseok n'avait pas pris de façon naturelle la tête de l'armée arixienne – qui par chance s'exécutait sans réfléchir quand elle savait que cela s'avérait vital, les soldats étant assez bien formés pour obéir de manière systématique aux ordres des supérieurs.

Hoseok croisa ses deux lames devant lui quand l'ennemie essaya d'abattre son poignard, et il leva le pied pour lui donner un coup violent dans le bas ventre. La femme recula sans pour autant perdre l'équilibre, et le jeune Tyfodonien enchaîna. Le duel s'intensifia lorsque Hoseok prit l'ascendant : il multipliait les tentatives. Estocades, taillades ; il agissait à une vitesse hors du commun, et les dagues hurlaient chaque fois qu'elles entraient en contact. Parce que les siennes étaient crantées, il réussit à plusieurs reprises à infliger à son adversaire des douleurs au poignet : il parvenait sans cesse à dévier son attaque.

Elle grimaça alors que Hoseok se sentait de plus en plus confiant, refusant néanmoins de crier victoire trop tôt. Sa fougue, il le savait, pouvait l'emporter sur son ennemie.

Il poursuivit le combat avec une froide détermination qui formait un étonnant contraste avec son tempérament brûlant, sa férocité insatiable. Bientôt la lieutenant sawaï commit une erreur : elle para sans remarquer ce qui arrivait. Elle n'esquissa pas le moindre mouvement pour esquiver, et la seconde arme de Hoseok se planta dans son flanc. Elle comprit qu'elle avait échoué.

Le Tyfodonien lui asséna aussitôt un second coup, cette fois au cœur, et tandis qu'elle s'effondrait dans une mare de sang, elle ne put s'empêcher de lui adresser un sourire.

« J'ai combattu pour les miens jusqu'à la mort... et j'en suis fière... mais aujourd'hui... c'est en l'affrontant, lui, que vous les sauverez... Arrêtez le Prince... »

Stupéfait par ces paroles, Hoseok recula. Elle ferma les yeux ; il partit en frissonnant à l'idée que des soldats haut placés pouvaient souhaiter en secret la défaite de leur souverain.

L'armée arixienne dut se replier de plus belle, les flots écarlates ne tarissaient pas. La bataille traînait en longueur, les combattants céruléens s'épuisaient alors que les autres paraissaient, en dépit de la grande confusion dans laquelle ils agissaient, se relayer. Hoseok serra les dents, s'interdisant toute fatigue malgré son corps qui commençait à lui jouer des tours. Ses bras se mettaient à trembler lorsqu'il parait, et il sentait ses attaques faiblir, perdre en vitesse.

Il n'était pas le seul : malgré peu de morts du côté arixien, les militaires commettaient de plus en plus d'erreurs parfois graves. À ce rythme, impossible de l'emporter, surtout contre des soldats qui bénéficiaient de la chance de se reposer avant de revenir à l'assaut. Il leur fallait frapper un grand coup.

Or, Hoseok n'avait toujours pas localisé le chef adverse. Il décida de se retirer de l'avant pour le chercher sans devoir s'interrompre pour guerroyer. Les généraux ennemis aimaient se montrer, ils s'arrogeaient chaque fois une place qui leur permettait d'observer le combat sans s'y aventurer pour autant. Peu de chefs sawaï livraient bataille, comme les Arixiens, au-devant des troupes.

Une fulgurance l'incita à lever la tête des affrontements pour se concentrer sur le fort. Alors il repéra l'homme à la cape écarlate, qui donnait ses ordres avec un regard calme et froid à ceux qui se battaient en bas. Hoseok attrapa aussitôt son arc qu'il arma. Il avait gardé une flèche pour lui, une unique flèche : il ne pouvait pas rater sa cible.

Il allait lâcher son trait quand il s'immobilisa, dérouté : au même instant une flèche inconnue siffla, passant bien au-dessus du conflit, et se planta entre les deux yeux du général sawaï qui s'effondra alors que les militaires postés à ses côtés cherchaient d'où venait la menace. Hoseok fit volte-face.

Loin derrière les troupes arixiennes, d'une colline surgissaient des silhouettes encore indistinctes, toutes à cheval. De nouvelles pointes atteignirent les Sawaï alors que les guerriers avançaient, et Hoseok sentit sa gorge se serrer d'émotion en reconnaissant sous leur armure la tunique émeraude de Tyfodon. À mesure que les soldats approchaient, il comprit qu'il s'agissait là du contingent dont Jimin et Taehyung lui avaient parlé à quelques reprises, ceux qui, pour fuir leur pays le temps qu'il retrouve une certaine stabilité, avaient accepté qu'un membre de leur famille intègre l'armée d'Arixium.

Hoseok se réjouit de constater qu'on leur avait laissé garder leur couleur, touché de voir celle que lui-même avait portée jadis.

Puis le lieutenant de cette troupe lui apparut de façon plus nette. Il distingua les contours de son visage encore juvénile malgré la puissance létale de son tir, et ses yeux s'écarquillèrent quand il sut à qui il avait affaire.

Monté sur son noble destrier, son arc à la main, le regard dur et dirigé sur l'ennemi, désormais s'avançait le fils disparu du chef de Mournan, celui que Hoseok avait désiré mettre sur le trône de Tyfodon à la place de son père : Choi Soobin.




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Yeah, le voilà, le véritable roi de Tyfodon ! ^o^

Autre chose : aucune des dates (jour+mois) des discours prononcés en début de chapitre n'est prise au hasard. Souvent, on a les anniversaires des membres de BTS (par exemple, un discours de Namjoon est apparu à plusieurs reprises, prononcé le 12 septembre ;D). Aujourd'hui en revanche, petit clin d'œil à notre fierté nationale, j'ai choisi la date du 21 janvier 693 en référence au 21 janvier 1793 : l'exécution de Louis XVI. Un peuple qui fume la monarchie en butant son roi parce qu'il est pas content de lui, ça a quand même une certaine classe, ça méritait une petite réf. XD

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