Chapitre 47 - Un autre paysage
Un beau matin, le paysage dans lequel ils se réveillèrent força l'attention de Garrigue. Une sensation de déjà vu. Cette vision matinale sortait tout droit du passé. En effet, si ce paysage représentait pour Frioul, comme tous les autres matins, un nouveau paysage, pour Garrigue il en était tout autrement.
Tout proche de sa jeune amie, il contemplait la végétation qui s'offrait à lui et lui renvoyait des images anciennes ponctuées de mélancolie, de frayeur et de sensations qu'il croyait avoir oubliées. Cette ambiance, si familière mais tellement lointaine. Garrigue se reconnaissait. Il savait parfaitement où il était.
Ça y est, ils étaient arrivés. Ces grands arbres avaient longtemps fait l'objet de curiosités chez lui, autant parce qu'il ne savait pas ce qu'ils dissimulaient que plus tard alors qu'ils formaient le paravent qui avait protégé son escapade à la fontaine aux Milles incantations. Ces grands arbres appartenaient aux environs du château des Hauts de Galante, ils étaient donc arrivés. Le château allait leur apparaître très vite. Seulement, il n'avait pas un seul instant mesuré qu'en acceptant de retourner au domaine familial, il devrait aussi faire avec le retour dans son enfance, qui n'était d'ailleurs pas si éloignée, et qui forcément ne se ferait pas sans douleur.
Ce paysage planté de quilles géantes, comment aurait-il pu l'oublier, elles étaient gravées à tout jamais dans ses souvenirs comme synonyme de malheur.
Aujourd'hui, allaient-elles être plus bienveillantes et seront-elles en mesure d'être les garants d'un futur plus radieux ?
Garrigue avait vécu tellement de choses depuis ce petit matin froid où, en douce, il s'était enfui du château, tel un voleur, pour partir faire fortune. Alors que ce n'était qu'une fuite, il pouvait bien se l'avouer maintenant, car faire fortune n'était pas à sa portée, il n'était pas un garçon capable de cela. D’ailleurs la confirmation ne s'était pas faite attendre, il ne ramenait ni ors, ni argents, ni joailleries. Toutes ces visions négatives qu'il croyait avoir oubliées, elles n'étaient en fait que tapies dans un recoin de sa tête et prenaient maintenant un malin plaisir à réapparaître brutalement et à le faire souffrir, lui revenant en pleine figure, tel un boomerang. Ce dont il avait voulu se détacher et qu'il croyait loin de lui ne l'avait finalement jamais quitté.
D'ailleurs, comment se débarrasser de son passé ? Les kilomètres, n'y font rien. Aucune distance ne change une personne. On est qui l'on est, quelque soit le lieu où l'on se trouve.
Atterré par cette réalité navrante, il déglutit difficilement. Sans un mot, il se leva et prépara Panache d'Or au mieux pour le voyage de Frioul. Il était ombrageux et avait la mâchoire serrée. Ses joues se crispaient et dessinaient une fossette de stress juste en dessous de ses pommettes. Il était fermé et ne parlait pas. Frioul n'était pas dupe et voyait bien que quelque chose n'allait pas, qu'un changement s'opérait dans l'être qu'elle chérissait.
Déjà, le matin, il ne lui avait pas rapporté les baies fraîches, mûries à point, qu'il avait coutume d'offrir à chaque petit déjeuner.
Alors qu'il lâchait un "allez ! Dépêche-toi" sec et froid, à l'attention de la Chamane, celle-ci se dressa rapidement sur ses jambes. Son regard habituellement apaisant se mua soudainement et un éclair glacé passa derrière ses pupilles. Elle baissa la tête et sans quitter Garrigue du regard se dirigea vers lui. Le bleu de ses yeux vira instantanément en un bleu plus indigo. Elle fut instantanément près du jeune homme et le saisit fermement, son visage à seulement quelques centimètres de celui de Garrigue. Si l'état de future mère l'avait rendue plus tendre, il n'avait néanmoins pas altéré sa force. Et sa poigne rude maintenait les deux bras de Garrigue. Elle avait été une chasseuse, entraînée au combat et elle était la chamane de son village... Elle avait été élevée comme ça depuis sa plus tendre enfance. Ce n'est pas un embryon dans ses entrailles qui allait lui faire oublier un apprentissage longuement, péniblement et durablement acquis.
Elle plongea ses yeux dans ceux de Garrigue. Etonné, il noya ses yeux amoureux dans le regard bleu intense et sans que Frioul n'ait à prononcer un seul mot, la force de son regard lui fit comprendre l'attitude déplacée qu'il venait d'avoir à son encontre. Garrigue resta coi. Interdit. Il avait compris et ne savait pas quoi dire. La leçon venait d’être donnée, il ne serait jamais le maître de Frioul. Son égal tout simplement.
La jeune guerrière, reconnu la panique sur le visage de Garrigue et relâcha sa prise. Ses mains remontèrent lentement et prirent son visage entre ses deux mains, pour déposer sur ses lèvres un baiser léger. Garrigue se laissa attendrir. Sa confiance renaissait.
– Frioul, il faut partir maintenant, nous approchons du château de mes parents. Nous devons prendre la route rapidement.
Frioul sourit doucement et s'exécuta, mais sans hâte.
Garrigue l'aida à se hisser sur le dos de Panache d'Or et sauta en selle juste derrière elle. Ses yeux se posèrent alors sur le paysage et ce fut comme si les arbres, les fougères, toute la nature entrait dans son corps. Ses bras enlacèrent Frioul et ses doigts se saisirent des rênes. Ses articulations blanchirent sous la pression. Son corps tout entier était tendu. Lui qui se croyait un autre, qui pensait être devenu quelqu'un de bien, redevenait soudainement cet enfant puéril, prétentieux et capricieux qui avait été la cause de la ruine de ses parents.
La disparition de l'inestimable fortune des Hauts de Galante était de sa faute à lui et aucun trésor sonnant et trébuchant ne venait réparer cela. Son absence n'avait pas modifié le passé, celui-ci restait ce qu'il avait été. Qu'on l'embellisse ou le noircisse, il est immuable.
Aujourd’hui, il fallait faire face à ses parents. Passé les grands arbres, synonymes de peur et de mal, il lui faudrait trouver le courage. Le courage, toujours lui. Cette vertu que Garrigue était certain de ne pas posséder. Avec l'aide de Frioul, peut-être pourra-t-il trouver la force, loin d'être innée, pour affronter ce qu’il avait tant voulu fuir. Sa belle à ses côtés, il se sentait plus fort. Il regarda la bague à son index, la pris dans ses doigts un instant, puis la lâcha, préférant puiser sa force dans le regard de Frioul.
Il enfouit son nez dans son cou et lui déposa un baiser sur l'oreille. Puis son regard balaya la colline qui plongeait sur la fontaine aux mille incantations. Alors qu’il sentit un frisson inquiétant se faufiler le long de sa colonne vertébrale, il inspira à s'en faire éclater les poumons et ravala ses pensées négatives. Frioul posa ses deux mains autour des doigts de Garrigue qui étranglaient les rênes. Il n'était plus seul maintenant. A deux, ils pouvaient tout vaincre.
Elle tirait sa supériorité de sa magie et lui insufflait sa force rien que par sa présence.
Enfin, les pointes du toit du château apparaissaient maintenant à leurs yeux, droit devant. Les grands arbres avaient levé le voile et laissaient apparaître les restes délabrés du royaume. Le grand portail de fer forgé rouillé était entrebâillé comme si personne ne l'avait poussé depuis le départ de Garrigue. Serait-ce possible que ses parents ne soient plus et que le château fusse tout à fait abandonné ou encore pillé de ce qu'il restait et habité par des inconnus ?
La frayeur du souvenir de son exil s'estompa pour laisser place à une autre sorte d'appréhension indescriptible, celle de ne peut être pas revoir ses parents. Ou encore de les retrouver différents. Son père, déjà tellement faible à son départ, et sa mère, dont les mains, jadis si douces et si fines, étaient devenues aussi épaisses et rugueuses que celles des hommes travaillant la terre. Allait-il les reconnaître ? Et de leur côté, seront-ils heureux de revoir leur fils après tout ce temps ? Trop de questions se bousculaient dans sa tête et taraudaient son esprit.
L'impatience grandissait au fur et à mesure que la distance se réduisait.
Il n'aurait pas beaucoup fallu le pousser pour qu'il change de chemin et ne revienne jamais chez lui. La curiosité lui fît instinctivement accélérer l'allure.
Frioul sentit le stress grandissant de son homme. Ses gestes devenaient saccadés, il ne parlait plus, donnait des signes d'énervement qu'elle ne lui connaissait pas.
Alors, pour ne pas ajouter à son mal être, elle posa simplement son bras sur celui de Garrigue, à l'endroit même où la peau était encore meurtrie par la brûlure du bracelet maudit, là, la peau était fine et fragile, et Garrigue tourna immédiatement la tête vers elle.
— Garrigue, je suis là avec toi. Tu ne dois pas avoir peur de ce que tu vas trouver.
Il semblait ne pas l'entendre. Parcourir ces quelques dizaines de mètres qui le séparaient de son enfance, lui paraissaient au-dessus de ses moyens.
— Attends Garrigue, je vais t'aider. Elle tira un peu les rênes de Panache qui ne se fit pas prier pour faire une pause, et se laissa glisser au bas du cheval. Rapidement, elle examina les herbes qui bordaient le chemin. Il ne lui fallut pas plus de dix minutes pour composer un petit bouquet qu'elle ramena fièrement vers Garrigue
— Voilà de quoi te rendre toute ta sérénité ! dit elle en le secouant sous le nez de Garrigue.
Puis elle commença à réduire son bouquet sous les coups du pilon. En moins de cinq minutes, elle en avait fait une poudre rose pâle qu'elle montra à Garrigue. Celui-ci ne résista pas à poser son nez au-dessus. Ce qui eut pour effet de le faire éternuer plus de dix fois !
Frioul éclata de rire. C'était inouï la manière dont il se laissait prendre à inhaler des potions sans méfiance...
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