Chapitre 34 : Thranduil
Thranduil revint dans la cité troglodyte du Mirkwood avec la tête haute. Outre son fils, personne ne savait ce qui avait été échangé au cours de leur entrevue avec la gardienne de Fangorn. L'essentiel était qu'ils revenaient de bataille sans aucune perte, un symbole de victoire. Imperturbable, le roi s'attacha à faire bonne figure.
A peine arrivés au palais, le roi se retira sans attendre dans ses appartements pour s'isoler. Une fois chez lui, il se passa de l'eau fraîche sur le visage et se regarda dans la glace. Désormais seul, il cessa de se contenir et déchargea sa colère. Il brisa d'abord son miroir, hurla et renversa plusieurs meubles avec rage.
Comment cette femme, si frêle, si fragile, si jeune avait-elle pu défier un monarque tel que lui ? Quand avait-il échoué dans sa domination en tant que roi ? Elle lui était inférieure, elle lui devait allégeance et respect, mais cette femme se jouait de lui avec provocations. Comment avait-elle pu le traiter ainsi ? Et devant son propre fils ! De cet échange, il sortait plus que malmené.
Comment avait-il pu s'être autant exposé à sa rebelle éloquence ? Demander son indépendante... Obtenir une armée... Ses doléances étaient insensées, cela n'avait rien d'une négociation, c'était belle et bien une rébellion. Le roi serra les poings de rage, blessé par l'éclat du verre, le sang de son poing coula entre ses doigts, celui-ci s'essuya la main dans un linge et fit les cents pas dans ses appartements, n'arrivant pas à retrouver son calme.
La scène se rejoua sans cesse dans sa tête, il se rappela chaque détail et se remémora l'aplomb de la jeune femme, son calme apparent, la fureur de ses mots et son éloquence. Au simple souvenir de son regard qui croisa le sien, le roi s'emporta à nouveau. Soudain, excéder de colère, sa blessure au visage lui fit mal, comme si la douleur se rappelait à lui, il porta sa main à sa mâchoire et se dérida pour soulager sa contracture, le souffle court.
Puis, la peur envahit le souverain. Les terres de Fangorn étaient siennes et il était en train de les perdre. Lui, lui qui avait déjà été si peu épargné par les affres de la guerre se voyait déposséder d'une nouvelle terre, alors même que la capitale du Mirkwood n'était désormais plus qu'une sinistre cité sous la montagne. Les armées de Dol Guldur étaient plus agressives que jamais et faisaient chaque jour reculer un peu plus ses hommes sur ses propres terres. Encore aujourd'hui, il accusait des difficultés à se relever des pertes de ses soldats. Son peuple avait besoin de Fangorn, il avait besoin de Fangorn, Fangorn avait besoin de lui... S'il perdait la cité, tous couraient à leur perte.
Des morts, tant de morts... Tout cela le hanta. Soudain, un visage, celui de sa propre épouse, tombée au combat presque sous ses yeux, lui apparut. C'était il y a des siècles et pourtant son cœur lui plomba la poitrine comme si cela venait d'arriver. L'homme se sentit sombrer dans une nouvelle torpeur, le cœur à nouveau noyé de chagrin, mais le roi se ressaisit et la rage resurgit en lui en repensant à Jaheira. A nouveau envahit par la colère, le roi serra les poings, refoulant ses tourments.
Fangorn était son dernier exutoire, l'une de ses dernières sources de revenus et un de ses derniers atouts géographiques, Fangorn était... son appui. Il ne pouvait perdre le contrôle d'une nouvelle forêt. Thranduil se mit à penser à Jaheira, ce sang-mêlée, une semi-elfe, effrontée, éhontée, elle incarnait à elle seule tout le déchaînement de la nature : impétueuse, injuste, redoutable, menaçante ! Elle avait en elle un mystère puissamment attirant, quel était donc sa faiblesse à elle ? Elle occupa ses pensées. Cette femme l'avait touché bien plus profondément que ce qu'il ne pouvait se l'avouer. Il se perdit dans ses pensées et s'imagina à nouveau avec elle. Dans sa tête, il se mit à l'approcher, à caresser de sa main sa délicate joue, cette femme si jeune, si forte, si vulnérable, si puissance mais si fragile, si belle... Il jalousa son pouvoir, cherchant dans ses rêves à aspirer sa puissance du bout des doigts sur sa douce peau immaculée. Toute cette puissance qu'il tenait là, à portée... Elle et lui, ensemble, cela serait si parfait. Tous deux régneraient : elle, si belle, et lui si puissant. Si seulement... Le roi avait fermé les yeux, et c'est lorsqu'il constata son émoi pour elle qu'il sortit de sa rêverie. Conscient de salir le souvenir de sa femme, l'homme se maudit de ses malsaines pensées et renversa un nouveau meuble pour s'exorciser de cette chimère. L'homme se replongea à nouveau dans une profonde concentration. Il se courba sur la fenêtre avec le dos voûté et la tête baissée, les yeux fixés vers ses poings dont le sang coagulé marbrait désormais ses doigts.
Fangorn. Perdre Fangorn serait un violent message de faiblesse. Ces terres étaient en position stratégique et avaient retrouvé la puissante magie qui leur permettait d'œuvrer à la guérison. Tout cela serait un atout de choix et un digne récompense pour son royaume qui n'avait jamais cessé de protéger ces terres depuis la grande Attaque.
S'il perdait Fangorn, l'ennemi se déchainerait et cela pourrait le forcer à bientôt évacuer son peuple vers d'autres cités. Des villes plus sûres et plus prospères, tel ce qu'incarnait la cité de Redwood en ces temps. Pour ses ennemis, la perte de Fangorn serait une fantastique opportunité d'écraser une bonne fois pour toute son royaume en déclin. Le combat serait violent et rapide, un véritable carnage comme seules les forces du Mal en avaient le secret. Il mourrait. Legolas mourrait. La dernière génération des Vertefeuille ainsi que le Mirkwood, berceau des elfes sylvestres, périrait en un battement de cil. Le monarque ne pouvait envisager ce si terrible scénario qui se profilait.
Quoi qu'il advienne de son égo, de son impertinence à elle, elle ne pouvait ainsi renier son pouvoir, il n'en demeurerait pas faible pour autant. Il restait le souverain de la plus grande armée elfique de toute la Terre du Milieu. Il se devait de relever la tête, d'être fier et d'affronter son sort, il ne laisserait personne marcher sur ses terres. Alors l'homme se redressa, se ressaisit de ses émotions et fit appeler ses gardes. Il les mandata pour une féroce battue dès le lendemain, en vue de récupérer des territoires récemment annexés par l'exode des forces du mal de Dol Guldur. Il fit également mobiliser quelques nouvelles recrues et les envoya quérir les araignées solitaires et autres créatures maléfiques au petit matin, juste pour passer le message que la garde royale était encore là, plus puissante que jamais.
***
Le lendemain, au retour de ses hommes, Thranduil se satisfait d'entendre que la battue fut efficace. Les elfes avaient ce matin-là annexé plusieurs lieues de forêt, ses hommes rentrèrent fatigués mais accomplis. La colère de Thranduil s'effaça, mais le souvenir de sa récente rencontre avec la gardienne de Fangorn le hanta encore pendant des jours.
Des jours passèrent et le roi Thranduil, toujours piqué au vif par le simple souvenir de son passage à Fangorn, fit quérir ses conseillers, dont Legolas, pour évaluer leurs forces en présence. Ensemble, ils recensèrent le moindre allié, le moindre peloton et le moindre réserviste qui pourrait être profitable au royaume en ces périodes de troubles. Leurs hommes étaient en déclin par leur nombre, mais la puissance du Royaume restait grande. Ils comptabilisèrent, au moyen de plusieurs heures et de nombreux compteurs, la totalité de quatre vingt mille hommes quand leurs ancêtres en relevaient plus de trois cents milles. Le Conseil Militaire repensa la position de leurs troupes et remirent à plat leurs stratégies en vue de renforcer leurs frontières. A présent, le Mirkwood devait tenir à tout prix, car toute nouvelle perte serait une marge de négociation supplémentaire pour la gardienne de Fangorn et un nouveau signal de faiblesse pour l'ennemi.
A la fin de cette longue entrevue, le roi Thranduil prépara la convocation exceptionnelle du Conseil des elfes afin que soit tranché le sort des terres de Fangorn. Le roi comptait sur ses excellentes relations diplomatiques et ses positions fortes pour se dégager de cette fâcheuse situation avec honneur, mais il prépara les deux scénarios à son avantage : il estima les ressources militaires qui pourraient être allouées à Fangorn en vue de son annexion par le Mirkwood et dans le cas contraire, définit les positions du nouveau front qui pourrait barrer l'avancée de la gardienne de Fangorn en cas d'attaque menée sur ses terres. Bien que la géographie soit en sa faveur, Dol Guldur se situant au Sud du Mirkwood et au Nord-Est Fangorn, il craignait là une attaque de Fangorn sur la cité maléfique. Un assaut de la gardienne pourrait provoquer le repli de l'ennemi de Dol Guldur au Nord, sur les terres du Mirkwood, plaçant le roi dans un étau entre les nains de Erebor, des voisins fort peu accueillants pour les elfes et les forces maléfiques de l'ancien seigneur Sauron. Fangorn n'avait que peu d'armées, environ cinq cents aux dernières informations, mais une mince poignée de ses ents avaient décimé avec facilité trois milles orques en quelques heures, lui offrant un puissant avantage militaire. Les derniers comptes de Fangorn au moment de la grande attaque faisait état de centaines d'individus cachés dans la forêt... Si elle les rassemblait tous, Jaheira pourrait affronter Dol Guldur sans problème et n'aurait qu'à se délecter des restes du royaume sylvestre pour s'emparer à son tour de la forêt du Mirkwood.
Le commandant Legolas ne croyait nullement au revers de la gardienne envers le Mirkwood. Il restait convaincu en son for intérieur qu'elle ne souhaitait aucunement la guerre, mais son sentiment avait été mis à mal lorsqu'il avait entendu les motivations de Fangorn quant à la fondation d'une armée. Legolas condamna les changements qui s'était opéré sur la jeune femme qu'il avait formé et prit sous son aile. L'ambitieuse stratège qui faisait pression sur son royaume aujourd'hui n'avait plus rien de la bienveillante guérisseuse qu'il avait rencontré autrefois.
***
Les invitations pour le grand Conseil des Elfes partirent, portées par les messagers officiels du royaume sylvestre. Dans l'organisation de cette assemblée exceptionnelle, Jaheira se manifesta la première et s'organisa pour rejoindre les terres du Mirkwood en premier. Pour son arrivée, Thranduil manda Legolas pour accueillir la gardienne et lui présenter le royaume du Mirkwood dans toute sa grandeur. Il avait pleine confiance en son fils pour impressionner la gardienne avec la démonstration de leur force de frappe et ainsi la faire douter quant à sa récente prise de position.
- Sers-toi de ce temps avec elle pour en savoir plus sur ses intentions. Si c'est une armée qu'elle lève contre nous, alors elle devra redouter notre guerre.
Le commandant entra dans un conflit intérieur : il n'avait rien révélé à son père au sujet de leur passé commun. Il était encore sous parole du serment de protection qu'il lui avait prêté au gouffre de Elm, serment qui tenait toujours aujourd'hui et qu'il était impensable pour lui de renier : Jaheira demeurait une plus que précieuse et trop rare guérisseuse, en plus d'être diplômée de la garde royale. Legolas n'avait rien révélé de sa volonté de s'enrôler dans les armées du Mirkwood, il n'était plus nécessaire de le partager aujourd'hui. Il n'avait nullement anticipé pareil retournement de situation, ni à se retrouver en temps de guerre. Bien qu'il ne tolérait pour autant pas ses dernières provocations, il n'aspirait aucunement menacer la jeune femme qu'il tenait en estime. Legolas s'apprêtait à disposer quand son père l'interpella :
- Legolas ? Sois prudent avec cette femme. Elle a beau être de noble sang, tu es de bien meilleure naissance qu'elle. Ne la laisse pas te manipuler.
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