Chapitre 52


Ils restèrent l'un en face de l'autre à se regarder, bien que séparés par la distance, les rangées de melons et tous les gens qui y travaillaient, épars.

Camille les devança, puis se tourna vers elles. Elle lança :

– On y va ?

– Oui, répondit Claire dans un souffle.

Et elle balaya le trouble.

Elle rentra ses émotions : tout ce qu'elle éprouvait. Elle le fit parfaitement, de manière à ce que plus rien ne déborde, à tout bien contenir à l'intérieur, à tout bien enfermer. Elle savait faire, ça. Elle le savait trop bien.

Lorsqu'elles parvinrent devant Mathieu, elle ne put toutefois garder parfaitement la contenance qu'elle aurait voulu avoir. Il y avait une intensité, chez lui, qui la soufflait en permanence et, alors que leurs regards se croisaient, il se passa quelque chose entre eux, quelque chose qu'elle ne sut définir mais qui rendit vacillante sa volonté de masquer ce qu'elle ressentait. Puis Mathieu observa ses amies avec un petit sourire en coin qui, autant curieux qu'amusé, était à l'image parfaite de la séduction.

Béné se rapprocha d'elle pour appuyer son menton sur son épaule. Elle chuchota :

– J'ai le droit de couiner ?

Claire en aurait souri si elle n'avait pas été aussi tendue. Elle ressentait si vivement tout ce qu'elle réprimait, en elle, tout ce qu'elle empêchait de sortir...

– Je suis venue te présenter mes amies, dit-elle.

– Béné et Camille, donc, déduisit-il.

Il les examina comme pour essayer de deviner laquelle était chacune.

Il se pencha vers Béné :

– Bénédicte, la sportive.

Celle-ci adressa à Claire un regard gentiment réprobateur. En même temps, Claire avait parlé d'elle à Mathieu en ces termes et il était difficile de ne pas la reconnaître avec son short et ses baskets qui avaient l'air – et pas pour rien – d'avoir fait plusieurs treks à l'autre bout du monde, déjà.

– Et Camille, la discrète.

Ces mots sonnaient presque sexuels, dans la bouche de Mathieu, mais qu'est-ce qui ne sonnait pas ainsi, chez lui ?

– Tu travailles depuis longtemps ? embraya Claire avec un détachement volontaire.

– Des siècles, répondit Mathieu dans un sourire.

Il la fixa.

– Tu ne m'avais pas dit que tu viendrais.

– Non...

Elle ne développa pas. Et pour dire quoi, de toute façon ? Que Béné et Camille l'avaient poussée ? Mathieu la connaissait assez pour le deviner. Il était inutile d'en faire l'étalage. Béné le fit à sa place, de toute façon :

– On l'a torturée pour qu'elle accepte de nous emmener te voir.

Et elle le fit avec l'exagération qui était la sienne.

– Elle abuse..., protesta Claire.

– Je n'en doute pas.

Mais l'expression de Mathieu démentait ces mots.

Il passa une main lasse sur son front et la fatigue fut visible dans ses pupilles.

– Ce n'est pas trop dur de bosser avec ce soleil ? lança Béné.

– Si...

Il enchaîna :

– C'est compliqué, en ce moment. Les associés de mon patron sont absents, et il a besoin d'aide pour gérer les saisonniers.

– Pourtant, tu en es un, toi aussi, non ?

– Si on veut. Je suis un « ponctuel », on dira, mais je bosse ici depuis assez de temps pour bien connaître le taf, à force.

– Ça fait combien de temps ? intervint Camille.

– Depuis l'adolescence.

Il désigna du doigt l'homme en chemise à carreaux qu'elles avaient croisé, au loin.

– Lui, c'est l'oncle de mon meilleur ami, Olivier. C'est pour lui que je travaille.

Il s'adressa à Claire.

– C'est Oliv' qui t'a dit où j'étais ?

– Oui.

Elle ajouta :

– Il m'a dit que tu travaillais toute la journée, en ce moment.

Il acquiesça mais son patron l'interpela à cet instant, lui faisant signe de le rejoindre. Mathieu lança après un discret soupir :

– Je reviens.

Claire le suivit du regard. Elle aurait aimé le toucher. Elle aurait voulu qu'ils s'embrassent, aussi, mais leur relation le permettait-elle ? Et quelle était vraiment leur relation, toujours ? Qu'est-ce qu'ils étaient exactement l'un pour l'autre ?

Elle sentit Béné la prendre par la taille avant de déclarer d'un ton très sérieux :

– OK... je crois que moi aussi, si c'était avec lui, je prendrais bien une fessée.

Un sourire monta à ses lèvres, malgré l'oppression qu'elle éprouvait.

– Pauvre Hugo qui ne sait rien de tes pensées...

– Je les lui raconterai.

– Noooon....

Claire tourna le visage vers elle, amusée :

– Pour qu'il t'en donne une ?

– Peut-être !

Elle rit.

Camille émit, d'un air songeur :

– Moi, c'est à sa punition que j'assisterais bien.

– Vraiment ?

Camille semblait sincère. Camille ne plaisantait pas souvent, de toute façon. Elle n'était pas du genre à fabuler. Claire accueillit sa remarque sans mot dire.

Lorsque Mathieu revint, ce fut en masquant son agacement derrière un détachement feint.Ce fut l'impression qu'il lui donna. Camille et Béné ne devaient rien remarquer.

– Je ne peux pas m'arrêter maintenant, dit-il. Il y a encore trop de travail.

– Tu n'as pas d'horaire ? remarqua Claire.

Il la fixa.

– Non.

Peut-être aurait-elle déjà dû le savoir. Elle ne l'avait jamais interrogé à ce sujet.

– On passait juste comme ça, de toute façon, souffla-t-elle, sans pouvoir ignorer la manière dont Mathieu l'observait.

C'était comme s'il lui posait une question muette, mais elle ne sut déterminer laquelle. Comme s'il attendait de savoir ce qu'elle allait faire, comme s'il cherchait des réponses en elle... Ce n'était pas rien de venir le voir avec ses deux meilleures amies. Elle se demanda ce qu'induirait cette nouvelle étape passée entre eux : ce que ça engendrerait et si elle devait agir d'une manière particulière.

Quand il releva le regard pour fixer un point dans son dos, elle lâcha un discret soupir. Elle avait accepté la demande de Béné et Camille de l'accompagner ici, mais elle ne maitrisait rien. L'attention de Mathieu s'attarda suffisamment longtemps derrière elle pour qu'elle y porte son regard. Deux personnes approchaient, et elle n'eut aucune difficulté à les reconnaître.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top