Interlogue : Faux-semblants
Raven avait le cœur qui battait. Dans le noir complet, devoir se disputer était la chose la plus terrible qui pouvait lui arriver. Il ne pouvait ni lire sur le visage ou dans les mouvements des lèvres les sentiments de ceux qui s'adressaient à lui. Il ne pouvait que deviner, à l'oreille. Certes, il avait une acuité auditive hors du commun, mais la vulnérabilité dont il était l'objet le tourmentait. Étrangement, il avait cette sensation viscérale, animale, qu'il ne saurait prévenir un geste violent. Ceux qui l'entouraient en cet instant, pourtant, n'avaient au grand jamais porté la main sur lui, au contraire.
Les Proscrits étaient tous là. Il manquait Oliver, bien sûr, mais qui le comptait encore comme Proscrit ? Raven, sur le lit d'hôpital, sentit la grande main calleuse de Jo saisir la sienne. Il sursauta.
— Calme-toi, Raven, sourit le géant. Il n'est pas question de la mettre en danger.
— Mais que Sawyer répète alors ce qu'il vient de dire ! siffla aussitôt l'aveugle, retirant sa main et serrant les poings.
Il avait beau être privé de ses yeux, le Russe savait parfaitement qu'il avait l'air ridicule. Il n'avait ni la carrure de Jonah, ni la musculature de Ove, ni la force de Sawyer.
— Sawyer ! cracha Raven. Répète.
— Parle-moi sur un autre ton, Raven Orlov ! gronda l'Irlandais, qui se tenait debout, au pied du lit.
— C'est toi qui vas te calmer, Sawsaw, rétorqua la voix colérique de Ove, bras croisés et adossé à la fenêtre. On ne fera pas payer à la p'tite peste nos propres erreurs.
— Je n'ai pas dit ça !
— Tu savais que Oliver était dans l'coin ! Tu l'as dit à personne ! Il a fallu que Jo s'fasse planter pour que tu finisses par mentionner qu'il avait décidé de réattaquer !
— Merci, Ove, intervint calmement Jonah. Mais je crois que Sawyer n'a pas les mauvaises intentions que tu lui prêtes.
— Ha ! J'le connais d'puis moins longtemps que toi, Jo, et pourtant, rien qu'à sa tête, je sais qu'il en loupera pas une pour sauver sa peau.
— Montre du respect ! cracha Sawyer.
Raven avait l'impression que l'atmosphère était tendue à se rompre. Et pourtant, malgré sa propension à toujours éviter les conflits ouverts, le jeune homme en vint à souhaiter que l'orage éclate.
— En voilà, du respect !
— Ove ! Non !
Boyd qui s'en mêlait... Cet Américain était impayable : toujours en train de chercher la petite bête avec le Russe, sans pour autant pouvoir supporter la moindre réelle dispute. Raven entendit un choc sourd, deux corps qui se rentraient dedans. Il comprit que Boyd avait fait barrage au Suédois.
— Ove, s'il te plaît.
— Ove sait très bien qu'il n'a pas intérêt à m'affronter, ricana Sawyer, qui n'avait pas bougé – Raven devinait qu'il n'avait sans doute pas levé les yeux vers le Scandinave.
— T'étais pas là lorsqu'il a tenté de la noyer ! T'étais pas là ! rugit Ove. C'est moi ! Moi, qui l'ai sauvée ! C'est sur moi qu'il s'est vengé !
— Ove, sors, conseilla Nuka. Raven n'a pas besoin de ça.
— D'accord, j'me calme. Mais qu'il arrête de croire qu'il peut toujours tout faire sans qu'on s'révolte. Connard, va. Ta Léa aussi, elle est morte comme ça ? grinça-t-il sur le ton d'un homme qui cherchait à faire mal. Parce que tu l'as offerte sur un plateau d'argent à Ollie et Ev...
Des cris fusèrent, Raven sentit un choc violent bouger son lit sur plusieurs centimètres, et Jonah courut en direction de Sawyer.
Le Russe comprit que les autres Proscrits avaient arrêté l'Irlandais juste à temps. Ce dernier, ulcéré par la dernière phrase du Suédois, s'était jeté sur lui. Il fallut que Jo, Nuka et Jin unissent leurs forces pour obliger Saw, muet de rage, à sortir de la chambre.
— T'as fait fort, dude, reprocha Boyd. Pourquoi tu es allé lui parler de Léa, aussi. C'est tabou, tu sais bien...
— J'm'en fous ! S'il met en danger la p'tite conne, B, j'te jure que Proscrit ou pas Proscrit, personne me r'tiendra d'lui mettre le nez dans son passé.
— Je ne suis pas certain que tu sois ravi qu'il te rende la pareille, Ove, murmura Raven.
— Oh, j't'en prie... t'es d'accord avec moi, Ravy. Tu l'sais en plus. J't'ai vu t'énerver.
— Ce n'est pas parce que Sawyer se permet des actes dangereux et peu considérés pour l'Escortée que tu dois te croire tout permis.
— Et puis, dude, ajouta Boyd avec chaleur, pour Léa, Saw a toujours dit que c'était lui le coupable. Un jour, ajouta-t-il en baissant le ton, de peur que son aîné, dans le couloir, ne l'entende. Un jour je l'ai même entendu dire à Oliver, quand ils se sont battus, que c'était pas Oliver qui avait assassiné Léa, mais lui.
— Qui, lui, cracha le Russe, dont le cœur s'était remis à battre de plus belle. Sois plus clair !
— Sawyer, you idiot ! Sawyer défendait Josefa contre Oliver, c'était devenu horrible.
— Il ne peut pas se souvenir, Boyd, grommela Ove. Il n'était pas encore là.
— Ah oui, il est trop petit.
— Blonde décérébrée, a craché Raven.
— Commie, a rétorqué Boyd. J'en étais où ? C'est vrai : Sawyer et Oliver s'étaient affrontés, c'était horrible, il y avait du sang partout. Et ils croyaient qu'ils étaient seuls. Saw a dit à Oliver qu'il était responsable si Marie était morte, s'ils avaient été obligés de fuir les Escortées dès qu'elles commençaient à comprendre qui on était.
— Pourquoi ?! s'exclama Raven.
— Parce que si elles commencent à comprendre, ça les tue, répondit Ove. Si elles en savent trop, elles peuvent en mourir. Ou au moins être grav'ment atteintes, comme le jour où Jo a voulu tester, là. Putain, le pauvre, il en a pas dormi pendant des semaines...
— Est-ce que ça signifie que Sawyer sera contraint d'organiser un Départ si l'Escortée commence à en savoir trop sur nous ?
— Jo t'a dit ce que c'était que le Départ ? s'étonna Boyd.
— Jonah ne me prend pas pour un demeuré, lui, répliqua le Russe.
— Ouais, coupa Ove. Si la p'tite peste met trop son nez dans nos affaires et que ça devient trop dangereux, Saw pourra plus se permettre de jouer comme ça avec sa vie. Mais faut trouver un juste milieu.
— Moi, je l'aime bien, cette Escortée-là ! lança Boyd. J'ai pas envie de faire un Départ. J'en ai assez qu'elles nous oublient.
— J'avoue, marmonna Ove.
— T'avoues que tu l'aimes bien ? gloussa aussitôt l'Américain.
— J'avoue que ça m'les brise de jouer les filles de l'air avec chaque putain d'Escortée !
— Nul besoin d'être vulgaire, gronda Raven.
— 'scuse-moi, Ravy. Ceci dit, c'est un peu le serpent qui s'mord la queue, c't'histoire de Départ. Comme le sixième jour du Départ, on peut tout dire à l'Escortée sans la tuer, il faudrait réussir à caser ça avant d'organiser un Départ.
— C'est débile, fit remarquer Boyd en levant les yeux au ciel. Ça voudrait dire qu'on sait que c'est pas un vrai Départ, et un Départ, c'est un Départ. On peut pas faire semblant de faire un Départ.
— Ouais. T'as p't'être raison.
Boyd hocha la tête. Bien sûr que Boyd avait raison. Il était Américain, après tout ! Raven, lui, resta silencieux. Il pouvait sentir, cette fois, le regard bleu de glace du Suédois posé sur lui.
Ove était beaucoup plus subtil que ses dehors grossiers laissaient croire.
*
J'adore les interlogues. Et vous ?
Enfin, j'adore les écrire quoi ^^
Je crois que mon idée s'est perdue en route... XD
Bonne journée,
Sea
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