Tutoriel
Chapitre 1
Je marche. Le soleil printanier me réchauffe doucement le dos, mais je ne ralentis pas. Mon pas est régulier, ni trop rapide, ni trop lent. Chaque mètre que je franchis me rapproche de l’objectif : l’Advanced Nurturing High School. Les deux valises en plomb que je porte ne me gênent pas. Mon sac à dos, tout aussi chargé, est solidement attaché à mes épaules. Je pourrais passer pour un déménageur, mais je suis simplement un étudiant.
Un étudiant dont la mission principale est de survivre.
Pourquoi marcher ? Parce que les bus m’ennuient. Parce que m’entasser avec des inconnus qui se chamaillent pour des places assises ou s’ignorent royalement m’est insupportable. Ici, au moins, je contrôle mon espace. Le silence de la rue me laisse seul avec mes pensées, et c’est exactement ce dont j’ai besoin.
Cela fait trois ans que je suis au Japon. Trois ans d’adaptation. Trois ans de lutte. Aujourd’hui, tout commence réellement. Le lycée le plus prestigieux du pays m’ouvre ses portes, mais je ne me fais aucune illusion : ce n’est pas un simple établissement scolaire. C’est une arène. Un endroit où manipulation, stratégie et faux-semblants règnent. Si je veux sortir vivant et intact de ces trois années, je dois être prêt à tout.
Hakurei.
Son visage s’impose à mon esprit. Ses cheveux rouges et ce regard qui pouvait percer à travers les mensonges. Dire au revoir n’a pas été simple. Une partie de moi aurait voulu qu’elle soit là, mais je sais qu’elle est maintenant en troisième année, dans la classe 3-A. Une référence. Une alliée potentielle, mais aussi une menace si je n’avance pas à la hauteur de ses attentes.
Les rues sont calmes. Le printemps s’annonce dans chaque bourgeon, chaque souffle de vent qui transporte une légère odeur de fleurs. Le contraste entre cette sérénité et le chaos qui m’attend à l’ANHS est presque ironique. Chaque pas m’éloigne un peu plus de ce que j’ai laissé derrière moi : le Bénin, une famille oppressive, et ces trois dernières années à naviguer dans les eaux troubles des Yakuza. Je suis parti. Je ne leur dois rien.
Je serre légèrement les anses de mes valises. Leur poids est une habitude, un rappel constant de mes choix. Je n’ai pas choisi la facilité, mais qui en aurait besoin ? La survie n’a jamais été un chemin pavé de roses.
Une pancarte en bord de route attire mon regard : Advanced Nurturing High School - 1 km. Je ralentis légèrement. Pas besoin de me précipiter. Mes yeux parcourent les environs. Une rue propre, bordée de cerisiers en fleur. Une carte postale japonaise parfaite. Mais derrière cette façade se cachent probablement des regards curieux, peut-être méfiants.
Je me redresse, ajustant mon uniforme impeccable. Pas question de paraître négligé. Chaque détail compte, et la première impression est cruciale. Je suis nouveau ici. Personne ne me connaît, mais cela ne durera pas.
L’entrée de l’ANHS apparaît enfin devant moi. Une arche massive portant le nom de l’établissement en lettres d’or. Derrière, un campus qui s’étend à perte de vue. Mon cœur bat un peu plus vite. Pas d’excitation, mais une alerte silencieuse. Une intuition. Ce lieu est un champ de mines.
Je franchis le portail sans hésiter. La première règle de la survie : ne jamais montrer ses doutes.
Les couloirs sont larges, modernes, et remplis d’élèves. Chacun porte l’uniforme impeccable, mais ce qui attire mon attention, ce sont les regards. Certains curieux, d’autres calculateurs. Les conversations sont un mélange de banalités et de sous-entendus. J’avance, cherchant la salle où se tiendra la réunion d’introduction pour les nouveaux élèves.
Classe D. Les épaves, comme on les appelle.
Un surnom méprisant, mais cela ne me dérange pas. J’ai l’habitude d’être sous-estimé. Cela joue souvent en ma faveur.
Une silhouette familière attire mon attention. Une fille de taille moyenne, cheveux noirs coupés au carré, regarde autour d’elle avec un mélange de curiosité et de nervosité. Je me rappelle son nom : Ayano Kurosawa. L’un des rares noms que j’ai réussi à obtenir avant mon arrivée. Elle semble à la fois perdue et sur ses gardes. Intéressant.
Je la dépasse sans un mot, mais je garde son visage en mémoire. Une potentielle alliée, ou un obstacle.
La salle de classe est spacieuse, mais l’atmosphère est lourde. Les autres élèves arrivent au compte-goutte, certains parlant entre eux, d’autres restant isolés. Je choisis une place près de la fenêtre, à l’arrière. Une position stratégique : visibilité maximale et peu de distractions.
Le professeur entre enfin. Une femme dans la trentaine, avec un sourire qui n’atteint pas ses yeux. Elle se présente brièvement avant de commencer à expliquer les règles de l’établissement.
Le système S. Un ensemble complexe de points, de privilèges, et de punitions. Chaque action, chaque mot, chaque regard peut affecter votre position. Une simulation de la vie réelle, où tout est quantifiable, et où la compétition est la norme.
Je prends des notes mentales. Chaque mot prononcé par le professeur est une pièce d’un puzzle que je dois résoudre rapidement.
Le reste de la journée passe dans un flou relatif. Présentations, consignes, et premiers contacts. Certains essaient déjà de se démarquer, d’autres restent dans l’ombre. Moi, je me contente d’observer.
Quand la cloche sonne enfin, marquant la fin de la journée, je prends une profonde inspiration. Ce n’est que le début, mais chaque jour à venir sera un test.
Survivre. Un mot qui résonne dans mon esprit alors que je quitte la classe.
Et je survivrai. Peu importe le prix.
Je reste assis à ma place, contemplant l'agitation dans la salle alors que les autres élèves se dispersent ou se regroupent en petits cercles. La dynamique sociale commence déjà à se dessiner, et je sens les regards glisser sur moi, curieux, parfois méfiants. L’attention ne me dérange pas ; je l’attendais. Cependant, je suis plus intéressé par ceux qui viendront à moi directement.
C’est alors que Kurosawa Ayano s’approche. Sa démarche est hésitante, mais son regard est décidé. Elle se plante devant ma table, hésite une fraction de seconde, puis ouvre la bouche.
— Salut, je suis Kurosawa Ayano. Toi, tu es Okoda Wilfried Pascal, n’est-ce pas ?
Je hoche simplement la tête, sans ajouter un mot. Elle semble chercher quoi dire ensuite, mais avant qu’elle ne puisse continuer, une autre voix s’élève.
— Wilfried, mon frère ! Tu pensais vraiment que j’allais te laisser tranquille dès ton arrivée ?
Je tourne la tête et tombe sur Malakh. Zohar Malakh, mon correspondant juif. Il arbore un sourire éclatant, ses cheveux blonds en bataille et une énergie presque désarmante. Il s’installe directement sur une chaise à côté de moi, comme s’il était chez lui.
— Toujours aussi direct, hein, Malakh ?
— Évidemment ! Et toi, toujours aussi mystérieux ?
Je ne réponds pas, mais un sourire imperceptible effleure mes lèvres. Malakh a ce don pour mettre à l’aise, même dans les situations tendues.
Kurosawa nous observe, un peu déconcertée. Elle semble prête à dire quelque chose, mais deux nouvelles personnes se joignent à nous avant qu’elle ne puisse réagir.
— Hé, c’est ici qu’on discute stratégie ?
Je lève les yeux vers le garçon qui vient de parler. Grand, les cheveux blonds presque blancs, un accent à couper au couteau. Igor Volkovich, surnommé Igor le Russe, me fixe avec un sourire confiant. À ses côtés, une fille plus petite, cheveux noirs coupés courts, avec un regard tranchant.
— Huan Yinghua, dit-elle simplement, se présentant sans cérémonie.
Yinghua la Chinoise. Son ton est neutre, mais ses yeux analysent chaque détail. Je note immédiatement qu’elle est le genre de personne à observer avant d’agir, et cela me plaît.
Nous sommes maintenant cinq. Un chiffre respectable, mais pas suffisant.
— Il nous faut une fille de plus, dis-je calmement.
Les autres acquiescent. L’équilibre est crucial, non seulement pour la dynamique du groupe, mais aussi pour éviter d’attirer trop d’attention sur une composition trop homogène.
C’est alors que je les aperçois.
Deux silhouettes entrent dans la salle, un garçon et une fille. Le garçon a les cheveux noirs, une allure décontractée mais un regard acéré. La fille, plus petite, arbore des cheveux blancs immaculés et porte un bandeau sur un œil. Malgré sa posture juvénile, je peux déjà dire qu’elle est probablement la plus mature des deux.
Youka Hishida et Youka Tokito.
Le frère est surnommé "Le tricheur", connu pour ses méthodes peu orthodoxes et son intelligence rusée. Quant à sa sœur, elle est surnommée "L’enfant rouge", une appellation aussi énigmatique qu’inquiétante. Leur dynamique est intrigante : lui agit dans l’ombre, mais elle est clairement le cerveau.
Mais mon attention dérive rapidement ailleurs.
Elle.
Une fille à quelques mètres de là, ses longs cheveux blonds retombant en cascade sur ses épaules, ses yeux bleus perçants qui semblent voir à travers les gens. Elle est là, immobile, son regard croisant brièvement le mien.
— Okita Alice Liddell...
Les mots s’échappent de mes lèvres avant même que je ne puisse les retenir.
C’est impossible. Nous ne nous sommes pas parlé depuis l’an dernier, et pourtant, la voilà. Ici, dans cet endroit.
Pourquoi ?
Un mélange d’émotions monte en moi : surprise, méfiance, et... autre chose. Mais je ne peux pas me permettre de perdre ma concentration. Pas maintenant.
Je détourne les yeux et me recentre sur notre groupe. Nous sommes cinq pour le moment, et c’est suffisant pour le premier jour.
— Bibliothèque, dis-je.
Ils comprennent immédiatement. Aucun endroit n’est plus propice à une discussion sérieuse qu’un lieu où la plupart des gens évitent de parler trop fort.
Nous quittons la salle, chacun portant une aura différente, mais un objectif commun commence déjà à se dessiner. Survivre, oui, mais pas en solitaire. Un groupe solide peut renverser des montagnes, à condition qu’il reste soudé.
En traversant les couloirs, je sens des regards hostiles et curieux sur nous. Des provocations silencieuses, mais qui deviendront bientôt plus audacieuses. Je souris intérieurement.
Qu’ils essaient.
Quiconque viendra nous provoquer... finira expulsé.
La bibliothèque est calme, presque trop. L’atmosphère feutrée est ponctuée seulement par le froissement des pages et les murmures étouffés des élèves qui révisent ou discutent à voix basse. Nous avons choisi une table au fond, loin des regards indiscrets, entourée de rayonnages pleins de livres usés.
Malakh est le premier à rompre le silence après que nous nous soyons installés.
— Alors, les amis, quel meilleur moyen de commencer cette belle amitié qu’un petit jeu ?
Son ton enjoué contraste avec le sérieux de la situation, mais je comprends son objectif. Il veut créer une dynamique dans le groupe, poser des bases sans pour autant attirer l’attention sur nos véritables intentions.
— Un jeu ? demande Kurosawa, visiblement sceptique.
— Oui, dit-il en sortant des feuilles et des stylos de son sac. Je vous présente... le jeu des fiches de personnages.
— Ridicule, commente Yinghua, les bras croisés.
— Peut-être, répond Malakh avec un sourire, mais c’est un excellent moyen d’apprendre à se connaître.
— Explique, dis-je simplement, prêt à écouter son raisonnement.
Malakh lève un doigt, prenant un air théâtral.
— C’est simple. Chacun remplit deux fiches : une pour soi-même et une pour chaque personne ici présente. Les fiches contiennent des informations basiques : nom, surnom, qualités, défauts, forces, faiblesses, et une prédiction sur leur rôle dans ce groupe.
Il pose les feuilles devant nous.
— Le but ? Mieux se comprendre tout en nous amusant. Mais surtout... apprendre à communiquer sans parler.
Son regard croise le mien, et je comprends immédiatement l’enjeu. Derrière ce "jeu" innocent se cache une méthode pour analyser chacun de nous. Ce n’est pas juste une manière de briser la glace, c’est un outil pour déceler les intentions, les faiblesses, et les forces.
— Intéressant, dis-je en prenant une feuille.
Les autres suivent, certains avec enthousiasme, d’autres avec réticence. Igor grogne un peu, mais il s’y met rapidement. Yinghua reste stoïque, mais elle remplit sa feuille avec une précision méticuleuse.
Pendant quelques minutes, le silence s’installe à nouveau, seulement troublé par le grattement des stylos sur le papier. Je commence par ma propre fiche.
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Nom : Okoda Wilfried Pascal
Surnom : Wil
Qualités : Observateur, stratégique, calme.
Défauts : Froid, distant, parfois imprévisible.
Forces : Analyse rapide, endurance mentale et physique.
Faiblesses : Méfiance excessive, difficulté à déléguer.
Rôle : Leader potentiel ou pivot du groupe.
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Une fois ma fiche terminée, je commence à remplir celles des autres. Je note soigneusement ce que j’ai déjà observé.
Kurosawa Ayano
Surnom : Kurosawa
Qualités : Empathique, déterminée, adaptable.
Défauts : Manque de confiance en elle, hésitante.
Forces : Bonne intuition, capacité à lire les émotions des autres.
Faiblesses : Sensibilité qui peut être exploitée.
Rôle : Médiatrice ou point faible selon l’approche.
Malakh Zohar
Surnom : Malakh
Qualités : Charismatique, créatif, spontané.
Défauts : Trop décontracté, parfois imprudent.
Forces : Capacité à détendre les situations tendues, sociabilité naturelle.
Faiblesses : Sous-estime les risques, manque de prudence stratégique.
Rôle : Catalyseur ou distrait.
Et ainsi de suite.
Le véritable intérêt de cet exercice ne réside pas dans ce que nous écrivons, mais dans les regards échangés, les expressions subtiles, les pauses entre les mots. Les choix de mots, les hésitations, tout cela parle plus fort que ce qui est inscrit sur le papier.
Quand tout le monde a terminé, Malakh ramasse les fiches.
— Bien ! Maintenant, nous allons échanger nos fiches pour voir ce que les autres pensent de nous.
Il distribue les papiers, et je prends celui qui me concerne. Mes yeux parcourent rapidement les mots écrits par mes camarades.
"Calme, mais intimidant."
"Un leader silencieux."
"Un mystère."
Des descriptions variées, mais toutes pointant dans une direction similaire. Ils ont déjà perçu une partie de ce que je suis, mais personne n’a encore vu au-delà. Tant mieux.
Je lis les fiches des autres, notant leurs réactions en silence. Kurosawa semble légèrement troublée par certaines descriptions, Igor rit à celles qui le concernent, et Yinghua garde une expression impassible, bien qu’un éclair d’intérêt traverse son regard.
Malakh, lui, semble ravi.
— Alors, qu’en pensez-vous ? demande-t-il en souriant.
— Que c’est un jeu instructif, réponds-je.
Il éclate de rire, mais son regard reste fixé sur moi une fraction de seconde de trop. Il sait que je vois à travers son stratagème, et il sait que je joue le jeu quand même.
Un murmure traverse la bibliothèque, mais ce n’est pas le nôtre. D’autres élèves sont présents, observant de loin. Leur curiosité est palpable.
— Et maintenant ? demande Igor.
— Maintenant, dis-je en croisant les bras, nous continuons.
Ce jeu n’est que le début. Nous avons établi une base. La prochaine étape est de renforcer cette dynamique tout en découvrant nos véritables forces.
Et surtout, rester en alerte. Car je le sais : ce groupe sera autant ma meilleure arme que mon plus grand danger si je ne le maîtrise pas.
La première semaine démarre avec une précision quasi-militaire. Chacun de nous sait ce qu’il doit faire, même si les méthodes diffèrent. Nous avons une mission : obtenir des informations, pas sur les élèves de première ou deuxième année – ce serait trop facile – mais sur les troisièmes années. Ce sont eux qui détiennent les clés de ce labyrinthe qu’est l’ANHS.
Igor et Yinghua, fidèles à leur nature, jouent sur leurs contacts. Igor, avec son charisme brut et son sourire provocateur, parvient à infiltrer les cercles les plus fermés, jouant sur son accent étranger pour intriguer. Yinghua, plus subtile, cible les solitaires, les observateurs. Ceux qui voient tout sans jamais intervenir.
Malakh, en revanche, adopte une autre stratégie. Avec Kurosawa à ses côtés, il joue la carte de l’innocence angélique. Son sourire charmeur et son attitude désinvolte masquent parfaitement sa véritable intention : gagner la confiance des autres pour mieux les manipuler. Kurosawa, elle, semble sincèrement croire qu’ils travaillent pour un but noble. Peut-être est-ce vrai pour elle, mais Malakh... il sait ce qu’il fait.
Quant à moi, je joue une toute autre partie.
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Le rendez-vous est fixé sur le toit. À l’ANHS, cet endroit est une zone grise. Peu fréquenté, mais toujours accessible, il offre un lieu parfait pour des conversations qui ne doivent pas être entendues.
J’arrive en premier, comme prévu. Le vent printanier souffle doucement, agitant ma cravate. Mes yeux balayent l’horizon avant de se fixer sur la porte d’accès. Quelques minutes passent avant qu’elle ne s’ouvre.
Elle entre.
Akagami Hakurei.
Ses cheveux rouges flamboyants tombent en cascade sur ses épaules, et son uniforme est porté de manière... disons non conventionnelle. La cravate desserrée, la chemise légèrement déboutonnée, et cette manière de marcher comme si le monde entier était son terrain de jeu.
— Ça fait longtemps, Wil, dit-elle en s’approchant, un sourire espiègle aux lèvres.
— Deux ans, réponds-je simplement.
Elle s’arrête à quelques pas de moi, croisant les bras.
— Alors, qu’est-ce que tu veux ? Tu ne m’as pas donné rendez-vous pour parler du bon vieux temps, n’est-ce pas ?
Je ne perds pas de temps.
— Le système S.
Son sourire s’élargit, mais son regard devient plus tranchant.
— Toujours aussi direct. Ça m’avait manqué. Mais pourquoi tu veux savoir ça ?
— Parce que je ne joue pas à l’aveugle, Hakurei. Je veux comprendre les règles avant de les briser.
Elle rit doucement, un rire qui a toujours été une arme pour elle.
— Les règles, hein ? Tu sais, le système S, ce n’est pas juste des règles. C’est une toile. Chaque fil connecté, chaque mouvement surveillé. Et toi, tu veux en savoir plus... pour mieux t’y faufiler ?
Je ne réponds pas. Elle sait déjà la réponse.
— Très bien, dit-elle en s’appuyant contre la balustrade. Mais rien n’est gratuit, tu le sais.
— Je ne signerai pas de contrat.
Elle arque un sourcil, amusée.
— Vraiment ? Et si je te disais que certaines informations valent plus que ta méfiance ?
— Alors je trouverai quelqu’un d’autre.
Cette fois, son sourire vacille légèrement. Hakurei déteste perdre, et elle sait que je suis sérieux. Après un instant, elle soupire.
— Très bien, Wil. Je vais te donner un aperçu. Mais uniquement parce que je suis curieuse de voir jusqu’où tu iras.
Elle s’approche, son regard plongé dans le mien.
— Le système S, c’est une matrice d’évaluations. Pas seulement les notes ou les comportements, mais tout. Chaque interaction, chaque décision, chaque échec ou succès. Tout est quantifié. Et les troisièmes années ? Ce sont eux qui détiennent les clés pour exploiter ces données.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont passés par là. Ils savent où les failles se trouvent, et certains d’entre eux ont des accords... disons spéciaux avec l’administration.
— Et toi ?
Elle éclate de rire.
— Moi ? Je suis juste une spectatrice.
Je sais qu’elle ment. Hakurei n’est jamais juste une spectatrice.
— Merci pour l’information, dis-je en me redressant.
Elle penche la tête, une lueur d’amusement dans les yeux.
— Ne me remercie pas encore. Tu n’as même pas demandé ce que je veux en échange.
— Parce que je sais que tu trouveras un moyen de le faire payer, tôt ou tard.
Elle rit à nouveau, mais cette fois, c’est plus sincère.
— Toujours aussi malin. Fais attention, Wil. Ce jeu est plus dangereux que tu ne le penses.
Je ne réponds pas, me contentant de la fixer un instant avant de tourner les talons.
— Oh, et Wil ?
Je m’arrête, sans me retourner.
— Tu devrais vraiment surveiller Malakh. L’angélique a un côté... démoniaque, parfois.
Je quitte le toit sans répondre, mais ses mots résonnent dans mon esprit.
Hakurei ne dit jamais rien sans raison.
En quittant le toit, mes pensées sont encore occupées par la conversation avec Hakurei. Mais elles s’arrêtent net en atteignant un couloir, où une scène attire mon attention.
Une fille aux cheveux noirs, d’apparence calme mais déterminée, échange des mots avec un garçon qui semble tout sauf innocent. Elle a l’air de vouloir garder le contrôle, mais lui… il joue. Pas au même jeu qu’elle, non. Le sien est plus perfide, presque imperceptible.
Je reconnais immédiatement la fille. Horikita Suzune. Si mes informations sont correctes, elle est la petite sœur de Horikita Manabu, le président actuel du BDE. Elle a une réputation solide : intelligence froide, esprit analytique affûté, mais des compétences sociales proches du néant. Une perfectionniste isolée, souvent sous-estimée par ses pairs.
Le garçon, en revanche, est un mystère.
Son apparence et son attitude me donnent une impression étrange. Il se présente comme charmant, ouvert, presque amical. Mais je ressens autre chose, quelque chose de plus profond, presque inquiétant. Un charisme qui dépasse le simple fait de savoir parler. Il observe chaque mouvement de Suzune, chaque mot qu’elle prononce, comme s’il disséquait son être.
Je l’entends se présenter : Ryuji Akira.
Un nom qui sonne trop bien pour être vrai. Et je ne crois pas une seconde que ce soit sa véritable identité.
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Je reste à distance, écoutant la conversation tout en restant hors de vue. Suzune est méthodique, mais Akira est fluide, insaisissable. Il détourne habilement ses arguments, la poussant dans une position inconfortable sans qu’elle s’en rende compte immédiatement.
Alors que Suzune commence à perdre pied, un autre élève intervient.
Hishida Youka.
Le tricheur.
Sa simple présence déstabilise Akira, mais pas pour longtemps. Ce garçon est clairement habitué à gérer des imprévus. Néanmoins, son attention se détourne légèrement, et cela suffit pour que Suzune reprenne le contrôle de la situation.
Je reste un instant, observant l’échange se dissiper. Akira se retire finalement, mais pas avant de jeter un regard dans ma direction. Nos yeux se croisent brièvement.
Je décide d’avancer, calculant rapidement ma prochaine action. Ignorer cette rencontre serait imprudent. Si je veux le comprendre, il faut établir un contact. Pas trop profond, juste suffisant pour le jauger.
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Je m’approche de lui alors qu’il marche seul dans le couloir.
— Ryuji Akira, c’est ça ?
Il se retourne, son sourire poli déjà en place.
— Oui. Et toi, tu es ?
— Okoda Wilfried Pascal.
Je tends la main, et il la serre sans hésitation. Sa poigne est ferme mais pas agressive, juste assez pour communiquer une fausse sincérité.
— Wilfried, hein ? Ça sonne étranger.
— Béninois.
— Intéressant, dit-il, un éclat de curiosité dans les yeux.
Je sens qu’il essaie déjà de me cerner, mais je garde mon visage neutre, répondant à ses questions avec la même désinvolture.
Nous échangeons quelques banalités sur l’école, les cours, et la vie en général. Je reste vague, ne donnant rien de concret. Juste assez pour maintenir la conversation, mais pas assez pour qu’il puisse tirer des conclusions.
Puis il commence à poser des questions plus personnelles.
— Alors, Wilfried, pourquoi avoir choisi l’ANHS ?
— Pour les opportunités, réponds-je simplement.
— Et tu espères quoi, exactement ?
Son ton reste léger, mais je vois qu’il cherche à aller plus loin. C’est le moment de couper court.
— Tu sais, Akira, les espérances, c’est comme les secrets. C’est mieux de les garder pour soi.
Je lui adresse un sourire et tourne les talons, mettant fin à l’échange avant qu’il ne prenne un tournant trop curieux.
— Tu es intéressant, Wilfried, dit-il derrière moi. J’espère qu’on se recroisera.
Je ne réponds pas, continuant mon chemin sans me retourner.
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Alors que je m’éloigne, je réfléchis à ce que je viens de voir et d’entendre. Akira n’est pas un élève ordinaire. Son comportement, sa manière de parler, tout en lui crie danger.
Il me rappelle Okita, mais avec une différence cruciale : là où Okita agit avec une froide précision, Akira semble jouer pour le plaisir. Une curiosité malsaine, un désir de voir ce que les autres cachent.
Malakh aurait raison de vouloir l’asperger d’eau bénite.
Mais ce serait une erreur. Akira n’est pas un démon à exorciser. C’est un prédateur à surveiller, à analyser, et peut-être… à éviter.
La semaine avance, et chacun de nous trouve un équilibre dans les clubs que nous avons choisis. L'intégration à ces activités nous permet non seulement de développer nos talents, mais aussi de renforcer notre position stratégique.
Les clubs et leurs opportunités
Malakh s’épanouit dans le club de musique, jouant de la harpe avec une élégance naturelle qui attire l’attention. Ses prestations ne manquent pas de captiver les autres membres, mais il joue aussi avec un autre objectif : établir des liens solides avec des élèves influents.
Yinghua, dans le club de littérature, s’immerge dans les mots et les idées. Sa capacité à analyser des textes et à en tirer des stratégies potentielles le rend déjà populaire auprès des membres plus âgés.
Kurosawa, avec son calme habituel, brille au club de tir à l’arc. Sa précision et sa maîtrise impressionnent. Je le vois déjà nouer des relations discrètes mais utiles avec les membres d’autres classes.
Quant à Igor et moi, nous avons opté pour le club de football. Ce choix, en apparence ordinaire, est plus stratégique qu’il n’y paraît. Le sport nous donne accès à des informations via les discussions informelles et, surtout, il nous a permis de rencontrer Hirata Yosuke, un élève de classe D connu pour sa gentillesse et son charisme.
Hirata est fascinant. Derrière son sourire chaleureux, je devine un poids qu’il porte. Ce garçon, bien qu’entièrement altruiste en apparence, a traversé une épreuve qui l’a marqué profondément. Sans cela, il n’aurait jamais été placé en classe D. Nous sommes devenus amis rapidement, bien qu’il me semble toujours un peu distant, comme s’il se retenait de dévoiler sa vraie nature.
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L’attention des filles
Je remarque également quelque chose d’agaçant : plusieurs filles de ma classe, ainsi que d'autres élèves de première année, me fixent un peu trop souvent. Leurs regards curieux ou admiratifs me mettent mal à l’aise.
Je vérifie dans un miroir, pensant que j’ai peut-être quelque chose sur le visage. Rien. Pourtant, leurs comportements persistent. Je commence à penser que cela pourrait être lié à ma réputation ou à la façon dont j'ai agi depuis le début de l'année.
Ignorer cette attention est ma seule option pour l’instant.
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La rencontre avec Tokito
Vendredi, je décide de me détendre en me rendant au stand de crêpes près du bâtiment des clubs. L’idée de goûter une simple crêpe au chocolat me met de bonne humeur.
Cependant, en arrivant, je découvre que tout le stock a été épuisé. Une personne, apparemment, a vidé le stand en un temps record.
Et cette personne n’est autre que Tokito Youka, désormais surnommée dans mon esprit "l’impératrice de l’empire crêpe".
Elle est là, assise sur un banc, dégustant ses crêpes avec une méthode presque scientifique. Son attitude m’intrigue : une posture droite, des gestes précis, et un calme presque mécanique.
Je l’observe un moment avant de m’approcher. Je sais qu’elle excelle dans les calculs mentaux rapides. C’est un type de talent que j’ai appris à identifier grâce à mes nombreuses lectures sur le langage corporel et les comportements humains. Mais chez elle, il y a autre chose, quelque chose que je n’arrive pas encore à définir.
Alors que je suis perdu dans mes pensées, une voix familière m’interrompt.
Hishida Youka, alias le tricheur.
— Oh, Wilfried, tu rêves devant le stock de crêpes perdu ?
Je hausse un sourcil mais souris légèrement.
— Peut-être. Mais je vois que tu es aussi venu ici pour te détendre.
Il rit doucement avant de s’asseoir à côté de Tokito, qui continue à manger en silence. Finalement, je les rejoins.
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Un échange étrange
Nous nous asseyons tous les trois, dégustant tranquillement les crêpes restantes que Tokito a daigné partager.
Hishida engage la conversation, alternant entre des remarques légères et des questions ciblées. Je comprends rapidement son jeu : il essaie de me sonder, de découvrir quelque chose sur moi.
En termes de raisonnement logique, il me surpasse probablement. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que j’ai plus d’expérience dans ce type de joutes. Je réponds à ses questions avec justesse, donnant suffisamment d’informations pour maintenir la discussion, mais jamais assez pour révéler mes vraies intentions.
— Tu as un talent certain pour garder ton sang-froid, dit-il finalement, un sourire en coin.
— Disons que c’est utile dans certaines situations, je réponds calmement.
Tokito, toujours silencieuse, finit par lever les yeux vers moi.
— Tu joues bien, dit-elle simplement avant de reprendre une bouchée.
Ses mots me surprennent, mais je me contente de hocher la tête.
Je sens que ces deux-là m’observent de près, tout comme je les observe. C’est un jeu subtil, une danse où chaque mot, chaque geste compte. Et même si ce n’est qu’un échange informel, je sais que cela pose les bases de relations plus complexes à venir.
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Alors que nous terminons nos crêpes, une pensée me traverse l’esprit : ces deux-là sont redoutables. Tokito pour son calcul presque inhumain, et Hishida pour sa capacité à manipuler les situations avec aisance.
Pourtant, je ne ressens pas de danger immédiat venant d’eux.
Pas encore.
Je sors de la bibliothèque, encore pensif après ma discussion avec Tokito et Hishida. L’air frais du couloir me fait du bien, mais à peine ai-je fait quelques pas qu’un choc survient.
Quelqu’un me rentre dedans. Pas un simple accident, ça, j’en suis sûr. Si ça avait été fortuit, j’aurais eu le temps de l’esquiver, mais l’impact était trop précis, trop intentionnel.
Je recule d’un pas pour évaluer la situation.
Devant moi, un garçon. Peau pâle, mais tout le reste, cheveux, yeux et même posture, semble calculé pour être l’antithèse de ce que je représente. Son apparence est trop soignée, chaque détail de son allure crie "maîtrise".
— Tsss… fais attention, je lâche, mais mes mots tombent dans le vide.
Le type ne répond pas immédiatement, mais son sourire… quelque chose cloche.
L’arrivée de Malakh
Et comme pour confirmer mes doutes, Malakh apparaît.
Il s’avance calmement, mais son regard est différent. Ce n’est pas celui du camarade tranquille que je vois d’habitude. Ses yeux semblent vides, glacés, presque inhumains.
Son ton, froid et tranchant, brise le silence :
— Shemed.
Le garçon au sol se relève, et c’est là que je vois sa réaction. Non pas de peur, mais de joie. Une joie étrange, presque déconcertante.
— Malakh ! Enfin, je te retrouve, lance-t-il avec une exubérance dérangeante.
Mais Malakh ne se laisse pas troubler. Il tend la main d’un geste abrupt, comme pour établir une barrière invisible entre lui et Shemed.
— Ne t’approche pas.
Le sourire de Shemed s’étire davantage. Sa voix est pleine d’une douceur venimeuse lorsqu’il répond :
— Tu n’as pas changé. Toujours aussi froid, toujours aussi angélique.
Je plisse les yeux, essayant de comprendre ce qui se passe. Angélique ? Et ce Shemed… son aura est tout simplement bizarre.
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Un jeu de pouvoir
Je fais un pas en avant, les yeux fixant le type. Et c’est là que je remarque quelque chose : mon téléphone. Ce gars a eu l’audace de me subtiliser mon appareil en me bousculant.
D’un geste rapide, je lui rends la pareille. J’imite exactement le mouvement qu’il a fait pour entrer en collision avec moi, mais cette fois, je reprends ce qui m’appartient.
Shemed rit doucement, presque amusé par mon action.
— Malin. Mais je vois que tu traînes toujours avec lui, dit-il en pointant Malakh du doigt.
— Et toi, tu sembles avoir oublié les bonnes manières, je rétorque sèchement, gardant mon calme.
Mais ses prochains mots me glacent.
— Oh, Wilfried, n’est-ce pas ? Je me moque bien de toi. Ma priorité numéro zéro, c’est Malakh. Et ma priorité numéro un… eh bien, c’est encore Malakh.
Sa voix, bien que douce, est imprégnée d’une intention malveillante que je n’arrive pas à cerner.
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Une révélation troublante
Sans perdre de temps, Malakh me tire doucement par le bras.
— Partons.
Je ne pose pas de questions tout de suite et le suis sans protester. Ce n’est qu’une fois assez éloignés que je me tourne vers lui, la curiosité prenant le dessus.
— Qui est ce type ?
Malakh fixe un point invisible devant lui, comme perdu dans ses pensées. Finalement, il répond, son ton étrangement grave :
— Il s’appelle Shemed. Si je suis ce que certains appellent l’être angélique, alors lui, c’est l’être démoniaque.
Sa réponse me laisse sans voix pendant quelques secondes.
— Attends. Ça veut dire quoi, exactement ? Vous êtes des opposés naturels ou… ?
Il détourne les yeux, évitant manifestement d’en dire plus.
— Ce n’est pas aussi simple, finit-il par murmurer.
Je comprends que je n’aurai pas de réponses claires pour l’instant, alors je n’insiste pas.
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Une ambiguïté troublante
Un détail, cependant, reste en suspens dans mon esprit. Ni Malakh ni Shemed n’ont jamais clarifié leur véritable sexe. Mais après cette rencontre, il devient évident que leur identité dépasse de loin les simples notions humaines.
Tandis que nous rejoignons le reste du groupe, je sens une tension latente en moi. Ce Shemed… sa présence ne peut signifier qu’une chose : les ennuis ne font que commencer.
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