11. Que Dieu me pardonne (1)

Léopold

— Clem, je t'ai déjà dit que je m'en occupais, arrête de te prendre le chou. Dès que j'ai le cul posé dans ma bagnole, je passe commande.

— J'en ai besoin aujourd'hui, Léo ! Je suis trop conne, j'aurais dû faire l'inventaire hier...

— Je vais téléphoner au tatoueur le plus proche et trouver un arrangement. T'en fais pas, tu l'auras, ton encre blanche. Je paierai le double, s'il le faut.

Je l'entendis prendre une inspiration de l'autre côté du combiné, puis se raviser. Clémentine savait qu'il était vain d'essayer de me convaincre que l'argent était précieux. De toute façon, j'avais largement de quoi en jeter par la fenêtre.

— Bon. Merci, Léo. On se retrouve au salon.

— À tout à l'heure.

Je raccrochai et finis d'enfiler ma veste avec laquelle je me débattais, le téléphone coincé sur l'épaule. Dans ma hâte, je fis tomber mes clés, et alors que je me baissai pour les ramasser, une grande main apparut et me les tendit.

— Tiens.

Le visage d'Atlantic était fermé. Il me rendit mes clés sans même me regarder dans les yeux.

— Merci.

Un ange passa.

— Juste et moi, on se retrouve au resto, ce midi, balbutiai-je. Tu veux venir ? C'est près de mon salon, un chouette petit bistrot d'habitués.

Il me jaugea de longues secondes, l'expression toujours aussi indéchiffrable. Puis l'un des coins de sa bouche se souleva, légèrement, et l'ambiance s'allégea.

— OK. Avec plaisir.

— Je demanderai à Roger de t'y emmener. Sois au parking souterrain à onze heures trente.

— Ça marche.

J'eus la stupide envie de lui claquer la bise, ou n'importe quoi pour le saluer, mais je me ravisai. C'était bizarre. Juste, déjà dans le couloir, m'intima de me dépêcher, ou nous allions finir par être en retard.

— Alors... À tout à l'heure, Tic.

— C'est ça. À plus, Léo.

Il referma l'entrée, me forçant à reculer dans le couloir. Je restai quelques instants planté devant la porte, ne sachant pas quoi penser de cet échange. Était-il énervé envers moi ? Déçu ? Indifférent ? Avait-il vraiment accepté mon invitation de bon cœur ou par simple politesse ?

— Le décalage horaire doit être difficile pour lui, souffla Juste, conscient de ma confusion – mais pour les mauvaises raisons. Viens, Léo, Roger nous attend.

Il tira doucement sur ma main, et je le suivis, comme un pantin. Nous prîmes l'ascenseur jusqu'au sous-sol en silence. La question d'Atlantic m'avait hanté toute la nuit : « Qu'est-ce que t'es en train de faire ? » La vérité, c'était que je n'en avais aucune idée. J'avais menti à Atlantic. J'avais menti à Juste. Et désormais, je me mentais à moi aussi.

La boule dans l'estomac qui ne me quittait pas depuis qu'Atlantic était arrivé me sembla peser encore plus lourd. Je tentai d'avaler ma salive, en vain. Ma bouche était aussi sèche que du vieux papier. Qu'étais-je en train de faire ? La bonne ou la mauvaise chose ? Mais y avait-il seulement une « bonne » chose à faire lorsque votre ex pour qui vous avez encore des sentiments débarque alors que vous êtes fiancé à un autre ? Le cœur l'emportait-il sur la raison ? Que ferait quelqu'un de bien à ma place ?

Il dirait à Atlantic de faire ses valises et de dégager de sa vie avant de tout foutre en l'air, imbécile ! Mais comment pouvais-je ? Comment pouvais-je lui ordonner de partir alors que je venais à peine de le retrouver ? Il avait disparu sans rien me laisser, sans me dire où il se trouvait, s'il allait bien, s'il était seulement en vie. J'avais remué ciel et terre pour avoir ne serait-ce que la moindre information à son sujet, et rien, absolument rien. Un an de torture incessante à me faire un sang d'encre pour lui. Et il était là, bien vivant, en bonne santé, dans mon appartement ! C'était plus qu'un miracle, c'était... le destin. Ça devait forcément être le destin. Sinon, comment expliquer qu'il soit revenu alors qu'il avait toutes les raisons de ne pas le faire ?

Je croisai le regard de Juste dans le miroir de l'ascenseur, et il me fit un petit sourire. Je dus me forcer à le lui rendre. Je baissai le nez vers mes chaussures et me dandinai sur place, soudain à l'étroit dans cette foutue cabine.

Heureusement pour moi, nous étions arrivés. Je sortis à peine les portes ouvertes, et trottinai jusqu'à la Mercedes qui attendait plus loin, phares allumés. Je me glissai à l'arrière, suivi par Juste, et après nous avoir souhaité bonjour, Roger démarra et sortit de l'immeuble.

— J'ai une réunion à treize heures, aujourd'hui, m'informa Juste en consultant son emploi du temps sur son portable. Il faudra que je parte plus tôt du déjeuner.

— D'ac'. Tu seras là pour le dîner ?

— J'espère. En ce moment, l'entreprise est un vrai capharnaüm. Je te tiendrai au courant.

Je humai pour signifier mon approbation puis laissai ma tête aller contre la vitre. Je sortis mes écouteurs de mon sac et mis « Rêverie » de Debussy en boucle. Ma tempe cognait à chaque plaque d'égout sur laquelle nous roulions, mais je l'ignorai, feignant être le personnage principal d'un film mélancolique. J'observai Paris défiler devant mes yeux éteints, bercé par la douce mélodie classique, en proie à des émotions trop complexes pour parvenir à les démêler. Je décidai de les cacher dans un tiroir fermé à double tour dans les abysses de mon esprit, et de ne plus me torturer avec ces questions de bien et de mal. Atlantic était revenu et, au fond, c'était tout ce qui comptait. Le reste pouvait attendre.

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