- Chapitre un -

Dans le Clan du Ciel, sortir tout seul quand on est apprenti est interdit. Mais ça, Nuage Frétillant et Nuage de Pivoine s'en fichaient.

Alors ils courraient, aussi vite que leurs poumons le permettaient. Il riaient aux éclats, fiers. Nuage Frétillant menait la course, ses pattes filant sur l'herbe haute du plateau. Derrière lui, l'apprentie guérisseuse peinait un peu plus, mais paraissait tout aussi heureuse.

- Qu'il meure en essayant de nous trouver, ce connard de lieutenant !

Gronda le jeune mâle noir.

- À mort Vent d'Illusions !

- Ouais ! Tuons le !

Les deux amis continuaient de hurler des phrases semblables, haletants entre le rire, la course et leurs paroles. Et même si ses poumons étaient en feu, Nuage Frétillant était le plus heureux des apprentis. Fier, sa fourrure noire se mouvait dans tout les sens, le faisant ressembler à un fantôme noir aux yeux délicieusement verts. Nuage Frétillant, il s'en foutait des règles. C'était un esprit libre, il avait pas besoin de tout ces trucs à la noix.

Et puis, c'était pas dangereux de sortir seul. Il était même pas seul, en plus. Il avait Nuage de Pivoine avec lui. Le Clan du Ciel, ils étaient tout seuls dans leur gorges. Pas d'ennemis. Des fois des bipèdes amenaient leurs chiens, ou un renard s'aventurait sur leurs terres, mais c'était si rare que ce n'était pas un réel danger. Le vrai danger, c'était l'hiver et les éboulements. Mais l'hiver était passé et les éboulements étaient rares aussi.

Alors il trouvait stupide qu'on leur interdise de sortir. Le monde extérieur, il l'adorait, il en était amoureux. Sentir la brise sur ses flancs et sur son museau, et le gargouillement des oiseaux et des branches. Pas de guerriers qui pestaient, pas d'apprentis qui se disputaient, et pas de lieutenant pour les réprimander toutes les cinq minutes.

- À mort, Vent d'Illusions !

Continuait de crier sa camarade tricolore, le souffle court.

- Ouais, qu'il crève comme une merde, qu'il perde le souffle jusqu'à ce que son petit cœur de connard lâche !

Il voulait dehors, il voulait liberté. Toute son existence, il voulait ressentir ce sentiment libérateur. Plus de règles. Plus de lieutenant. La vraie vie, enfin. Bien, sûr, ce n'était pas la première fois qu'il sortait. À chaque fois, ça finissait mal pour lui, mais il s'en fichait aussi. Parce que pendant un moment au moins, il avais liberté.

Si un jour, il devait nommer un chaton, si il devenait oncle, ça serait Petite Liberté. Et il apprendrait à ce chaton à faire autant de conneries que lui faisait. Parce qu'il passait son temps à trouver des nouvelles idées pour emmerder tout le monde. Il en était fier, en plus. Il était le roi des trucs débiles et des idées à la con. Il donnait du fil à retordre à tout le monde, Nuage Frétillant. Sauvage, indomptable, libre. Et il prenait un malin plaisir à torturer son mentor, qui n'était autre que son ennemi juré, Vent d'Illusions.

- Euh, Nuage Frétillant, on a un problème.

Nuage de Pivoine recula de quelques pas, ricanante.

Le jeune matou de jais regarda en contrebas. Une patrouille fonçait sur eux avec un empressement varié selon les chats. En tête, évidemment, Vent d'Illusions, son visage crispé dans la colère la plus totale. Derrière lui, Grenouille Tachetée, un peu agacé et Nuage de Prêle, la sœur de Nuage de Pivoine, qui paraissait juste ennuyée, car elle avait du faire une patrouille supplémentaire. Nuage Frétillant feula à la vue du lieutenant et voulut foncer sur le trio. Nuage de Pivoine le retint avec fermeté.

- Non, arrête, on a aucune chance. On ferait mieux de s'enfuir.

- Ouais, qu'ils s'épuisent à nous courser. C'est plus marrant.

- Exactement.

Ils échangèrent un sourire avant de se remettre à courir. Liberté, liberté.

- Alors, Illusions, t'es rouillé ?

Les deux apprentis entendirent un grognement alors que Nuage de Prêle les rattrapait.

- Nuage de Pivoine ! Tu fais quoi là ?! Maman et papa vont être fâchés !

La petite femelle grise bleue fronça les sourcils.

Les pattes des trois apprentis foulaient le sol très rapidement. Au moindre caillou, ils pouvaient chuter. L'esprit de Nuage Frétillant était en ébullition, il pouvait réfléchir tout en se concentrant sur sa course. Une aptitude qu'il avait développée presque naturellement. Il sentait l'herbe sous ses coussinets, il entendait son souffle et le vent qui battait à ses oreilles, il voyait le sourire de Nuage de Pivoine et il sentait le sien sur ses propres lèvres. Il souriait de fierté.

- Ta gueule, je m'en fiche de papa et maman !

La jeune chatte tricolore s'arrêta devant l'autre apprentie. Nuage Frétillant n'eut pas le temps de voir la scène entière, il aperçut seulement la patte de sa camarade s'abattre sur l'oreille de sa sœur, le cri de celle ci, et les quelques particules écarlates qui vinrent consteller son pelage noir.

A cause de ça, il avait prit de l'avance sur son amie. Il essayait de réguler son souffle, mais il savait qu'il devrait bientôt s'arrêter. Il avait deux choix. Soit capituler, soit tenter de gagner du temps en se jetant dans les fourrés de la mini forêt juste devant lui, au risque de se blesser.

La deuxième option, évidemment. Il bondit dans les buisson, serrant les dents quand les ronces lui griffèrent la peau et firent saigner son nez. Il entendit les glapissements de Nuage de Pivoine derrière lui, et le feulement de la patrouille.

- À mort, Vent d'Illusions !

Miaula tout bas Nuage Frétillant, ses yeux verts enflammés du sentiment de liberté qu'il aimait tant.

- Bon, on rentre au camp, Nuage de prêle a besoin de soins. Ces deux gamins finiront par revenir d'eux même.

C'était la voix presque lointaine du lieutenant. Les deux apprentis cachés entendaient aussi les couinements de leur camarade de tanière. Quelle chochotte, celle là. Elle n'avait reçu qu'un ridicule coup de griffe sur l'oreille.

- Bien, lieutenant.

Et ça, c'était Grenouille Tachetée.

Nuage de Pivoine et Nuage Frétillant échangèrent un regard triomphant. Ils restèrent tapis sous les ronces une bonne dizaine de minutes, dans le silence le plus complet. Haletants, seuls leurs deux respirations et les battements de leurs cœurs étaient audibles. Dans la demi pénombre du bout de forêt, l'atmosphère était apaisante, bien que légèrement pesante. Nuage Frétillant était déjà venu ici pour chasser, et il en avait juste retenu que c'était vachement dur.

- C'était génial.

- Incroyable.

- Monumental.

- J'ai mal aux pattes.

- Sale guérisseuse, t'as pas d'endurance.

- Hé !

Les deux apprentis gloussèrent. Nuage de Pivoine avait un joli rire clair et fluide. C'était bien le seul truc beau en elle. La femelle tricolore était intelligente, certes, mais Nuage Frétillant avait toujours trouvé qu'elle était moche. Contrairement à ses deux sœurs, qui avaient hérité du joli pelage gris bleu de leur mère, elle était blanche, avec quelques taches blanches et noires sur le corps. Elle était massive et large d'épaule, le museau un peu aplati et des grosses pattes.

Non, Nuage de Pivoine n'était pas belle.

- Allez, on rentre. On va se prendre une raclée.

Miaula le félin noir, rampant pour sortir de la roncière. Sa camarade eut un sourire.

- Ouais. Mais soyons raisonnables, plus on rentrera tôt, moins la punition sera lourde.

Ses sourires aussi étaient moches. Les deux jeunes chats ressortirent sur le plateau, le vent filant sur leur museau.

- Tu crois qu'on va se prendre quoi, comme punition ?

- Je sais pas.

- Une grosse punition, sûrement.

- Oui. Mais en même temps, c'était cool.

- Trop.

Ils continuèrent leur marche sur le plateau, sans dire un mot. Le crépuscule tombait lentement, animant le ciel de teintes violacées et rosâtres. C'était super beau. Nuage Frétillant avait les coussinets douloureux et des ronces dans le pelage, mais il s'en fichait, profitant des dernières minutes de liberté qui filaient sur sa fourrure.

Et puis les gorges furent en vue, et les deux apprentis s'engagèrent dans la descente à coté du rocher du ciel. Alors qu'ils voyaient le camp en contrebas, un petit félin blanc comme neige courut à leur rencontre. Nuage Frétillant sourit à son ami.

- T'as vu, Nuage d'Abeille ? On a gagné ! Même cet idiot de lieutenant à abandonné devant ma face de vainqueur !

Le matou fronça les sourcils.

- Je ne pense pas que quiconque aie gagné. Vous avez juste crée une panique générale.

- C'était marrant !

Renchérit le félin aux yeux verts, troublé. Nuage d'Abeille avait cette sale habitude de croire les adultes, et de les écouter.

- Pour vous.

Cracha t'il avant de dévaler la pente pour rejoindre le camp.

Nuage Frétillant resta quelques minutes abasourdi. Il ne voulait pas se l'avouer, mais le fait que son ami ne soit pas de son coté le blessait. Alors, il rejeta la faute sur Nuage de Pivoine.

- Dans quoi tu m'a embarqué ?!

Miaula t'il à la féline tricolore.

- Hein ?

- C'est de ta faute, tout ça.

- Ne me rejette pas la faute dessus. On a fait la connerie à deux, on l'assume à deux.

- Sale guérisseuse, t'as pas courut assez vite. Regarde toi, sérieux, on à l'impression que tu vas t'écrouler !

- Je n'ai pas l'habitude de ce genre d'activités.

- Alors pourquoi tu m'as accompagné ? T'aurais juste pu rester dans ta tanière toute sombre à trier des plantes !

Elle gronda, son visage se tordant dans de la colère.

- C'est bon, tais toi. T'es trop con pour être compatissant.

Et elle dévala la pente, plus vite encore que Nuage d'Abeille, glissant sur les graviers et manquant de tomber, ses yeux débordants. Ce sale con, il lui avait rejeté la faute dessus. Elle aurait du écouter Nuage de Rose.

Nuage Frétillant Feula avant de descendre à sa suite. À peine avait t'il posé une patte sur le sol rocailleux du camp qu'une fourrure rousse se planta devant lui. Ça avait des yeux jaunes-verts et ça s'appelait Vent d'Illusions.

- Toi, le fugueur, tu va venir avec moi.

- Et Nuage de Pivoine ?

Demanda t'il d'un ton égal, comme si il ne venait pas de sortir du camp en douce.

- Son mentor s'en chargera.

Effectivement, Museau de Grêle était sorti de son trou pour l'occasion. Mais bon, il n'avait pas l'air très énervé.

Nuage Frétillant suivit alors son mentor à travers les gorges, s'éloignant du camp. Le grand matou roux, légèrement blanc sur le poitrail et le menton, avait l'air extrêmement tendu.

Quand le camp fut assez loin, Nuage Frétillant compris que si son mentor avait fait ça, c'était sûrement pour lui faire quelque chose de pas très autorisé. Mais c'était un peu tard pour s'en rendre compte, car Vent d'Illusions lui bondit dessus et le plaqua violemment au sol.

Dans une espèce de panique, le jeune mâle noir se débattit avec ardeur, mais cela ne servit strictement à rien. Il abandonna, laissant son mentor le tenir fermement. Vent d'Illusion prit une grande inspiration, endormant la colère. Mais il savait qu'elle pouvait se réveiller à tout moment.

- Nuage Frétillant...

- POURQUOI ON A PAS LE DROIT DE SORTIR SEULS !? IL Y A AUCUN DANGER DEHORS ! C'EST DU FOUTAGE DE GUEULE !

- Tu es trop...

- OH , MOI ? MOI, VENT D'ILLUSIONS ?! SALE FILS DE SALOPE !

- Non, tu...

- JE VAIS TE TUER ! TE DÉFONCER !

Alors qu'il continuait à déblatérer des insultes, l'apprenti noir avait des mimiques colériques. Vent d'Illusions sentait qu'il ne maîtrisait plus sa colère.

- Tu, tu, fils de salope, si on vous interdit de sortir c'est pour votre sécurité ! Vous pourriez vous blesser ou vous perdre ! Et regardes toi ? Tu crois que tu est assez mature pour sortir tout seul ?!

Le silence s'installa entre les deux félins. L'ironie, c'est que leurs mères respectives étaient toutes deux mortes. Leurs deux visages étaient presque collés, animé par une rage sourde et une haine réciproque. Le souffle chaud de Vent d'Illusions fouettait la truffe de Nuage Frétillant. Au fil des secondes, le mentor et l'apprenti se calmèrent.

- Et sinon, comment ça va ?

Demanda Nuage Frétillant avec son habituel ton.

- J'allais très bien jusqu'à ce que j'apprenne que deux apprentis avaient fugués et que j'ai du les courser, me prenant pas la même occasion des insultes de mort.

- Je peux avoir à manger ?

- Non. Tu agis comme si j'étais idiot. Je t'ai entendu, avec Nuage de Pivoine. Vous criiez « à mort, Vent d'Illusion ! À mort ! »

- Non, c'est faux.

- Tais toi. Je demandes des excuses pour moi et Nuage de Prêle, qui s'est faite griffer.

- Alors, je m'excuse pas pour Nuage de Prêle.

Cracha t'il avec dédain.

- Très bien. Alors tu seras puni. Je sais bien que ce n'est pas ça qui va t'empêcher de continuer tes conneries, mais au moins ça te fera des corvées en plus.

- Quoi, comme punition ?

- Je sais pas. Quelque chose du genre retardement de baptême.

Un petit sourire anima le visage du lieutenant.

Nuage Frétillant blêmit. Son baptême de guerrier, il l'attendait avec impatience, et malgré ses nombreuses bêtises, il était un apprenti très doué qui s'entraînait beaucoup. Si il devait subir le supplice de voir sa sœur et tout ses camarades de tanière se faire baptiser avant lui, il se suiciderais sûrement.

- D'accord, je vais m'excuser !

Déclara t'il promptement.

- Euh, mes sincères excuses, ô grand Vent d'Illusions, le fort lieutenant vraiment trop fort qui est le meilleur des mentors et que j'aime beaucoup.

- Moh, moi aussi je t'aime, mon cher Nuage Frétillant.

Il éclata d'un rire sordide, libérant son apprenti de son emprise. Le chat noir se précipita quelques longueurs de queue plus loin et se lécha furieusement le pelage.

Il le détestait.

Touts deux rentrèrent aux camp. Nuage Frétillant avait les yeux rivés sur le sol, ce qui était curieux pour un chat fier comme lui. Il sentait encore le regard de supériorité du lieutenant et son massif corps roux le tenant fermement accroché au sol. Plus jamais il ne voulait avoir cette vision d'horreur.

Un félin sombre se planta devant lui.

- Alors, Frillou ? T'es vraiment le pire des pires.

- Casse toi, j'ai pas envie de te parler.

- Oh, t'es fâché ? Même contre moi ?

- Je suis toujours fâché contre toi, Nuage de Rose.

- Tu te trompes de personne, je crois.

Il leva les yeux, et son visage s'illumina.

- Oui, oui, je me suis trompé.

- Bon, alors. Tu as fait quoi ?

Demanda le matou noir, ses yeux bleus brillants de curiosité.

- Je me suis enfui. Avec Nuage de Pivoine. On a crié des insultes envers Vent d'Illusions, puis une patrouille nous a rattrapés.

- Et Nuage de Pivoine à griffé Nuage de Prêle. Oui, ça je sais, elle le crie à qui veut bien l'entendre.

Le jeune mâle soupira.

- Quelle chochotte, cette peste. Et puis on les a semés et on est rentrés.

- T'es trop fort. Dire que j'ai pas profité de mon apprentissage comme toi... j'osais pas.

Vent d'Illusions revint vers son apprenti avec froideur.

- Hé, va voir Nuage de Prêle. Regarde, elle est là bas. Et toi, Croc de Fourmi, arrête de l'encourager.

Puis il disparut, montant la pente pour aller à la tanière du chef.

- Il croit vraiment que je vais arrêter de t'encourager ? Faut vivre, quand on a ton âge. Faut profiter. Parce que après, c'est plus le même délire. La tanière des guerriers, c'est pas marrant. Pas du tout du tout.

Croc de Fourmi soupira une deuxième fois, mais cette fois tristement.

- Ouais, mais être guerrier, c'est cool !

- Oui, c'est trop bien. Mais toi, Frillou, t'es pas encore prêt à être guerrier. Tu manques de maturité.

- EH !

Il fronça les sourcils, avant de laisser son grand frère seul et abasourdi.

- Désolée, Nuage de Prêle.

Lança t'il en passant aux cotés de l'apprentie grise.

Bien sûr que si qu'il était assez mature pour être un guerrier ! Il avait dix lunes, c'était un grand, plus un chaton.

Il deviendrait un guerrier incroyable. Un héros.

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