Il se tenait dressé sur le Mur, sa cape claquant dans le vent.

Son regard dériva vers l'horizon, loin, très loin de Pantala. Là-bas, pas de règles. Là-bas, les pires créatures cohabitaient. Pourtant, on aurait pu croire qu'elles passeraient leur temps à chercher un moyen de tuer les Hommes terrés derrière le Mur.

Mais lui, il savait pourquoi ce n'était pas le cas. Pour le moment, les créatures de l'ombre se tenaient à distance face à ce nouveau fléau qui menaçait l'espèce humaine ; leur haine et leur désir de vaincre.

Cela faisait bientôt quarante-deux ans que les royaumes de Pantala et d'Arcalia s'affrontaient, en vain. Et les dirigeants avaient crus bon de mettre en première ligne les Flammes.

Mais les Flammes n'auraient jamais dû être de simples outils, des armes utilisées contre d'autres Hommes. Les Flammes n'avaient qu'un seul but : protéger le Mur des dangers extérieurs, des créatures de l'ombre qui menaçaient leur tranquillité. C'était à cela que devaient servir leurs pouvoirs, aussi immenses soient-ils.

Mais depuis bien longtemps, les nobles aspirations des Gardiens avaient été entachées par la soif de vengeance, et les quelques survivants qui se battaient encore le savaient. Ils savaient que cette guerre ne s'arrêterait qu'à l'annihilation d'un des deux royaumes, et que les pertes seraient inimaginables. Cependant ils n'y pouvaient rien, ils étaient là pour ça.

Obéir et protéger.

Son regard quitta la forêt et les plaines à l'horizon, pour revenir aux combats qui se déroulaient sous ses yeux, au pied de la vaste muraille. Une bourrasque plus forte que les autres le fit chanceler, et il attrapa la main d'Émily.

Émily se tenait à ses côtés, comme toujours. Ses longs cheveux bruns formaient une crinière autour de sa tête. D'une main elle le tenait, et de l'autre, elle formait des étincelles meurtrières. Il ne put s'empêcher de la dévisager, elle qui, avant cette sinistre guerre, était si délicate. Il l'aimait tellement...

Émily se mit à parler, mais ses paroles furent noyées par les rugissements du vent. Elle reprit donc, plus fort pour se faire entendre malgré tout :

— Les Gardiens disent qu'aujourd'hui sera la dernière bataille. Que d'une manière ou d'une autre, notre destin sera scellé au lever du soleil.

Ils échangèrent un regard lourd de sens. Il aurait voulu la protéger, tellement ! Mais face à cet ouragan, il ne pouvait rien.

— Tu es sûre de ne pas vouloir rentrer te mettre à l'abri ? Je peux défendre Pantala pour deux, tenta-t-il tout de même.

Émily lui lança une œillade furieuse, ses prunelles bleues lançant des éclairs.

— Tu sais très bien que je ne peux pas.

Il grimaça. Oui, il ne le savait que trop bien. Dans ce cas, quoi qu'il arriverait cette nuit, ils seraient tous les deux. C'était peut-être mieux ainsi.

— Tu sais que si tu viens, les Flammes seront sûrement détruites avant l'aube ?

Voyant qu'elle opinait, il acheva :

— Alors... Un dernier combat ? Ensemble ?

— Ensemble, pour protéger les nôtres.

Les deux Flammes se tinrent encore plus fermement par la main et sautèrent du Mur, déterminés à donner leur vie pour Pantala.